Abstract : Research confirms what inmates have been saying all along : having a steady job on leaving prison is an important factor to reduce recidivism. Yet only a small number of inmates, at the most 25 %, are able to find regular employment within the first twelve months of leaving prison. This article looks at the contribution, potential and real, of prison labour to improve the chances of ex-inmates on the labour market. It examines both the difficulties that stand in the way of more promising results and the solutions that have been proposed.
Introduction
Le travail pénitentiaire a longtemps occupé une position clé dans le bon fonctionnement des prisons françaises. Dès leur création en 1811 [1], les ateliers pénitentiaires furent appréciés pour leur polyvalence : outil de gestion et source de revenue, instrument afflictif mais aussi moyen d’amendement moral et de réinsertion. L’importance accordée à l’un ou l’autre facteur a varié au cours des deux derniers siècles. Si au XIXe siècle les trois premières fonctions furent mises en avant, nous constatons à partir des années 1880 une préoccupation grandissante pour le bien-être des travailleurs : réduction du temps du travail, imposition du repos hebdomadaire et interdiction du travail nocturne. En 1927, l’entreprise générale fut définitivement abolie au profit de la régie et de la concession, qui offraient de meilleures garanties contre les abus du passé (Guilbaud, 2006, 13). Il fallut néanmoins attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale avant que ce mouvement d’humanisation se traduise, sous l’influence de la Défense sociale nouvelle, en une véritable politique d’amendement et de reclassement social des détenus (Conseil économique et social, 2005, 1). La demande de main-d’œuvre lors du boom économique des Trente Glorieuses justifiait l’espoir qu’un travail régulier, étayé par la formation, puisse suffire pour assurer l’insertion professionnelle de la plupart des sortants de prison. On croyait également à une retombée économique du travail industriel. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Tous les rapports portant sur le travail pénitentiaire, du Conseil économique et social (1987) aux plus récents d’Auvergnon et Guillemain (2006) et de Guilbaud (2006), soulèvent des doutes sérieux sur son bon fonctionnement. Dans sa forme actuelle, il ne serait ni un outil efficace de réinsertion, ni capable d’alléger le coût de la détention. Il rendrait tout au plus la période d’incarcération plus supportable et faciliterait le maintien de l’ordre dans les établissements qui affichent encore un taux d’activité rémunérée suffisant.
Nous nous limiterons ici à examiner un seul aspect critiqué, la mission de réinsertion. Dans un premier temps, nous tenterons de clarifier le concept de la réinsertion par le travail en considérant ses buts et en vérifiant, en quelle mesure l’intégration professionnelle à la sortie y contribue. Dans une deuxième étape, nous nous intéresserons aux possibilités ? potentielles et actuelles ? du travail pénitentiaire pour promouvoir l’employabilité des sortants. Nous terminerons avec une analyse des obstacles qui vont à l’encontre des résultats plus prometteurs et nous présenterons les solutions proposées par l’administration pénitentiaire (AP).
Notre approche méthodologique tient compte de la nature pluridisciplinaire de la criminologie en associant une recherche plus générale (droit, histoire, sociologie) avec l’expérience pratique d’un professionnel du travail pénitentiaire et une recherche de terrain faite en 2001-2002 dans neuf prisons européennes, dont trois en France.
1. Le lien insertion professionnelle-prévention de la délinquance
1.1. Les objectifs de la réinsertion par le travail
"Le travail participe sans ambiguïté à la mission de réinsertion confiée à l’Administration pénitentiaire" (Rapport AP, 1996, 178). Ce constat confirme la place importante accordée au travail dans tout projet de réinsertion, mais sans spécifier les buts concrets à atteindre. À ce sujet, il existe deux écoles de pensée. La première, majoritaire, cible essentiellement une augmentation de l’employabilité des détenus dans l’espoir qu’un emploi régulier puisse diminuer le risque de récidive. C’est en ce sens que les nouvelles Règles pénitentiaires du Conseil de l’Europe statuent que [le] "travail doit permettre, dans la mesure du possible, d’entretenir ou d’augmenter la capacité du détenu à gagner sa vie après sa sortie de prison" (Règle 26, al. 3). La deuxième école attribue à la réinsertion par le travail une fonction plus large d’intégration sociale car, selon elle, le travail est le garant de la cohésion sociale des sociétés modernes, voire son "Grand Intégrateur" (Barel, 1990). C’est le travail qui facilite l’apprentissage de la vie sociale et la constitution des identités ; il est la clef de contribution-rétribution sur quoi repose le lien social ; il donne à chacun la chance d’avoir une utilité sociale, et il est un lieu de rencontre et de coopération hors de la sphère privée (Méda, 1995, 167). Cette conception du travail n’est pas incontestée ? Méda elle-même est la première à s’en distancer [2] ? mais elle résume bien les espoirs misés sur lui, même en prison. Elle n’est pas non plus indifférente au problème de la récidive, mais elle met d’abord l’accent sur la personne détenue et les conditions nécessaires afin qu’elle puisse trouver sa place dans la société.
1.2. Le rapport chômage-délinquance
Les deux interprétations de l’insertion professionnelle se basent implicitement sur l’hypothèse que l’absence d’un emploi stable augmente le risque de délinquance. Cette hypothèse n’est pas nouvelle, mais elle n’a jamais été validée de façon péremptoire, les études arrivant à des conclusions divergentes, de la confirmation jusqu’à l’invalidation totale (Crow, Richardson et al., 1989 ; Albrecht, 1988). Les chercheurs s’accordent néanmoins sur le fait que le nombre de personnes détenues n’ayant pas travaillé pendant la période antérieure à leur arrestation est significativement plus élevé que celui de la population générale. En 2000, 65 % des entrants en prison en France étaient sans emploi et seulement 28 % d’entre eux en situation de chômage indemnisé (Administration pénitentiaire, 2002, 82). La France n’est pas un cas unique. Durant la même période en Angleterre, deux tiers des personnes détenues n’avaient pas travaillé le mois avant leur incarcération (Social Exclusion Unit, 2002, 20). Les statistiques allemandes citées par Dünkel et van Zyl Smit (1998, 1166) dressent un tableau analogue avec un taux d’inactifs de 73 % au moment des faits. Bien que le chômage ne soit pas la seule cause ou la cause directe de la délinquance, il est néanmoins vrai, comme le souligne Albrecht (1988, 142), que l’inactivité professionnelle renforce des déficits sociaux et personnels déjà présents et augmente ainsi le risque d’un acte délictueux. Il ne faut pas non plus perdre de vue que la population détenue ne représente pas un échantillon neutre. La recherche de Godefroy et Laffargue (1991) montre clairement que tout le long du parcours judiciaire, de l’enquête policière jusqu’à la condamnation définitive, un choix est opéré en défaveur des personnes qui donnent peu de garanties d’intégration sociale : les sans-travail, les toxicomanes, les étrangers. Ce fait est aggravé par la tendance du système judiciaire à durcir la répression criminelle en périodes de crise économique. Godefroy et Laffargue constatent une corrélation étroite entre niveau de chômage et taux et durée des peines privatives de liberté, même si le taux de délinquance enregistrée reste constant, voire baisse.
Quant au lien entre réinsertion professionnelle et récidive, les rares recherches faites dans ce domaine confirment sans exception un risque moindre pour les sortants de prison qui sont insérés dans un emploi stable. L’étude la plus détaillée provient de trois chercheurs autrichiens, Hammerschick, Pilgram et Riesenfelder qui, entre mars et juin 1994, ont retracé le parcours professionnel de 505 ressortissants de prison pendant six ans : quatre avant leur incarcération et deux après leur libération. De leur population totale, 50 % furent condamnés de nouveau pendant les deux premières années suivant leur libération, mais seulement 33 % parmi ceux qui avaient trouvé un emploi régulier (1997, 179). Une enquête de Francis Simon, menée dans six prisons anglaises, donne des résultats comparables. Cinq mois après la libération, seuls 15 % des sortants insérés dans une activité rémunérée commirent une infraction sérieuse, comparés aux 28 % de ceux qui cherchaient en vain un emploi, et aux 75 %, qui n’avaient aucune intention de travailler. Les 176 détenus interrogés furent eux-mêmes d’avis qu’un salaire régulier était un des meilleurs gages pour éviter la récidive (1999, 175). Une étude du Land Nordrhein-Westfalen va dans le même sens : 85 % des détenus qui sortirent sans formation, sans traitement et sans travail retournèrent en prison contre 33 % de ceux qui sortirent avec un diplôme et trouvèrent un emploi correspondant (Wirth, 1998, 65). Du côté français, la recherche de Kensey et Tournier (2005) montre que les détenus qui déclarent une profession à l’écrou, soit ceux qui ont un capital d’employabilité plus grande, affichent un taux de récidive nettement plus bas que ceux qui se déclarent "sans profession", avec une différence particulièrement prononcée pour les infractions à haut risque de récidive comme le vol (crime) où la réduction est de 39 points. L’hypothèse d’un lien entre réinsertion professionnelle et protection contre la récidive est-elle ainsi confirmée ? La réponse est positive mais il faut noter que les détenus qui sortent avec un contrat de travail en poche ne représentent pas une sélection neutre. Ce sont le plus souvent ceux, qui ont profité d’un placement à l’extérieur, d’une mesure de semi-liberté ou de libération conditionnelle, aménagements accordés uniquement à ceux qui sont perçus comme "bon risque". Il n’est donc pas surprenant que leur taux de retour sous écrou soit inférieur (Kensey, Tournier, 2005). En deuxième lieu, ce sont également ceux qui peuvent compter sur leurs familles ou leurs amis dans la recherche d’un travail. Le fait de disposer d’un réseau de contacts sociaux à l’extérieur est en lui-même un facteur qui réduit le risque de récidive.
Nous pouvons ainsi résumer le lien emploi-délinquance-récidive comme suit : le fait d’être inséré dans une activité rémunérée ou non est un facteur significatif dans l’évaluation du risque de la délinquance, primaire ou répétée. Même si le lien est moins fort que les données statistiques ne le suggèrent, car elles ne tiennent pas compte du processus de sélection opéré, il justifie néanmoins un examen de l’apport du travail pénitentiaire à la réinsertion professionnelle des détenus.
2. Apport potentiel - apport effectif du travail pénitentiaire à la réinsertion
2.1. Les attentes
L’espoir misé sur travail et formation intra muros se base sur deux présupposés : 1) que bon nombre de détenus arrivent avec des handicaps multiples qui rendent difficile leur future réinsertion dans le marché du travail et 2) que emplois et formations offerts en prison contribuent sensiblement à surmonter ces déficits (Shea, 2006, 16sqq.).
2.1.1. Première hypothèse : la majorité des détenus ont des carences d’employabilité
En ce qui concerne ce premier présupposé, les recherches sur les caractéristiques personnelles et professionnelles de la population incarcérée confirment l’évaluation des praticiens : les établissements accueillent actuellement un nombre important de personnes, qui sont difficilement employables, même à l’intérieur de la prison. Plusieurs surveillants d’ateliers interrogés à ce sujet affirment que la situation ne fait que s’aggraver. Voici le commentaire d’un maître-menuisier allemand : Il y a quinze ans, je pouvais encore compter sur une poignée de détenus avec des connaissances élémentaires en menuiserie et prêts à apprendre. Aujourd’hui je me bats avec un groupe démotivé et désintéressé au point que je dois refuser tout contrat qui requiert un minimum de compétences. C’est décourageant ! Diverses enquêtes sur les caractéristiques de la population carcérale laissent peu de doutes sur la justesse de ce constat [3]. Une étude de la DREES portant sur l’activité des services de psychiatrie en milieu pénitentiaire de 2001 montre que 50 % des détenus relevaient des soins psychiatriques, 60 % avaient un diagnostic de trouble addictif et 40 % des antécédents psychiatriques (Lovell, 2005). L’enquête de l’INSEE (2002), portant sur l’histoire familiale des hommes détenus, montre la faiblesse du capital scolaire des détenus : seuls 39,3 % ont reçu une formation secondaire ou supérieure, 50,3 % se sont arrêtés au niveau primaire et 10 % se déclarent illettrés ; 64 % n’ont aucun diplôme ; 30 % sont en difficulté de lecture. Cette enquête confirme également le faible niveau d’activité professionnelle. Pour les entrants en prison, ce taux est de 49 %, alors que le taux général pour les hommes de 15-64 ans est de 75 %, voire de 91 % pour les 25-29 ans (Conseil économique et social, 2005, 26-27). Dans son étude sur les pauvretés en prison, Anne-Marie Marchetti (1997, 27) note également la place croissante des "pathologies de précarité", telles que les maladies infectieuses comme le Sida ou l’hépatite B, qui excluent un travail régulier. Bref, face à ces statistiques accablantes, il serait difficile de nier qu’une majorité de détenus entrent en prison avec de graves carences d’employabilité. Reste à vérifier, dans quelle mesure travail et formation en prison y portent remède.
2.1.2. Deuxième hypothèse : travail et formation sont des outils efficaces pour remédier à ces carences
Reprenons l’étude autrichienne de Hammerschick, Pilgram et Riesenfelder (1997) et comparons les parcours professionnels de leur échantillon avant et après la période d’incarcération.
Tableau 1 : Statut d’emploi des détenus avant/après la période d’incarcération
Au travail =>50 % par an
4 ans avant : 31 %
3 ans avant : 27 %
2ans avant : 25 %
1 an avant : 20 %
1 an après : 16 %
2 ans après : 20 %
Contrats aidés, formation
4 ans avant : 3 %
3 ans avant : 5 %
2ans avant : 6 %
1 an avant : 7 %
1 an après : 8 %
2 ans après : 7 %
Chômeurs
4 ans avant : 6 %
3 ans avant : 6 %
2ans avant : 8 %
1 an avant : 12 %
1 an après : 15 %
2 ans après : 11 %
Aucun statut repérable
4 ans avant : 8 %
3 ans avant : 8 %
2ans avant : 8 %
1 an avant : 8 %
1 an après : 9 %
2 ans après : 4 %
OLF [4]
4 ans avant : 53 %
3ans avant : 54 %
2ans avant : 53 %
1 an avant : 53 %
1 an après : 52 %
2 ans après : 58 %
Total : 100 %
Source : Hammerschick/Pilgram/Riesenfelder, 1997, 166.
Nous constatons, par rapport à la situation de l’emploi, que la première année après la sortie est encore plus calamiteuse que celle avant l’incarcération. Dans la seconde année, un petit groupe arrive à se réinsérer au niveau antérieur ou à le dépasser, mais la majorité s’éloigne davantage de l’insertion professionnelle. L’étude de Frances Simon (1999, 165) constate les mêmes difficultés pour les sortants de prison en Angleterre : 6 mois après leur libération, à peine 25 % de son échantillon avaient trouvé un emploi ; 61 % étaient encore à la recherche et 11 % avaient abandonné toute tentative. Qui plus est, le fait de trouver un emploi est lié, en premier lieu, à l’expérience et au niveau de formation avant l’incarcération. Les personnes, qui occupaient antérieurement une position professionnelle stable, avaient 50 % de chances de trouver un emploi après la libération, indépendamment du fait d’avoir travaillé en prison ou non. Pour ceux qui étaient au chômage avant leur dernière condamnation, toutes les mesures prises en prison - travail, éducation, formation professionnelle - n’eurent aucun effet visible sur leur réinsertion. Seuls 13 % retrouvèrent un poste permanent. Les résultats de deux études britanniques du service d’insertion vont dans le même sens : seuls 21 % des détenus libérés sous probation obtinrent un emploi, malgré l’assistance et l’encadrement du service d’insertion (Mair, May, 1997, 134). Ce taux était encore plus bas pour ceux qui quittèrent la prison en fin de peine : 10 % seulement trouvèrent une activité rémunérée (Fletcher, Woodhill, Herrington et al., 1998, 134). En absence de données précises pour la France, il semble raisonnable de supposer que le profil d’emploi des sortants ne saurait être meilleur, sachant que son taux de chômage est plus élevé qu’en Angleterre ou en Autriche [5] et que sa population carcérale souffre des mêmes handicaps.
Comment expliquer cet échec ? Certains auteurs sont convaincus que la baisse d’employabilité inhérente à l’incarcération (perte d’estime de soi, d’initiative, de contact avec le monde extérieur) et les difficultés rencontrées à la sortie (dettes, problèmes de logement, difficultés familiales, préjugés des employeurs) sont telles, que les meilleures conditions de travail et de formation ne sauraient y porter remède (Preusker, 1988 ; Maxwell, Mallon, 1997 ; Garland, 1998). D’autres pensent, au contraire, que c’est la gestion du travail et de la formation à l’intérieur de la prison, qui est à la racine du problème (Conseil économique et social, 1987 ; Assemblée nationale, 2000 ; Sénat, 2000, Loridant, 2002). Sans nier l’importance des éléments externes, nous nous pencherons ici sur les interventions faites à l’intérieur de la prison pour augmenter l’employabilité des sortants. Nous avons évoqué supra (2.1.1.) les handicaps personnels et professionnels présents avant l’incarcération mais sans prendre en compte les difficultés supplémentaires auxquelles les détenus doivent faire face à la sortie. Nous le ferons grâce à l’excellent résumé que nous a fourni un détenu français, qui écrit actuellement une thèse en sociologie sur le travail pénitentiaire.
2.2. Les critères d’employabilité à la sortie
Notre expert distingue cinq critères qui déterminent qu’un individu sera plus (ou moins) employable qu’un autre.
Le casier judiciaire : Le seul fait d’avoir passé une période en prison diminue l’employabilité des sortants : ils sont automatiquement exclus des emplois qui transitent par des cabinets de recrutement dont la quasi-totalité disposent des moyens de s’informer des antécédents judiciaires des postulants. Aucun ne prendra le risque de suggérer à un employeur la candidature d’une personne pourvue d’un casier judiciaire. [...] De la même manière, sont écartés tous les emplois ayant trait aux administrations ou aux groupes importants ; ceux-ci réclament systématiquement un extrait de casier judiciaire. Pour les emplois restants, les caractéristiques suivantes sont déterminantes :
Les caractéristiques physiques : Comme l’on dit couramment, il faut avoir "le physique de l’emploi". Cela signifie que nombre de détenus n’ont pas les moyens de posséder ou d’acquérir le nécessaire vestimentaire en adéquation avec l’emploi proposé. Ce peut être aussi, après une longue détention, une dentition désastreuse ou une vue non corrigée, voire une démarche saccadée après des années passées à marcher avec des chaussures sans talon.
Les caractéristiques économiques : Être employable, c’est disposer d’un minimum de conditions requises comme un domicile fixe, un moyen de communication, de quoi subsister jusqu’au premier versement du salaire. C’est, parfois, devoir disposer d’un véhicule, d’un matériel lié à l’emploi (j’ai un copain qui s’est vu refuser un emploi de boucher au motif qu’il n’avait pas ses ustensiles personnels de travail).
Les caractéristiques psychologiques : C’est la capacité de pouvoir passer un entretien d’embauche après un temps plus ou moins long d’emprisonnement. C’est, d’une certaine manière, parvenir à occulter ce temps pour affirmer une gestuelle, un langage commun. C’est aussi la capacité de "se vendre" après un temps passé dans l’inexistence.
Les caractéristiques situationnelles : Elles sont de plusieurs ordres. Il y a d’abord celle qui est personnelle comme d’être seul, sans famille et sans amis, et en rupture totale avec les valeurs mouvantes de la vie libre (le coût de la vie, les salaires en usage dans la profession). Il y a, ensuite, celle de devoir se constituer un passé si l’on veut dissimuler le passage en prison [...]. Et puis, enfin, quand on postule pour un emploi dans le cadre d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle, il y a l’impossibilité d’énoncer une date fixe de libération et la certitude de cette libération. Quel employeur, aujourd’hui, peut se permettre de s’engager à employer une personne incarcérée s’il ignore si cette personne sera libérée par anticipation et quand elle le sera ? C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’immense majorité des promesses d’emplois formulées dans ces cas le sont par complaisance mais ne sont pas suivies d’effet.
À la lumière de ces cinq caractéristiques, voyons comment le régime pénitentiaire peut contribuer à rendre les détenus plus employables.
2.3. Les possibilités d’intervention à l’intérieur de la prison en faveur de l’employabilité
2.3.1 L’apport du régime général
Il existe au moins trois aspects sur lesquels le régime général peut intervenir : le maintien des liens avec l’extérieur, les soins médicaux et la préparation à la sortie. Quant à cette dernière, aucun détenu ne devrait sortir sans savoir rédiger un CV, sans connaître la routine d’un entretien et sans contact préalable avec l’ANPE. La France peut se vanter d’un service pénitentiaire qui, à beaucoup d’égards, n’a rien à craindre d’une comparaison avec d’autres pays européens : ouverture à l’idée de parloirs familiaux, service de santé confié au service public hospitalier, cours de préparations à la sortie. Pourtant la réalité n’est pas à la hauteur des attentes. Citons une dernière fois le doctorant en sociologie :
Je n’ose pas aborder la situation d’employabilité du côté de l’institution pénitentiaire car, à peu de choses près, cela se réduit à néant. Pratiquement rien n’est fait pour aider un détenu à trouver un emploi ; les dispositions légales mises en place (permissions exceptionnelles prévues à cet effet) sont tellement lourdes et soumises à l’arbitraire qu’elles sont sans efficacité réelle. Quant aux services d’insertion, depuis leurs changements statutaires, on atteint le comble de l’absurde, voire de l’incompétence.
Cette évaluation est peut-être trop négative, mais elle reflète la désillusion exprimée par 78 % des détenus (OIP, 2007, 26).
2.3.2. L’apport du travail et de la formation
L’activité rémunérée peut être un outil important pour augmenter les chances des personnes détenues sur le marché du travail. En effet, elle permet de :
Conserver les compétences professionnelles existantes.
Contrecarrer l’effet déstabilisant de l’incarcération en offrant une activité qui structure la journée et permet au détenu d’échanger son rôle d’incarcéré sans statut contre celui de travailleur responsable et valorisé.
Atténuer les problèmes mentaux liés à l’enferment : dépression, isolation sociale, perte du sens de la réalité.
Maintenir le lien social en offrant un lieu de socialisation et de sociabilité.
Permettre aux détenus d’acquérir des compétences recherchées à l’extérieur.
Enseigner la conformité aux exigences en vigueur auprès d’un employeur extérieur pour ce qui a trait à la ponctualité, l’assiduité, le comportement et la qualité de leur travail.
Offrir un niveau de rémunération qui permet aux travailleurs de mettre de côté un pécule de sortie suffisant pour satisfaire aux critères économiques d’employabilité.
Dans quelques rares ateliers, tels que le studio de son à la maison centrale de Saint-Maur (concession) ou l’atelier de tapissier garnisseur de Toul (RIEP), ce potentiel est réalisé, mais dans la vaste majorité des cas nous en sommes encore loin. D’une part, la réinsertion par le travail est sérieusement compromise par le fait que moins de 40 % des personnes détenues ont un emploi ou sont en formation (35,2 % en 2005). Par ailleurs, la plupart des tâches en concession et au service général sont peu aptes à augmenter les compétences professionnelles des travailleurs ou à donner un sens à la peine. Même la Régie qui, grâce à ses ateliers industriels (imprimerie, mécanique, menuiserie, par exemple), offre en général des emplois plus qualifiés, se tourne maintenant vers le travail à façon : 25 % de tous ses emplois touchent ce secteur (Loridant, 2002, 37). Enfin, les compétences sociales, telles que la politesse, la capacité d’accepter une critique et de trouver le ton juste avec ses supérieurs et ses collègues, ne sont pas assez sollicitées par les chefs d’ateliers. Certaines aptitudes fortement appréciées par les employeurs extérieurs : le sens d’initiative et de responsabilité ou la capacité de résoudre des problèmes sont même découragées puisqu’elles ne correspondent pas à la position inférieure de la personne détenue. Ajoutons que la rémunération moyenne horaire varie entre 41 % et 44 % du SMIC en atelier et moins au service général. Ce montant ne permet qu’exceptionnellement aux sortants de payer leurs dettes [6] et de sortir avec un pécule suffisant. Enfin, l’exclusion de la majorité des droits et d’une partie importante des protections sociales conférés par le contrat de travail ne facilite pas l’adhésion à des valeurs de travail.
Examinons de plus près ces cinq aspects ainsi que les mesures prises par l’AP pour y porter remède.
3. Cinq aspects qui posent problème
3.1. La carence d’emplois
Avec un taux d’activité rémunérée de seulement 35,2 % ? le plus bas en 30 ans [7] ? il ne saurait surprendre que le travail remplisse mal sa mission de réinsertion. L’AP et les groupements privés déplorent la baisse des heures travaillées, mais rappellent que la situation n’est pas aussi dramatique que les statistiques le laissent croire et qu’elle est causée par des facteurs largement hors de leur contrôle. Il est vrai que le problème du sous-emploi se pose surtout en maisons d’arrêt où, en raison des courts séjours, les possibilités de réinsertion par le travail sont réduites. Dans les établissements pour peine, le taux moyen d’activité rémunérée est proche de 60 % [8]. Ce taux, selon l’administration, serait presque suffisant pour satisfaire la demande, compte tenu du fait que ce ne sont pas toutes les personnes détenues qui peuvent ou veulent travailler. Il nous semble, néanmoins, qu’un taux de demandes non-satisfaites de 21 % dans une région pénitentiaire comme celle de Strasbourg reste inacceptable (Cour des Comptes, 2006, 52).
Il est également vrai que la crise des emplois pénitentiaires est causée pour une bonne part par des facteurs hors contrôle de l’AP et des groupements. Les transformations économiques récentes et l’augmentation de la population carcérale [9] ne sauraient être mises sur leur compte. Les entreprises, qui autrefois faisaient fabriquer leurs produits en prison, délocalisent leurs productions vers les pays de l’Est où la rémunération horaire se compare favorablement à celle des ateliers pénitentiaires français. Ou ils s’automatisent. Il y a cinq ans, la main-d’œuvre pénale insérait des échantillons dans des revues. Aujourd’hui ce travail est fait par des machines. Les emplois pénitentiaires offrent encore un certain intérêt pour des entreprises avec des volumes de production non automatisables mais elles ne peuvent pas compenser le nombre d’emplois perdus.
Les directions régionales et la régie ne sont pas restées passives face à ces nouvelles donnes. Quelques directions régionales ont commencé à faire appel à des sociétés prestataires de services, qui offrent aux entreprises une sous-traitance comme alternative à la concession. Elles leur évitent ainsi les aspects fastidieux des rapports avec la prison, qui vont de la négociation à l’encadrement, à un certain prix, bien entendu. Les premiers résultats sont positifs : l’érosion des activités a été arrêtée, bien que la création de nouveaux postes s’avère difficile. La Régie, en réponse au rapport Loridant, a mis en exécution un plan de restructuration. Elle a réduit ses activités déficitaires, elle est devenue plus compétitive et s’est assurée une plus grande partie du marché interne, mais elle n’a pas réussi à redresser la perte d’emplois [10]. La question reste donc posée de savoir si l’AP a fait tout ce qui était possible pour relancer la croissance des emplois. Nous n’en sommes pas convaincus, en premier lieu parce qu’elle n’a pas assez suivi les évolutions économiques et, deuxièmement, parce qu’elle accepte un déséquilibre croissant entre la mission sécuritaire et celle de réinsertion. Quant au décalage avec l’évolution économique, elle refuse de tenir suffisamment compte du fait que les entreprises concessionnaires ont de moins en moins besoin des ateliers pénitentiaires, et encore moins sous forme de concession. Si les entreprises externalisent aujourd’hui une partie de leur production c’est, certes, pour des motifs de flexibilité et de réduction du coût, mais également pour se libérer de la gestion des activités secondaires. Elles cherchent donc à trouver des sous-traitants en mesure de fournir le produit fini, à date convenu, selon les normes de qualité spécifiées et à un prix compétitif. Or l’AP hésite à franchir le pas vers la sous-traitance, car le changement aurait un coût (achat d’équipement, encadrement) et demanderait une nouvelle orientation gestionnaire et commerciale (gestion des ateliers par l’établissement, plus grande flexibilité d’heures d’ouverture, encadrement professionnel, formation continue des détenus au travail). Plus difficile encore s’avère une réorientation du travail pénitentiaire vers le secteur du service. L’AP reste fixée sur les ateliers industriels traditionnels, malgré le fait que ce secteur ait perdu à l’extérieur presque deux millions d’emplois entre 1975-1995 (Marchand, Thélot, 1997, 78) et continue d’en perdre. Hormis les tâches du service général, en grande partie sans valeur professionnelle, l’AP n’ose pas introduire d’autres activités du secteur tertiaire, tels que télé-centres, services traiteurs, buanderies commerciales, etc. Malgré les propositions du Rapport Loridant (2002, 91) et malgré les demandes répétées des groupes privés (Guilbaud, 2006, 178), leur introduction est différée, principalement pour des raisons de sécurité. Nous ne contestons pas l’importance de la mission sécuritaire. Elle est indispensable pour garantir la protection tant des détenus que du personnel et du public, mais elle reste subordonnée au principe de proportionnalité. Si les télé-centres fonctionnent sans risque en Italie et les services traiteurs en Allemagne et si, en Angleterre, les stagiaires en nettoyage industriel obtiennent le "contrat" pour le nettoyage professionnel de l’établissement, on comprend mal pourquoi ces activités valorisantes, en demande à l’extérieur, devraient être bloquées en France au nom de la sécurité.
3.2. Le taux d’emplois non-qualifiés
La vaste majorité des emplois pénitentiaires ? entre 85 % et 90 % des emplois en établissement pour peine, plus en maison d’arrêt ? demande peu, voire aucune qualification. Le service général, fournissant 39,5 % de tous les emplois [11], ne peut, de par sa nature, offrir que quelques tâches plus qualifiées, en cuisine ou en maintenance. En maison d’arrêt, les contraintes organisationnelles (brièveté du séjour, rotation de la main-d’œuvre, absences pendant les heures du travail pour parloir, convocation, etc.) excluent le temps de formation et la rentabilité nécessaire pour justifier l’investissement dans des emplois plus valorisants. La situation est différente dans les établissements pour peine où la longueur de l’incarcération et, dans une certaine mesure, la différente composition de la population [12] rendent possible la formation à des emplois autres que la manutention et le façonnage. Mais la situation reste insatisfaisante même pour cette catégorie. Abstraction faite de la régie, les entreprises qui fournissent des emplois semi-qualifiés ou qualifiés sont rares.
Le problème du travail déqualifié n’est pourtant pas sans issue. Commençons par le manque d’équilibre entre régie et concession. Alors qu’en Allemagne 40 % en moyenne des emplois en atelier sont gérés par la régie et 60 % en Angleterre (Shea, 2006, 41), la RIEP ne fournit que 1 236 emplois sur un total de 17 217, soit 7,2 % (AP, 2003). Une extension de l’activité de la Régie s’impose donc pour améliorer la qualité du travail. Ensuite, le manque de préparation de la main-d’œuvre, la figeant à des tâches banales, peut être atténué par la mise en place d’une gamme de formations adaptées à la clientèle : "sur le tas", en module ou en formation longue. Du moment où la prison peut offrir une main-d’œuvre qualifiée et motivée, il n’y a aucune raison pour qu’elle n’attire pas d’activités valorisantes. Plus la valeur ajoutée par le travail est élevée, plus les bas salaires des détenus deviennent intéressants pour les entreprises. La preuve en est fournie par des établissements comme Poissy ou Toul, mais également par nos voisins européens. Dans la centrale la plus sécuritaire de Bavière est installé un atelier de fabrication de turbines, qui occupe 120 détenus en deux équipes de 5h à 19h. Les travailleurs sont formés par l’entreprise et peuvent, selon leurs capacités, faire "carrière" à l’intérieur de l’atelier. Les meilleurs sont embauchés à la sortie. Le concessionnaire se dit entièrement satisfait de son investissement.
3.3. Les lacunes en compétences sociales
Parmi les handicaps, qui freinent l’embauche des sortants de prisons, plusieurs ont trait aux compétences sociales. Les employeurs extérieurs craignent un manque de fiabilité : retards, absences injustifiées, oscillations d’humeur. Ils hésitent à assumer des personnes "difficiles", qui réagissent mal à la moindre critique, ne savent pas s’insérer dans une équipe ou qui n’ont aucun sens d’initiative (Matt, 2003, Rohwedder, 2003). Ces compétences sociales sont particulièrement indispensables dans le secteur de service où se trouve aujourd’hui le plus grand nombre d’ouvertures, même pour des emplois peu ou semi-qualifiés.
Pour augmenter ces compétences en prison, deux approches sont possibles, celle des sanctions et celle de l’apprentissage, mais ni l’une, ni l’autre donne les résultats espérés. Les sanctions sont prévues uniquement pour des comportements nettement inacceptables. Dans les cas moins graves, le problème est souvent contourné. Si, par exemple, une personne détenue est incapable de s’insérer dans une équipe, elle est transférée à un poste solitaire. Quant à l’apprentissage de qualités comme la politesse, la volonté de s’appliquer ou simplement de s’impliquer, les responsables d’atelier et les surveillants n’ont ni le temps ni la formation pour insister sur des valeurs, qui ne correspondent pas toujours à celles de la culture prisonnière.
3.4. Une rémunération insuffisante
En 2003, la rémunération moyenne journalière s’élevait à :
Tableau 2 : La rémunération journalière des détenus français en 2003
Service général Classe 1 : 11,25 €
Service général Classe 2 : 8,45 €
Service général Classe 3 : 6,25 €
Concession maison d’arrêt : 16,12 €
Concession établissement pour peine : 24,24 €
Gestion mixte RIEP : 17,7 €
Source : Cours des Comptes, 2006, 53.
Même si ces montants sont relativement élevés comparés à nos voisins (9,68 € en moyenne en Allemagne, 2,40 € en Angleterre, Shea, 2006, 76sqq.), ils sont insuffisants pour constituer une contribution réelle à la réinsertion des détenus. Selon les calculs du sénateur Loridant (2002, 34), un détenu a besoin d’un minimum de 40 à 50 € par semaine pour couvrir ses besoins personnels en détention. Ainsi, ceux classés au service général gagnent moins que le minimum nécessaire pour subvenir à leurs besoins, et leurs contributions au pécule de sortie et à l’indemnisation des parties civiles seront minimales [13]. Même en atelier, une personne détenue travaillera plusieurs années pour épargner une somme suffisante pour la sortie [14].
La demande, formulée tant par les détenus que par les associations militantes, d’un rapprochement avec les rémunérations horaires du SMIC nous paraît difficile, voire impossible à réaliser sans augmentation de la productivité, qui s’établit autour de 40 % à 50 % du niveau extérieur (Conseil économique et social, 1987, 65). Certes, les faiblesses de productivité ne peuvent pas être uniquement imputées à la main-d’œuvre. Elles ont également trait aux maintes contraintes qui affligent le travail en prison : locaux et localisations inadaptés, équipement éloigné des standards extérieurs, heures de travail trop courtes, manque de savoir-faire commercial et interférences de l’impératif sécuritaire, pour ne nommer que les plus importantes. Si les deux premières contraintes ne sauraient être surmontées sans des ajustements budgétaires considérables, il n’est pas hors portée de l’administration d’agir sur la durée du travail, la formation du personnel et le maintien de l’aspect sécuritaire dans des limites raisonnables.
S’il nous est permis une brève digression, ajoutons que le travail risque de devenir l’unique activité rémunérée en prison puisque des orientations du ministère du Budget vont contraindre l’administration à limiter la rémunération des stagiaires. L’impossibilité d’accéder à un revenu autre que par le travail pose un sérieux problème pour la réinsertion. D’abord, parce que le manque de ressources à la sortie augmente le risque de récidive. Ensuite, parce que les autres activités de réinsertion - enseignement, formation, thérapies - sont dévalorisées et les personnes détenues les abandonnent dès qu’elles ont la possibilité d’accéder à un emploi, si banal soit-il.
3.5. L’exclusion du droit du travail
Partout en Europe, le travail pénitentiaire se déroule dans des conditions sortant du droit commun, c’est-à-dire seuls les droits et les protections expressément accordés par le Code de procédure pénale ou par la législation sociale sont applicables (Danti-Juan, 1993, 1998 ; Lorvellec, 1994 ; Auvergnon, Guillemain, 2006). La situation est particulièrement grave comparée aux droits individuels et collectifs. Les détenus peuvent revendiquer un seul droit : la rémunération. Tous les autres droits associés au contrat de travail leur sont refusés. Le rapprochement au droit commun est mieux réussi par rapport aux protections sociales, mais il reste incomplet puisque les détenus classés sont exclus de l’assurance chômage et ne reçoivent aucune indemnisation journalière en cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle. Malgré les avantages représentés par leur octroi ? atténuation des soucis financiers tant pendant l’incarcération qu’à la sortie, accès plus facile au marché du travail ? plusieurs arguments sont avancés pour défendre le statu quo dont, en premier lieu, la crainte que les entreprises ne prennent la fuite si la cotisation patronale devenait la même qu’à l’extérieur. Présentement, leurs contributions s’élèvent en moyenne à 16 % [15], comparées aux 46 % qu’ils défraient pour un salarié libre. Ensuite, il est dit que les travailleurs eux-mêmes ne seraient pas intéressés à voir leur maigre rémunération réduite par la cotisation ouvrière. Enfin, la possibilité de revendiquer le RMI offrirait une alternative valable. Le premier argument est le plus convaincant puisque la cotisation patronale ajoutée au coût de la main-d’œuvre pourrait effectivement être la goutte qui fait déborder le vase pour certaines entreprises. Quant à la cotisation ouvrière pour l’assurance chômage, notons qu’en Allemagne elle est entièrement payée par l’AP. Cette solution serait envisageable en France mais, de par son coût, a peu de chances d’être adoptée. Pour ce qui a trait au RMI, nous partageons l’avis d’Auvergnon et Guillemain (2006, 112) suivant lequels la réinsertion est mieux assurée par la revendication des indemnisations chômage justifiées par le travail exécuté en prison, que par la nécessité de faire appel à l’assistance sociale. Bref, malgré les avantages qu’une protection sociale complète offrirait pour favoriser la réinsertion, le statu quo sera en toute probabilité maintenu, principalement à cause de la forte dépendance de l’AP sur des entreprises concessionnaires pour la création d’emplois.
Conclusion
Nous avons constaté que le taux de récidive baisse de manière significative, entre 20 et 50 points, pour les sortants de prison qui obtiennent un emploi stable mais que la grande majorité des ex-détenus n’appartient pas à cette catégorie. Les causes sont multiples, telles que le profil professionnel antérieur des détenus, les difficultés rencontrées à la sortie et les carences du travail et de la formation en prison, qui ne permettent pas de remédier aux handicaps socioprofessionnels des détenus. Nous nous sommes arrêtés sur ce dernier aspect et nous avons souligné les points les plus saillants : le manque d’emplois et de places en formation, la nature non-qualifiée de la plupart des emplois, le peu d’importance accordée aux compétences sociales, la rémunération insuffisante et l’absence du droit du travail. Cette situation ne sera pas facile à corriger. Les transformations de l’économie extérieure, l’inflation carcérale, la qualité de la main-d’œuvre et l’impasse budgétaire érigent des obstacles sur lesquelles l’AP a peu de contrôle. Néanmoins, elle dispose d’un espace de manœuvre qui, bien utilisé, permettrait d’améliorer l’efficacité du travail comme instrument de réinsertion. Force est de constater que la mission de réinsertion par le travail n’est pas une priorité. C’est là où le bât blesse. Les directions d’établissements réclament des emplois, n’importe lesquels, pour tenir les hommes occupés. La qualité importe peu. Les exigences sécuritaires, vraies ou imaginaires, gênent la normalisation des ateliers et absorbent les fonds nécessaires pour moderniser l’équipement et les lieux de travail. Qui plus est, puisque l’AP est en train de faire du travail un instrument pour combattre la pauvreté, un des critères prioritaires de classement devient l’indigence du demandeur et non son avenir professionnel. Il y a déjà soixante-dix ans, le sociologue allemand Rusche observait qu’en périodes de chômage, la demande pour la main-d’œuvre pénitentiaire baisse et les conditions de travail en souffrent (Rusche, 1933, 73-74). C’est notre cas aujourd’hui mais, contrairement au passé, ce ne sont pas les détenus classés qui en paient le prix en premier lieu, mais le nombre croissant de ceux qui, sans activité et sans rémunération, passent de plus en plus de temps enfermés en cellule. Autrefois, il était inconcevable de laisser les personnes détenues oisives ; aujourd’hui cela est accepté. La valeur travail à l’intérieur des murs reste encore affichée mais elle s’effrite et avec elle l’espoir que l’exercice d’une activité professionnelle puisse contribuer à une réinsertion efficace et définitive.
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Source
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URL : http://champpenal.revues.org/document684.html.
Evelyne Shea
Docteur en droit pénal et sciences criminelles, Via G. Marconi 35, I-35122 Padoue. shea.evelyn@virgilio.it.