Publié le samedi 15 mai 2010 | http://prison.rezo.net/prison-et-troubles-mentaux-comment/ Rapport d’information n° 434 (2009-2010) de M. Gilbert BARBIER, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Jean-René LECERF et Jean-Pierre MICHEL, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, déposé le 5 mai 2010
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs, Le législateur, dans le cadre de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, définissait pour la première fois le sens de la peine privative de liberté : « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Or, il existe, au sein des prisons françaises, une proportion importante de personnes atteintes de troubles mentaux tels que la peine ne peut revêtir pour elles aucun sens. L’objectif de réinsertion, inhérent à l’exécution de la peine, implique, en effet, une prise de conscience des motifs ayant justifié la condamnation, un retour sur soi, une capacité à se réintégrer dans une vie « normale ». Ces évolutions sont-elles compatibles avec des pathologies psychiatriques parfois très lourdes ? On peut en douter. Sans doute les patients peuvent-ils être traités en prison. La prise en charge médicale a en effet accompli de réels progrès au cours des deux dernières décennies. Toutefois, la prison n’est pas un lieu de soins. Le milieu carcéral peut aggraver les pathologies quand il ne les suscite pas. En outre, la cohabitation des détenus atteints de troubles mentaux avec d’autres qui en sont exempts est source de tensions et de violences. En tout état de cause, le quantum de peine prononcé ne correspond en aucune manière à l’évolution d’une pathologie. Dans bien des cas, la personne quittera la prison aussi malade qu’elle y est entrée - voire davantage. Si le trouble mental a été à l’origine de l’infraction, le risque de récidive apparaît probable. Aussi de nombreuses voix s’élèvent-elles pour dénoncer une situation qui ne répond ni aux exigences de la sécurité, ni à celle de l’éthique médicale, ni à nos valeurs démocratiques. La présence en prison de personnes atteintes de troubles mentaux résulte-t-elle de l’application des dispositions de l’article 122-1 du code pénal qui, si elles excluent la responsabilité pénale des personnes dont le discernement était aboli au moment des faits, la prévoient, au contraire, lorsque ce discernement est seulement altéré ? Faut-il mettre en cause le système psychiatrique dans son ensemble, marqué par la réduction drastique en un quart de siècle du nombre de lits d’hospitalisation à temps complet dédiés à la psychiatrie, faisant apparaître la prison comme le seul lieu où des soins peuvent être prodigués dans des conditions de sécurité satisfaisantes ? Au-delà, ce phénomène traduit-il, en écho à la souffrance des victimes, un mouvement difficilement réversible du corps social en faveur de la responsabilisation ? Ces interrogations sont liées au débat, plus large, sur la dangerosité des personnes atteintes de troubles mentaux, sur les conditions de leur prise en charge et les rôles respectifs, en cette matière, de la Justice et de la Santé. Sans doute, le sujet n’est-il pas nouveau. Il a animé de vifs débats depuis le début du XIXe siècle. La succession, dans la période récente, de plusieurs rapports en manifeste l’actualité, aiguisée encore par la surpopulation pénale ainsi que par les débats autour de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité mentale pour cause de trouble mental. En 2005, la commission Santé-Justice présidée par Jean-François Burgelin, ancien procureur général près la Cour de cassation, préconisait la création de centres fermés de protection sociale destinés à accueillir, après l’exécution de leur peine, les personnes considérées comme toujours dangereuses1(*) - proposition reprise par Jean-Paul Garraud dans le rapport sur les réponses à la dangerosité qui lui avait été confié par le ministère de la justice et le ministère de la santé2(*). Ces réflexions ne portaient cependant pas spécifiquement sur les personnes atteintes de troubles mentaux même si elles entretenaient parfois certaines ambiguïtés (ainsi le placement dans un centre de protection sociale envisagé par le « rapport Burgelin » pouvait intervenir à l’issue d’une peine d’emprisonnement ou d’une hospitalisation d’office prononcée après l’application du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal). Elles ont contribué à l’instauration d’une rétention de sûreté par la loi du 25 février 2008, mécanisme de contrôle applicable, après l’exécution de leur peine, aux criminels les plus dangereux, atteints de troubles de la personnalité, pour une durée d’un an renouvelable sans limite. Voici cinq ans, le cas particulier des personnes souffrant de troubles mentaux et ayant commis des infractions a fait l’objet d’une analyse par la commission des lois du Sénat, avec la mission d’information sur les délinquants dangereux atteints de troubles mentaux confiée à Philippe Goujon et Charles Gautier3(*). Leur rapport suggérait la prise en charge médicale des personnes condamnées atteintes de troubles mentaux au sein de structures de soins spécifiques le temps nécessaire à leur stabilisation, le cas échéant, au-delà de la durée de la peine prononcée. Ces unités totalement médicalisées et sécurisées auraient pu être adossées aux unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) créées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002. Mais, plutôt que de tenir pour un fait acquis la forte présence de personnes atteintes de troubles mentaux en prison, ne convenait-il pas de pousser plus avant encore la réflexion et de s’interroger sur la justification de cette situation et des perspectives alternatives ? Une telle démarche impliquait le regard croisé des commissions des affaires sociales et des lois. Un groupe de travail composé de Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel pour la commission des lois et de Gilbert Barbier et Christiane Demontès pour la commission des affaires sociales a donc été constitué. Il s’est efforcé d’établir un diagnostic de la situation présente et de tracer les voies d’un équilibre pour la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux, qui tienne compte à la fois des préoccupations liées aux soins, à la sécurité et aux libertés. Afin de l’éclairer dans son analyse, ce groupe de travail a procédé à l’audition de près de cinquante personnalités couvrant un large éventail de sensibilités parmi les magistrats, les médecins, les chercheurs ou encore les représentants des administrations concernées. Il s’est également rendu dans deux pays, la Belgique et la Suisse, qui, malgré leur proximité géographique et linguistique avec la France, ont adopté des systèmes de prise en charge très différents mettant en oeuvre les principes de la défense sociale, dont il est utile de méditer les enseignements. Le groupe de travail a cherché à prendre la mesure de la complexité d’un sujet qui reste parfois l’objet de formulations hâtives. Il a entendu se défier de certaines simplifications et souhaite, en préambule du présent rapport, rappeler certaines distinctions. D’abord, la dangerosité ne se confond pas avec la maladie mentale. Bien que celle-ci soit souvent associée au risque de violence, cette stigmatisation est injustifiée. Au contraire, comme l’a souligné Jean-Louis Senon, professeur de médecine à l’Université de Poitiers, lors de son audition par le groupe de travail, le trouble mental expose celui qui en souffre à être victime de violences dans une proportion dix-sept fois supérieure à la moyenne. Selon les données disponibles pour les pays industrialisés, les troubles mentaux graves seraient responsables de 0,16 cas d’homicides pour 100 000 habitants. Le taux d’homicides étant compris entre un et cinq pour 100 000 habitants, les malades mentaux représenteraient, selon les pays, entre un criminel sur vingt et un criminel sur cinquante. Dans tous les cas, le risque de passage du malade mental à l’acte violent est surdéterminé par l’âge (adolescents et jeunes adultes), le sexe (masculin), le statut socio-économique (surreprésentation de la pauvreté, du chômage et de la marginalisation), l’abus d’alcool et de drogues et les antécédents de violence précoce. Comme le rappelle souvent le docteur Christiane de Baurepaire, ancien responsable du service médico-psychologique régional (SMPR) de Fresnes, un malade mental n’est pas plus enclin au comportement dangereux que la population non psychiatrique. Encore faut-il le traiter et le suivre. La « dangerosité psychiatrique » (entendue comme la « manifestation symptomatique liée à l’expression directe de la maladie mentale ») demeure ainsi un phénomène très spécifique qu’il convient de distinguer de la « dangerosité criminologique »4(*). L’état de dangerosité peut également évoluer dans le temps et fluctuer en fonction de l’environnement de l’individu. En outre, la maladie mentale est elle-même très diverse. Il va de soi que la psychose caractérisée « à un moment ou un autre de son évolution par une activité délirante »5(*) peut présenter une dangerosité que ne comporte pas la névrose. Il est donc impératif de se défier de toute assimilation entre dangerosité et maladie mentale. Il apparaît en deuxième lieu nécessaire de distinguer les maladies mentales des troubles de la personnalité - communément appelés psychopathies - caractérisés principalement par trois types de défaillance : défaillance narcissique, défaut de maîtrise comportementale et défaillance du contrôle émotionnel. Les pervers, dont la personnalité se caractérise par une « anomalie fondamentale de l’affectivité »6(*) entrent dans cette catégorie - « ce qui paraît caractériser leur personnalité, c’est moins la recherche du plaisir sexuel dans le viol que la jouissance attachée à la domination de leurs victimes »7(*). La psychopathologie trouve cependant une illustration beaucoup plus commune dans la petite et moyenne délinquance marquée par le parcours chaotique de personnes dont le rapport à la loi - en raison souvent d’une forte carence éducative - est difficile. Bien que le sujet suscite des controverses, la plupart des médecins ne considèrent pas la psychopathologie, en l’état des connaissances actuelles, comme une maladie mentale. Elle suscite des réponses largement expérimentales d’un pays à l’autre, contrairement aux troubles mentaux pour lesquels existent des traitements codifiés reconnus à l’échelle internationale. Le groupe de travail a, quant à lui, entendu centrer sa réflexion sur les personnes souffrant de troubles mentaux qui seules lui paraissent relever du champ d’application de l’article 122-1 du code pénal. Enfin, si l’effroi qu’il suscite au sein de la conscience collective conduit parfois à identifier l’acte criminel à un acte de folie, il importe de rappeler que toute personne dangereuse n’est pas atteinte de troubles mentaux : « Ce qui sépare un comportement « normal » d’un passage à l’acte grave, c’est le poids des conditionnements culturels et sociaux, c’est l’autocensure de l’individu et du groupe, c’est la peur d’être pris, le sens de la faute, la crainte du remords (...). Tout homme « normal » porte en lui le germe de la folie, tout homme, sans exception, peut, à la seconde, basculer dans un autre monde »8(*). Attentifs à ces considérations, vos rapporteurs se sont d’abord efforcés de clarifier les termes du débat en soumettant à l’examen certaines idées reçues sur le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux détenues et sur les facteurs de leur responsabilisation pénale. Après avoir analysé les expériences suisse et belge de défense sociale, le groupe de travail a souhaité, dans un deuxième temps, formuler des propositions articulées autour de trois lignes force : - la continuité des soins en ambulatoire ainsi qu’entre la prison et le milieu ouvert afin de prévenir le risque d’infraction ou de récidive ; - l’atténuation effective de la peine lorsque le discernement est altéré au moment de l’acte, conformément à l’esprit du deuxième alinéa de l’article 122-1 du code pénal, avec, en contrepartie, un renforcement du dispositif de prise en charge sanitaire tant en détention qu’à l’issue de la peine privative de liberté ; - l’utilisation plus efficace des moyens actuels de la psychiatrie pour accueillir, pour des durées éventuellement longues, dans des conditions de sécurité adaptées, des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions graves et susceptibles de présenter encore une forte dangerosité. Le groupe de travail a estimé que la diversification des structures devrait être privilégiée et a placé au coeur de sa réflexion les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), qui doivent prochainement entrer en fonctionnement, et les unités pour malades difficiles (UMD), en recherchant les moyens d’infléchir une tendance à la responsabilisation pénale de personnes qui n’ont pas leur place en prison, mais pour lesquelles la détention semble, par défaut, la seule solution.
I. UN CONSTAT ALARMANT : UN GRAND NOMBRE DE DÉTENUS SOUFFRENT DE TROUBLES MENTAUX SANS ÊTRE PRIS EN CHARGE DANS DE BONNES CONDITIONS RECOMMANDATIONS Conserver la distinction entre abolition et altération du discernement mais prévoir explicitement l’atténuation de la peine en cas d’altération
Engager la révision de l’organisation territoriale de la psychiatrie et la réforme de la loi du 27 juin 1990
Renforcer la formation des psychiatres
Améliorer les conditions de l’expertise
Disposer d’une palette large d’outils pour prendre en charge les malades mentaux ayant commis des infractions
|