Publié le mardi 29 avril 2003 | http://prison.rezo.net/pour-la-reconnaissance-du-droit-du/ L’actuelle gestion policière des risques sociaux fait craindre une aggravation des conditions de vie en détention. En continuité à cette logique sécuritaire, s’est posée de manière accrue la question de l’urgence de réforme des prisons au sein de l’espace public politique [1]. Parmi les rapports d’enquête parlementaire figure celui du sénateur Paul Loridant [2] dénonçant un bilan accablant sur la politique du travail pénitentiaire. En moyenne, moins d’un détenu sur deux travaillent (chômage structurel de 60% en moyenne), avec de très faible rémunérations (moins de 200 euros mensuel) et dans un respect inégal des normes de sécurité et d’hygiène. Le travail en cellule est d’un usage trop fréquent ; les emplois sont le plus souvent non qualifiés et non qualifiants. Une extrême précarité pousse les détenus/détenues à accepter de travailler dans des conditions dégradantes. Le travail en détention : « une zone de non-droit » La loi du 22 juin 1987 exprima la volonté du législateur de mettre fin au régime du travail forcé. A l’obligation du « travail pénal » s’est substitué, un principe de liberté et de droit au travail pour les détenus. Ainsi, l’article 720 du code de procédure pénale dispose que « toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelles aux personnes incarcérées qui le souhaitent ». La finalité de cette obligation de moyen est la réinsertion professionnelle et sociale des détenus/détenue. Il est ainsi déclaré dans ce même article que « les activités de travail et de formation professionnelle sont prises en compte pour l’appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés ». Avec l’Espagne (depuis 1979) et le Danemark (depuis mai 2001), la France assouplit son régime de gestion pénitentiaire. Mais, ce principe est dépourvu de contenu véritable car « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail » [6]. Le régime du travail pénitentiaire, dérogatoire du droit commun, prive tout travailleur incarcéré de droit du travail. Cette exclusion juridique s’avère lourde de conséquences. Le refus de reconnaître la qualité de salarié au travailleur détenu lui fait perdre le bénéfice d’une protection sociale liée à ce statut. Les travailleurs détenus/détenus n’ont pas le droit entre autres : Ce dernier droit n’est pas le moindre. En 1996 [7], la Cour de cassation se déclare incompétente pour statuer sur les contentieux des travailleurs incarcérés [8] . Un détenu avait travaillé trois semaines pour le compte d’une entreprise et avait perçu 200, 28 francs (30,53 euros). Sa demande de paiement d’un rappel de salaire, d’heures supplémentaires, fut rejetée par la haute cour judiciaire sans pour autant lui indiqué vers quelle juridiction s’adresser. Se bornant à rappeler que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail, la cour de cassation a raisonné de manière tautologique. Au lieu de caractériser la relation réelle de travail du détenu, la jurisprudence manifeste une attitude de dénégation de la réalité. Dans les 3 formes juridiques existantes, le service général, la régie industrielle et la concession [em], résident pourtant les 3 éléments matériels nécessaires d’existence d’un contrat de travail qui sont la prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination juridique [9]. La contradiction est à ce niveau le plus manifeste puisque selon l’article D. 102 du code de procédure pénale, « l’organisation, les méthodes de travail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures ». Outre cette procédure, jusqu’ici jamais utilisée en matière pénitentiaire et par conséquent inédite, n’ y a-t-il pas lieu de s’interroger sur la pertinence de l’usage du mot « travail » en prison ? La servitude carcérale ne serait-elle ce qui conviendrait le mieux pour désigner cette situation de non reconnaissance du caractère subjectif du travail ? Les ateliers de la servitude Si juridiquement, l’activité de travail se définit par le caractère inaliénable de la personne humaine (en opposition à l’esclavage), n’est-ce pas dans la reconnaissance des droits fondamentaux que le statut du travailleur acquiert tout son sens ? Conclusion : Pour une égale dignité des travailleurs Seule la reconnaissance pleine et entière du droit du travail permettrait de limiter ces abus et d’en prévenir d’autres. La société doit être aveugle de son histoire car comme disait Lao Tseu « celui qui ignore son passé est amené à le revivre ». Ce que jadis les grecs nommaient « poeisis », la simple production était réservée aux esclaves. L’évidence est que « le travail ne remplit sa fonction psychologique pour le sujet que s’il lui permet d’entrer dans un monde social dont les règles soient telles qu’il puisse s’y tenir. Sans loi commune à faire vivre, le travail laisse chacun de nous face à lui-même » [13]
[1] Rapport « prisons : une humiliation pour la république », Commission d’enquête parlementaire, éditions du Sénat ; Rapport « la situation dans les prisons françaises », Commission d’enquête parlementaire, éditions de l’Assemblée Nationale, juin 2000 ; Rapport « la France face à ses prisons » , commission d’enquête parlementaire, éditions de l’Assemblée Nationale, Juin 2002 [2] Rapport d’information sur le contrôle budgétaire de la Régie industrielle des Etablissements Pénitentiaires (RIEP). « Le travail à la peine », éditions du Sénat, Juin 2002 [3] Loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire [4] Voir le rapport Loridant [5] Robert BADINTER, La prison républicaine, éditions Fayard, 1992 [6] alinéa 3 de l’article 720 du code de procédure pénale [7] Cour de cassation , chambre sociale, 17 décembre 1996 Glaziou c./ Ministère de la Justice [8] dans le cadre uniquement d’un travail régi par l’administration pénitentiaire. Les « chantiers extérieurs et contrat emploi-solidarité n’appartiennent pas à cette catégorie d’activité. Bien entendu, il ne s’agit que d’une maigre proportion d’emplois [em] le service général (article D.103 et D.105 du CPP) est une « activité directement liée au fonctionnement de l’administration » (travaux d’entretien, cuisine, blanchisserie).La régie industrielle (article 103 du CPP) regroupe les activités de sous-traitance industrielle et tertiaire totalement gérées par l’administration.La concession définie le cadre d’un contrat passé entre des entreprises et le service public pénitentiaire qui se charge du recrutement des détenus et la mise à disposition d’ateliers nécessaires à l’activité que propose cette entreprise aux détenus. [9] Voir droit social n°4, avril 1997 pages 344 à 346 [10] A titre d’exemples article D.106 du CPP : « les tarifs de rémunération sont portés à la connaissance des détenus » ; article D 108 « le respect du repos hebdomadaire et des jours fériés doit être assuré. Les horaires doivent prévoir le temps nécessaire pour le repos, les repas, la promenade et les activités éducatives et de loisirs ». article D109 : « les mesures d’hygiène et de sécurité prévus par le livre II du titre II du Code du travail sont applicables aux travaux effectués par le détenus dans les établissements pénitentiaires » ; article D.109-1 : « pour l’application de ces règles, le chef de l’établissement compétent peut solliciter l’intervention des services de l’inspection du travail [11] Il y a évidemment des exceptions qui confirment la règle. Notamment ceux qui travaillent « pour leur propre compte » autorisé par l’article D.101 du code de procédure pénale. Cette forme est très rare et difficile à mettre en application, compte tenu des restrictions intérieures des prisons [12] Françoise LAFFAY, « une main d’œuvre derrière les barreaux », L‘Yonne république, 13 Mars 1990, p 199 [13] La fonction psychologique du travail, Yves Clot , collection travail , éditions presses universitaires de France |