Publié le mercredi 10 septembre 2003 | http://prison.rezo.net/annexe-1-methodologie-ou-une/ Annexe 1 : « Méthodologie » ou une méthodologie impossible ? ? L’enquête Une maigre littérature L’art en détention… Joli sujet… que peu d’auteurs doivent trouver joli ! L’art délie langues et stylos, mais pas en prison ! Seule une maigre littérature –inexistante à ma connaissance en sociologie- se penche en effet sur le sujet. Si les ouvrages dépeignant et analysant l’univers pénitentiaire, témoignant de vies enfermées derrière les murs de notre société, débattant de la lourde et polémique question carcérale abondent, très peu se consacrent aux activités artistiques. Ces lectures générales sur la prison m’ont « ouvert les portes » d’un monde d’idées, de pratiques, de mots mêmes que je ne connaissais que très peu. Une première (et toute relative) familiarisation avec le vaste sujet des prisons… Une première approche vers l’objet d’étude choisi. Un premier « pas posé » dans l’univers complexe de la détention… Mais ma recherche se heurte très vite au silence théorique planant sur les activités artistiques. Les créations artistiques des prisonniers semblent plus inspirer et intéresser un monde médical et psychiatrique tenté d’analyser, au travers des œuvres, « l’esprit criminel et délinquant » que la sociologie ! Je trouve néanmoins quelques rares ouvrages, écrits principalement sous la plume d’acteurs engagés, intervenants artistiques en détention, et anciens détenus, quelques rapports officiels de l’Administration Pénitentiaire, quelques pages perdues par-ci par là… De même, aucun chiffre, aucune statistique sérieuse recensant les différents ateliers proposés en détention, les intervenants, les participants (etc.) n’existe. Pour pallier ce manque, Ban Public envisage de créer et diffuser sur son site un Observatoire des pratiques culturelles en prison ; mais en attendant… Je privilégie donc largement, face à une biographie décevante, les discours d’acteurs entendus lors d’entretiens ou lus dans les lettres… Un terrain fermé « Les prisons se sont récemment ouvertes aux chercheurs et c’est là un indice de démocratisation qu’il faut apprécier. Les sociologues pourront désormais consacrer des recherches aux acteurs et à l’expérience carcérale. [1] » La prison s’ouvre peut-être aux sociologues et autres chercheurs, mais encore peu aux étudiants mémoriants… Les murs, fissurés par l’entrée d’intervenants extérieurs, de visiteurs, de chercheurs et journalistes, demeurent étanches pour certains… Les objectifs de sécurité, la volonté de contrôler l’information qui sort, les tentations de fermeture et d’hermétisme des établissements limitent et contraignent les entrées. L’article D.277 du Code de procédure pénale précise qu’ « aucune personne étrangère au service ne peut être admise à visiter une prison qu’en vertu d’une autorisation spéciale délivrée par le directeur régional des services pénitentiaires ou par le ministre de la Justice. » Toutes mes demandes sont refusées… Jusqu’à ce que Shirley Stempfil, agent culture justice du centre de détention de Loos Lès Lille, rencontrée au cours d’un entretien d’enquête, appuie ma demande et me permette d’assister à un atelier de musique en mai ! Cette observation, bien que tardive, et les discussions informelles avec l’intervenant et les prisonniers, m’ont permis de mieux appréhender certains phénomènes, de conforter certaines de mes hypothèses, de « visualiser l’objet étudié ». Cependant, les quatre heures passées au centre de détention ne suffisent guère, bien évidemment, à fonder une étude valable. D’autre part, au nom d’une certaine cohérence dans l’enquête, j’ai préféré me concentrer sur les témoignages d’une population-cible déjà interrogée , les membres de Ban Public. Je ne me servirai donc des témoignages reçus et des « faits » observés au cours de cette expérience qu’à titre d’exemple illustrant, voire nuançant les hypothèses avancées. On refuse à l’étudiante que je suis d’enquêter à l’intérieur des murs. Que faire ? Essayer de forcer les portes de la prison, d’entrer par d’autres moyens détournés ? Demander un parloir ? Devenir visiteuse ? Donner des cours à des détenus avec le G.E.N.E.P.I. ? Impossible : la vérification du casier judiciaire, l’évaluation des motivations (et des compétences pour le G.E.N.E.P.I.), l’obligation d’entretiens psychologiques nécessitent des mois et des mois d’attente. Et surtout, je refuse d’utiliser ces entretiens privilégiés à des fins personnelles, pour servir mon enquête. On ne propose pas d’apprendre le français à un étranger pour lui extirper des informations entre deux leçons de grammaire ! Simple question d’éthique… Comment dès lors interroger des prisonniers ? « Pourquoi as-tu choisi de travailler sur les prisons ? Qu’est-ce qui t’attire ? Que cherches-tu à regarder ? » Autant de questions déstabilisantes posées dans un interrogatoire inversé…Quelques entretiens débutent ainsi, dans un climat de méfiance teintée d’hostilité. Certains acteurs craignent en effet un voyeurisme et une curiosité malsaine qu’ils rencontrent bien souvent. Cette méfiance se dissipe dès les premières minutes, mais je ne l’oublie jamais, « je reste sur mes gardes », évitant des questions susceptibles de la raviver… Au risque de perdre des informations essentielles… D’autres suspectent une « récupération » politique ou idéologique de leur discours malgré mon statut d’étudiante et l’anonyme avenir d’un mémoire destiné à « croupir au fin fond d’une bibliothèque d’école ». Les entretiens se déroulent généralement, une fois le premier rapport établi, dans une atmosphère de travail conviviale et chaleureuse. Cependant, le ton reste toujours difficile à trouver, par peur de blesser, par peur de réveiller une méfiance endormie, par peur de stigmatiser involontairement des personnes déjà stigmatisées. Ainsi, les questions jugées trop personnelles, les paroles susceptibles de blesser, de dévaloriser cherchent encore les mots justes pour s’exprimer… Il me faut jongler avec cette crainte, mes propres maladresses, mes mots parfois mal choisis, teintés de clichés déjà trop entendus… « Si tu viens à moi pour pleurer sur les prisons, tu as tout faux. J’espère t’agacer car ta lettre m’a piqué un peu, et je suis assez susceptible je l’avoue. Je n’aime pas qu’on pleure sur moi comme si j’étais déjà mort. (…) Je vis ma vie simplement, une vie que tu ne pourrais peut-être pas vivre et donc que tu n’envies pas mais ce n’est pas pour ça qu’il faut t’apitoyer. » La neutralité impossible « Ecrire sur la prison s’avère un exercice téméraire, par sentimentalisme, par mauvaise conscience ou par la volonté de ne pas prendre parti. [2] » On a déjà maintes et maintes fois dénoncé la subjectivité obligée de l’enquêteur… Je n’y reviendrai pas… Je rappellerai simplement qu’une recherche sur un univers carcéral au cœur de l’humain, de la souffrance et des débats sociaux freine plus encore la recherche d’une neutralité visée. Comment s’affranchir en effet des représentations fantasmatiques et des stéréotypes ancrés sur la prison, nourris de visions cinématographiques, de discours entendus ou d’un imaginaire débordant ? Comment masquer l’émotion ressentie devant les souffrances, les humiliations et les destructions d’êtres humains ? Comment ne pas prendre parti ? Comment analyser scientifiquement des bouts de phrases vomies sur le papier, des bouts de soi criés, des bouts d’un soi meurtri et hurlant, d’un soi brisé, d’un soi humain ? Comment ne pas se laisser avaler par la gueule carcérale ? « Je pourrais aussi te décrire ce que cette réalité génère en terme de souffrances, de logique de l’absurde, de risques pour la société et de non-sens quand on parle de réinsertion. Seulement, j’ai pu remarquer que chacun d’eux et de celles qui ont reçu ce genre de révélations n’en est jamais sorti indemne. Pour un certain confort moral, pour un semblant de repos de l’esprit, il est parfois préférable de ne pas aller trop loin dans ce genre de ‘connaissances’. » ? La population-cible Autour de Ban Public… Renonçant à l’observation impossible, je « choisis » de privilégier les témoignages de détenus Une population spécifique Précisons tout d’abord que les détenus et anciens détenus interrogés ne demeurent pas représentatifs de la population carcérale en général. Tous (sauf Gilles) ont participé ou participent encore à des ateliers artistiques n’attirant généralement qu’un nombre infime de prisonniers. Tous ou presque ont suivi des études ou suivent encore des études supérieures. [1] Dominique Schnapper in Corinne Rostaing, La relation carcérale, op. cit., p.6 [2] Corinne Rostaing, La relation carcérale, op. cit., p.1 [3] Bien que privilégiant volontairement les discours de détenus, anciens détenus et intervenants artistiques en prison, il me semble important d’entendre l’analyse, de membres de l’Administration Pénitentiaire [4] Une seule personne, Myriam, chargée de communication du GENEPI Paris, échappe à cette règle. Rencontrée au tout début de mon enquête, elle ne me paraissait pas encore étrangère à l’échantillon choisi. D’autre part, le GENEPI intervenant dans beaucoup de prisons françaises, elle porte un regard généraliste sur le système carcéral dans sa globalité. |