Publié le lundi 23 mai 2005 | http://prison.rezo.net/soigner-en-prison/ Soigner en prison, c’est à la fois assumer une mission de santé publique face à des besoins sanitaires considérables mais aussi se heurter aux spécificités d’un milieu totalitaire où le soin est soumis à des contraintes institutionnelles et réglementaires parfois exorbitantes, rendant difficile ou impossible l’usage de prestations pourtant ordinaires dehors. La prison, un reflet de la société. La prison est devenue un champ de prédilection pour les médias et les sociologues, sans doute parce qu’elle reste un indicateur précis de la santé d’une démocratie, révélant le niveau d’acuité de la justice à prononcer la peine avec discernement et, aussi, la dimension éthique des conditions de détention. Le même soin que dehors ? La santé des détenus est confiée à des équipes hospitalières depuis la loi de 1994, fondée sur les recommandations européennes, qui préconisent un soin équivalent à celui offert hors de la prison et exercé en toute indépendance. Les équipes sont pluridisciplinaires, associant médecins généralistes et spécialistes, psychiatres, dentistes, psychologues, infirmières. La proximité des unités de consultations en prison, leur disponibilité, leur réactivité, facilitent pour les détenus un réel accès aux soins, qui peut donner un sens à ce temps d’enfermement. Les mêmes maladies que dehors ? Les détenus ont le plus souvent un état de santé préoccupant. Les échecs scolaires, les difficultés sociales, les conditions de logement et d’alimentation défaillantes, les violences subies, ont induit des exclusions qui ont gêné ou empêché I’accès aux soins et fortement diminué la confiance dans la bienveillance des institutions. Soigner mieux que dehors ? C’est sans doute ici le paradoxe du soin en prison, de pouvoir, malgré la perversion du terrain, poser une action chargée de sers, s’inscrivant dans la durée et donnant au patient un lieu et un temps pour se placer dans un projet contractuel et bienveillant, induisant une remise en respect de soi-même. Et les usagers de drogues ? Ils représentent une proportion importante des détenus, souvent consommateurs à problèmes d’alcool et de produits stupéfiants avant l’incarcération. La prise en compte de ces dépendances en prison, après une évolution laborieuse, semble aujourd’hui, satisfaisante, le nombre de traitements de substitution ayant fortement augmenté, ainsi que les soins médicaux et psychologiques les accompagnant. La crainte de la banalisation de cette substitution et des mésusages fait, sans doute, en sorte que les prescriptions soient parfois plus réduites que dehors. Ces médicaments sont souvent l’objet d’un trafic en détention, ce qui fait subir aux soignants une pression implicite de la part de l’administration pénitentiaire. La prison, lieu de prises de risques ? La prison n’est pas protégée, malgré ses moyens de surveillance, des trafics de substances psycho-actives diverses et est même, pour nombre de détenus, un lieu de découverte de ces produits. Réduction des risques ? Tout comme il n’y aurait pas de relations sexuelles en prison, puisque proscrites, il n’y aurait pas de drogues. Ce constat, absurde, sert, malgré tout, de fondement aux actions de prévention. Concernant les usagers de drogues et face aux épidémies successives des virus responsables du SIDA et des Hépatites, qui les ont touchés, la réponse a été claire, quoique lente, en proposant des traitements de substitution, des programmes d’échange de seringues, mettant fin à la norme du sevrage plus ou moins brutal, comme seul moyen thérapeutique. Cette urgence a imposé un soin plus souple, compréhensif, proposant, sans juger des moyens, de maintenir ou de sortir d’une dépendance, en tentant d’écarter les risques vitaux et judiciaires. Que conclure ? L’exercice du soin en prison est une mission considérable et indispensable, qui doit bénéficier de moyens suffisants et d’une indépendance professionnelle intacte. Il ne peut se concevoir sereinement que si les conditions qui lui sont appliquées ont réellement comparables avec ce qui existe dehors et que le milieu carcéral cesse d’être un lieu de grande exclusion, de prises de risques, de contaminations virales en proposant de meilleures possibilités d’insertion et de prévention. Si la prison est bien un reflet de notre société, on peut, aujourd’hui, s’inquiéter de sa santé, en mesurant à quel point les efforts de pénalisation se sont développés ou détriment du respect de la dignité humaine. Dr. Philippe Griguère (Président du CSIP) Revue EGO - Alterego le journal n°47 / 1er trimestre 2005 [1] Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales. [2] CSIP (Collège des Soignants Intervenant en Prison) - site Internet : http://www.sante-prison.com - Mail : csip1@free.fr
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