Publié le lundi 23 mai 2005 | http://prison.rezo.net/ecrire-sur-les-prisons-c-est-comme/ Pour ce numéro spécial prison, « ALTER EGO le journal » a demandé aux usagers, participant à I’atelier d’écriture, de témoigner sur leurs vécus, leurs expériences, leurs ressentis... Ecrire sur la détention, c’était se remettre en mémoire le souvenir de périodes et d’événements particulièrement douloureux. Les participants se sont prêtés « au jeu » avec beaucoup de gentillesse et d’application, mais certains ont dû quitter la table à plusieurs reprises pour ne pas se laisser submerger par leurs émotions. Je voudrais les remercier très fort pour la beauté de leur témoignage et remercier aussi Sylvie, Pascal et Chloé pour l’écoute et le soutien qu’ils ont apportés à chacun lors de ces séances car, comme le disent si bien ces mots, écrits sous forme de « cadavre exquis » afin d’apporter un peu de détente entre deux récits : « écrire sur les prisons, c’est comme marcher sur un râteau. » Désirée Je me souviens en 1986, quand un toxico arrivait en prison, on lui donnait la fiole, une sorte de camisole chimique. Aujourd’hui, en 2005, il est tout de suite orienté vers un traitement de substitution. Je me souviens que « traitement de substitution » consiste à donner des pochettes contenant des médicaments pour quinze jours de traitement. Je me souviens que les filles s’empressaient de tout avaler, faisant OD [1] sur OD pour oublier l’endroit où elles étaient enfermées. Je me souviens de toutes ces filles, transportées d’urgence vers l’hôpital d’Evry pour subir un lavage d’estomac. Je me souviens que les médicaments servaient aussi de monnaie d’échange pour les cantines (tabac etc.). Je me souviens à quel point c’était choquant et triste de voir des filles aussi malheureuses. Je me souviens des mères avec leurs enfants, obligées de les laisser garder par les matonnes, pour aller travailler, gagner de quoi acheter leurs cigarettes. Elles savaient qu’à quinze mois on allait leur enlever. Très peu avaient une famille, elles savaient qu’ils seraient places. On dit que les femmes sont très dures entre elles, moins solidaires que les hommes, mois si elles le sont, c’est d’abord parce qu’elles sont très dures avec elles-mêmes. Je me souviens ma cellule. Je me souviens d’un drôle de monde. Je me souviens que ce n’était pas très beau. Je me souviens avoir beaucoup réfléchi. Je me souviens surtout d’en être sorti. Je me souviens d’un grand ennui. Je me souviens aussi d’un grand dépit Je me souviens d’un instinct de survie. Je me souviens d’une grande envie. La prison, malgré I’extrême rudesse de son système, m’a donné le temps pour essayer de réfléchir sur mon passé, mon présent et mon avenir. Penser à mon avenir veut dire transformer ma conception de la vie, ma vie, afin de ne plus réitérer les actes qui m’ont conduit dans ce lieu. Peu importe la manière ou les voies à suivre, le temps que j’ai mis à la réflexion est la partie la plus importante. Quel que soit notre parcours, quelles que soient les circonstances qui nous ont amenés à franchir le seuil d’une prison, l’individu qui se sert de cette privation de liberté et la transforme en temps de réflexion sur lui-même, cet individu dira que la prison lui a donné le plus bel exemple de liberté. Je me souviens d’un jour très dur et triste. De cet endroit très froid avec des humiliations. Je me souviens de la cour de promenade qui n’était pas plus grande qu’un appartement. Je me souviens des contrôles systématiques dès qu’on allait d’un endroit à un autre de la prison. Je me souviens de ma cellule qui faisait 2,5m, et des matons qui y entraient à n’importe quelle heure. Je me souviens d’un mec qui s’appelait Ali. Il s’était suicidé après le ramadan. Il n’avait pas trente ans. C’était un bon ami. Je n’ai toujours pas compris les raisons de son acte, mais je suppose qu’il ne supportait plus l’attente de son procès qui lui aurait donné une date de sortie. Je regrette le comportement de la police française et de ses lois qui m’ont conduit deux fois derrière les barreaux sans aucun motif. Pendant mes gardes à vue, ils n’ont même pas autorisé mon avocat à avoir une entrevue avec moi. J’ai été victime de racisme de la part des juges, qui, même sans motifs, m’ont condamné à des peines de prison fermes. Par la suite, je regrette d’avoir abusé de l’alcool et de la cocaïne qui m’ont amené à foire toutes ces choses qui m’ont reconduit directement an prison. Je regrette presque la prison de Bois-d’Arcy, car au moins là-bas, on pouvait travailler, écrire pour demander des aides, faire du théâtre et consulter des médecins qui nous écoutaient. Tout le contraire de Fresnes. Je me souviens en 94, je suis allé voir mon frère à la Maca pour lui apporter de la nourriture. Je me souviens d’avoir vu mon frère entre les mains des flics. Je me souviens des cellules de prison. Je me souviens quand j’ai vu mon frère mal à l’aise. Je me souviens quand mon frère est tombé malade en prison. Je me souviens quand mon frère me parlait des cellules. Je me souviens quand mon frère voulait à tout prix retourner en prison. Je regrette d’avoir vu mon frère dans les mains des flics. Je regrette le retard que mon frère a eu sur son âge. Je regrette que mon frère ait perdu ses droits de paternité, à la suite de son incarcération. Moi toute seule, face à mon sursis. Moi toute seule, pour la première fois, pour un kiff. Moi toute seule, j’ai été énormément déçue. Moi toute seule, je suis en colère. Moi toute seule, j’ai pris un an ferme et six mois de sursis. Moi toute seule, j’ai pris plus parce que je suis étrangère. Moi toute seule, alors que le modou, lui, il prend quatre mois. Moi toute seule, je me suis sentie une poussière dans le grand espace du dépôt. Moi toute seule, je me suis assise par terre. Moi toute seule, les policiers m’ont pris mes cigarettes. Moi toute seule, ils m’ont piqué aussi mon soutien-gorge, mon sac à dos et mon épilateur. Moi toute seule, je me suis vraiment sentie toute seule. Moi toute seule, le procureur a écrit une lettre pour que je récupère mes affaires. Moi toute seule, parce que je suis usagère Il y avait celui qui avait violé un enfant et qui avait tout ce qu’il lui fallait en prison (télé, ordinateur...), il était protégé. Il y avait celui qui avait braqué une banque et qui était cool avec tout le monde, qui partageait facilement ; celui qui cirait les pompes du chef et qui a été nommé comptable du travail au sein de la prison, et qui a profité de son statut pour « faire sa loi » : celui que j’aimais bien, que je connaissais bien et qui est mort au mitard, soi-disant suicidé. Revue EGO - Alterego le journal n°47 / 1er trimestre 2005 [1] OD : overdose
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