Publié le vendredi 16 septembre 2005 | http://prison.rezo.net/la-lutte-contre-le-sida-n-entre/ Serge Hefez Quasimodo - n° 2 (« Corps incarcérés »), janvier 1997, Montpellier AU MOMENT OÙ commence à apparaître un consensus chez tous les spécialistes de la toxicomanie pour dénoncer les effets délétères de la loi de 1970 pénalisant l’usage de produits stupéfiants, il est urgent de rappeler le risque majeur de contamination par le virus du Sida circonscrit par les murs de nos prisons. Tous les responsables des services médicaux pénitentiaires, tous les directeurs de prison savent que la drogue et les médicaments y circulent en grande quantité et que les pratiques d’injection sont fréquentes dans ce contexte d’angoisse, d’ennui et d’isolement. On retrouve régulièrement des seringues dans toutes les cachettes imaginables, et celles -ci sont forcément partagées par un grand nombre de détenus lorsqu’il ne s’agit pas de stylos plume détournés ou d’épingles rouillées utilisés pour se shooter... À la prison de la Santé, la plupart des détenus sont jeunes, entre 20 et 25 ans, certains, même s’ils sont déjà des habitués de la défonce, initient des pratiques d’injection en prison. Devons-nous continuer à nous voiler la face ? Accroître la répression et la surveillance à l’intérieur des prisons ne ferait qu’aggraver ce désastre sanitaire comme cela a été le cas en milieu libre : une même seringue servirait à 20 incarcérés au lieu de 4 ou 5, les produits injectés seraient encore plus dangereux. Le même problème se pose pour l’accès aux préservatifs qui n’existe que dans quelques infirmeries pénitentiaires, alors que la plupart des détenus sont réticents à reconnaître les pratiques homosexuelles en prison. Les mentalités françaises, qui viennent juste d’accepter l’éthique de la réduction des risques à l’extérieur, doivent se préparer à l’envisager à l’intérieur des prisons, comme cela commence à être effectif en Suisse ou en Ecosse, au moment où une augmentation massive du nombre de toxicomanes incarcérés est le corollaire d’une criminalisation de plus en plus grande de l’usage de stupéfiants et alors que le rapport de la Commission Henrion dénonce notre juridiction d’exception, qui joue « un rôle incontestable dans le désengagement des médecins face à la toxicomanie et surtout face aux toxicomanes ». Des individus jeunes et fragilisés se contaminent chaque jour alors que des mesures simple permettraient de limiter ce désastre : accès possible aux seringues stériles, accès généralisé aux préservatifs. On le sait, mais on ne fait rien. L’épidémie de Sida a déjà provoqué bien des scandales : celui des hémophiles, celui des personnes contaminées par transfusion souvent à partir de collectes de sang faites, précisément, dans les prisons. Le retard avec lequel, à partir de 1987, les usagers de drogues ont pu se protéger du virus en ayant accès aux seringues propres est aujourd’hui dénoncé par les secteurs les plus lucides de l’opinion. Aujourd’hui encore, la prévention du Sida s’arrête aux portes des prisons. Les hommes politiques et les administrations doivent prendre leurs responsabilités, l’opinion doit être informée. Pour ce qui nous concerne, en tant que médecins et que citoyens, nous ne pouvons rester plus longtemps complices de ce silence. Serge Hefez Source : Revue Quasimodo [1] article paru dans Libération, 21 juillet 1995 [2] British Medical Journal, 1995, 310 [3] Voir Transcriptase, n°34, avril 1995, dossier complet sur les risques de contamination en milieu carcéral
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