Publié le mardi 22 novembre 2005 | http://prison.rezo.net/0-introduction,7374/ INTRODUCTION La France a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants le 18 février 1986. La Convention est entrée en vigueur le 26 novembre 1987. Elle prévoit un examen périodique du respect de leurs engagements par les Etats parties. C’est à l’occasion du troisième rapport périodique présenté par la France au Comité contre la torture que l’ACAT-France a rédigé ce rapport alternatif. Dans ce document, nous montrerons que : Ce rapport alternatif est le résultat d’un travail d’analyse des textes en vigueur et de l’observation de leur application, illustrée par des cas individuels. Il s’appuie sur les informations que l’ACAT-France recueille quotidiennement dans son travail pour la prévention des mauvais traitements en France, sur l’expérience d’autres organisations partageant les mêmes préoccupations - organisations non gouvernementales de défense des droits de l’Homme, associations à but humanitaire, syndicats, journalistes, etc - ainsi que sur les rapports d’autorités administratives indépendantes. L’ACAT-France souhaite, grâce à ce rapport alternatif, mettre à la disposition des membres du Comité les informations nécessaires à un examen impartial du respect par la France de ses engagements internationaux en matière de lutte contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Des lois permettant la torture et les mauvais traitements Le rapport alternatif que nous soumettons au Comité contre la Torture analyse un cadre législatif qui permet de recourir à la pratique de la torture et des mauvais traitements. Concernant l’article 3 (risques en cas de refoulement) : Concernant l’article 11 (surveillance des lieux privatifs de liberté) : Concernant l’article 12 (enquêtes sur des allégations de torture) : Des pratiques inacceptables Au-delà des textes, le gouvernement français laisse s’installer et perdurer des pratiques dans des domaines qui relèvent pourtant de sa responsabilité : Concernant l’article 3 (risques en cas de refoulement) : Concernant l’article 10 (formation des agents de l’Etat) : Concernant l’article 11 (surveillance des lieux privatifs de liberté) : Concernant l’article 12 (enquêtes sur des allégations de torture) : Concernant l’article 13 (droit de porter plainte) : Les origines de ces pratiques sont diverses. Ce rapport n’a pas pour objet de les analyser. Cependant leur existence devrait encourager le gouvernement français à les reconnaître, à les étudier et à proposer des solutions pour y mettre fin. Or au lieu d’adopter une position responsable, le gouvernement, à l’instar de ce qu’il présente dans son rapport au Comité et des réponses qu’il a formulées suite à la dernière visite du Comité européen de prévention de la torture, les nie en bloc. Depuis 2001, on assiste à un durcissement de la politique pénale - inflation législative, pénalisation de nombreux comportements, création de fichiers en tous genres - qui se traduit par une augmentation considérable de la population carcérale, qui est passée de 49 364 personnes [9] en juin 2001 à 63 448 en juin 2004, soit une augmentation de 22 %. Cet « emballement » des institutions judiciaires est en partie responsable de nombreux dysfonctionnements. C’est pourquoi plusieurs évolutions doivent être mises en œuvre pour prévenir les mauvais traitements, s’assurer du respect de l’interdiction de la torture, combattre l’impunité des auteurs et assurer la prise en compte des victimes. Recommandations de l’ACAT-France 1. Décliner concrètement l’interdiction de la torture et des mauvais traitements La complexité, le manque de lisibilité, les modifications permanentes des textes en vigueur en matière de droit pénal et de procédure pénale contribuent à rendre flous les droits, les devoirs et les obligations des personnels de sécurité, qui appliquent parfois dans certaines situations des règles inappropriées. Comme l’a souligné la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) dans l’avis qu’elle a rendu le 20 janvier 2005 au sujet de la proposition de loi visant à lutter contre la récidive : La CNCDH a, à plusieurs occasions, affirmé son attachement à un système procédural cohérent et stable, accessible aisément aux citoyens comme aux professionnels ; or elle relève que la proposition de loi en cours de discussion entend d’ores et déjà réformer certains textes très récents comme, par exemple, des dispositions issues de la loi du 9 mars 2004, relatives à l’application des peines, qui viennent d’entrer en vigueur le 1er janvier 2005 (article 5 du texte) ; cette instabilité de notre procédure pénale et de notre droit pénal ne peut que rendre toujours plus difficile l’accès à la règle de droit, condition d’un procès équitable. Si le principe de l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est régulièrement rappelé, aucun texte ne vient en préciser ni les contours ni le contenu. Ainsi, bien que la pratique de certaines professions soit encadrée par un code de déontologie, celui-ci se limite trop souvent à une liste de principes. On déplore l’absence de règles spécifiques pour la conduite des interrogatoires lors de la garde à vue. Un projet de code pour le personnel pénitentiaire a été annoncé en 1998 et n’a toujours pas vu le jour. La rédaction d’un code de déontologie qui aborde dans le détail les procédures et comportements à adopter face aux nombreuses situations dans lesquelles les agents de l’Etat peuvent faire usage de la force doit être élaboré dans les meilleurs délais. 2. Assurer une formation de qualité Il est regrettable de constater la pauvreté des enseignements et le raccourcissement de la période de formation, notamment des personnels pénitentiaires, ramenée à 18 semaines en 2004. La formation est un outil primordial pour intégrer l’interdiction de la torture et des mauvais traitements. Cette formation doit être de qualité et d’une durée suffisante. 3. Surveiller les lieux de privation de liberté Si plusieurs dispositions garantissent la surveillance et le contrôle des conditions de vie des personnes privées de liberté, aucune n’est appliquée de façon satisfaisante. Si un tel mécanisme est prévu par le protocole facultatif à la Convention contre la Torture, adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 18 décembre 2002, la France ne l’a toujours pas ratifié. De l’aveu des ministères concernés, il l’obligerait à mettre en place un mécanisme qui remplisse les critères de compétence, d’indépendance et de permanence, ce qui n’existe pas aujourd’hui. La France doit ratifier au plus vite le protocole facultatif à la Convention contre la torture. 4. Lutter contre l’impunité des auteurs de mauvais traitements Les personnes qui ont été victimes de mauvais traitements commis par des agents de sécurité voient trop souvent leurs plaintes classées sans suite. Le principe de l’opportunité des poursuites auquel est soumis le procureur de la République est un facteur favorisant l’impunité et par conséquent la pratique des mauvais traitements. La difficulté de mener une enquête ne peut être invoquée car, très souvent, les certificats médicaux qui devraient être rédigés à différents stades de la procédure [10] constituent des preuves de mauvais traitements, il est dès lors regrettable qu’ils soient rédigés dans de mauvaises conditions, voire pas rédigés, et qu’ils ne soient pas pris en compte par les autorités judiciaires. Le principe de l’opportunité des poursuites en matière de plainte de mauvais traitements contre des agents de l’Etat a déjà montré ses carences. Dès lors que le procureur est saisi d’allégations de torture ou de mauvais traitements au sens de la Convention, une enquête devrait être obligatoire afin de vérifier la réalité des faits. Questions au gouvernement français Questions liminaires : 1. Pour quelles raisons la France n’a toujours pas ratifié le Protocole facultatif à la présente Convention ? 2. L’absence totale de référence à l’application des textes dans le rapport du gouvernement français serait-il le résultat de l’absence d’analyse des pratiques ? Sans analyse des pratiques, comment être sûr de la qualité d’une loi ? Concernant l’article 3 : 3. L’instauration d’un délai raisonnable et automatique à l’arrivée à la frontière (actuellement un jour franc à la demande expresse de l’intéressé) n’est-elle pas une garantie efficace pour s’assurer qu’une personne qui coure des risques en cas de renvoi fasse valoir son droit à la protection ? 4. Pour quelles raisons le délai d’un jour franc n’est plus automatique à l’arrivée à la frontière ? 5. En l’absence d’examen systématique des risques, comment être certain que les personnes renvoyées ne courent aucun danger ? 6. Pour quelles raisons la législation française ne prévoit pas un recours suspensif contre une décision de renvoi lorsque la personne qui en fait l’objet prétend courir des risques dans le pays de destination ? 7. Le maintien en zone d’attente d’un mineur est-il conforme à la présente Convention ? 8. La France renvoie des mineurs isolés dans leur pays d’origine ou dans ceux par lesquels ils ont transité. Quelles sont les garanties actuelles pour assurer leur intégrité physique et leur prise en charge à leur arrivée dans le pays de renvoi ? 9. Pour quelles raisons la France refuse de faire procéder à des examens médicaux à l’arrivée dans le pays de destination ? 10. Le système de protection pour les étrangers repose principalement sur l’asile. Les demandes déposées hors délais sont rejetées sans examen des risques. Pour quelles raisons fait-on dépendre la possibilité de faire examiner un risque du respect de délais ? Pourquoi les délais sont si courts - 21 jours en liberté, 5 jours en rétention ? 11. Une liste de pays dits « d’origine sûre » est en cours d’élaboration. Elle permettra un examen expéditif des risques encourus par la personne parce qu’on présume que ces pays respectent les droits de l’homme. Cette démarche est-elle conforme à la présente Convention ? 12. La France s’estime-t-elle qualifiée et compétente pour décider quels sont les Etats qui respectent la présente Convention ? Si une telle liste devait exister, son élaboration ne devrait-elle pas être confiée au Comité contre la torture ? 13. Le mandat d’arrêt européen s’inscrit dans la même perspective : parce que l’Etat français estime que les pays de l’Union européenne respectent la Convention contre la torture, il se dispense d’un examen des risques encourus en cas de remise à une justice d’un Etat de l’Union. L’Etat français peut-il être certain que chacun des pays de l’Union respecte et respectera toujours la présente Convention ? Concernant l’article 10 : 14. Pourquoi n’existe-t-il pas de nomenclatures spécifiques décrivant avec précision les gestes à mettre en œuvre par les agents de l’Etat lors des interrogatoires en garde à vue et lors des renvois ? 15. Comment expliquer que la formation des personnels de surveillance dans les établissements pénitentiaires ait été réduite à 18 semaines en 2004 alors qu’elle se limitait déjà à 22 semaines en 2003 ? 16. Quelles solutions le gouvernement peut proposer pour remédier à l’utilisation de personnels en formation qui pallient le manque de titulaires dans de nombreux établissements ? 17. Quel est l’état d’avancement du code de déontologie de la pratique des métiers pénitentiaires ? Concernant l’article 11 : 18. Un examen médical systématique est prévu pour toutes les personnes qui arrivent en prison. Pour quelles raisons les certificats ne sont pas transmis au procureur de la République lorsque la personne se trouvait auparavant en garde à vue et présente des traces de mauvais traitements ? 19. Beaucoup d’établissements de privation de liberté accueillent des personnes bien au delà de leur capacité théorique. Le numerus clausus a été repoussé à 2008 dans les établissements pénitentiaires. Quelles sont les mesures d’urgence prévues pour remédier aux « mauvais traitements » constatés en 2003 par le Comité européen de prévention de la torture ? Concernant l’article 12 : 20. Au regard des nombreuses critiques et rapports qui constatent les dysfonctionnements de la justice, ne conviendrait-il pas d’aménager le principe de l’opportunité des poursuites contre les agents de l’Etat, notamment en matière de plaintes de mauvais traitements ? [1] Loi du 26 novembre 2003 [2] Loi du 9 mars 2004 - articles 695-11 et suivants [3] Loi du 9 mars 2004 - article 706-23 du Code de procédure pénale [4] Loi du 9 mars 2004 - article 63-4 du Code de procédure pénale [5] Article 40 du Code de procédure pénale [6] 14 semaines pour les agents de sécurité dans certains transports publics [7] Rapport du Sénat de 2000, rapport Canivet de 2001 [8] Extrait du rapport du Comité européen de prévention de la torture après sa visite en France en juin 2003 : « dans les maisons d’arrêt de Loos et de Toulon, les détenus étaient soumis à un ensemble de facteurs néfastes - surpeuplement, conditions matérielles déplorables, conditions d’hygiène créant un risque sanitaire indéniable, sans même mentionner la pauvreté des programmes d’activités - qui peuvent légitimement être décrits comme s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant. » [9] Source : ministère de la justice [10] Article 63-3 Code de procédure pénale : une visite médicale est prévue dès le début de la garde à vue, et à la demande de l’intéressé en cas de prolongation ; |