Publié le lundi 13 février 2006 | http://prison.rezo.net/2005-etre-malade-en-prison-etre/ Etre malade en prison, être séropositif au VIH [1] et au VHC [2]. J’avais découvert ma séropositivité en prison en 1987, mais c’est la première fois que je vis ma maladie avec quadrithérapie derrière les barreaux. C’est l’enfer. Dehors, j’avais déjà des neuropathies, mais même si parfois j’avais mal aux muscles, je ne ressentais pas les crampes et les douleurs grâce à une activité professionnelle et sportive. Ici, c’est continuellement et quotidiennement. J’ai vu le médecin de garde au moment de mon incarcération et depuis plus rien. Aucune analyse sanguine pour connaître ma situation virologique. J’ai prévenu que je faisais souvent (enfin pas trop tout de même, mais régulièrement) des crises d’hypoglycémie, je n’ai aucune nouvelle. En arrivant, j’ai été placé d’une cellule de trois, j’ai donc été obligé de me cacher des autres détenus pour prendre mes médicaments, le matin et le soir. Je m’invente donc une maladie. Je suis diabétique avec un problème rénal. De plus, je n’ai rien à manger, ce qui est indispensable pour limiter les effets secondaires (surtout les nausées et les brûlures d’estomac). Pour les douleurs musculaires, je me masse, mais ce n’est pas évident. J’essaie de boire au maximum, mais l’eau du robinet est dégueulasse et tellement calcaire. Et je suis gentil. Elle a un goût de brûlé ou un truc de ce genre. Les associations pour les personnes touchées par le VIH sont totalement absentes en prison. Les visiteurs de AIDES ne viennent plus comme entre 1991 et 1995. Et pourtant, elle en aurait des choses à faire. Surtout pour la prévention. Les détenus se prêtent leur coupe-ongles, se liment les ongles avec la même lime. Je dois me protéger et prévenir tout risque pour les autres tout en gardant le secret absolu. Je dois prendre mes médicaments sans éveiller les soupçons de mes co-détenus et en même temps cacher ma brosse à dents, mon coupe-ongles et mes rasoirs, sources possibles de contamination. Le jour de la douche, j’en profite pour me raser et par précaution, je jette mon rasoir, en prenant soin de le casser, à la poubelle. Je me cache pour me servir de mon coupe-ongles car je crains qu’on me l’empreinte. Refuser de prêter un coupe-ongles n’est pas acceptable en prison face à l’indigence qui rend la solidarité entre co-détenus obligatoire. Tout simplement, je n’ai pas envie de contaminer quelqu’un, ni de me sur contaminer ou de m’infecter avec je ne sais quel microbe. Je n’ai qu’une vingtaine de CD4. J’ai enfin vu « mon » médecin. Que j’explique le « mon ». Je suis suivi à l’hôpital Cochin depuis 1995 et par le même docteur depuis au moins 8 ans. C’est justement l’hôpital Cochin qui est rattaché à la prison de la Santé pour les questions médicales et mon médecin personnel y fait deux permanences par semaine. Je l’ai donc vu et c’est maintenant lui qui va me suivre ici aussi. Je peux dire que j’ai une opportunité et une chance incroyable. J’ai tant de chose à dire que j’ai peur d’oublier avec la mémoire, quelque peu en carafe, que j’ai. Je descends de mon lit pour prendre un verre d’eau, quand j’arrive au lavabo, je ne sais plus ce que je venais y faire. Enfin ! Ca se paie la quarantaine, la maladie et tout le reste. A 17h30, en prison, la journée est finie. Reste à affronter la soirée et la nuit. C’est au moment où je veux me coucher et dormir que je rencontre mes démons. Mon horloge biologique est restée sur l’horaire d’un homme libre. Depuis mon incarcération, c’est une vraie galère : fatigue, fourmillements, crampes, nausées, diarrhées, manque d’appétit sont devenus mon quotidien. Pour dormir, je prends un somnifère. Si je me mets à prendre un médicament pour ceci ou pour cela, en plus de ma quadrithérapie, je vais m’avaler des cachets toute la journée. J’ai encore perdu 2 kg, soit 9 kg en 30 jours. Et puis, il faut que je raconte ma visite chez le dermatologue pour un gros bouton que j’ai au doigt de la main droite. Il pratique une biopsie, car elle soupçonne un Kaposi. Plus tard, les résultats disent que c’est en fait « la maladie de Bowen » une autre sorte de cancer de la peau (je l’apprendrai plusieurs semaines après grâce à une amie qui a fait des recherches pour moi). Lors de la consultation, il m’a brûlé des débuts de verrues à la bouche. Je ne sais pas où j’ai chopé cela. Le jour de la livraison de mes premières cantines arrive enfin. Le surveillant de l’étage m’envoie les chercher au magasin du rez-de-chaussée. J’ai commandé des denrées alimentaires pour améliorer les repas et prendre mes médicaments dans de meilleures conditions. Depuis quelques temps, j’ai de plus en plus souvent des maux de tête. J’en fais part à l’infirmière qui me dépose en cellule chaque semaine mes médicaments. Elle m’a posé quelques questions et m’a inscrit pour l’ophtalmologue. D’après elle, mes maux de tête sont dus à la fatigue de mes yeux. Le problème, c’est qu’une fois que l’on te prescrit une paire de lunettes, tu attends 3 ou 4 mois avant de les avoir. Sauf si tu les fais faire dehors. Je n’ai vraiment pas de pot avec ma santé. Je ne suis pas encore sur un brancard mais à ce rythme là, il va vraiment falloir que je fasse attention. Un matin, en rentrant d’un parloir, je croise un gars, d’environ 35 ans, d’une maigreur incroyable, qui passait juste devant moi. Le garçon était tellement maigre, avait l’air tellement mal qu’il marchait le long des murs pour s’y tenir. Personne ne l’aidait à marcher. Et ce n’était pas du cinéma. Cela se voit quand une personne arrive au bout, n’en peut plus. Tout le monde le regardait avec ce regard de pitié, ou de pestiféré. J’avais passé la grille, je ne pouvais plus lui demander s’il voulait de l’aide. C’était une vision d’horreur. Ce gars a sa place à l’hôpital, pas en prison. Pourquoi lui fait-on subir cela ? Ce que j’ai vu là est un scandale. A l’hôpital, les prisonnier(e)s ne sont pas toujours respecté(e)s. J’ai eu une consultation à Cochin, l’hôpital dont dépend la Santé. Menottes et entraves, je suis allé faire un examen pour ma circulation sanguine, une échographie. Je suis tombé sur un médecin qui ne m’a pas même adressé la parole une seule fois. Même pas pour me dire « bonjour ». Sa seule phrase « retirer chaussures, chaussettes et pantalons, puis allongez vous là ». Il devait sûrement être impressionné par les menottes, les entraves et les quatre gardes du corps avec gilet par balles (l’escorte de surveillants habituelle). Ou alors, pensait-il peut-être qu’à l’égard d’un détenu, les principes de politesse étaient strictement interdits ? J’ironise ! Je suis parti de l’hôpital comme je suis venu : sous le regard de tout le monde, qui se demandait quel « grand crime » j’avais bien pu commettre. Le lendemain, nouvelle extraction médicale, même escorte. Là, le médecin, après une demi heure à dévoiler mon dossier médical devant l’escorte (et le secret médical alors ?), me demande de lui présenter ma main où est située ma lésion cancéreuse. Je lui signale que je ne peux pas car je suis menotté dans le dos. Le médecin n’avait même pas remarqué que j’étais menotté et entravé. Il ne demande pas qu’on me retire les menottent et vient se placer dans mon dos pour regarder ma main. Au retour, l’escorte m’a dit qu’eux aussi avaient été choqués de l’attitude du médecin. Ne jamais lâcher, se décourager. Je m’accroche, je me bats. Le comble pour une personne touchée par le SIDA, c’est de rester positif. Humour... Didier [1] VIH Virus de l’Immunodéficience Humaine [2] VHC Virus hépatite C |