Publié le samedi 27 mai 2006 | http://prison.rezo.net/la-participation-des-personnes/ Résumé : En janvier 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation (2006) 2. Cette Recommandation contient la version révisée des Règles Pénitentiaires Européennes. Une nouvelle Règle - Règle 50 - stipule que les détenus doivent être autorisés et encouragés à discuter des questions relatives à leurs conditions générales de détention avec les administrations pénitentiaires. Dans cet article, j’examine la législation actuelle dans les Etats membres du Conseil de l’Europe qui a rapport à cette question et les réglementations administratives pour la mise en œuvre de la législation. Les résultats de la participation des détenus dans 26 prisons de l’Angleterre et Pays de Galles sont décrits. Le fonctionnement des comités consultatifs de détenus est discuté par rapport aux inspections faites par le Comité pour la Prévention de Torture (CPT) du Conseil de l’Europe. Enfin, je présente les démarches nécessaires pour favoriser l’existence des comités consultatifs de détenus et pour encourager des recherches. English Cette étude a été réalisée dans la perspective du Congrès international pénitentiaire qui s’est tenu, à Barcelone, du 31 mars au 1er avril 2006 et de la conférence organisée, avec Norman Bishop, par le club social-démocrate « DES Maintenant en Europe », le 4 avril à la Maison de l’Europe de Paris. Introduction La Règle 50 est ainsi rédigée : Le Commentaire sur la Recommandation (2006)2 concernant la Règle 50 apportent les précisions suivantes : Autrement dit, la Règle comme le commentaire encouragent la mise en place de moyens de communication qui permettraient aux détenus de porter plainte, d’exprimer leurs points de vue et de proposer des changements dans la vie collective. Seuls les impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité devraient limiter l’application de la Règle. Mais on peut penser qu’il y a une autre limitation. En effet, les recommandations du Conseil de l’Europe ne sont pas contraignantes vis-à-vis des Etats membres. Elles ne sont - comme le titre l’indique - « que » des recommandations. En conséquence, les Etats membres ne sont pas juridiquement obligés de les suivre. Or il faut rappeler que la Recommandation a été soigneusement élaborée par un comité d’experts, a ensuite été examinée par le Comité européen pour les problèmes criminels puis par le Comité des Ministres dans lequel les quarante-six Etats membres du Conseil de l’Europe sont représentés par leurs ambassadeurs. Ils ont adopté la Recommandation (2006) 2 à l’unanimité. Après une telle procédure, il est de la responsabilité des Etats membres de donner suite aux propositions de la Recommandation. Il convient de rappeler aussi que les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ont mis au jour des faiblesses et des carences dans l’administration des prisons de tous nos pays. La Règle 50 souligne que les critiques des mauvaises conditions de détention et les suggestions pour leur amélioration ne devraient pas être une prérogative limitée aux inspections des comités de surveillance nationaux ou internationaux. Les détenus aussi ont des raisons tout à fait légitimes de présenter leurs points de vue sur ces questions. La définition de la participation des détenus à leur vie collective en prison Besoin d’informations plus complètes C’est donc en gardant à l’esprit que les savoirs en ce domaine restent lacunaires que je voudrais commencer par décrire quelques-unes des législations, politiques administratives et pratiques qui touchent la question des comités de détenus dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Législation La disposition de la loi finlandaise, en la matière, est assez restreinte : « Il peut être permis aux détenus de se réunir sous surveillance pour planifier les loisirs ou de traiter de questions concernant la vie commune » [2]. L’Article 74 de la loi néerlandaise sur les principes pénitentiaires énonce que le directeur d’une prison doit s’assurer que des consultations régulières concernant les questions concernant directement la détention [3] ont lieu avec les détenus. Un mémorandum explicatif indique, sans détailler la chose, que la mise en oeuvre des consultations varie selon les différentes prisons et la catégorie des détenus qui y sont incarcérés. Une nouvelle loi belge sur l’emprisonnement [4] exige « la création d’un organe consultatif et structurel comprenant des représentants des détenus » pour créer « un climat de consultation » dans les prisons. Le modus operandi de cet organe sera élaboré, par la suite, par un décret royal. La loi de la République Fédérale d’Allemagne se réfère à la notion de « co-responsabilité ». L’Article 160 stipule qu’il « devrait être rendu possible que les détenus participent, en co-responsabilité avec l’administration pénitentiaire, aux questions de fond relatives à l’intérêt collectif relativement à la nature et à la mission de la prison concernée ». Cette disposition définit le but important de la législation, c’est-à-dire le partage de responsabilité. Cependant, la mise en œuvre de la loi reste entre les mains des gouvernements des Länder. D’après mes informations, beaucoup de prisons n’ont pas de comités de détenus malgré la formulation par certains gouvernements des Länder d’instructions précises. Lorsque ces comités existent, des réunions avec le directeur de la prison ont lieu tous les deux mois et les sujets abordés concernent surtout l’alimentation et les activités de loisir. Il est interdit de discuter des membres du personnel, des détenus individuels ou des questions de sécurité [5]. Il serait intéressant d’en savoir plus concernant les Länder qui encouragent la création des comités de détenus, et d’approfondir notamment la question de savoir s’il y a des critères d’exclusion de certaines catégories de détenus de ces comités ainsi que des débats relatifs à leur fonctionnement. La loi suédoise sur le traitement des détenus stipule que « les détenus ont le droit de discuter, sous une forme appropriée, avec l’administration locale les questions d’intérêt commun. Ils ont aussi le droit d’organiser, sous une forme appropriée, des réunions entre eux pour discuter ces questions. Un détenu qui est séparé des autres détenus peut participer à de telles réunions à la condition que sa participation n’entraîne pas d’inconvénient (drawback) » [6]. La loi espagnole sur le traitement des détenus consacre le Chapitre 6, Articles 55 - 61 à régler en détail les élections des comités de détenus et leur façon de fonctionner. Les consultations ont lieu avec les comités de détenus dans chaque quartier de la détention. Les fonctionnaires transmettent les suggestions des comités au directeur. Les questions qui peuvent être discutées sont limitées à la religion, au travail, aux activités culturelles et sportives, à l’alimentation. Cependant, le Conseil des Directeurs des Prisons peut étendre le champ des discussions. Il serait intéressant de savoir si cette extension a effectivement lieu, et, si oui, sur quelles questions. Les détenus qui subissent une sanction disciplinaire pour des infractions graves ne sont pas éligibles aux élections des comités et le Conseil des Directeurs des Prisons peut suspendre toute consultation en cas de perturbation dans la prison. Il serait intéressant de savoir si le Conseil des Directeurs des Prisons a étendu le champ des discussions ou s’il a décidé de limiter leur opération. La loi danoise sur l’exécution des peines (Sentence Enforcement Act) énonce en introduction la raison d’être des comités de détenus et, par la suite, les conditions fondamentales de leur fonctionnement : Ainsi, bien que limitée, l’enquête révèle l’existence de législations dans un certain nombre du pays membres du Conseil de l’Europe qui autorisent la création de comités de détenus. Il est toutefois évident que ces législations varient beaucoup concernant la spécificité des dispositions énoncées. Ceci soulève une question préalable : quelles sont les dispositions essentielles dans la législation propices à promouvoir ces formes de communication entre les détenus et l’administration pénitentiaire ? Plus spécifiquement, dans quelle mesure il est souhaitable d’inclure des dispositions qui Politique et réglementations administratives Les dispositions d’un Ordre Exécutif pour la mise en œuvre des comités de détenus établi par l’administration centrale danoise (2001) sont extrêmement détaillées et à mon avis, réalistes. Les directeurs des prisons sont contraints de discuter régulièrement avec les représentants élus et d’enregistrer le contenu de ces discussions. De plus, les directeurs peuvent entreprendre d’autres réunions avec l’ensemble des détenus mais de telles réunions ne doivent pas remplacer la procédure formelle sauf si les détenus d’une prison particulière ne souhaitent pas élire des représentants. Ces représentants doivent bénéficier d’un temps suffisant et être rémunérés afin qu’ils puissent rencontrer les détenus qu’ils représentent. Les représentants peuvent avoir des suppléants élus. Les directeurs des prison sont contraints de définir des règles sur le nombre des représentants, la fréquence des élections, l’élection éventuelle d’un représentant commun qui serait élu par les autres représentants ou par l’ensemble des détenus, la fréquence des réunions entre représentants et la direction de la prison, ainsi que sur la question de savoir si les consultations auront lieu avec la direction pour la prison dans toute son étendue ou avec les sous directions responsables pour les différents quartiers de la prison. Il faut que les règles soient définies en collaboration avec l’association du personnel et les représentants, ou, s’il n’y en a pas, avec l’ensemble des détenus. L’Ordre Exécutif contient aussi des dispositions qui autorisent les directeurs à suspendre et les droits des représentants et les procédures de consultation « si une telle action s’avère nécessaire pour les raisons très particulières », par exemple, si un représentant est exclu de l’association avec les autres détenus suivant l’Article 63 de la loi sur l’exécution des peines. Cette Section autorise l’exclusion d’un détenu de l’association pour empêcher une évasion ou en raison de sa participation à des activités criminelles, violentes ou problématiques. Les instructions circulaires ou autres documents sur les politiques de l’administration pénitentiaire ont une grande importance pour la mise en pratique de la loi. L’usage large et réaliste des procédures de consultation ne peut pas s’effectuer sans des instructions ou des principes qui exigent, ou au moins encouragent fortement leur adoption tout en formulant les principes fondamentaux de leur mise en œuvre. A mon avis, l’Ordre Exécutif danois constitue un exemple admirable de ce que doit se trouver dans une instruction circulaire. Quelques autres exemples de l’usage des comités consultatifs de détenus R. Walmsley constate dans son rapport [7] que la notion de comité de détenus « semble fonctionner en plusieurs endroits, certainement de façon incertaine dans sa forme et ses effets, mais je pense que ces procédures existent même dans d’autres pays de la région, au moins dans une ou deux prisons et plus largement là où elles sont spécialement encouragées par l’administration centrale [8]. » Il serait intéressant d’étudier plus précisément cette dernière dimension. Il est encourageant d’apprendre que les pays de l’Europe centrale et orientale ont commencé à autoriser les comités de détenus. Mais il semble que cet usage soit limité à quelques établissements spécifiques et qu’il n’ait pas fait l’objet d’une action législative et administrative ferme visant à assurer un changement significatif dans le fonctionnement du système pénitentiaire. La vulnérabilité des procédures consultatives dans un établissement particulier aux changements de directeur s’applique aussi bien pour les systèmes pénitentiaires des pays de l’Europe centrale et orientale que dans les pays d’Europe de l’Ouest. Les comités consultatifs de détenus en Angleterre, la pratique et la recherche Une organisation non gouvernementale, La Fondation pour la réforme des prisons (Prison Reform Trust) a identifié en janvier 2001 vingt-sept prisons avec des comités de détenus en fonction [9]. Sept de ces prisons ont été visitées entre mars et août 2003 et des entretiens avec les représentants des détenus et le personnel engagé dans les consultations ont été réalisés. Les établissements étaient très divers et comprenaient une prison pour femmes, une prison pour jeunes adultes et plusieurs prisons avec un grand nombre de détenus. Un des derniers établissements hébergeait plus de mille détenus. Le questionnaire employé pour les entretiens était envoyé aux vingt autres prisons ; dix-neuf ont répondu. Les questions posées concernaient les procédures de travail des comités, les sujets traités dans les réunions et les effets concrets du dispositif sur la vie en prison. Je présente brièvement quelques résultats importants de l’étude [10]. Comment les comités consultatifs sont-ils constitués ? Qui décide de l’ordre du jour ? Quels sont les sujets traités ? Comment les décisions sont-elles été prises ? Certains comités ont fait remarquer que les comités ne sont pas autorisés à prendre les décisions, mais seulement à présenter le point de vue des détenus à l’administration. Cependant, même si le pouvoir de décision revient à la direction, il apparaît que la qualité des décisions prises est meilleure, et ce grâce aux discussions et avis des comités. Une fois les décisions prises, celles-ci sont enregistrées et font l’objet d’un suivi lors des réunions ultérieures. Cette formalisation de la responsabilité des comités a permis de ne pas réduire les comités à des « cafés du commerce » (talking shops). L’existence et le fonctionnement des comités consultatifs a-t-il un impact concret sur la vie en prison ? Quels sont les facteurs qui facilitent l’effectivité de l’activité des comités consultatifs de détenus ? Quels effets néfastes ont été observés par les chercheurs ? Effets bénéfiques observés par les chercheurs Programmes de traitement et comités consultatifs de détenus Organes internationaux et comités consultatifs de détenus Dernières réflexions Quelles sont les démarches essentielles pour favoriser le développement souhaitable de ces comités ? Voici quelques suggestions : Remarque ultime Mary Tuck, aujourd’hui disparue, argumenta dans un essai passionnant que, même si les prisons existent encore longtemps, la détention seule jamais ne corrigera les détenus. Elle rappelle la sagesse d’Aristote qui enseigna que les hommes apprennent les vertus par la participation, à travers les usages sociaux à la vie en communauté [15]. Sa conclusion était qu’« une société qui veut éviter les délits et les crimes doit encourager les institutions communautaires et naturelles par lesquelles les hommes entrent dans les relations réciproques. Et si on veut dissuader les hommes de commettre des délits et des crimes, il faut qu’ils s’engagent d’une façon ou d’une autre dans les usages sociaux d’une communauté qui fonctionne bien ». Bibliographie Conseil de l’Europe, Recommandation (1997) 12 sur le personnel chargé de l’application des sanctions et mesures, Strasbourg. Conseil de l’Europe, Recommendation. (2006) 2 sur les Règles Pénitentiaires Europénnes, Strasbourg. Kriznik I., 1996, The Slovene socio-therapeutic model of imprisonment, Trends in Prison Design, Budapest Landerholm-Ek A-C., 1976, On change in prison, Report No. 17, Research & Development Unit, Swedish Prison & Probation Administration, Norrköping. Levenson J. and Farrant F., 2004, Barred citizens, Prison Reform Trust, London McGuire J., (Editor), 1995, What works ? Reducing re-offending, John Wiley & Sons, Chichester Solomon E. and Edgar K., 2004, Having their say : The work of prisoner councils, Prison Reform Trust, London Tuck M., 1988, The future of corrections research, Current international trends in corrections, edited by David Biles, 93-100, The Federation Press, Sydney Walmsley R., 2003, Further developments in the prison systems of central and eastern Europe : Achievements, problems and objectives, 176, European Institute for Crime Prevention and Control affiliated with the United Nations (HEUNI). Source Auteur [1] Quand je travaillais comme directeur des prisons en Angleterre, j’ai fait usage des comités de détenus dans deux prisons pour les jeunes adultes. Voir « Group work at Pollington Borstal », Bishop, N., Howard Journal Vol. X, 1960. En Suède j’étais responsable d‘un projet de recherche sur une expérience de transformation d’une prison en une communauté thérapeutique modifiée. Voir « On change in prison », Landerholm-Ek, A-C., Rapport No. 17, Section pour les recherches, Administration Pénitentiaire et Probationnaire, Norrköping 1976 [2] Cette disposition se trouve dans la nouvelle loi qui entrera en vigueur le 1 octobre 2006 [3] Communication personnelle de M. Hans Tulkens, ancien Directeur général de l’administration pénitentiaire néerlandaise [4] La loi a été adoptée du Parlement belge, mais n’a pas entrée encore en vigueur [5] Communication personnelle de M. Bernhard Wydra, ancien Directeur du Centre de Formation de l’Administration Pénitentiaire de Bavière et actuellement expert pour le projet du Conseil de l’Europe en Turquie, « Développement des Ressources Humaines » [6] Article 36 de la loi sur le traitement des détenus en prison (Prison Treatment Act) 1998 [7] Communication personnelle de Roy Walksley, chercheur a HEUNI. Voir aussi Walmsley, R., (2003) [8] Nous soulignons [9] Voir Levenson, J. et Farrant, F, « Barred Citizens », Prison Reform Trust, London 2000 [10] Voir « Having their say : The work of prisoner councils », Solomon, E. et Edgar, K. Prisons Reform Trust, London 2004 [11] Il y a une vaste littérature sur ce sujet, surtout dans les publications du Service Correctionnel du Canada. Un bon sommaire en anglais des recherches et la pratique se trouve en McGuire (1995) [12] Voir Kriznik (1996) pour un rapport instructif sur la participation des détenus et les méthodes pour les faire face à leur criminalité. Le rapport décrit non seulement les bases théoriques des programmes de traitement mais contient des bons conseils pratiques sur la façon de conduire les réunions participatives [13] Communication personnelle de M. Trevor Stevens, Secrétaire Exécutif du CPT [14] La Recommandation No. R (97)12 sur le personnel chargé de application des sanctions est très valable dans ce contexte. Elle traite inter alias le recrutement, la formation initiale et continue, les responsabilités gestionnaires et les impératifs éthiques [15] Voir Tuck, M. (1988) |