Publié le jeudi 29 juin 2006 | http://prison.rezo.net/2007-affaire-price-c-royaume-uni/ TROISIÈME SECTION AFFAIRE PRICE c. ROYAUME-UNI ARRÊT DÉFINITIF 10/10/2001 En l’affaire Price c. Royaume-Uni, PROCÉDURE 2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représentée devant la Cour par Me P. Bloom, avocat à Spilsby, Lincolnshire. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme H. Fieldsend, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth. 3. La requérante alléguait la violation de l’article 3 de la Convention du fait de son emprisonnement et du traitement subi pendant sa détention. 4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole). Elle a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. 5. Par une décision du 12 septembre 2000, la chambre a déclaré la requête recevable [Note du greffe : la décision de la Cour est disponible au greffe]. 6. La chambre ayant décidé après consultation des parties qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 2 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre. EN FAIT 8. Etant passée en jugement dans l’après-midi du 20 janvier 1995, l’intéressée ne put être transférée en prison avant le lendemain et passa la nuit dans une cellule au poste de police de Lincoln. Cette cellule, meublée d’un lit en bois et d’un matelas, n’était pas adaptée aux besoins d’une personne handicapée. La requérante allègue qu’elle a été obligée de dormir dans son fauteuil roulant car le lit, qui était dur, lui aurait provoqué des douleurs aux hanches, qu’elle n’a pas pu atteindre les sonnettes d’appel et les interrupteurs, et qu’elle n’a pas pu utiliser les toilettes dont le siège était plus haut que son fauteuil roulant et donc inaccessible. 9. Il ressort du registre de garde à vue qu’à son arrivée, à 19 h 20, la requérante informa le policier de permanence qu’elle souffrait de problèmes rénaux et d’une infection récidivante de l’oreille mais qu’elle n’avait pas besoin de médicaments ou de voir un médecin. A 19 h 50, elle refusa un repas et une boisson chaude. A 20 h 50, elle se plaignit d’avoir froid et un policier l’enveloppa dans deux couvertures. Lorsqu’on repassa la voir à 21 h 15, l’intéressée se plaignit encore d’avoir froid. A 21 h 35, étant donné qu’elle avait toujours froid, ce qui lui avait causé des maux de tête, on l’enveloppa dans une autre couverture. On lui offrit une boisson chaude qu’elle refusa. A 22 heures, elle dormait, mais vers 22 h 50, elle était éveillée et se plaignit encore d’avoir froid ; elle refusa de nouveau une boisson chaude. A 23 h 15, elle demanda à voir un médecin, qui arriva à 23 h 50. Les notes du médecin relatives à l’examen de la requérante, auquel il procéda à 0 h 35, se lisent ainsi : 10. Selon le registre de garde à vue, la requérante dormit jusqu’à 7 heures ; elle fut ensuite déplacée dans une autre cellule et on lui proposa de la nourriture et une boisson qu’elle refusa. A 8 h 30, elle fut conduite à la prison pour femmes de New Hall, à Wakefield, où elle demeura jusque dans l’après-midi du 23 janvier 1995. 11. Elle ne fut pas détenue dans une cellule normale, mais au centre médical de la prison. Sa cellule avait une porte plus large permettant le passage d’un fauteuil roulant, des poignées dans le coin des toilettes et un lit médical hydraulique. A son arrivée à la prison, la requérante remplit un questionnaire médical. Elle déclara avoir des problèmes de santé qu’elle « maîtris[ait] - vi[vait] au jour le jour ». Mme Broadhead, l’infirmière qui contresigna le questionnaire, constata : 12. La requérante fut examinée par le docteur Kidd, dont les notes se lisent ainsi : besoins : absorption de liquides 13. Un dossier médical fut tenu « en continu » durant la détention de la requérante. La première mention datant du 21 janvier 1985 se lit ainsi : 1. L’intéressée doit être portée pour être mise au lit et pour en sortir ; elle affirme qu’une personne se tenant derrière elle la soulève généralement par la taille pour la mettre sur le lit ou sur son fauteuil roulant. 2. A son domicile, elle dispose d’une installation fonctionnant par compression qui lui permet d’entrer dans la baignoire et d’en sortir. Si elle ne prend pas un bain tous les jours, elle risque d’avoir des lésions cutanées à l’endroit où son pied repose sur sa « jambe ». 3. En raison d’infections urinaires récidivantes, elle devrait boire deux litres de liquide par jour, mais elle consomme généralement des jus et n’aime pas l’eau ; nous réduirons donc probablement son absorption de liquides. Après réflexion, M. Ellis a décidé que si nous trouvions une place adéquate pour Adele dans un hôpital extérieur, il autoriserait son transfert, mais l’intéressée ne souffre d’aucune maladie nous permettant de la faire admettre à l’hôpital. Le docteur Kidd réexaminera Adele demain car il pense qu’elle risque une infection urinaire. » 14. Les infirmières qui s’occupèrent de la requérante tinrent pendant toute la durée de sa détention un dossier, dont l’inscription pour la nuit du 21 janvier 1995 est ainsi libellée : 15. La requérante allègue que, dans la soirée du 21 janvier 1995, une gardienne de prison l’a mise sur les toilettes où on l’a ensuite laissée pendant plus de trois heures, jusqu’à ce qu’elle accepte qu’un infirmier l’essuie et l’aide à descendre des toilettes. Le Gouvernement soutient que le 21 janvier 1995 seule une infirmière, Mme Lister, était de service et que celle-ci a fait appel à deux membres masculins du personnel, le gardien-chef Tingle et le gardien Bowman, qui l’ont aidée à soulever la requérante et ont quitté la pièce pendant que cette dernière était aux toilettes. L’infirmière a ensuite essuyé la requérante et l’a recouchée. Les observations du Gouvernement n’indiquent pas clairement si MM. Tingle et Bowman étaient des infirmiers ou des gardiens de prison sans qualifications en matière de soins infirmiers. La requérante prétend en outre que, plus tard dans la soirée du 21 janvier 1995, une infirmière qui l’aidait à se rendre aux toilettes l’a déshabillée en présence de deux infirmiers de la prison, l’exposant ainsi, nue de la taille aux pieds, à la vue de ces deux hommes. Le Gouvernement conteste ces incidents. Il souligne qu’avant sa libération la requérante s’est plainte au directeur de la prison de l’absence d’aménagements adéquats, mais n’a pas fait état des éléments susmentionnés. 16. Une infirmière libérale fut employée pour s’occuper de la requérante durant la nuit du 22 au 23 janvier 1995. Les notes du dossier de l’infirmerie concernant le 22 janvier se lisent ainsi : 17. Conformément aux dispositions relatives aux remises de peine figurant aux articles 45 et 33 de la loi de 1991 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 1991), la requérante ne purgea que la moitié de la peine infligée, c’est-à-dire trois jours et demi. Avant que l’intéressée ne fût libérée, le 23 janvier 1995, le docteur Kidd l’examina et estima qu’il fallait lui poser un cathéter parce qu’elle souffrait de rétention urinaire. Le dossier médical comporte les mentions suivantes : 18. Lorsque la requérante fut libérée, un ami vint la chercher à la prison. Elle prétend avoir eu des problèmes de santé pendant dix semaines après son élargissement en raison du traitement subi en détention, mais n’a fourni aucune preuve médicale directe à l’appui de sa plainte. 19. Le 30 janvier 1995, l’intéressée consulta des solicitors en vue d’intenter une action pour faute contre le ministère de l’Intérieur. Elle fut admise au bénéfice de l’aide judiciaire à la seule fin de recueillir l’avis d’un conseil sur le fond et sur le montant des dommages-intérêts qu’elle pourrait percevoir. Dans son avis daté du 6 mars 1996, le conseil signala les difficultés auxquelles l’intéressée risquait de devoir faire face pour prouver ses allégations de mauvais traitements, et renvoya à un arrêt de la High Court (Knight and others v. Home Office and Another, 1990, All England Law Reports, vol. 3, p. 237) selon lequel, vu le manque de ressources, le niveau de soins requis dans un hôpital de prison était inférieur à celui qui était exigé dans une institution extérieure équivalente. A la lumière de cette jurisprudence et eu égard aux difficultés de la requérante à apporter la preuve, le conseil estima que celle-ci avait peu de chances de voir sa demande aboutir et que, même en cas de succès, les dommages-intérêts ne dépasseraient vraisemblablement pas 3 000 livres sterling. Compte tenu de cet avis, le certificat d’aide judiciaire de la requérante fut supprimé le 13 mai 1996. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS « 12.1. Un détenu, qu’il soit condamné à une peine d’emprisonnement ou placé en détention provisoire en attendant son procès ou à un autre titre, peut légalement être incarcéré dans tout établissement pénitentiaire. 2. Le détenu est incarcéré dans un établissement pénitentiaire, selon les instructions périodiquement émises par le ministre, et peut sur les instructions du ministre faire l’objet d’un transfert pendant sa détention. » EN DROIT 22. Le Gouvernement affirme qu’avec le temps, il est impossible d’établir si le juge qui a prononcé la peine a donné ou non une quelconque indication quant au lieu de détention de la requérante, bien qu’il ne soit pas d’usage pour la County Court d’émettre une telle instruction. La police et l’administration pénitentiaire ont une connaissance directe des aménagements dont sont dotés les postes de police et les prisons et il est donc préférable que les tribunaux laissent à ces administrations le soin de prendre les décisions relatives au lieu de détention. Le fait que le juge n’ait pas d’emblée pris en compte les besoins particuliers de la requérante ne saurait en soi constituer une violation de l’article 3, à moins d’un risque réel de mauvais traitements graves, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. 23. La requérante soutient que le juge qui a prononcé la peine n’ignorait pas ses problèmes de santé mais a néanmoins décidé de l’incarcérer, sans s’assurer d’abord de l’existence d’installations adéquates. Au poste de police, elle a été détenue dans le froid, ce qui lui a causé une infection rénale. Sa cellule au centre médical de la prison n’était pas adaptée à ses besoins, comme l’a reconnu le médecin qui l’a examinée au moment de son admission, et les infirmières et les gardiens qui se sont occupés d’elle se sont montrés peu compatissants à son égard et n’ont pas fait grand-chose pour l’aider. Tout au long de sa détention, elle a été victime d’un traitement inhumain et dégradant qui lui a laissé des séquelles physiques et psychologiques. 24. La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. 25. En l’espèce, la requérante, victime de la thalidomide, présente une malformation des quatre membres et souffre de nombreux problèmes de santé, notamment de troubles rénaux. Au cours d’une procédure civile, elle a été condamnée à sept jours d’emprisonnement pour outrage à magistrat (mais a en fait été détenue pendant trois nuits et quatre jours en application des dispositions sur les remises de peine). Il apparaît que, conformément au droit et à la pratique en vigueur en Angleterre, le juge auteur de la sentence n’a pris aucune mesure avant d’ordonner l’emprisonnement immédiat de la requérante - une peine particulièrement dure en l’espèce - en vue de déterminer où elle serait détenue ou de s’assurer de l’existence d’installations adaptées à son grave handicap. 26. La requérante et le Gouvernement présentent des versions divergentes concernant le traitement subi par l’intéressée pendant sa détention ; eu égard au temps écoulé depuis les événements et à l’absence de tout constat des juridictions internes, il est difficile d’établir précisément les faits. Toutefois, pour la Cour, il importe de noter que les preuves littérales présentées par le Gouvernement, notamment le registre de garde à vue et le dossier médical de l’époque, indiquent que la police et l’administration pénitentiaire n’étaient pas en mesure de répondre convenablement aux besoins particuliers de la requérante. 27. L’intéressée a passé sa première nuit de détention dans une cellule au poste de police local en raison de l’heure trop tardive pour la transférer à la prison. Le registre de garde à vue indique qu’elle s’est plainte toutes les demi-heures d’avoir froid - ce qui était grave puisqu’elle souffrait de problèmes rénaux récidivants et ne pouvait se mouvoir pour se réchauffer en raison de son handicap. Finalement, un médecin a été appelé ; il a constaté que l’intéressée ne pouvait pas utiliser le lit et qu’elle devait dormir dans son fauteuil roulant, que les installations n’étaient pas adaptées aux besoins d’une personne handicapée et qu’il faisait trop froid dans la cellule. La Cour relève toutefois que, malgré les constats du médecin, les policiers de service pendant la garde à vue de la requérante n’ont pris aucune mesure pour la faire transférer dans un lieu de détention mieux adapté ou la faire libérer. Au contraire, l’intéressée a dû demeurer dans la cellule pendant toute la nuit, le médecin l’ayant toutefois enveloppée dans une couverture de survie et lui ayant aussi donné des antalgiques. 28. Le lendemain, la requérante a été transférée à la prison de Wakefield, où elle a été détenue pendant trois jours et deux nuits. Les notes portées dans le dossier médical durant la première nuit de détention indiquent que l’infirmière de garde n’a pas pu soulever la requérante toute seule et qu’elle a donc éprouvé des difficultés à l’aider à utiliser les toilettes. La requérante soutient qu’elle a de ce fait subi un traitement extrêmement humiliant de la part de gardiens. Le Gouvernement conteste cette version, mais il semble toutefois manifeste que des gardiens ont été appelés à l’aide pour installer la requérante sur les toilettes et pour l’en redescendre. 29. La Cour constate que le dossier d’admission de la requérante renferme des notes faisant état des inquiétudes d’un médecin et d’une infirmière au sujet des problèmes susceptibles de se poser au cours de la détention de l’intéressée, notamment concernant l’accès au lit et aux toilettes, l’hygiène, l’absorption de liquide, et ses déplacements si la batterie de son fauteuil roulant venait à se décharger. Les inquiétudes étaient telles que le directeur de la prison a autorisé le personnel à tenter de faire admettre la requérante dans un hôpital extérieur. Cependant, il a en fait été impossible de la transférer car elle ne souffrait d’aucune maladie particulière. Lorsque la requérante a été libérée, il a fallu lui poser un cathéter car elle souffrait de rétention d’urines due à l’absorption insuffisante de liquide et aux difficultés qu’elle avait à se rendre aux toilettes. L’intéressée prétend avoir eu des problèmes de santé pendant dix semaines après sa détention, mais n’a fourni aucune preuve médicale à l’appui de ses allégations. 30. En l’espèce, rien ne prouve l’existence d’une véritable intention d’humilier ou de rabaisser la requérante. Toutefois, la Cour estime que la détention d’une personne gravement handicapée dans des conditions où elle souffre dangereusement du froid, risque d’avoir des lésions cutanées en raison de la dureté ou de l’inaccessibilité de son lit, et ne peut que très difficilement aller aux toilettes ou se laver constitue un traitement dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. Dès lors, elle conclut à la violation de cette disposition en l’espèce. II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION A. Dommage 32. La requérante soutient que les mauvais traitements subis pendant sa détention lui ont laissé des séquelles émotionnelles et psychologiques ; elle demande à la Cour de lui allouer 50 000 livres sterling (GBP) pour préjudice moral. 33. Le Gouvernement fait valoir que la demande de la requérante est exorbitante et disproportionnée, étant donné en particulier que l’intéressée n’a soumis aucun élément de preuve à l’appui de ses allégations selon lesquelles elle continuerait à souffrir d’un traumatisme. Il estime qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. 34. Eu égard à ses conclusions ci-dessus relatives au mauvais traitement subi par la requérante, la Cour estime que l’intéressée a souffert en raison de sa détention un certain préjudice moral que ne saurait compenser le seul constat d’une violation (arrêt Peers précité, § 88). Pour déterminer le montant de l’indemnité, la Cour tient notamment compte du fait que le mauvais traitement ne visait pas à humilier ou rabaisser l’intéressée et que celle-ci a été privée de sa liberté pendant une période relativement courte. Dès lors, elle octroie 4 500 GBP de ce chef. B. Frais et dépens 36. La Cour juge raisonnable le montant réclamé par la requérante pour frais et dépens et le lui alloue en totalité, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, moins les sommes déjà versées par le Conseil de l’Europe dans le cadre de l’assistance judiciaire. C. Intérêts moratoires 37. Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal applicable au Royaume-Uni à la date d’adoption du présent arrêt est de 7,5 % l’an. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ, 2. Dit 3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes : J.-P.C. |