Publié le lundi 20 novembre 2006 | http://prison.rezo.net/2-les-gens-du-voyage-incarceres/ DEUXIEME PARTIE Les Gens du Voyage incarcérés Premier chapitre. La confrontation aux institutions A. La construction d’un rapport de forces avec la société des Gadjé. 1. Les institutions comme espaces de rencontres et de confrontations Les Voyageurs, population hétérogène dans sa composition et comprenant des familles avec des ressources dissemblables, constituent un groupe culturel à part entière sur le territoire et dans la société française. Les différents traits culturels des Tsiganes se manifestent et s’affirment souvent à l’épreuve des conflits et des rapports de force qui se font jour dans leurs relations avec la société sédentaire. Au quotidien, dans beaucoup des actions qu’ils entreprennent, les Voyageurs rencontrent des sédentaires. L’activité professionnelle est le lieu privilégié de ces rencontres, avec l’acheteur qui est souvent un sédentaire par exemple, mais il peut aussi s’agir des gestionnaires des terrains d’accueil, des travailleurs sociaux intervenants sur ces mêmes terrains ou alors de l’institutrice de l’école dans laquelle les enfants sont scolarisés. 2. L’école comme lieu symbolique des divergences et des confrontations. La scolarisation des enfants Tsiganes rencontre de nombreuses difficultés qui relèvent à la fois d’ordre matériel (année scolaire souvent incomplète du fait des déplacements), mais aussi et surtout de divergences quant à la finalité que représente cette scolarisation. Dans ce cadre, la scolarisation obligatoire en France jusqu’à 16 ans, est difficilement compatible avec les orientations et les choix éducatifs propres à la communauté des Gens du voyage. Elle est acceptée cependant pour les enfants en bas âge (cela peut être aussi dans le cadre d’une crèche présente en journée sur le terrain), ce qui permet ainsi à la mère d’avoir plus de temps pour elle, notamment pour effectuer ses travaux quotidiens. La scolarisation dans les écoles primaires est assez importante, bien que soumise aux aléas des déplacements et des voyages. Elle permet aux enfants d’acquérir, selon les Voyageurs, l’essentiel, c’est-à-dire lire, écrire et compter. Elle permet aussi d’être autonome face aux sollicitations du monde extérieur, comme les organismes sociaux, quand l’occasion se présente. Cela profite aussi à des membres de la famille qui sont analphabètes et qui peuvent compter sur les enfants qui sont allés à l’école. Il n’est pas rare qu’une mère demande à sa fille de lui rédiger un courrier ou de remplir un formulaire administratif. Il est donc manifeste que l’école est vue par les Voyageurs comme un lieu d’acquisition d’un savoir rentable et utile à court terme, car il permet aux enfants d’apprendre rapidement la lecture et l’écriture, et aux parents d’avoir un peu de temps pour eux. 3. Les administrations à vocation sociale. Beaucoup d’associations intervenant auprès des Gens du voyage bénéficient de délégations des Conseils Généraux pour prendre en charge socialement cette population. Par exemple, l’association Ulysse 35 comprend dans son organigramme deux assistantes de services sociaux (A.S.S) et une conseillère en économie sociale et familiale. Leurs missions comprennent les prestations familiales, l’accès au logement pour les personnes souhaitant se sédentariser... En venant directement sur le terrain, les A.S.S vont à la rencontre des voyageurs. Ceux-ci ne se déplacent pas dans la cité, ne vont pas d’eux-mêmes entamer des démarches et se retrouvent d’une certaine manière en position passive d’attentisme face à des prestations sociales qui viennent à eux symboliquement. C’est le sens du déplacement des A.S.S sur le terrain des voyageurs. À travers la scolarisation des enfants Tsiganes et leur prise en charge par les administrations de prestations sociales, nous remarquons plusieurs traits caractéristiques dans l’attitude des institutions étatiques ou des collectivités territoriales envers les Tsiganes. 4. Citoyens intégrés ou stigmatisés ? Les Tsiganes, en grande majorité citoyens français et donc non reconnus officiellement comme une minorité constituée, dépendent du droit commun en ce qui concerne l’accès aux institutions. Mais comme nous l’avons analysé plus haut, il y a une différence entre les droits théoriques et les réalités de traitement dans la vie quotidienne. . Cela signifie que les décideurs politiques ne reconnaissent pas dans les textes les Tsiganes comme minorité, avec des droits qui pourraient leur être propres, mais comme citoyens français. Le traitement par les institutions est cependant souvent opposé à ces intentions législatives, et les Tsiganes se retrouvent mis à l’écart d’un accès semblable aux autres citoyens. Cela provoque bien évidemment des situations de confrontations parfois violentes avec des fonctionnaires, qui voulant effectuer au mieux leurs missions, établissent et renforcent en réalité un processus de stigmatisation des Voyageurs. B Les Tsiganes incarcérés. Pour les nécessités de cette enquête, j’ai rencontré des Tsiganes ayant été emprisonnés à Rennes, lors de mon stage à l’Association Ulysse 35 et interrogé des Tsiganes incarcérés au Centre Pénitentiaire de Châteauroux. La présentation de leurs profils me semble importante pour connaître les données sur lesquelles je me suis appuyé. Ces indications ont des influences et sont à prendre en compte pour comprendre comment les Tsiganes concernés vivent la détention et s’y adaptent. 1. L’environnement social et familial des Tsiganes interrogés La durée des peines. Le Centre Pénitentiaire de Châteauroux comprend une petite partie Maison d’arrêt (un bâtiment) et trois bâtiments composant le Centre de Détention. S’y retrouvent incarcérés des prévenus, des courtes peines inférieures à un an et des peines plus longues, pouvant durer plus de 10 ans pour certaines. La plupart des peines d’emprisonnement purgées par les Tsiganes varient de quelques mois à quatre années pour la plus longue. Ils se situent donc dans la moyenne des peines exécutées au CP. La nature des infractions commises Les délits pour lesquels les Tsiganes ont été condamnés sont toujours identiques : vols, conduite en état alcoolique, violences sur personnes... Ces délits sont commis envers des sédentaires la plupart du temps, et les vols le sont dans des contextes économiques et professionnels (exemple du vol de ferraille dans les déchetteries...). L’origine géographique Ce CP, anciennement à vocation régionale concernant le Centre de détention, accueille des détenus prévenus ou condamnés à des courtes peines originaires du département ou des départements limitrophes. Cela concerne principalement les affectations à la Maison d’Arrêt. Les détenus Tsiganes incarcérés au CP de Châteauroux sont originaires géographiquement des départements limitrophes ou de la région Centre, quelques-uns viennent de plus loin (ex : de l’Allier). Les professions exercées Les professions exercées sont principalement des professions non déclarées dans le bâtiment. L’abandon des métiers traditionnels des Tsiganes l’est ici pour des raisons économiques, car elles ne sont plus suffisamment rémunératrices. Du fait de leurs revenus non déclarés, le Revenu Minimum d’Insertion (R.M.I) est souvent perçu par ces Voyageurs qui “l’utilisent” comme une aide au logement. En effet, les prestations sociales d’aide au logement (APL par exemple) ne sont pas perçues par les personnes qui vivent en caravane, celle-ci n’étant pas reconnue comme un logement auprès des organismes compétents. Il existe donc deux sources principales de revenus : Les Tsiganes incarcérés au CP de Châteauroux sont originaires de familles qui, à l’instar de la plupart des autres détenus, sont localisées dans l’Indre ou dans les départements limitrophes. Entre nomadisme et sédentarisation. Les Tsiganes rencontrés sont de deux catégories : 2. Connaissance et représentation de l’institution carcérale Anciennement implantées au cœur des villes, les prisons sont alors visibles et appartiennent au tissu institutionnel des cités, tout comme le Palais de Justice, la Préfecture. Elles sont donc localisées par les habitants, et certains mouvements sont repérables, comme les familles qui attendent pour se rendre aux parloirs, ou alors les détenus qui sortent, libérés par une porte plus ou moins discrète.. La prison, une histoire familiale ? Sans revenir aux tristes épisodes de déportation et d’enfermement des populations Tsiganes, il faut rappeler le poids que cela pèse encore au sein des communautés. Et que chaque emprisonnement d’un proche peut, si la famille a eu des membres déportés, faire ressurgir des croyances néfastes. Et les croyances sont réellement porteuses de sens dans les communautés Tsiganes. L’image renvoyée par les anciens aux plus jeunes Cette donnée est fondamentale à bien des égards : Lors de mes entretiens, j’ai interrogé les Tsiganes sur la connaissance qu’ils avaient de la prison avant leur première incarcération et ce que les membres de leur famille ou que d’autres Voyageurs leur avaient renvoyé. Ce que j’ai compris, c’est que l’image de la prison est somme toute assez négative, mais les raisons invoquées sont plus importantes : Une contradiction fondamentale : on ne peut enfermer des Voyageurs L’enfermement est incompatible avec l’idée de liberté (de déplacements, de mouvements...) des Voyageurs. Pour beaucoup d’entre eux, avant toute chose, c’est ce qui revient en premier lieu. C’est donc sur un terrain symbolique, celui des valeurs défendues et revendiquées, que se situe le grief que cause l’incarcération d’un Voyageur. Pour eux, enfermer un sédentaire peut avoir du sens car ceux-ci sont déjà “habitués à ne pas bouger”, mais en ce qui les concerne, c’est totalement incompréhensible. “C’est une peine qui n’a pas de sens ” , telle est la rengaine qui revient inlassablement. La peine d’enfermement est considérée comme profondément injuste, ce qui ne signifie pas un discrédit ni une non-acceptation d’une sanction pénale. Ici, c’est l’enfermement qui est dénoncé en tant que tel. Les peines sont trop longues Beaucoup de Tsiganes renvoient aussi l’image de la longueur des peines, mais cette remarque ne se comprend que si on la met en relation avec d’autres éléments qui l’expliquent : La violence des autres détenus et des surveillants Sont souvent évoquées également les relations conflictuelles avec les surveillants et les détenus. Mais d’une façon générale et pas toujours précise, outre la difficulté de se sentir stigmatisés en tant que Tsiganes. La dangerosité des autres détenus. Avec des récits certainement vrais de la part des “anciens” mais avec une part d’approximation et de non-dit, voire pour certains d’affabulation, les Voyageurs qui n’ont jamais été en prison peuvent mettre cela en parallèle avec les problèmes rencontrés avec les sédentaires dans la société. Ainsi, il y a “transfert” des confrontations qui existent avec des sédentaires en milieu libre dans un espace imaginé, la prison, qui selon eux, doit avoir un effet de catalyseur et d’amplificateur de ces confrontations verbales ou physiques. La plupart mentionne la dangerosité supposée de la prison (par peur d’une institution somme toute méconnue), la peur d’une plongée dans un univers hostile à la fois du fait des détenus ne supportant pas la différence culturelle des Voyageurs, et la violence institutionnalisée, incarnée par les surveillants. Le temps de la confrontation réelle, celle de la première incarcération. Lors de la première incarcération, ils sont âgés pour la plupart d’une vingtaine d’année, et c’est souvent la première confrontation à l’institution judiciaire qui est synonyme de garde-à-vue et de placement en détention provisoire. Il y a donc, en quelques heures seulement, une rupture avec l’environnement très structurant de la communauté et une incarcération qui surviennent sans que les processus et mécanismes du fonctionnement judiciaire soient appréhendés et compris. “Perdu au milieu d’une institution inconnue, sans compréhension de son fonctionnement ”, c’est ainsi qu’un Voyageur du CP de Châteauroux m’a résumé ses premières heures d’incarcération. Il y a un refuge dans la solitude, rompu uniquement par la rencontre avec d’autres Voyageurs ou lors des premiers parloirs. L’incarcération est synonyme de rupture avec la famille (proche et élargie), c’est la première chose signalée et évoquée par les détenus. L’importance de la famille dans la culture Tsigane est tellement fondatrice et capitale qu’une telle réponse ne surprend pas. Le sentiment de solitude qui arrive dès les premières heures est explicable par l’absence de l’entourage familial et amical, mais également comme cela est souligné, par le fait de se retrouver enfermé dans une institution que l’on connaît à travers les expériences vécues par les membres de la famille ou des relations. L’image véhiculée et la conception à priori que les personnes incarcérées ont de la prison sont confrontées à la réalité de l’enfermement. Cette “plongée” dans la réalité carcérale provoque une sensation de solitude et d’incompréhension d’une institution pourtant longtemps évoquée et que ces personnes semblaient théoriquement connaître. Le soutien des autres Voyageurs incarcérés est à ce moment-là mentionné par tous les détenus qui en ont rencontré. Un vrai soutien moral et psychologique se manifeste, et les “anciens” incarcérés permettent aux “nouveaux” de se familiariser avec les rites et habitudes de l’établissement. L’adaptation se fait alors rapidement, et le Tsigane incarcéré récemment peut en quelques jours passer d’un état de solitude à celui d’un détenu plus assuré, maîtrisant l’essentiel des fonctionnements qui lui sont utiles pour une adaptation à la vie carcérale. C. Les adaptations des Tsiganes à l’incarcération Nous allons ici aborder l’étude du comportement des Tsiganes incarcérés, c’est-à-dire les manières dont ils appréhendent le temps carcéral, les fréquentations qu’ils entretiennent avec les autres détenus et les surveillants, l’importance du maintien des liens familiaux et la préservation de ceux-ci. 1. L’occupation du temps, un élément déterminant Sans doute est-ce lié principalement à leur culture du voyage et à l’habitude de vivre à l’extérieur, mais les Tsiganes restent rarement inactifs, ils se doivent d’être actifs, de “faire quelque chose de leurs mains”. Il semble impossible pour eux de ne pas travailler, de ne pas produire des objets. Il ne s’agit pas d’un goût immodéré pour le travail, mais bien d’un pli culturel transmis de génération en génération. Le sentiment de se sentir utile. Le travail en détention : ils sont tous volontaires et assidus. Lors des entretiens que j’ai effectués, j’ai pu remarquer que tous les Tsiganes avaient demandé à travailler, à être “classés” dans les premiers temps suivant leur incarcération, souvent durant les premiers jours. Ils postulent pour tout type de travail, que ce soit dans les ateliers de confection de la R.I.E.P, au service général ou dans les postes d’auxiliaires d’étage. Ils sont généralement classés assez rapidement et très peu d’incidents sont constatés. Ils sont assidus et volontaires. Ils sont rapidement efficaces et adoptent aisément le rythme du travail carcéral. La polyvalence des métiers des Voyageurs est ici un atout déterminant. Les motivations évoquées pour l’exercice d’un travail en prison sont de deux ordres, sans prédominance de l’un ou de l’autre. Les enseignements dispensés en détention : quand la prison remplace l’école. Comme nous l’avons vu en amont, les rapports entre les Voyageurs et l’institution scolaire oscillent souvent entre incompréhension et conflictualité, méfiance et ignorance. Beaucoup de Tsiganes arrivent à l’âge adulte en ne sachant ni lire ni écrire, et ce handicap est souvent contourné dans la vie quotidienne, par la “ débrouille ”. Il faut faire face dans la communauté, ne “ pas perdre la face”. Une fois incarcérés, on remarque une attitude différente envers les enseignements dispensés. Ainsi, nombre de Voyageurs s’inscrivent aux cours de l’établissement, principalement aux cours d’alphabétisation et de remise à niveau. Ils y participent assidûment. Cela peut sembler paradoxal que l’institution scolaire représentée en détention par le Responsable Local de l’Enseignement (R.L.E) et les autres intervenants rencontre, on peut le dire, un écho certain auprès d’un public qui n’a pas forcément une telle conduite à l’extérieur. Il n’y a pas seulement le facteur occupationnel qui entre en ligne de compte comme explication, car l’investissement intellectuel que cela demande est important. Il y a une autre dimension importante. Le quartier socio-éducatif, les activités culturelles ne rencontrent pas de grand succès. L’existence d’un quartier socioculturel au sein d’un Centre Pénitentiaire de Châteauroux peut être un bon indicateur des habitudes de fréquentation des activités culturelles et de la place qu’occupe la culture en détention. Les Voyageurs fréquentent peu le quartier socio-éducatif, notamment la bibliothèque et les diverses activités proposées. Ils n’ont pas l’habitude à l’extérieur d’avoir accès à ces mêmes ressources culturelles qui ne trouvent que peu d’intérêt à leurs yeux. Mais nous devons aussi souligner le peu de place faite à la culture tsigane au sein de ce quartier, ce qui se vérifie par l’absence de livres ou de revues propres à la culture tsigane, contrairement à des ouvrages en langues diverses pour des populations étrangères dans l’établissement. Il existe également peu de références culturelles communes entre sédentaires et Voyageurs, d’où le sentiment pour ces derniers d’être exclus de cette partie de la détention. 2. Les relations avec les autres détenus Cette question est cruciale dans cette étude, pour plusieurs raisons : L’identité Tsigane en prison est-elle cachée ou revendiquée ? Il ne fait guère de doute que les Tsiganes incarcérés sont rapidement identifiés comme tels. Ils sont identifiables grâce à leur façon de s’exprimer (le parler “manouche” se remarque par des expressions ou des mots qui reviennent de façon récurrente), et aussi parce qu’ils entretiennent des rapports privilégiés (mais pas exclusifs) avec les autres Voyageurs présents dans l’établissement. L’identité Tsigane n’est pas revendiquée mais les stigmates de cette identité sont très facilement décelables par les autres détenus. Il semble que la présence tsigane suscite dans un premier temps des réactions teintées de méfiance et de crainte, à l’image de celles qui sont véhiculées par la majorité des sédentaires dans la société. Les représentations franchissent facilement les hauts murs des prisons. Elles se manifestent par une absence organisée de communication, un évitement de rencontres dans les promenades ou les coursives. Cette attitude, aisément perçue par les Tsiganes, ne suscite pas de réactions particulières de leur part. Ils ne vont pas chercher à entrer en contact avec les détenus qu’ils sentent réticents, ils sont en quelque sorte préparés et conditionnés à être exclus dans un premier temps. Certains m’ont tout de même signalé qu’ils ne supporteraient pas d’être pris à partie et que leurs réactions pourraient être violentes. Les Voyageurs sont convaincus que dans de telles circonstances, on évoque leur statut social derrière leur dos, “par derrière”. Les relations avec les détenus sédentaires Une fois les premières étapes passées, les relations se normalisent. Les rencontres se font dans des endroits où l’on ne peut s’éviter, comme les ateliers par exemple. En se fréquentant, les barrières qui s’étaient dressées tombent peu à peu. Les rapports sont cordiaux, sous le signe du respect mutuel. C’est alors, comme me l’a dit S. E, un Tsigane que j’ai rencontré, qu’il accepte d’être interpellé en tant que Voyageur : “Ils me disent “comment ça va le Gitan”, je leur réponds, tout se passe bien.” Tous les détenus interrogés connaissent d’autres Voyageurs dans l’établissement, certains se connaissant depuis de nombreuses années. Les relations entre Voyageurs Les réponses sont unanimes, les Tsiganes fréquentent plus les Tsiganes que les sédentaires. “Mon cousin s’est interposé et il leur a fait comprendre qu’il fallait pas me toucher car j’étais de sa famille”. Les Tsiganes s’accordent à dire que ces relations ne sont pas les mêmes qu’avec les autres détenus, qu’elles sont recherchées et voulues, et permettent collectivement de vivre “mieux dans ce monde dur qu’est la prison”. Soutien et réconfort mutuels sont les deux facettes principales de ces rapports. 3. Les relations avec les personnels de surveillance. Lorsqu’on aborde la question des personnels de surveillance, on remarque les deux grandes catégories de réponse et les deux attitudes opposées que revendiquent les Tsiganes : 4. La famille en détention Nous avons vu l’importance de la structure familiale au sein de la société tsigane. Il est donc important de se questionner sur la place que celle-ci occupe en détention, et quelle place le détenu y trouve. Il ne faut pas oublier que c’est le pivot de la famille qui est emprisonné, celui qui fournit les moyens économiques de la subsistance au quotidien, et qui incarne l’autorité. La structure et les rapports de force s’en trouvent temporairement modifiés et le père, en tant que figure centrale, est au centre de questionnements. La nécessité de maintenir les relations familiales Comme nous l’avons vu plus haut, la relative proximité de fait ou provoquée avec les membres de la famille (lorsqu’elles se déplacent près du lieu de détention) va grandement faciliter le maintien des liens familiaux. Ainsi, tous les détenus Voyageurs que j’ai rencontrés ont des contacts hebdomadaires avec leur famille, plus spécifiquement avec leur femme et leurs enfants. Ces contacts sont de trois ordres. Tout d’abord les parloirs. Ceux-ci sont réguliers, et les femmes et les enfants se déplacent toutes les semaines. Ensuite, les contacts téléphoniques, sont eux aussi hebdomadaires. Enfin, nous avons les courriers envoyés et reçus par les détenus, avec comme limite le fait que beaucoup d’entre eux ne savent ni lire ni écrire. L’importance de la place de la famille dans l’exécution de la peine Si le maintien des liens familiaux est une des missions du Conseiller d’Insertion et de Probation, quel est l’impact de ceux-ci sur les personnes incarcérées ? En un mot, qu’est-ce que cela leur apporte ? Deuxième chapitre. Les bénéfices retirés de ces adaptations Après avoir analysé, à travers différentes facettes, les processus d’adaptation, nous allons déterminer les conséquences, pour les détenus, de ces stratégies. En d’autres termes, les bénéfices retirés sur les plans personnel et collectif. Il est évident que face à une institution dont une des deux missions principales est la surveillance de personnes dont on a retiré pour un temps la jouissance de leur liberté, ces mêmes personnes vont avoir des attitudes différentes. La rébellion et le refus de cette condition peuvent en être une, mais plus largement, on observe, et c’est le cas avec les détenus Tsiganes des processus d’adaptation. Ceux-ci répondent à différentes attentes, allant de la volonté de se conformer aux règles de l’institution carcérale à une volonté de transformer le temps de la privation de la liberté en temps bénéfique personnellement. A. Les bénéfices personnels Ne pas se faire remarquer, passer inaperçu : masquer son identité pour se préserver La première remarque que nous pouvons faire, c’est qu’après l’avoir appréhendé l’univers dans lequel il était et le fonctionnement de celui-ci, le Tsigane incarcéré va vouloir faire preuve de discrétion. Plongé au cœur d’un environnement “hostile” par la privation de liberté qu’il représente et par la présence de “gadjés” censés être vindicatifs à son égard, le Tsigane va vouloir passer inaperçu, ne pas se faire remarquer de peur de subir des désagréments verbaux ou des agressions physiques. Il est évident que cette donnée est une conséquence directe des tensions existant au sein de la société française entre sédentaires et Voyageurs et que celles-ci peuvent se reproduire en détention. Il y a donc effacement de l’identité qui n’est pas revendiquée, et lorsque celle-ci se trouve dévoilée volontairement ou non à un moment donné, la méfiance qui d’emblée, guide la conduite des Tsiganes dans leurs relations avec les détenus sédentaires, va prendre le relais. Jusqu’à ce que des relations de confiance se mettent en place progressivement. 1. Répondre aux attentes normatives de l’institution Un établissement pénitentiaire, à l’instar de toute institution d’enfermement, fonctionne avec un règlement intérieur. Celui-ci est le garant du bon ordre, de la sécurité. Il est accessible et doit être connu de tous les personnels mais aussi des usagers qui se côtoient à l’intérieur de l’établissement. Il définit les sanctions prévues si certaines de ses règles sont enfreintes. Nous pouvons dire que se conformer à ce règlement, pour tous les détenus, est une nécessité s’ils veulent que le temps passé en détention ne soit pas synonyme de passage devant la commission de discipline et de sanctions. Mais au-delà de cette adaptation première à un règlement, il y a l’attitude plus large des détenus qui est jugée, sans que celle-ci ne soit officiellement réglementée par des textes administratifs ou juridiques. C’est ce que nous pouvons qualifier “d’attentes normatives” de la part de l’institution et de ses personnels, et ces attentes normatives évoluent d’un établissement à l’autre, même si on retrouve des traits communs. 2. Être fier de ce que l’on fait : “nous sommes capables de faire aussi bien que les autres...”. À travers la participation assez importante des détenus Tsiganes aux activités proposées au sein du Centre pénitentiaire de Châteauroux (le travail, les cours scolaires...), nous pouvons y déceler la volonté de se prouver une capacité à se rendre utiles, et que cela soit visible aux yeux de tous. B. Les bénéfices collectifs À travers les relations entre Tsiganes incarcérés, nous allons étudier les bénéfices qui en sont retirés. En premier lieu, le soutien et le réconfort moral. 1. Le soutien dans une institution d’enfermement Nous avons mis en lumière les ruptures consécutives à l’incarcération. Les ruptures familiales, les ruptures avec la communauté d’origine, la non-compréhension des codes et règlements de cette institution. Les relations qui se créent dans les premiers jours de l’incarcération avec les détenus Tsiganes déjà présents dans l’établissement sont les premières manifestations de la rupture de l’isolement pour les nouveaux arrivants. Elles sont fondamentales car elles permettent un soutien et un réconfort psychologique, par le partage des expériences et du vécu. “Ceux qui ont vécu ça avant moi m’ont dit que ça allait passer. Ils m’ont permis de ne pas craquer.” C’est par ces paroles qu’un détenu Tsigane incarcéré récemment m’a raconté les premiers jours passés au Centre Pénitentiaire. Une fois ces premiers temps passés, l’isolement est peu à peu rompu par la mise en place des activités et du fonctionnement inhérent à la vie carcérale. 2. Se défendre collectivement Une fois le groupe des détenus Tsiganes formé ou reformé en détention, celui-ci va avoir comme rôle la protection et la défense des individus de ce groupe. En effet, nous avons pu remarquer le système de défense à l’œuvre dans les communautés : si un des membres est en difficulté ou est attaqué par un sédentaire, c’est la communauté qui est attaquée et c’est elle qui doit se défendre. Nous allons retrouver les mêmes mécanismes à l’œuvre dans les établissements pénitentiaires. Les Tsiganes se défendent ensemble lorsqu’ils sont mis en défaut en raison de leur identité. Les interpellations quelquefois subies sur un ton provocateur, comme “les manouches, vous êtes tous des voleurs”, appellent des réponses non pas uniquement de l’individu visé, mais de l’ensemble des Tsiganes qui sont présents au moment de cet incident. Et ce sont les plus anciens dans l’établissement ou alors les aînés qui interviennent en premier lieu. Ce qui est vrai quand il s’agit des relations avec les détenus sédentaires l’est aussi avec les personnels. Un des exemples les plus significatifs pour moi est la gestion officieuse des détenus Tsiganes en détention. Lors de mon stage à la Maison d’arrêt de Rennes, j’ai vu les surveillants appeler l’oncle d’un détenu Tsigane qui avait un comportement violent pour qu’il réussisse à calmer son neveu. En s’appuyant ainsi sur l’autorité infra communautaire, les personnels de surveillance considèrent les individus Tsiganes comme un groupe homogène avec une forte capacité d’autorégulation. La défense collective se traduit ici par la capacité des Voyageurs à prévenir d’une certaine manière des comportements sanctionnables en détention par un contrôle des individus de la communauté. Avec, bien entendu, l’appui du personnel de surveillance qui fait ici preuve de clairvoyance en privilégiant le dialogue et la négociation plutôt que l’unique sanction. |