Publié le mardi 27 février 2007 | http://prison.rezo.net/14-chap2-1-ii-b-une-effectivite/ B - Une effectivité limitée de cette mesure 1 - Une application limitée de la loi a - Les chiffres b - Les inf luences extérieures D’autre part, l’influence de la société et particulièrement celle des victimes est notable. La volonté de vengeance de ces dernières influence-t-elle les rétrécissements successifs de la mesure ? Il semble que la réponse soit positive. Dans une société où la victime occupe une place de plus en plus importante dans le procès pénal, son influence sur l’exécution de la peine semble logique, même si cela déroge aux règles générales de la procédure pénale. Il faut rappeler que notre système pénal fonctionne sur le principe de la non-ingérence de la victime dans le procès pénal, sauf en cas de constitution de partie civile. En se déclarant comme telle, la victime ne devient cependant pas l’opposant direct de l’accusé, mais soutient seulement l’action publique, pouvant seule être exercée par le parquet. Cette action peut être mise en mouvement par le parquet ou par la victime, mais ne pourra être exercée que par le ministère public [15] seul. Ce principe a pour fondements d’une part la mission de l’Etat de faire respecter la loi et veiller au maintien de l’ordre public [16] et d’autre part le refus de la vengeance personnelle des victimes à l’encontre de leur agresseur. Cependant, aujourd’hui la victime semble être de plus en plus présente au cours du procès pénal, mais également dans le cadre de l’aménagement de la peine d’un condamné. Le Code de procédure pénale contient ainsi une disposition permettant au Juge de l’application des peines de prendre en compte les intérêts de la victime avant de prononcer une mesure de suspension de peine ou de libération conditionnelle [17]. Le juge a également à sa disposition des mesures lui permettant de protéger la victime. Le condamné bénéficiant d’une suspension de peine pourra se voir interdire la fréquentation de certains endroits ou le contact avec certaines personnes et notamment la victime elle même [18]. Un exemple récent a montré l’influence des victimes dans l’exécution de la peine. Il s’agit de la réincarcération d’un condamné (D.Tallineau) ayant bénéficié de cette mesure de suspension et ayant été réincarcéré après plusieurs plaintes de la part des parents de victimes [19] et après de nouvelles expertises médicales demandées par le garde des sceaux. Les victimes ont écrit au Garde des sceaux pour évoquer leurs peurs et mécontentement de voir le meurtrier de leur enfant libre. Ils ont également évoqué le risque de récidive de cet individu et la proximité de son lieu de vie avec le leur [20]. Les deux nouvelles expertises demandées par l’ancien garde des sceaux Monsieur Perben avaient conclu à l’incompatibilité de son état de santé avec son incarcération, la peine restait alors suspendue. 2 - Une fermeture progressive de la mesure a - Le caractère rétroactif de la loi 12/12/2005 b - Une épuration progressive du texte d’origine [1] 448 DELATTRE (B.), souffrir, dépérir puis mourir en prison, in La libre Belgique, 15/09/2005 « [...] Depuis le vote de cette loi, en 2002, moins d’une requête de suspension de peine pour raison médicale sur deux a été accordée. [...] » [2] Maurice Papon n’a cependant pas été le tout premier à bénéficier de cet aménagement de peine. En ce sens, JAP Toulouse 23/05/2002, n° de décision 2002/00269, http://www.legifrance.gouv.fr/ [3] http://www.robertbret.org/article.p... [4] http://www.syndicat-magistrature.or... [5] http://www.actupparis.org/article22... [6] Article 720-1-1 du Code de procédure pénale [7] RETESSE (A.), Sort des détenus : l’Etat impitoyable...sauf pour Papon, « [...] La loi s’applique d’une façon dure et inhumaine... sauf apparemment quand on s’appelle Papon. [...] » [8] POISSON (J.C), Etat de santé incompatible avec la détention, « [...] Aujourd’hui Le Floch Prigent, hier Alfred Sirven ou André Taralo, avant-hier Maurice Papon : le droit à la santé invoqué par les homes d’Etat et leurs avocats surpuissants comme ultime champ procédurier pour se soustraire à la prison a ceci d’insultant pour la démocratie que, d’une part il leur est presque exclusivement réservé, comme inventé pour eux, et que, d’autre part, l’état apocalyptique du système de santé en détention et de l’indifférence générale dans laquelle il s’effondre de jour en jour le révèlent comme instrument objectif du châtiment. [...] » [9] MAÏ (F.), Nathalie Ménigon : l’oisillon décharné, « [...] Elle (N. Ménigon) se perd dans une souffrance journalière, paralysant son corps et son cerveau au son de l’indifférence orchestrée d’un Etat à la vengeance implacable. [...] » [10] GUIBERT (N.), ZOUMMEROFF (P.), La prison, ça n’arrive pas qu’aux autres, éd Albin Michel, 2006, p [11] Suspension de peine : triste anniversaire !, « [...] des consignes et discours du Ministère de la Justice contraires à la philosophie et à la lettre du texte : la circulaire de la Direction des Affaires des Criminelles et des Grâces du 9 mai 2003 qui tente d’imposer le critère de risque de trouble à l’ordre public, pourtant non exigé par la loi et écarté par la Cour de cassation dans son arrêt du 12 février 2003. [...] » [12] GUIBERT (N.), 110 détenus ont bénéficié de cette suspension de peine, in Le Monde, 16/06/2004, p 14, « [...] Début mai 2003, une circulaire du ministère de la justice a précisé que « les procureurs conservent la faculté d’examiner la question de l’opportunité d’une mesure de suspension de peine au regard des nécessités de l’ordre public » [...] » [13] Suspension de peine, « [...] Ensuite, craignant la libération des malades, le Ministère de la justice fait tout pour substituer au critère de l’état de santé celui du trouble à l’ordre public. Par une circulaire en direction des procureurs, en date du 7 mai 2003, qui recommande de peser le risque de trouble à l’ordre public que constituerait prétendument la suspension de peine d’un malade, et recommande de faire appel sur les décisions favorables des juges d’application des peines. [...] » [14] ARTETA (S.), Le garde des sceaux répond à l’obs : loi Kouchner réservée aux « mourants », in Le Nouvel Observateur, 5/01/2006, « [...] loi Kouchner réservée aux "mourants" Aujourd’hui, les tribunaux d’application des peines répondent favorablement à une demande sur deux. Ce n’est pas rien. Quand Bernard Kouchner (l’ancien ministre de la Santé de Lionel Jospin, ndlr) a présenté sa loi en 2002, il s’agissait d’autoriser la sortie pour les détenus dont le pronostic vital est engagé ou quand l’état de santé est incompatible avec le maintien en détention. Ils ne sont d’ailleurs pas graciés mais obtiennent une suspension de peine et doivent retourner en prison en cas de guérison. Pour moi, cela concerne avant tout les personnes dont l’espérance de vie ne dépasse pas quelques semaines, afin qu’ils ne meurent pas en prison. C’est pourquoi j’ai souhaité que les condamnés présentant un risque élevé de récidive soient exclus du dispositif. Quand j’entends que d’anciens terroristes non repentis font leurs courses sur les marchés, alors qu’ils étaient, disait-on, à l’article de la mort... cela m’est insupportable. Les malades, même atteints d’une affection grave mais qui ne sont pas au « seuil de la mort », n’ont pas à bénéficier de cette loi, ils peuvent être soignés en détention et ils le sont [...] » [15] Article 1 du Code de procédure pénale « [...] L’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions déterminées par le présent code. [...] » [16] CARLO (R.), La place de la victime dans l’exécution des peines, in D.2003, n°3, p. 145 « [...] L’exécution de la peine doit en effet demeurer une prérogative régalienne. [...] » [17] Article 707 du Code de procédure pénale « [...] L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. [...] » [18] Article 132-45 du Code pénal « [...] La juridiction de condamnation ou le juge de l’application des peines peut imposer spécialement au condamné l’observation de l’une ou de plusieurs des obligations suivantes [...]. S’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes, notamment la victime de l’infraction. [...] » [19] GUIBERT (N.), Le garde des sceaux remet en cause le bien-fondé de la libération d’un condamné atteint d’un cancer, in Le Monde, 18/02/2005, p. 11, « [...] Deux mois après la libération anticipée d’un détenu atteint d’un cancer, le garde des sceaux, Dominique Perben, a demandé, lundi 14 février, à ses services d’envisager la réincarcération du condamné. M.Perben a ainsi répondu à l’interpellation, par voie de presse, des victimes de Didier Tallineau [...] ». [20] GUIBERT (N.), Libéré parce qu’il souffrait d’un cancer, un condamné retourne en prison, in Le Monde, 15/09/2005, « [...] Depuis sa libération, l’homme vivait chez ses parents, en Vendée, à proximité de la famille de l’une de ses victimes [...] » [21] Tallineau retourne en prison, in Le Nouvel Observateur, 13/09/2005, « [...]Cette seconde expertise médicale rendue le 12 septembre au juge chargé du dossier, indique qu’"il n’est pas possible d’indiquer que le pronostic vital soit engagé", a affirmé mardi le procureur de la République des Sables d’Olonne Jean-Luc Beck lors d’une conférence de presse. "L’état de santé du sujet" atteint d’un cancer [22] GUIBERT (N.), Libéré parce qu’il souffrait d’un cancer, un condamné retourne en prison, in Le Monde, 15/09/2005, « [...] Une nouvelle expertise, requise par le parquet des Sables-d’Olonne à la demande du garde des sceaux, l’a renvoyé provisoirement en prison [...] » [23] Cass.crim. 15/03/2006, n° de pourvoi 05-83684, in BC 2006 n° 81, p 300, http://www.legifrance.gouv.fr/ « [...] Attendu que, sur l’appel des intéressés, l’arrêt attaqué relève que, s’il ressort des textes du Code de procédure pénale "le droit de la victime a être entendue, dans la mesure de ses intérêts, dans les procédures concernant l’exécution des sentences pénales, rien dans ces dispositions ne confère toutefois à cette victime la qualité de partie aux décisions prises, en cette matière, par le juge de l’application des peines" ; que les juges ajoutent que les consorts Le X... ont "régulièrement pu faire des observations" mais sont "sans qualité pour exercer des voies de recours" ; qu’en conséquence leur appel est irrecevable [...] » [24] Article 10 de la loi du 12/12/2005 « [...] Les dispositions du présent article sont applicables aux suspensions en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, quelle que soit la date de commission des faits ayant donné lieu à la condamnation. [...] » [25] Article 112-1 du Code pénal « [...] Sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. [...] » [26] GARE (T.), GINESTET (C.), Droit pénal, Procédure pénale, HyperCours Dalloz, 2ème édition, septembre 2002, p. 170 « [...] La mesure de sûreté est une mesure de protection de la société, destinée à prévenir les infractions que laisse craindre l’état dangereux d’une personne. [...] » [27] Cass.crim. 26/11/1997, n° de pourvoi 96-83792, in BC 1997, n°404, p 1339, http://www.legifrance.gouv.fr/ Dans cette espèce, un homme poursuivit pour des faits délictueux commis en 1990, se voit condamner à l’interdiction d’exercer la profession d’agent immobilier et d’administrateur de biens, sanction créée par la loi du 21/07/1994. La Cour estime qu’il s’agit d’une mesure de sûreté et donc que cette interdiction est rétroactive de plein droit. Elle s’applique donc à l’espèce pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de cette loi comme l’avait précédemment décidée la Cour d’appel. « [...] Attendu qu’en ayant rejeté la requête la cour d’appel, abstraction faite d’une référence erronée mais surabondante à l’article 14 de la loi du 2 janvier 1970, n’encourt pas la censure ; que l’incapacité attachée àcertaines condamnations, édictée par le texte régissant les conditions d’accès à la profession d’agent immobilier, ne constitue pas une peine complémentaire mais une mesure de sûreté qui, dès l’entrée en vigueur de la loi qui l’institue, frappe la personne antérieurement condamnée [...] » [28] Article D.147-5 du Code de procédure pénale « [...]A tout moment, le procureur de la République peut saisir le juge de l’application des peines afin qu’il ordonne une expertise médicale pour vérifier si le condamné remplit toujours les critères prévus à l’article 720-1-1. Il peut en outre le saisir pour qu’il ordonne l’expertise exigée par l’avant-dernier alinéa de l’article 720-1-1. [...] » [29] Article 720-1-1 du Code de procédure pénale « [...] Le juge de l’application des peines peut à tout moment ordonner une expertise médicale à l’égard d’un condamné ayant bénéficié d’une mesure de suspension de peine en application du présent article et ordonner qu’il soit mis fin à la suspension si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies. [...] » [30] Article 720-1-1 du Code de procédure pénale « [...] Si la suspension de peine a été ordonnée pour une condamnation prononcée en matière criminelle, une expertise médicale destinée à vérifier que les conditions de la suspension sont toujours remplies doit intervenir tous les six mois. [...] » [31] Cass.crim. 28/09/2005, n° de pourvoi 05-81010, in BC 2005, n°247, p 869 ;http://www.legifrance.gouv.fr/ [32] HERZOG-EVANS (M.), La suspension de peine médicale de Maurice Papon, in D. 2002, n°38, p 2896 « [...] Si l’exigence d’indemnisation des victimes a été renforcée depuis la loi du 15 juin 2000 en matière de l’application des peines, pareil motif ne pouvait cependant pas être retenu. En effet, l’article 720-1-1 ‘est pas un aménagement de peine comme les autres. Il ne s’agit pas de récompenser des efforts comportementaux ou sociaux, mais pour des raisons humanitaires [...] » [33] Article 707 du Code de procédure pénale « [...] L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. [...] » [34] HERZOG-EVANS (M.), Les dispositions relatives à la récidive dans la loi n°2005-1549 du 12 décembre, op. cit., Désormais, tous les aménagements de peine, y compris les suspensions médicales, devraient tenir compte de ces impératifs. [...] Pourtant, le législateur a cru devoir insérer à l’article 720-1-1 un nouveau pan de phrase qui énonce que la suspension médicale de peine est prononcée au vue de l’état de santé du condamné « sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction » [...] » [35] Articles D.147-2 du Code de procédure pénale et 132.44 - 132.45 du Code pénal |