Publié le vendredi 6 avril 2007 | http://prison.rezo.net/04-a-iv-que-faire-des-nouvelles/ in Dockès (E.) Dir. Au coeur des combats juridiques- Pensées et témoignages de juristes engagés, Dalloz, 2007, 245-258.
Le 11 janvier 2006, le Conseil de l’Europe adoptait une nouvelle version des règles pénitentiaires européennes (RPE, voir extraits en annexe 1.), texte qui n’avait pas été actualisé depuis 1987. Reçu au cabinet du Garde des Sceaux, dans le cadre d’une délégation du collectif « Octobre 2001 » [2], quelques jours avant l’adoption de règles, nous nous sommes vus rappeler que ce texte n’était pas contraignant. Quant à la diffusion de la recommandation, le conseiller du Garde eut une formule des plus explicites « Le garde ne s’opposera pas à la diffusion des règles ». L’Etat de droit était sauf. Alors que ces nouvelles règles faisaient encore l’objet de consultations dans les Etats membres, Alain Cugno, professeur de philosophie ,en avait souligné toute l’importance politique, lors d’une réunion publique du Collectif « Octobre 2001 » le 2 décembre 2004, à l’Hôtel de Ville de Paris. Alain Cugno concluait sa brillante analyse du texte provisoire de la façon suivant : « De même que dire le droit consiste souvent à dire « Assez ! » à quelqu’un, pour qu’il ouvre les yeux sur ce qu’il fait, de même il faut dire « Assez ! » à notre manière de considérer la prison. Cette voix ne peut venir que de l’extérieur, il n’y a pas d’autres manières de s’y prendre qui peuvent nous débarrasser de nos œillères. C’est précisément la tâche de ces règles européennes que d’effectuer une telle ouverture du regard ». 1. - Cela se passe à Strasbourg Organisation intergouvernementale créée le 5 mai 1949 (Traité de Londres signé par dix Etats) le Conseil de l’Europe a pour objectif de défendre et promouvoir les droits de l’homme, la démocratie pluraliste et l’Etat de droit. C’est aujourd’hui 46 Etats membres, c’est une Europe de plus de 800 millions « d’européens » qui englobe l’Union européenne mais s’étend bien au delà des frontières de « l’Europe de Bruxelles » jusqu’à celles de l’Iran et de l’Irak (la Turquie en est membre depuis 1949) et jusqu’à celles de la Chine (la Fédération de Russie a fait son entrée en 1996). Le rôle du Conseil de coopération pénologique Pour mener à bien la rédaction d’une recommandation, conformément au mandat qui lui est donné par le CDPC, le Conseil de Coopération pénologique a deux solutions. La plus économique consiste, pour les 7 membres du PC-CP à faire le travail eux-mêmes, aidés par un, deux ou trois experts - nommés à titre strictement personnel - qui se trouvent ainsi associés aux deux réunions par an du Conseil, le temps de l’élaboration de la recommandation. Ce fut le cas pour la recommandation sur la surpopulation des prisons et l’inflation carcérale comme pour la recommandation sur le libération conditionnelle [4]. Seconde solution : il demande que soit constitué un « comité ad’hoc » d’experts [5] issus d’une quinzaine de pays et chargé de préparer le texte de la recommandation. C’est la solution qui fut retenue pour la préparation de la recommandation sur les nouvelles règles pénitentiaires comme pour celle relative à la gestion des condamnés à perpétuité et des condamnés à de longues peines [6]. Qui prend l’initiative d’élaborer une recommandation sur telle ou telle question ? C’est très variable. L’initiative peut venir du Secrétariat général du Conseil de l’Europe (la structure exécutive de l’organisation), elle peut naître au sein du CDPC, portée par telle délégation gouvernementale, ou au sein du bureau du CDPC, groupe restreint qui se réunit plus fréquemment, ou dans le cadre du Conseil de coopération pénologique sur proposition d’un de ses membres, voire d’un expert. C’est ainsi que le projet de réécriture des règles pénitentiaires a été présenté par Norman Bishop (Suède), en août 2000 [7]. Il faudra donc attendre 5 ans et demi pour que la recommandation soit définitivement adoptée. 2. - Vous avez dit recommandations ? Une recommandation du Conseil de l’Europe n’est pas un texte contraignant, sur le plan juridique, pour les Etats qui le signent. Rien à voir avec une convention, ou avec une directive adoptée par l’Union européenne. Aussi, la recommandation une fois adoptée par consensus, doit-on s’attendre à des positionnements bien différents de nos gouvernants selon les préoccupations politiciennes du moment, ou plus noblement selon les idéologies qui sous-tendent leurs politiques. Reste qu’adopter une recommandation du Conseil de l’Europe, à Strasbourg, devrait représenter un engagement politique fort, une promesse morale de ne pas prendre, à Londres Berlin ou Paris, des décisions, sur le plan législatif ou règlementaire, qui aillent à l’encontre de ce que l’on a recommandé à tous de faire. Des textes non diffusés On trouve pourtant une constante dans notre pays, au delà des alternances politiques : le peu d’intérêt des parlementaires - dont certains pourtant siègent à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe [8] - comme de l’exécutif pour ce qui se passe à Strasbourg. Ainsi la condition première pour que ces recommandations aient quelques chances d’être suivies d’effet, c’est qu’elles soient connues des membres du Parlement français, des administrations concernées - et ce à tous les niveaux -, de l’ensemble des acteurs du champ pénal, de la « société civile organisée » qui peut jouer le rôle, bénéfique en la circonstance, de groupe de pression, et des citoyens dans leur ensemble. Le Conseil de l’Europe n’a évidemment les moyens, ni de médiatiser ses travaux, ni d’en assurer une diffusion massive dans l’ensemble des Etats membres, ce qui exigerait d’ailleurs la traduction dans un très grand nombre de langues différentes (il n’y a que deux langues officielles dans l’organisation, le français et l’anglais). A aucun moment du long processus de création une recommandation ne fait « événement ». Ajoutons que la présence du siège de l’organisation sur notre territoire ne crée en rien une appétence particulière des médias nationaux. Aussi la responsabilité de la diffusion des recommandations revient-elle au gouvernement de chaque pays. On peut affirmer sans risque d’être contredit que le gouvernement français, qu’il soit de gauche ou de droite, n’a rien fait pour diffuser la recommandation du 30 septembre 1999 sur la surpopulation et l’inflation carcérale, rien pour celle du 29 novembre 2000 sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (Lionel Jospin était premier ministre), rien pour celle du 24 septembre 2003 sur la LC ou du 9 octobre 2003 sur la gestion des condamnés à perpétuité et à de longues peines (Jean-Pierre Raffarin était encore à Matignon). 3. - Retour sur le futur C’est en nous inspirant des travaux les plus récents du Conseil de l’Europe que nous avons été amenés à prendre parti, en 2005, dans le débat parlementaire sur le traitement de la récidive. Nous avons proposé six axes de priorité dans la perspective des élections présidentielles et élections législatives de 2007. Six mesures pour transformer la condition pénitentiaire [11] (1) - Contrôle extérieur des prisons. Les règles pénitentiaires précisent à l’article 92, sous le titre Inspection gouvernementale : « Les prisons doivent être inspectées régulièrement par un organisme gouvernemental, de manière à vérifier si elles sont gérées conformément aux normes juridiques nationales et internationales, et aux dispositions des présentes Règles ». Et dans l’article 93, sous le titre Contrôle indépendant : « Les conditions de détention et la manière dont les détenus sont traités doivent être contrôlées par un ou des organes indépendants, dont les conclusions doivent être rendues publiques. Ces organes de contrôle indépendants doivent être encouragés à coopérer avec les organismes internationaux légalement habilités à visiter les prisons ». (2) - Des hommes et des femmes debout. Sous le titre Régime pénitentiaire, les RPE précisent dans l’article 25, les points suivants : « Le régime prévu pour tous les détenus doit offrir un programme d’activités équilibré. Ce régime doit permettre à tous les détenus de passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux. Ce régime doit aussi pourvoir aux besoins sociaux des détenus. » Dans les prisons françaises, il y a urgence à lutter contre l’oisiveté en détention. Chaque personne détenue pourra bénéficier d’une, au moins, des solutions suivantes : a. un emploi, b. une formation générale et/ou professionnelle, c. des activités culturelles et/ou de formation à la citoyenneté. Pour chacune de ces activités les personnes détenues (prévenues ou condamnées) recevront une rémunération et/ou un revenu minimum de préparation à la sortie (RMPS). (3) - L’exercice de la citoyenneté en détention. Dans une des premières étapes de la réécriture des RPE, on a pu lire ceci : « Sous réserve des impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité, les détenus doivent être autorisés à se réunir pour débattre de questions d’intérêt commun. Les autorités pénitentiaires doivent encourager les comités représentant les détenus à communiquer avec elles concernant les modalités de l’emprisonnement ». (4) - Numerus clausus en milieu fermé comme en milieu ouvert. En ce qui concerne les locaux de détention, les RPE apportent les précisions suivantes : « Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus. Une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter. Dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être contraints de partager une cellule pendant la nuit » (Article 18 alinéas 4 à 7). Aussi pensons-nous qu’il est nécessaire de mettre en place un système de contrôle strict de non dépassement des capacités de placements sous main de Justice [14]. Il s’agit donc du placement sous écrou (ensemble des établissements pénitentiaires) mais aussi du placement sans écrou, en milieu ouvert : prévenus sous contrôle judiciaire, condamnés au sursis avec mise à l’épreuve, au travail d’intérêt général ou en libération conditionnelle. Ce qui nécessite de procéder à une évaluation rigoureuse des capacités actuelles du milieu fermé comme du milieu ouvert (question de locaux et de personnels) en distinguant bien les différentes situations juridiquement possibles [15]. Cet état des lieux devrait « faire consensus » et permettre de définir, dans le même esprit, le « parc » nécessaire et ... suffisant pour le présent et pour l’avenir, en milieu fermé comme en milieu ouvert. Ce n’est pas une question de divination, mais d’évaluations rigoureuses et de choix politique. Le parc pourrait ensuite évoluer, dans une perspective réductionniste vis-à-vis de la privation de liberté, au profit de prises en charge dans la communauté. (5) - Lutter contre l’inflation carcérale. Devant une telle situation de surpeuplement carcéral, il faut appliquer la recommandation du 30 septembre 1999 du Conseil de l’Europe sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. Cela signifie agir sur trois fronts : le développement des alternatives réduisant les entrées en détention, des alternatives réduisant les durées de détention (sous écrou), des alternatives réduisant le temps passé derrière les murs avec maintien sous écrou. Cette même recommandation, puis celle de 24 septembre 2003 ont montré toute l’importance de la libération conditionnelle dans ce programme. (6) - Refonder la libération conditionnelle. Créée, en France, en 1885, la libération conditionnelle est en crise, depuis des années. Elle est octroyée à une petite minorité des détenus condamnés, alors qu’elle devrait être, selon les orientations élaborées à Strasbourg, la voie normale vers la fin de peine [16]. Il faut refonder une libération conditionnelle, appliquée au plus grand nombre, dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Aussi doit-elle être au coeur des procédures d’aménagement des peines. Après les lois Perben 2 et Clément 1er [17] , il faut donc tout revoir sur le sujet. On pourra se reporter à l’annexe 2 où nous indiquons quelques principes généraux et le cadre nécessaire à une telle réforme [18]. [1] - Conseil de l’Europe, Les règles pénitentiaires européennes, Recommandation REC (2006)2, adoptées par le Comité des ministres le 11 janvier 2006, 66 pages. [2] Le Collectif « Octobre 2001 » a été créé en 2000 dans la perspective du XXème anniversaire de l’abolition de la peine de mort, en France en octobre 2001 (loi du 9 octobre 1981). Travaillant sur la thématique « comment sanctionner le crime dans le respect des droits de l’homme ? », il comprend aujourd’hui 16 organisations [3] Le Conseil comprend actuellement deux francophones : André Vallotton (Suisse) et Xavier Ronsin, avocat près la cour d’appel de Rennes [4] - Conseil de l’Europe, Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, recommandation N°R (99) 22, adoptée par le Comité des ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance de A. Kuhn, P.V. Tournier et R. Walmsley, coll. Références juridiques, 2000, 212 pages. [5] Ces experts peuvent être des chercheurs ou des universitaires, mais aussi des « praticiens » : hauts fonctionnaires, magistrats, médecins, directeurs d’établissement pénitentiaire, etc. [6] Conseil de l’Europe, La gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue peine, Recommandation REC (2003) 23, adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 9 octobre 2003 et exposé des motifs [7] Bishop (N.), Les règles pénitentiaires européennes : pourquoi elles devraient être révisées, Conseil de l’Europe PC-CP (200) 23, 12 pages [8] A quelques exceptions, nous pensons, par exemple à Michel Dreyfus Schmidt (sénateur socialiste), à Michel Hunault (député UDF), très actifs sur ces questions. Cette Assemblée est un organe délibératif composé de représentants désignés par les parlements nationaux des 46 Etats membres. A ne pas confondre avec le Parlement européen de l’Union européenne, élu au suffrage universel [9] Voir les publications en français et en anglais du CESDIP : - Tournier (P.V.), Prisons d’Europe, inflation carcérale et surpopulation, Questions Pénales, 2000, XIII, 2, 4 pages. The prisons of Europe, Prison Population Inflation and Prison Overcrowding, Penal Issues, 2001, n°12, 6-9. [10] Lettre publiée dans AFC-Info, n°14, février 2004, 9-11 [11] Une description succincte de ces propositions a été présentée dans Tournier (P.V.), Pour un service public pénitentiaire dont nous n’aurions plus honte, Bloc-notes, Revue Passe Murailles, n°1, novembre-décembre 2005, 19-20 [12] Commission Canivet, Commission pour l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, Rapport à Madame le Garde des Sceaux, 2000 [13] Le club « DES Maintenant en Europe », a organisé le 4 avril 2006, à Paris, un débat public sur ce thème, avec Norman Bishop : Bishop (N.), La participation des personnes détenues à l’organisation de la vie en détention, revue électronique Champ Pénal, Penal Field. [14] Tournier (P.V), dir., Population carcérale et numerus clausus, débat autour d’un concept incertain : contributions et documents, publication du Club « DES Maintenant en Europe », sept. 2005, 35 pages [15] Tournier (P.V.), Mosaïque pénitentiaire : une topologie mouvante, Actualité juridique. Pénal, Les Editions Dalloz, n°9/2004, 333-334. 2004 [16] Au cours du 3ème trimestre 2005 (dernières données disponibles), on a recensé, en métropole, 16 957 libérations de condamnés en fin de peine, pour 896 sorties en LC, soit 5% de LC [17] Loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales [18] Des premiers éléments de la construction qui suit ont été publiés dans : Tournier (P.V.), Solutions contre la récidive, Libération, Rebonds, 18 juillet 205, 30-31 [19] Voir aussi - Tournier (P.V.), Politiques sous influence ou recommandations sans effet ? Les politiques pénitentiaires en France et les recommandations du Conseil de l’Europe, revue Prison - Justice, à paraître. |