Publié le vendredi 6 avril 2007 | http://prison.rezo.net/14-c-xii-liberation-conditionnelle/ Revue pénitentiaire et de droit pénal, Bulletin de la Société générale des prisons et de législation criminelle, à paraître. XII. - Libération conditionnelle. Présentant devant la Société des prisons une conférence sur la libération conditionnelle, le 16 octobre dernier, j’avais encore en mémoire le titre de celle que j’avais donnée, sur le même sujet, dans le même cadre, le 13 décembre 1997 : « Libération conditionnelle : chronique d’une mort annoncée ? ». Comme nous allons le voir, la question reste d’actualité. Invité de nouveau dans quelques années, devrons-nous poser la question suivante « Pourquoi la libération conditionnelle a-t-elle disparu ? » Les dernières données statistiques vont effectivement dans ce sens. Voici l’évolution, observée en France métropolitaine, de la proportion des libérés conditionnels parmi les détenus condamnés sortants de prison (pour chaque année, proportion calculée sur le 1er trimestre) : 2001 = 13,1 %, 2002 = 9,3 %, 2003 = 8,6 %, 2004 = 7,6 %, 2005 = 5,7 %, 2006 = 6,3 % [1]. Ainsi malgré la légère remontée récente, la proportion de LC a diminué de moitié en 5 ans. En sera-t-il de même dans les 5 années à venir ? Nous nous proposons de reprendre ici cette chronique, en juin 1997, au moment de la nomination d’Elisabeth Guigou comme Garde des Sceaux et de nous arrêter sur quelques dates significatives. - 1997 - Dès son arrivée place Vendôme, Mme Elisabeth Guigou marqua son intérêt pour la question de la libération conditionnelle, son cabinet soutenant la création, à notre initiative, en juillet 1997, de l’association « Recherches, confrontations et projets sur les mesures et sanctions pénales » (RCP) dont l’objectif était de relancer le débat public sur cette question (Tournier, 2006a). Regroupant une centaine de chercheurs, magistrats, fonctionnaires pénitentiaires, médecins, travailleurs sociaux et proches de détenus, RCP rendra publiques, en février 1999, 15 propositions ambitieuses « pour un réforme des modalités de mise en œuvre des mesures et sanctions privatives de liberté ». A la suite d’une conférence de presse organisée en juin 1999, ces propositions seront largement diffusées dans les médias. Le 8 juillet 1999, lors de la réunion du Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire (CSAP) [2], Mme Guigou annonce la création de deux groupes de travail : le premier présidé par M. Guy Canivet est chargé de la question du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, le second présidé par M. Daniel Farge doit proposer des perspectives d’évolution de la LC. Il faudra attendre l’automne 2006 pour que la mise en place d’un contrôle extérieur se concrétise, M. Pascal Clément, Garde des Sceaux, proposant que cette responsabilité soit confiée au médiateur de la République. Devançant les conclusions de la commission « Farge » (Farge, 2000), le Parlement décide de la juridictionnalisation de la LC dans le cadre de la loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (Loi du 15 juin 2000). Mais revenons un peu en arrière. Il nous a paru intéressant de citer ici quelques passages du texte fondateur de l’association RCP. Ils résument bien le diagnostic que nous partagions au sein de cette association, sur la base duquel nous souhaitions agir. - 1999 - Le 30 septembre 1999, le comité des Ministres du Conseil de l’Europe, adopte une recommandation sur Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale (Conseil de l’Europe, 2000). Cette recommandation proposait de lutter contre ces phénomènes par une approche pluri-factorielle et globale, impliquant l’ensemble du processus pénal : de l’examen de « l’opportunité de décriminaliser certains types d’infractions ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté » au développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée en détention et surtout de la libération conditionnelle. Pour marquer toute l’importance accordée à cette mesure, les cinq dernières recommandations lui étaient consacrées. - 2000 - L’action militante autour de la libération conditionnelle portera, en partie, ses fruits : la loi du 15 juin 2000, dite Loi « Guigou » qui n’était pas faite pour cela puisqu’elle avait pour objet de renforcer la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, comprendra, en définitive, un volet fort important sur l’aménagement des peines privatives de liberté. Grâce au travail des deux chambres, grâce aussi à l’influence des groupes de pression, la loi Guigou est allée bien au delà de ses objectifs premiers apportant, dans un approche globale, des innovations tout au long du processus pénal : de la réforme des conditions de la garde à vue, jusqu’à la juridictionnalisation de la LC, en passant par la réduction des possibilités de recours à la détention provisoire et par l’introduction de l’appel en matière criminelle. Soulignons, avec satisfaction, que l’esprit de cette approche globale correspondait bien à celui de la recommandation de 1999 du Conseil de l’Europe sur l’inflation carcérale. Les nouveaux droits accordés aux condamnés candidats à la LC, existaient déjà dans bien des pays européens : droit de disposer d’un conseil, procédure contradictoire permettant au condamné d’exprimer son point de vue, obligation pour les autorités judiciaires de motiver un refus, introduction de voies de recours, etc. La France s’est mise au niveau des exigences européennes, exigences qui seront d’ailleurs rappelées dans la recommandation de 2003 du Conseil de l’Europe. On peut aussi se féliciter de la rédaction de l’article 729 du code de procédure pénale, quant au fond sinon à la forme : « Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une LC s’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes ». Mais est-il clair, pour les magistrats, que le fait d’avoir « emploi et hébergement » n’est pas une condition nécessaire pour bénéficier d’une libération conditionnelle ? - 2003 - Le 24 septembre 2003, le comité des Ministres du Conseil de l’Europe, adopte, à l’unanimité, une recommandation sur la libération conditionnelle (Conseil de l’Europe, 2003). Dans ce texte, le comité des ministres reconnaît « que la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé ». Il considère « que son usage devrait être adapté aux situations individuelles et conforme aux principes de justice et d’équité », « que le coût financier de la détention pèse lourdement sur la société et que les études montrent que la détention a souvent des conséquences néfastes et n’assure pas la réinsertion des détenus » et enfin « qu’il est donc souhaitable de réduire autant que possible la durée de la détention et que la libération conditionnelle, qui intervient avant que la totalité de la peine n’ait été purgée, peut contribuer, dans une large mesure, à atteindre cet objectif ». La recommandation propose aussi une analyse très précise des trois modèles de LC existant en Europe : le système discrétionnaire comme en France, le système de LC d’office comme en Suède et le système mixte comme en Angleterre et Pays de Galles (Tournier 2004a, 2004b). Elle examine les avantages et les inconvénients des différents modèles sans prendre partie pour tel ou tel. Ce genre de recommandation ne devrait-elle pas constituer un excellent support pour débattre des solutions à mettre en œuvre pour favoriser le recours à la LC, dans des conditions de sécurité satisfaisante ? Les données statistiques recueillies dans le cadre de ce travail montre que la France est l’un des pays où la LC est la moins utilisées (Tubex, 2003). Face à une telle situation, les autorités françaises ne prendront même pas la peine de diffuser cette recommandation, ce à quoi tous les Etats membres s’étaient engagé à faire. - 2004 - Dans le rapport « Warsmann » préparatoire à la loi du 9 mars 2004, dite Perben 2. portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité, la LC, est bien saluée par le parlementaire UMP comme une mesure efficace pour lutter contre la récidive, mais rien n’est vraiment proposé pour en assurer la relance. Aucune allusion n’est faire aux travaux du Conseil de l’Europe sur ces questions. En matière d’aménagement des peines, l’essentiel des mesures, - souvent utiles - sera consacré à ce que nous appelons des alternatives à la détention de 3ème catégorie (Tournier, 2006b) qui ne diminuent pas le temps sous écrou, mais réduisent le temps passé derrière les murs : semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique fixe introduit par la loi du 19 décembre 1997. La principale incidence de la loi Perben 2 sur la LC concerne la répartition des compétences (Herzog-Evans, 2005). La loi du 15 juin 2000 avait confié au Juge de l’application des peines, le prononcé des LC pour les condamnés à des peines inférieures ou égales à dix ans ou dont le reliquat à exécuter était inférieur ou égal trois ans (Art. 730 du code de procédure pénale). Dans les autres cas, la compétence revenait à une nouvelle juridiction, la juridiction régionale de la libération conditionnelle (JRLC). En 2004, cette juridiction est remplacée par le tribunal de l’application des peines (TAP). - 2005 - On aurait pu s’attendre à ce que la loi du 12 décembre 2005 que personne n’osa appeler loi « Clément 1er » relative au traitement de la récidive des infractions pénales consacre une place de choix à la question de la libération conditionnelle. Mais ce ne fut pas le cas, à croire que le Garde des Sceaux ne partageait pas l’avis du Conseil de l’Europe sur l’efficacité de cette mesure pour « prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé » [3]. Et pourtant une nouvelle enquête de grande ampleur, publiée cette même année montrait, une nouvelle fois, que les libérés conditionnels ont des taux de récidive plus faibles que ceux qui sortent en fin de peine (Kensey, Tournier, 2005) : pour les homicides, 9 % de taux de retour sous écrou, dans les 5 ans, en cas de LC contre 17% pour les fins de peines ; 33 % contre 45 % en cas de violences volontaires sur adulte ; 45 % au lieu de 67 % pour les vols sans violence (délit) ; 24 % contre 32 % pour les escroqueries. Des calculs réalisés sur des enquêtes plus anciennes ont montré que ces écarts ne s’expliquent pas uniquement par les modes de sélection effectués par les juges. On peut raisonnablement faire l’hypothèse que c’est la mesure elle-même qui a une certaine efficacité. - 2006 - Créée, en France, en 1885, la libération conditionnelle est en crise, depuis des années. Elle est octroyée à une petite minorité des détenus condamnés, alors qu’elle devrait être, selon les orientations élaborées à Strasbourg, la voie normale vers la fin de peine. Il faut refonder une LC appliquée au plus grand nombre, dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Aussi doit-elle être au coeur des procédures d’aménagement des peines. Après les lois Perben 2 et Clément 1, il faut donc tout revoir sur le sujet. Nous nous contenterons ici d’indiquer quelques pistes, de définir des principes généraux et un cadre (Tournier, 2005a, 2006c). Toute peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle doit être exécutée dans sa totalité (période sous écrou incompressible) pour partie en milieu fermé, pour partie en milieu ouvert [4]. Aussi la période sous écrou définie au moment du procès, ne peut-elle, en aucune manière, être réduite ou prolongée pour l’affaire concernée. Dans l’état actuel du droit, en cas de LC, le temps correspondant au reliquat de la peine à exécuter en milieu ouvert peut effectivement être prolongé. Dans le système que nous préconisons, cela n’est plus possible. Les procédures d’aménagement des peines doivent dépendre de la longueur de la peine prononcée, comme c’est déjà en partie le cas. Nous proposons de distinguer les « courtes peines » (un an ferme ou moins), les peines intermédiaires (plus d’un an à 5 ans), les longues peines (plus de 5 ans à 10 ans) et les très longues peines (plus 10 ans à 30 ans). En cas de peines multiples, c’est évidemment la somme des quantum prononcés qui sera à prendre en compte. Faut-il rappeler qu’aujourd’hui on peut rester plus de 40 ans en détention (Kensey, 2005). Pour les 151 détenus initialement condamnés à perpétuité et libérés entre le 1er janvier 1995 et le 1er janvier 2005 (données de flux), la durée moyenne de détention est d’environ 20 ans. Plus précisément, 2/3 ont effectué moins de 20 ans en détention et 1/3 plus de 20 ans. 21 détenus on été libérés après une détention d’au moins 25 ans, la maximum étant de 33 ans. A l’occasion de l’enquête réalisée dans le cadre de la recommandation de 2003 sur la LC (Tubex, 2003), nous avons trouvé 5 pays sur les 46 membres du Conseil de l’Europe, qui n’ont pas de peine perpétuelle. Il s’agit de la Croatie, de l’Espagne, de la Norvège, du Portugal et de la Slovénie. Si nous voulons construire un espace judiciaire européen, il nous faudra construire une échelle des peines commune, allant dans le sens du renforcement des droits de l’homme et de nos valeurs humanistes. Il est aujourd’hui acquis que la peine de mort ne sera pas ce dernier échelon. Mais ce ne sera pas non plus la peine à perpétuité. En Croatie et en Espagne, elle est de 40 ans. Elle est de 30 ans au Portugal ou en Slovénie... et de 21 ans en Norvège. Chiffres à méditer par tous les européens convaincus. * Références bibliographiques Commission Farges, 2000, Commission sur la libération conditionnelle, Rapport à Madame la Garde des Sceaux. Conseil de l’Europe, 2000, recommandation N°R (99) 22, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance d’André Kuhn, Pierre V. Tournier et Roy Walmsley, coll. Références juridiques, 2000, 212 pages . ---, 2003, La libération conditionnelle, Recommandation REC (2003) 22., adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, le 24 septembre 2003 et exposé des motifs, 59 pages. Herzog Evans (M.), 2005, La libération conditionnelle après la loi Perben, Dalloz, AJ.Penal, n°3/2005, 96-97, Kensey (A.), 2005, Durée effective des peines perpétuelles, Ministère de la Justice, Cahiers de démographie pénitentiaire, nov. 2005, 6 pages. Kensey (A.), Tournier (P.V.), 2005, Prisonniers du passé ? Cohorte des personnes condamnées, libérées en 1996-1997 : examen de leur casier judiciaire 5 ans après la levée d’écrou (échantillon national aléatoire stratifié selon l’infraction), Ministère de la Justice, Direction de l’administration pénitentiaire, Coll. Travaux & Documents, n°68, livret de 63 pages + CD ROM. Snacken (S.), Tubex (H.), 1999. Libération conditionnelle et opinion publique, Revue de Droit Pénal et de Criminologie, 5, 33-52. Tournier (P.V.), 2004a, La recommandation REC (2003) 22 du 24 septembre 2003. Plaidoyer pour la libération conditionnelle. Conférence ad hoc des directeurs d’administration pénitentiaire (CDAP) et de service de probation, Rome, 25-27 novembre 2004, Conseil de l’Europe, CDAP (2004) 1, 11 pages. ---, 2004b, Les modèles de libération sous condition dans les Etats membres du Conseil de l’Europe : entre principe d’égalité et individualisation, le pragmatisme, Champ pénal, Penal Field, Nouvelle revue française de criminologie, New French Journal of Criminologie, « champpenal.revues.org », 2004. ---, 2005a, Solutions contre la récidive, Libération, Rebonds, 18 juillet 2005, 30-31. ---, 2005b, Les grâces collectives du 14 juillet ou le degré zéro de la politique pénale en France, tribune sur le site www.jack-lang.com du Club « Inventons l’Avenir », mis en ligne le 11 juillet 2005, publié aussi sous forme de tribune, dans Métro, daté du 12 juillet. ---, 2006a, Archives de l’association « Recherches, Confrontations et Projets sur les mesures et sanctions pénales (RCP), 1997-2000 », descriptif, Document de travail, Université Paris 1., CHS XX siècle, 2006, 37 pages. ---, 2006b, Pour une approche globale de la question des alternatives à la détention, in Poursuivre et punir sans emprisonner. Les alternatives à l’incarcération, Les dossiers de la Revue de droit pénal et de criminologie, n°12, Editions La Charte, 137-144. ---, 2006c, Réformes pénales, deux ou trois choses que j’attends d’elle, Publication du Club « DES Maintenant en Europe », 18 pages. Tubex (H.), col. Tournier (P.V.), 2003, Etude sur la libération conditionnelle dans les Etats membres. Analyse des réponses au questionnaire général, Conseil de l’Europe, Conseil de coopération pénologique, PC-CP (2003), 4, Addendum, 24 pages. [1] Source : Statistiques trimestrielles de la population prise en charge en milieu fermé, Direction de l’administration pénitentiaire, Bureau des études, de la prospective et des méthodes. [2] Conseil qui ne s’est plus réuni depuis ! [3] Recommandation du 24 septembre 2003. [4] Ce principe fut imaginé et défendu, en son temps, par l’Association Recherches, confrontations et projets sur les mesures et sanctions pénales (RCP) : - Recherches, Confrontations et Projets sur les mesures et sanctions pénales (RCP), 15 propositions pour ouvrir le débat sur la réforme des modalités de mise en œuvre des mesures et sanctions privatives de liberté, 1999, 4 pages. [5] Dans le sens de la recommandation du 24 septembre 2003, du Conseil de l’Europe sur la LC, « système discrétionnaire » signifie que la décision d‘octroi n’est pas automatique mais individualisée, le refus de la mesure devant, naturellement, être motivé et pouvoir faire l’objet d’un recours. [6] En Suède où existe, depuis une loi de 1998, un système de LC d’office, pratiquement tous les détenus condamnés font l’objet d’une libération anticipée aux 2/3 de la peine prononcée [7] Comme on le sait, l’un d’entre eux, Lucien Léger, a bénéficié depuis d’une libération conditionnelle. |