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Approche indisciplinaire de la question pénale (Pierre V. Tournier - Centre d’Histoire Sociale du XXème siècle)

14 C XII. Libération conditionnelle : Chronique d’une mort annoncée

Mise en ligne : 6 avril 2007

Texte de l'article :

Revue pénitentiaire et de droit pénal, Bulletin de la Société générale des prisons et de législation criminelle, à paraître.

XII. - Libération conditionnelle.
Chronique d’une mort annoncée

Présentant devant la Société des prisons une conférence sur la libération conditionnelle, le 16 octobre dernier, j’avais encore en mémoire le titre de celle que j’avais donnée, sur le même sujet, dans le même cadre, le 13 décembre 1997 : « Libération conditionnelle : chronique d’une mort annoncée ? ». Comme nous allons le voir, la question reste d’actualité. Invité de nouveau dans quelques années, devrons-nous poser la question suivante « Pourquoi la libération conditionnelle a-t-elle disparu ? » Les dernières données statistiques vont effectivement dans ce sens. Voici l’évolution, observée en France métropolitaine, de la proportion des libérés conditionnels parmi les détenus condamnés sortants de prison (pour chaque année, proportion calculée sur le 1er trimestre) : 2001 = 13,1 %, 2002 = 9,3 %, 2003 = 8,6 %, 2004 = 7,6 %, 2005 = 5,7 %, 2006 = 6,3 % [1]. Ainsi malgré la légère remontée récente, la proportion de LC a diminué de moitié en 5 ans. En sera-t-il de même dans les 5 années à venir ? Nous nous proposons de reprendre ici cette chronique, en juin 1997, au moment de la nomination d’Elisabeth Guigou comme Garde des Sceaux et de nous arrêter sur quelques dates significatives.

- 1997 - 

 Dès son arrivée place Vendôme, Mme Elisabeth Guigou marqua son intérêt pour la question de la libération conditionnelle, son cabinet soutenant la création, à notre initiative, en juillet 1997, de l’association « Recherches, confrontations et projets sur les mesures et sanctions pénales » (RCP) dont l’objectif était de relancer le débat public sur cette question (Tournier, 2006a). Regroupant une centaine de chercheurs, magistrats, fonctionnaires pénitentiaires, médecins, travailleurs sociaux et proches de détenus, RCP rendra publiques, en février 1999, 15 propositions ambitieuses « pour un réforme des modalités de mise en œuvre des mesures et sanctions privatives de liberté ». A la suite d’une conférence de presse organisée en juin 1999, ces propositions seront largement diffusées dans les médias. Le 8 juillet 1999, lors de la réunion du Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire (CSAP) [2], Mme Guigou annonce la création de deux groupes de travail : le premier présidé par M. Guy Canivet est chargé de la question du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, le second présidé par M. Daniel Farge doit proposer des perspectives d’évolution de la LC. Il faudra attendre l’automne 2006 pour que la mise en place d’un contrôle extérieur se concrétise, M. Pascal Clément, Garde des Sceaux, proposant que cette responsabilité soit confiée au médiateur de la République. Devançant les conclusions de la commission « Farge » (Farge, 2000), le Parlement décide de la juridictionnalisation de la LC dans le cadre de la loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (Loi du 15 juin 2000). Mais revenons un peu en arrière.

Il nous a paru intéressant de citer ici quelques passages du texte fondateur de l’association RCP. Ils résument bien le diagnostic que nous partagions au sein de cette association, sur la base duquel nous souhaitions agir.
 « [...] Depuis le début des années 1970, la fréquence d’octroi des LC n’a pratiquement pas cessé de diminuer, qu’elles soient de la compétence du juge de l’application des peines (courtes peines) ou du ministre de la Justice (longues peines). Ce fait est peu connu. En prolongeant les tendances des vingt dernières années, on pourrait assister à une abolition de fait de cette institution plus que centenaire ! Copiera-t-on, en ce domaine, l’exemple catastrophique des Etats-Unis où l’on a vu la LC abolie en droit dans plus de quinze Etats et le nombre de détenus dépasser tous les records ? Rappelons qu’au Texas 1% de la population vit derrière les barreaux (ce taux est inférieur à 1 p. 1 000 en Europe). »
« Simultanément, on a développé, en France, les mesures de réduction des peines non individualisées, fort mal acceptées par l’opinion qui veut y voir une preuve du laxisme judiciaire mais aussi par les juges et les jurés qui trouvent là une raison d’alourdir les peines prononcées. En juillet 1980, pour faire face à la très forte croissance du nombre de détenus, M. Giscard d’Estaing a décidé d’accorder une grâce collective. Cette pratique avait été abandonnée après la loi de décembre 1972 qui, en introduisant la réduction de peine pour bonne conduite (maximum de trois mois par an), voulait consacrer le principe de l’individualisation des peines. Dés le début, cette réduction a perdu son caractère individuel, pour être accordée à presque tous les détenus et la grâce collective de Giscard est entrée dans les mœurs en devenant, depuis 1991, l’instrument obligé du contrôle, à court terme, de l’inflation carcérale. »
« Cette situation complexe mériterait un large débat autour du concept d’aménagement des peines. Quand un condamné purge sa peine « dehors plutôt que dedans », il y a évidemment risque de récidive. Or il ne peut être question de réduire les durées de détention sans prendre en compte les préoccupations des victimes des crimes et des délits et, plus généralement, sans se soucier de la volonté légitime des citoyens de vivre en sécurité, autant qu’il est possible. Ce n’est pas une figure de style. C’est une question centrale ».
« Aussi serait-il impératif de faire en sorte de réduire le risque de récidive par des prises en charge effectives, avant la libération, au sein de la prison, adaptées aux condamnés mais aussi par le développement de mesures réelles de prise en charge et de contrôle plus ou moins coercitif selon les cas après la sortie. Ces deux conditions sont nécessaires pour rendre la libération conditionnelle plus crédible aux yeux de ceux qui sanctionnent et de ceux au nom desquels on sanctionne. Sorte de politique du donnant-donnant : on peut, sans doute, réduire les durées de détention si la détention change de nature - faire mieux moins longtemps - et si la sortie se fait dans des conditions appropriées qui favorisent la réintégration du condamné dans la cité tout en assurant la sécurité des citoyens. »
« Changer la détention par des prises en charge effectives... Cela ne se fera pas sans moyens nouveaux. Ce ne sera possible que si le personnel est lui-même reconnu dans sa mission et qu’il a le sentiment de faire œuvre utile, de participer à un projet de réintégration des détenus dans la cité, projet qui concerne tous les corps professionnels. Une politique des moyens, une volonté réformatrice dans la gestion des personnels (formation initiale, formation continue) ne suffisent pas. Il faut repenser l’ensemble de la procédure d’exécution des peines et redéfinir la place du juge de l’application des peines dans l’ensemble des processus de décision » [...].

- 1999 - 

 Le 30 septembre 1999, le comité des Ministres du Conseil de l’Europe, adopte une recommandation sur Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale (Conseil de l’Europe, 2000). Cette recommandation proposait de lutter contre ces phénomènes par une approche pluri-factorielle et globale, impliquant l’ensemble du processus pénal : de l’examen de « l’opportunité de décriminaliser certains types d’infractions ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté » au développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée en détention et surtout de la libération conditionnelle. Pour marquer toute l’importance accordée à cette mesure, les cinq dernières recommandations lui étaient consacrées.
- « Il conviendrait de favoriser le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, en préférant les mesures individualisées, telles la libération conditionnelle, aux mesures collectives de gestion du surpeuplement carcéral (grâces collectives, amnisties) » (art.23).
- « La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de la détention mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté » (art. 24).
- « Il faudrait, pour promouvoir et étendre le recours à la libération conditionnelle, créer dans la communauté les meilleures conditions de soutien et d’aide au délinquant ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue d’amener les instances judiciaires ou administratives compétentes à considérer cette mesure comme une option valable et responsable » (Art. 25).
« Les programmes de traitement efficaces en cours de détention ainsi que de contrôle et de traitement au delà de la libération devraient être conçus et mis en œuvre de façon à faciliter la réinsertion des délinquants, à réduire la récidive, à assurer la sécurité et la protection du public et à inciter les juges et procureurs à considérer les mesures visant à réduire la durée effective de la peine à purger ainsi que les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, comme des options constructives et responsables » (Art. 26).

- 2000 - 

L’action militante autour de la libération conditionnelle portera, en partie, ses fruits : la loi du 15 juin 2000, dite Loi « Guigou » qui n’était pas faite pour cela puisqu’elle avait pour objet de renforcer la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, comprendra, en définitive, un volet fort important sur l’aménagement des peines privatives de liberté. Grâce au travail des deux chambres, grâce aussi à l’influence des groupes de pression, la loi Guigou est allée bien au delà de ses objectifs premiers apportant, dans un approche globale, des innovations tout au long du processus pénal : de la réforme des conditions de la garde à vue, jusqu’à la juridictionnalisation de la LC, en passant par la réduction des possibilités de recours à la détention provisoire et par l’introduction de l’appel en matière criminelle. Soulignons, avec satisfaction, que l’esprit de cette approche globale correspondait bien à celui de la recommandation de 1999 du Conseil de l’Europe sur l’inflation carcérale.

Les nouveaux droits accordés aux condamnés candidats à la LC, existaient déjà dans bien des pays européens : droit de disposer d’un conseil, procédure contradictoire permettant au condamné d’exprimer son point de vue, obligation pour les autorités judiciaires de motiver un refus, introduction de voies de recours, etc. La France s’est mise au niveau des exigences européennes, exigences qui seront d’ailleurs rappelées dans la recommandation de 2003 du Conseil de l’Europe. On peut aussi se féliciter de la rédaction de l’article 729 du code de procédure pénale, quant au fond sinon à la forme : « Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une LC s’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes ». Mais est-il clair, pour les magistrats, que le fait d’avoir « emploi et hébergement » n’est pas une condition nécessaire pour bénéficier d’une libération conditionnelle ?
Comme cela était écrit à la fin du rapport de la commission « Farge », ces avancées sur le plan des droits des détenus condamnés étaient nécessaires en soi. Elles pouvaient favoriser le développement de la LC, mais n’étaient certainement pas suffisantes si on continuait à privilégier les mesures de pure gestion tendant à éroder les peines pour ne pas que la marmite carcérale n’explose (grâces collectives et réductions de peine ... en l’absence de mauvaise conduite). C’est l’ensemble du système de l’application des peines qu’il fallait mettre à plat.

- 2003 - 

 Le 24 septembre 2003, le comité des Ministres du Conseil de l’Europe, adopte, à l’unanimité, une recommandation sur la libération conditionnelle (Conseil de l’Europe, 2003). Dans ce texte, le comité des ministres reconnaît « que la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé ». Il considère « que son usage devrait être adapté aux situations individuelles et conforme aux principes de justice et d’équité », « que le coût financier de la détention pèse lourdement sur la société et que les études montrent que la détention a souvent des conséquences néfastes et n’assure pas la réinsertion des détenus » et enfin « qu’il est donc souhaitable de réduire autant que possible la durée de la détention et que la libération conditionnelle, qui intervient avant que la totalité de la peine n’ait été purgée, peut contribuer, dans une large mesure, à atteindre cet objectif ».
La question essentielle des critères d’octroi de la LC est abordée de façon très pragmatique, et ce afin que le plus grand nombre de condamnés puisse a priori bénéficier de cette mesure de bon sens, pour ce qui est de la lutte contre la récidive :
- « Les critères que les détenus doivent remplir pour pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle devraient être clairs et explicites. Ils devraient également être réalistes en ce sens qu’ils devraient tenir compte de la personnalité des détenus, de leur situation socio-économique et de l’existence de programmes de réinsertion (art. 18).
- « L’absence de possibilité d’emploi au moment de la libération ne devrait pas constituer un motif de refus ou de report de la LC. Des efforts devraient être déployés pour trouver d’autres formes d’activité. Le fait de ne pas disposer d’un logement permanent ne devrait pas non plus constituer un motif de refus ou de report de la LC. Il conviendrait plutôt de trouver une solution provisoire d’hébergement (art. 19) »
- « Les critères d’octroi de la LC devraient être appliqués de telle sorte que celle-ci puisse être accordée à tous les détenus dont on considère qu’ils remplissent le niveau minimal de garanties pour devenir des citoyens respectueux des lois. Il devrait incomber aux autorités de démontrer qu’un détenu n’a pas rempli les critères » (art. 20).
Nous sommes à la fois assez proche de l’esprit de la loi du 15 juin 2000 et très éloigné des pratiques.

 La recommandation propose aussi une analyse très précise des trois modèles de LC existant en Europe : le système discrétionnaire comme en France, le système de LC d’office comme en Suède et le système mixte comme en Angleterre et Pays de Galles (Tournier 2004a, 2004b). Elle examine les avantages et les inconvénients des différents modèles sans prendre partie pour tel ou tel. Ce genre de recommandation ne devrait-elle pas constituer un excellent support pour débattre des solutions à mettre en œuvre pour favoriser le recours à la LC, dans des conditions de sécurité satisfaisante ? Les données statistiques recueillies dans le cadre de ce travail montre que la France est l’un des pays où la LC est la moins utilisées (Tubex, 2003). Face à une telle situation, les autorités françaises ne prendront même pas la peine de diffuser cette recommandation, ce à quoi tous les Etats membres s’étaient engagé à faire. 

 - 2004 - 

 Dans le rapport « Warsmann » préparatoire à la loi du 9 mars 2004, dite Perben 2. portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité, la LC, est bien saluée par le parlementaire UMP comme une mesure efficace pour lutter contre la récidive, mais rien n’est vraiment proposé pour en assurer la relance. Aucune allusion n’est faire aux travaux du Conseil de l’Europe sur ces questions. En matière d’aménagement des peines, l’essentiel des mesures, - souvent utiles - sera consacré à ce que nous appelons des alternatives à la détention de 3ème catégorie (Tournier, 2006b) qui ne diminuent pas le temps sous écrou, mais réduisent le temps passé derrière les murs : semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique fixe introduit par la loi du 19 décembre 1997. La principale incidence de la loi Perben 2 sur la LC concerne la répartition des compétences (Herzog-Evans, 2005). La loi du 15 juin 2000 avait confié au Juge de l’application des peines, le prononcé des LC pour les condamnés à des peines inférieures ou égales à dix ans ou dont le reliquat à exécuter était inférieur ou égal trois ans (Art. 730 du code de procédure pénale). Dans les autres cas, la compétence revenait à une nouvelle juridiction, la juridiction régionale de la libération conditionnelle (JRLC). En 2004, cette juridiction est remplacée par le tribunal de l’application des peines (TAP). 

- 2005 - 

 On aurait pu s’attendre à ce que la loi du 12 décembre 2005 que personne n’osa appeler loi « Clément 1er » relative au traitement de la récidive des infractions pénales consacre une place de choix à la question de la libération conditionnelle. Mais ce ne fut pas le cas, à croire que le Garde des Sceaux ne partageait pas l’avis du Conseil de l’Europe sur l’efficacité de cette mesure pour « prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé » [3].
Au-delà de toute une série de mesures accentuant la répression contre les « récidivistes », l’innovation phare sera le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), mesure de sûreté pouvant être ordonnée dans le cadre du suivi socio-judiciaire - voire, dans certains cas, d’une LC -. La personne doit être majeure, avoir été condamnée à une peine de 7 ans ou plus, sa dangerosité ayant été constatée par une expertise médicale. Le placement est de deux ans, une fois renouvelable pour les délits, deux fois pour les crimes. Le PSEM est un dispositif fonctionnant sur la base du GPS qui permet de localiser un condamné, après sa libération, à tout instant et sur l’ensemble du territoire national. A cette fin, la personne concernée est astreinte au port d’un émetteur.
 Par ailleurs, les possibilités d’octroi de la LC seront réduites pour les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, le temps d’épreuve passant de 15 années à 18, et de 18 années à 22 si le condamné est en état de récidive légale (art. 729 du code pénal).

Et pourtant une nouvelle enquête de grande ampleur, publiée cette même année montrait, une nouvelle fois, que les libérés conditionnels ont des taux de récidive plus faibles que ceux qui sortent en fin de peine (Kensey, Tournier, 2005) : pour les homicides, 9 % de taux de retour sous écrou, dans les 5 ans, en cas de LC contre 17% pour les fins de peines ; 33 % contre 45 % en cas de violences volontaires sur adulte ; 45 % au lieu de 67 % pour les vols sans violence (délit) ; 24 % contre 32 % pour les escroqueries. Des calculs réalisés sur des enquêtes plus anciennes ont montré que ces écarts ne s’expliquent pas uniquement par les modes de sélection effectués par les juges. On peut raisonnablement faire l’hypothèse que c’est la mesure elle-même qui a une certaine efficacité.

- 2006 -

Créée, en France, en 1885, la libération conditionnelle est en crise, depuis des années. Elle est octroyée à une petite minorité des détenus condamnés, alors qu’elle devrait être, selon les orientations élaborées à Strasbourg, la voie normale vers la fin de peine. Il faut refonder une LC appliquée au plus grand nombre, dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Aussi doit-elle être au coeur des procédures d’aménagement des peines. Après les lois Perben 2 et Clément 1, il faut donc tout revoir sur le sujet. Nous nous contenterons ici d’indiquer quelques pistes, de définir des principes généraux et un cadre (Tournier, 2005a, 2006c).
 Afin d’aider les condamnés à (ré) apprendre à vivre dans le respect des lois et de protéger les victimes potentielles de nouveaux délits et de nouveaux crimes, toute peine privative de liberté doit être aménagée. Cela signifie qu’avant la fin de la peine privative de liberté, le condamné doit pouvoir sortir de l’établissement pénitentiaire où il est écroué, accompagné ou non, de façon partielle ou totale, de façon temporaire ou définitive, sans pour autant que l’écrou soit levé. La peine prononcée adaptée, par son aménagement, au devenir du condamné, prend tout son sens et tend à rétablir le lien social entre l’auteur de l’infraction et la société. Le respect dû aux victimes et la sécurité de tous, pour l’avenir sont à ce prix. 
Une telle orientation est en contradiction avec l’existence, dans notre pays, des peines perpétuelles et des périodes de sûreté « à la française ». Ces dernières, introduites en 1978, Alain Peyrefitte étant Garde des Sceaux, interdisent toute procédure d’aménagement pendant un temps qui peut être extrêmement long, défini au moment du procès, voire imposé par la loi. Il faut abolir et la peine à perpétuité et les périodes de sûreté. La peine de réclusion criminelle maximale encourue serait alors de 30 ans. Il s’agit bien de la peine maximale encourue et non de la peine exécutée en détention sur laquelle nous reviendrons infra.

Toute peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle doit être exécutée dans sa totalité (période sous écrou incompressible) pour partie en milieu fermé, pour partie en milieu ouvert [4]. Aussi la période sous écrou définie au moment du procès, ne peut-elle, en aucune manière, être réduite ou prolongée pour l’affaire concernée. Dans l’état actuel du droit, en cas de LC, le temps correspondant au reliquat de la peine à exécuter en milieu ouvert peut effectivement être prolongé. Dans le système que nous préconisons, cela n’est plus possible.
Prenons un exemple : X fait l’objet d’un mandat de dépôt le 1er février 2000 et mis en détention provisoire. Il est condamné trois mois plus tard le 1er juin 2000 à une peine correctionnelle de 3 ans ferme. Sa fin de peine sera donc le 1er février 2003 et ne pourra pas changer. Mais ces trois années seront effectuées pour partie en détention (milieu fermé), pour partie dans la communauté (milieu ouvert), selon des procédures adaptées et définies par l’autorité judiciaire chargée de l’application des peines.
Une telle orientation nécessite que le Président de la République renonce aux grâces collectives du 14 juillet, remises au goût du jour par Valéry Giscard d’Estaing, en 1980, et systématiques depuis le début des années 1990. Des procédures transitoires devraient être utilisées afin d’éviter les réactions de détenus « privés de grâce », redoutées par l’administration pénitentiaire (Tournier, 205b). Ce principe implique aussi l’abolition du système des crédits de réduction de peine introduit dans la Loi Perben 2, comme des réductions de peine supplémentaires.

Les procédures d’aménagement des peines doivent dépendre de la longueur de la peine prononcée, comme c’est déjà en partie le cas. Nous proposons de distinguer les « courtes peines » (un an ferme ou moins), les peines intermédiaires (plus d’un an à 5 ans), les longues peines (plus de 5 ans à 10 ans) et les très longues peines (plus 10 ans à 30 ans). En cas de peines multiples, c’est évidemment la somme des quantum prononcés qui sera à prendre en compte.
Dans le système proposé, les courtes peines (environ 10 000 condamnés détenus, à une date donnée) sont systématiquement exécutées, à temps partiel ou à plein temps, en milieu ouvert, sauf incident en cours d’exécution (semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique fixe). Pour des questions de délai, la LC est peu adaptée à ce type de peine et devrait être réservée aux sanctions les plus longues. N’oublions pas que les peines privatives de liberté sont souvent en partie exécutées avant d’avoir été prononcées, du fait de l’existence d’une détention provisoire. Aussi tout doit-il être fait pour limiter autant que faire se peut le recours à la détention avant jugement.
La LC est la mesure centrale d’aménagement des peines de plus d’un an. Elle doit concerner l’immense majorité de ces condamnés. Les autres mesures d’aménagement s’inscrivent dans cette perspective (permissions de sortir, placement à l’extérieur, semi-liberté, placement sous surveillance électronique fixe, voire placement sous surveillance électronique mobile, pour les peines les plus lourdes). Dans le système français de LC existant aujourd’hui, il y a levée d’écrou. Nous proposons que le libéré conditionnel soit désormais placé sous écrou dans l’établissement le plus proche de son lieu d’hébergement. Sa situation serait ainsi comparable, sur ce point, à celle d’un condamné placé sous surveillance électronique. Cette disposition aurait l’intérêt de rappeler à chacun que le mesure de LC n’est pas une fin de peine mais une modification des conditions de l’exécution d‘une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle, avec tout ce que cela peut comporter de contraintes, d’interdictions, d’obligations et de contrôles.
Pour les condamnés à des peines intermédiaires » (environ 12 000 condamnés détenus à une date donnée), nous proposons un système de LC d’office à ½ peine pour les non récidivistes, comme pour les récidivistes, les mesures d’aide et de contrôle étant définies par le juge de l’application des peines (JAP). Des mesures de sortie anticipée partielle et/ou temporaire peuvent être octroyées avant la ½ peine par le JAP (par exemple des permissions de sortir). Les condamnés aux longues peines, récidivistes ou non (environ 5 700 condamnés détenus à une date donné) peuvent bénéficier d’une LC à ½ peine, la décision étant prise par le JAP (système discrétionnaire [5]). En fonction des progrès réalisés dans l’avenir en matière d’aménagement des peines, ce système devrait évoluer vers un système de libération d’office, comme pour les peines intermédiaires. De même, les condamnés aux très longues peines (environ 7 400 condamnés détenus à une date donnée) peuvent bénéficier d’une LC à ½ peine pour les non récidivistes, comme pour les récidivistes. La décision est prise par le tribunal de l’application des peines (système discrétionnaire). Là encore, en fonction des progrès réalisés dans l’avenir en matière d’aménagement des peines, ce système devrait évoluer vers un système de libération d’office, comme pour les peines intermédiaires. Quand nous parlons de progrès, nous pensons aussi bien aux modalités de prise en charge au sein de la détention qu’en milieu ouvert.
Enfin, nous proposons que la partie exécutée en détention ne puisse en aucun cas excéder 20 ans (LC d’office pour tous, au bout de 20 ans). Ainsi un condamné à une peine de 30 ans, effectuerait au maximum les 2/3 de sa peine en détention [6]. C’est sans doute la mesure la plus difficile à faire admettre à nos concitoyens. Rappelons-nous tout de même qu’en 1981, une majorité de français était contre l’abolition de la peine de mort. Cela n’empêcha pas François Mitterrand qui avait « annoncé la couleur » d’être élu et Robert Badinter d’obtenir, du Parlement, le vote de l’abolition (loi du 9 octobre 1981).
Pourquoi 20 ans ? Certains trouveront que c’est bien trop court et d’autres que c’est bien trop long. Précisons déjà qu’il s’agit d’un maximum. Un condamné à une peine de 30 ans, qu’il soit récidiviste ou non, pourra bénéficier d’une LC à ½ peine soit au bout de 15 ans. On peut aussi prévoir qu’il bénéficie de mesures de sortie anticipée partielle et/ou temporaire octroyées avant la ½ peine, donc avant 15 ans, par le tribunal de l’application des peines (par exemple des permissions de sortir). Certains penseront aussi que 15 ans en LC, donc sous mandat judiciaire, c’est beaucoup trop. Tout dépend des contraintes imposées en milieu ouvert, contraintes qui, si tout se passe bien, devront évidemment évoluer dans le temps et aller en s’amenuisant.

Faut-il rappeler qu’aujourd’hui on peut rester plus de 40 ans en détention (Kensey, 2005). Pour les 151 détenus initialement condamnés à perpétuité et libérés entre le 1er janvier 1995 et le 1er janvier 2005 (données de flux), la durée moyenne de détention est d’environ 20 ans. Plus précisément, 2/3 ont effectué moins de 20 ans en détention et 1/3 plus de 20 ans. 21 détenus on été libérés après une détention d’au moins 25 ans, la maximum étant de 33 ans. 
Si on examine les temps de détention déjà effectués par les 562 personnes initialement condamnées à perpétuité, encore détenues au 1er mai 2005 (données d’état), 131 sont en prison depuis 20 ans et plus, parmi elles 48 y sont depuis plus de 25 ans, 17 depuis plus de 30 ans, 3 depuis 40 ans et plus [7]...
Limiter la durée de la détention à 20 ans, serait donc un réel changement. Ces personnes ont commis des faits d’une extrême gravité. Il serait totalement irresponsable de l’oublier. Mais elles sont aussi peu nombreuses. En 2002 il y a eu 20 libérations de condamné à perpétuité, et 21 en 2004, chiffre à mettre en regard des 22 392 libérations recensées au cours du seul 3ème trimestre 2005 (métropole). L’Etat n’a-t-il pas les moyens de les surveiller de près ? 

A l’occasion de l’enquête réalisée dans le cadre de la recommandation de 2003 sur la LC (Tubex, 2003), nous avons trouvé 5 pays sur les 46 membres du Conseil de l’Europe, qui n’ont pas de peine perpétuelle. Il s’agit de la Croatie, de l’Espagne, de la Norvège, du Portugal et de la Slovénie. Si nous voulons construire un espace judiciaire européen, il nous faudra construire une échelle des peines commune, allant dans le sens du renforcement des droits de l’homme et de nos valeurs humanistes. Il est aujourd’hui acquis que la peine de mort ne sera pas ce dernier échelon. Mais ce ne sera pas non plus la peine à perpétuité. En Croatie et en Espagne, elle est de 40 ans. Elle est de 30 ans au Portugal ou en Slovénie... et de 21 ans en Norvège. Chiffres à méditer par tous les européens convaincus.

* Références bibliographiques

Commission Farges, 2000, Commission sur la libération conditionnelle, Rapport à Madame la Garde des Sceaux.

Conseil de l’Europe, 2000, recommandation N°R (99) 22, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance d’André Kuhn, Pierre V. Tournier et Roy Walmsley, coll. Références juridiques, 2000, 212 pages .

---, 2003, La libération conditionnelle, Recommandation REC (2003) 22., adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, le 24 septembre 2003 et exposé des motifs, 59 pages.

Herzog Evans (M.), 2005, La libération conditionnelle après la loi Perben, Dalloz, AJ.Penal, n°3/2005, 96-97, 

Kensey (A.), 2005, Durée effective des peines perpétuelles, Ministère de la Justice, Cahiers de démographie pénitentiaire, nov. 2005, 6 pages.

Kensey (A.), Tournier (P.V.), 2005, Prisonniers du passé ? Cohorte des personnes condamnées, libérées en 1996-1997 : examen de leur casier judiciaire 5 ans après la levée d’écrou (échantillon national aléatoire stratifié selon l’infraction), Ministère de la Justice, Direction de l’administration pénitentiaire, Coll. Travaux & Documents, n°68, livret de 63 pages + CD ROM. 

Snacken (S.), Tubex (H.), 1999. Libération conditionnelle et opinion publique, Revue de Droit Pénal et de Criminologie, 5, 33-52.

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Notes:

[1] Source : Statistiques trimestrielles de la population prise en charge en milieu fermé, Direction de l’administration pénitentiaire, Bureau des études, de la prospective et des méthodes.

[2] Conseil qui ne s’est plus réuni depuis !

[3] Recommandation du 24 septembre 2003.

[4] Ce principe fut imaginé et défendu, en son temps, par l’Association Recherches, confrontations et projets sur les mesures et sanctions pénales (RCP) : - Recherches, Confrontations et Projets sur les mesures et sanctions pénales (RCP), 15 propositions pour ouvrir le débat sur la réforme des modalités de mise en œuvre des mesures et sanctions privatives de liberté, 1999, 4 pages.
- Recherches, Confrontations et Projets sur les mesures et sanctions pénales (RCP), 10 propositions pour réformer les modalités de mise en œuvre des mesures et sanctions privatives de liberté, 1999, 4 pages

[5] Dans le sens de la recommandation du 24 septembre 2003, du Conseil de l’Europe sur la LC, « système discrétionnaire » signifie que la décision d‘octroi n’est pas automatique mais individualisée, le refus de la mesure devant, naturellement, être motivé et pouvoir faire l’objet d’un recours.

[6] En Suède où existe, depuis une loi de 1998, un système de LC d’office, pratiquement tous les détenus condamnés font l’objet d’une libération anticipée aux 2/3 de la peine prononcée

[7] Comme on le sait, l’un d’entre eux, Lucien Léger, a bénéficié depuis d’une libération conditionnelle.