Publié le vendredi 6 avril 2007 | http://prison.rezo.net/16-c-xiv-la-surveillance/ in Froment J-C et Kaluszynski M. (dir.), Justice et technologies. XIV. - La surveillance électronique mobile en débat Le 16 décembre 2004, au moment même où se tenait, à Grenoble, le colloque sur la Justice saisie par les technologies, l’Assemblée nationale adoptait, en première lecture, la proposition de loi présentée par MM Pascal Clément et Gérard Léonard (Union pour un mouvement populaire, UMP, droite) « relative au traitement de la récidive des infractions pénales », et ce malgré l’opposition de l’ensemble de la gauche (Socialistes, Communistes et Verts) et l’abstention prônée par le groupe UDF (Union pour la démocratie française, centre droit). Le texte prévoyait notamment le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), après leur sortie de prison, des auteurs de délit ou de crime sexuels, condamnés à plus de cinq ans de privation de liberté. L’article 7 de la proposition de loi définissait ainsi la mesure de contrôle « le PSEM est un dispositif technique ayant pour objet de permettre de déterminer, à distance, la localisation du condamné ayant purgé sa peine sur l’ensemble du territoire national. A cette fin, la personne concernée est astreinte au port d’un émetteur. Le PSEM peut emporter interdiction de se rendre dans certains lieux, en dehors des périodes fixées par le juge de l’application des peines ». 1. - Retour sur la loi du 19 décembre 1997 Il est essentiel de ne pas confondre le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) que certains ont cherché à introduire, au plus vite, dans l’arsenal répressif français, et le placement sous surveillance électronique (PSE) créé dans le cadre de la loi n°97-1159 du 19 décembre 1997 et mis en application à partir d’octobre 2000. Suite à la loi de 1997, l’article 723-7 du code de procédure pénale précisait qu’en cas de condamnation à une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n’excède pas un an, ou lorsqu’il reste à subir par le condamné une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n’excède pas un an, le juge de l’application des peines peut décider que la peine s’exécutera sous le régime du placement sous surveillance électronique. Le PSE peut également être décidé à titre probatoire de la libération conditionnelle pour une durée n’excédant pas un an. La loi du 15 juin 2000 « renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes » (dite loi « Guigou ») allait prévoir, dans son article 62, que la détention provisoire, lorsqu’elle est prononcée, puisse être effectuée, sur décision du juge des libertés et de la détention sous la forme d’un PSE selon les modalités prévues à l’article 723-7 du code de procédure pénale. Mais cette possibilité allait être supprimée dans la loi du 9 septembre 2002 qui a, en revanche, introduit le placement sous surveillance électronique des personnes prévenues, dans le cadre d’une mesure de contrôle judiciaire. On se retrouvait alors avec quatre modalités de PSE : Le législateur n’en avait pas encore fini avec le PSE. En effet le droit de l’exécution des peines allait être considérablement modifié par la loi du 9 mars 2004 « portant adaptation de la justice aux nouvelles formes de criminalité » (loi dite « Perben 2. »). Limitons-nous ici au point qui nous parait essentiel pour notre sujet : postulant l’équivalence entre les mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur et de placement sous surveillance électronique, celles-ci peuvent être désormais ordonnées ab initio par la juridiction de jugement lorsqu’elle prononce une peine égale ou inférieure à un an [1], les pouvoir du juge de l’application des peines étant par ailleurs renforcés en matière d’aménagement des courtes peines. 2. - Une alternative à la détention ? Au 1er janvier 2005, le nombre de personnes sous PSE (données de « stock ») est de 709 pour un total de 59 197 personnes écrouées (France entière) ; elles étaient 679 au 1er août 2004. On peut donc parler de stagnation, et ce malgré l’augmentation des sites équipés. Du début de la mise en place de la mesure, en octobre 2000 au 1er janvier 2005, on dénombre seulement 4 361 placements accordés (données de flux). Comment situer le PSE dans l’arsenal des mesures et sanctions alternatives à la détention ? L’évolution du nombre de détenus dépend mécaniquement de deux facteurs de nature différente, le nombre d’entrées en détention - les écrous des personnes venant de l’état de liberté - et la durée de détention - le temps passé sous écrou. Toute politique pénale favorable à la désinflation carcérale doit se préoccuper simultanément de ces deux facteurs. 3. - Alternative réelle vs alternative virtuelle Quand une personne, qui n’a pas fait l’objet d’une détention provisoire, bénéficie d’un contrôle judiciaire, avec ou sans PSE et se trouve ultérieurement condamnée à une peine avec sursis total, on peut penser que cette mesure individuelle de contrôle lui a réellement permis d’échapper à la prison. Mais on peut aussi affirmer que le juge n’aurait pas eu recours à la détention provisoire, si le contrôle judiciaire n’avait pas existé, en droit. Le juge a utilisé une garantie supplémentaire qui lui était offerte. S’il en est ainsi, ce contrôle judiciaire ne joue pas son rôle d’alternative à la prison (c’est une alternative virtuelle) mais permet d’élargir le filet du contrôle social. Cette même question peut en fait plus ou moins se poser pour toutes les alternatives de 1ère catégorie. Tel condamné au travail d’intérêt général aurait-il été condamné à une peine d’emprisonnement ferme si le TIG n’avait pas existé dans les textes ? N’aurait-il pas plutôt bénéficié d’un sursis simple voire d’une amende ? La question se pose en des termes assez différents pour les alternatives de 2ème catégorie. Un condamné à qui il reste trois ans de réclusion criminelle à exécuter et à qui est octroyée une libération conditionnelle bénéficie d’une alternative bien réelle. Il effectuera son reliquat de trois ans hors les murs, en milieu ouvert, sous le contrôle du juge de l’application des peines et du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) Et pourtant... Les mesures et sanctions pénales auraient-elles une parenté avec Janus ? La question mérite au moins d’être posée, même s’il n’est guère facile de mettre en place les procédures de recherches empiriques pour y répondre. On reste tout de même interloqué devant le peu d’empressement de nos députés pour réfléchir à tout cela en s’appuyant sur les travaux scientifique disponibles. 4. - Exception « culturelle » française ? Nous connaissons une bonne quinzaine de chercheurs, qui en France, ont travaillé sur la mise en place du PSE. N’aurait-il pas été utile de les consulter avant de se lancer, tête baissée, dans la voie aventureuse, sur le plan juridique, éthique, et de l’efficacité, du contrôle d’anciens condamnés, par satellite (PSEM) ? Cette introduction, dans le champ pénal, de la surveillance par satellite faisait partie des 20 propositions de la mission d’information sur le traitement de la récidive, présidée par M. Pascal Clément dont le rapport fut remis à la presse le 7 juillet 2004 (proposition n°15). Conscients des nombreux problèmes soulevés par cette mesure, les députés restaient prudents : « Afin d’évaluer pleinement la portée de cette innovation et d‘en déterminer sereinement le champ d’application, la mission souhaite qu’un vaste débat national soit engagé sur ce sujet, associant le Parlement et l’ensemble des acteurs concernés, qu’il s’agisse des organisations de défense des droits de l’homme, à l’instar de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), des magistrats, des avocats, des policiers ainsi que des associations de victimes ». Examinant à son tour le texte voté à l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat, réunie le 2 février 2005, était amenée à supprimer, à l’unanimité, les articles 7 et 8 de la proposition de loi instituant le PSEM, le dispositif soulevant « de nombreuses interrogations techniques et juridiques ». En revanche, elle préconisait son utilisation, sous certaines conditions, dans le cadre de la libération conditionnelle, cette mesure d’aménagement de la peine devant être acceptée par le condamné. La commission a naturellement été suivie par le Sénat. Citons M. Alex Türk, sénateur de Nord, et par ailleurs président de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) [5] : « Lors de la Commission des Lois du 2 février dernier, je suis personnellement intervenu pour alerter mes collègues sur la nécessité de procéder à des expérimentations et des évaluations sur le plan technique, juridique et éthique de façon à éviter l’adoption de manière précipitée d’un texte législatif alors même que les conditions techniques de mise en place du bracelet électronique demeure encore trop imprécises. Le bouleversement qu’impliquerait le recours à un tel procédé après expiration de la peine, vis-à-vis de notre conception traditionnelle du droit exige, bien entendu, une réflexion enrichie et sérieuse ». Citons aussi M. Dominique Leclerc, sénateur d’Indre et Loire : « Sans rejeter le principe même de ce système de surveillance, il est apparu [à la commission des lois du Sénat] prématuré de retenir le régime juridique prévu par l’Assemblée nationale alors même que le Gouvernement a confié à M. Georges Fenech, député (UMP), une mission d‘information sur les conditions de mise en œuvre du placement sous surveillance électronique mobile » [6]. Ce rapport était rendu public le 20 avril. Son auteur s’est appuyé sur la coopération et les avis de 90 personnes (nommées dans le rapport). Sur ces 90 personnes, on ne trouve aucun chercheur ou universitaire. M. Fenech propose d’utiliser le PSEM pour tous les auteurs de crime et de délit pour lesquels la peine maximale encourue est supérieure à 5ans de privation de liberté, à tous les stades de la procédure : dans le cadre d’un contrôle judiciaire avant jugement, à titre de peine autonome pour les condamnés ou comme modalité d’aménagement de peine, la durée maximale de placement étant de deux ans. Au même moment, la commission des Lois de l’Assemblée annonçait qu’un "rapprochement" des positions était "envisagé". Le recours à ce bracelet "devra s’inscrire dans le cadre du suivi socio-judiciaire applicable aux délinquants sexuels après leur libération mais également dans le cadre de la libération conditionnelle. La durée du placement serait "de trois ans en matière correctionnelle et de quatre ans en matière criminelle, renouvelable une fois à titre exceptionnel". En décembre, les députés avaient décidé que la durée totale du placement sous surveillance électronique ne devait pas excéder 20 ans pour un délit, et 30 ans pour un crime. La commission des Lois de l’Assemblée "pourrait examiner la nouvelle proposition de loi en deuxième lecture au mois de juin 2005". La nouvelle proposition pourrait être votée à l’automne. Sous surveillance satellitaire pendant 2 ans, 3 ans, 4 ans, 6 ans, 8 ans, 20 ans, 30 ans ? Le débat continue... * Références bibliographiques Clément (P.), Léonard (G.), Mission d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales. 20 mesures pour placer la lutte contre la récidive au cœur de la politique pénale, Assemblée nationale, 2004, 66 pages. Conseil de l’Europe, Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, recommandation N°R (99) 22, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance de A. Kuhn, P.V. Tournier et R. Walmsley, coll. Références juriques, 2000, 212 pages. Fenech (G.), Rapport au 1er Ministre sur la placement sous surveillance électronique mobile, 2005, 79 pages. Giacopelli (M.), La promotion du milieu ouvert par l’aménagement des peines, Actualité Juridique. Pénal, n°3, Dalloz, 2005, 89-95. Herzog-Evans (M.), Nouveauté du droit de l’application des peines. Principes directeurs d‘une réforme, Actualité Juridique. Pénal, n°1, Dalloz, 2004, 385-393. Kensey (A.), Pitoun (A.), Lévy (R.) & Tournier (P.V.) (resp. scientifiques). Sous surveillance électroni-que. La mise en place du « bracelet électronique » en France (octobre 2000 - mai 2001), Direction de l’administration pénitentiaire, Coll. Travaux & Documents, n° 61, 2003, 223 pages. Mayer (M.), Haverkamp (R.), Lévy (R.) (Eds.) Will Electronic Monitoring Have a Future in Europe ? Contributions from a European Workshop, June 2002, Kriminologische Forschungsberichte aus dem Max-Planck-Institut für ausländisches und internationales Strafrecht, Freiburg i. Br, 2003. 282 pages. Tournier (P.V.), Vers des prisons sans détenus ? A propos de l’introduction du placement sous surveillance électronique en France », communication au 1er congrès de la Société européenne de criminologie, Lausanne, sept. 2001, Bulletin d’information pénologique du Conseil de l’Europe, n°23&24, décembre 2002, 3-6. ---, Substituts réels, substituts virtuels, Manière de voir n°71, Le Monde diplomatique, Obsessions sécuritaires, octobre novembre, 2003, 87-89. ---, La recommandation REC (2003) 22 du 24 septembre 2003. Plaidoyer pour la libération conditionnelle. Conférence ad hoc des directeurs d’administration pénitentiaire (CDAP) et de service de probation, Rome, 25-27 novembre 2004, Conseil de l’Europe, CDAP (2004) 1, 11 pages. ---, L’électronique au service de la Justice pénale ?, CNRS, CAES Magazine, n°76, automne 2005, 34-38. Zocchetto (F.), Traitement de la récidive des infractions pénales. Première lecture, Sénat, Commission des Lois, n°171, 2004-2005, 135 pages. [1] Entré en vigueur le 1er janvier 2005. [2] Les gouvernements de droite, au pouvoir depuis 2002, n’ont rien fait pour favoriser une relance de la libération conditionnelle, et ce malgré l’adoption à l’unanimité, le 24 septembre 2003, d’une recommandation du Conseil de l’Europe pour aller dans ce sens. [3] Que la décision soit prise par la juridiction de jugement (en application de la loi Perben 2), ou par le juge de l’application des peines [4] Par exemple, la commission constituée, en 2000 à l’Assemblée nationale sur la situation des prisons a auditionné 70 personnes, mais aucun chercheur en sciences sociales. La commission créée à la même époque, sur le même sujet par le Sénat a fait un peu mieux : elle a entendu 3 chercheurs en sciences sociales sur 63 personnes auditionnées [5] Courrier personnel daté du 9 février 2005 [6] Courrier personnel daté du 10 février 2005 |