Publié le jeudi 25 octobre 2007 | http://prison.rezo.net/la-prison-du-xxieme-siecle-sera-t/
L A P R I S O N Enquête : François Revouy - Journaliste 832 détenus ont franchi les portes de la maison d’arrêt de la Talaudière en 1998. Pour des peines qui théoriquement ne doivent pas dépasser 2 ans. Malgré les avantages continuels dont ils bénéficient depuis 1975, les détenus sont toujours confrontés à un monde d¹une extrême dureté. Etat des lieux à l’heure où le gouvernement planche sur le modèle d¹une prison à visage plus humain. "En 1860, les détenus de la prison de la Santé (Paris XIVème, ndlr) avaient droit à l’eau courante et à l¹éclairage, rappelle Paul Louchouarn, directeur de la maison d¹arrêt de la Talaudière, à l’époque les habitants du quartier n¹avaient ni l’un ni l’autre." La loi du plus fort La maison d’arrêt de la Talaudière date de 1968. Elle a été agrandie en 1987. A l’aube du troisième millénaire, l’eau chaude est toujours absente des cellules du bâtiment A. Les détenus doivent aller aux douches, un seau à la main, ramener de quoi faire leur vaisselle, dans leur cellule de 9m2. Une cellule qu¹ils partagent avec leur co-détenu, qui sont parfois deux, en raison de la surpopulation carcérale. Résultat, ils n¹ont qu¹un surveillant par étage, soit un gardien pour quatre-vingt détenus. Le Sida, ils en parlent peu. L¹administration pénitentiaire ne rend pas obligatoire le dépistage. C¹est une démarche bénévole. En 1987, six tests sur mille se sont révélés positifs dans les prisons françaises, contre cinq sur mille pour l’ensemble de la population. De toute façon, les surveillants prennent leurs précautions : "les fouilles se font avec des gants suffisament épais pour éviter les piqures", explique P. Girodet, premier surveillant."Les surveillants ont pour consigne de considérer les détenus comme autant de séropositifs", renchérit le directeur. Des surveillants qui en ont parfois marre d’être considérés comme des"gardiens", d¹être réduits à une carricature de"mâtons" dans les films. Ils aspirent à plus de reconnaissance. Certains voudraient faire de la réinsertion, ils discutent avec les détenus quand ils en ont le temps. Mais ils sont réduits à gérer des flux de personnes. "A cause de la surpopulation carcérale, à cause du manque de personnel, à cause du manque de moyens", résume un peu amer, Yvan Brun, délégué GCT. Certains, au contraire sont "dégoûtés par tout ce qu¹on donne aux détenus". "Moi, je dois payer pour aller chez le coiffeur !", lâche telle surveillante."Ils peuvent faire de la musculation, aller à la bibliothèque, suivre des cours de français, même voir le psy³, s¹indigne tel autre. "Le surveillant qui est confronté à une situation déstabilisante, qui s¹occupe de lui ? Le psy ne vient pas le voir !" François Revouy Détenus de la maison d¹arrêt de la Talaudière au 1er janvier 1999 * Détenus par délits Total 324 * Source : Direction de la maison d¹arrêt de la Talaudière, octobre 1999 Au premier janvier 1999, la maison d¹arrêt de la Talaudière comptait 324 détenus hommes, 17 détenues femmes et 15 détenus mineurs. Réinsertion : la prison en panne C’est la tendance forte de ces vingt dernières années : les magistrats condamnent moins souvent les gens en prison. Ils privilégient les mesures en milieu ouvert : sursis avec mise à l¹épreuve, travaux d¹intérêt général, contrôle judiciaire, etc. Par contre, ils sont plus sévères avec les condamnés : les peines d¹emprisonnement sont plus longues et les libérations conditionnelles moins fréquentes. "La prison n¹est pas l¹endroit idéal pour faire de la réinsertion", confie Yves Perrier, directeur du Service pénitentiaire d¹insertion et de probation de la Loire (Spip). Un constat qui explique pourquoi les peines d¹emprisonnement diminuent régulièrement depuis vingt ans. De moins en moins d’incarcérations... Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux du gouvernement de Lionel Jospin, met actuellement la touche finale au texte du "programme 4000". Ce programme doit doter la France de six nouveaux établissements pénitentiaires et de 4000 places supplémentaires dès 2001. Ces cellules viendront s¹ajouter aux 50 014 actuelles. * Source : "Les chiffres clés de l¹administration pénitentiaire", Direction de l¹administration pénitentiaire, Paris, mai 1999. "En dix ans, nous sommes passés d¹une nécessité de 13 000 cellules à 4 000", constate Paul Louchouarn, directeur de la maison d¹arrêt de la Talaudière. En effet, au début des années 1990 le "programme 13 000" avait induit la création de 25 nouveaux établissements, dont 3 sur la direction régionale de Lyon. Pourquoi une telle diminution ? "Parce que la prison a montré ses limites en matière de prévention de la récidive", répond Yves Perrier, qui s’interroge : "comment peut-on apprendre au détenu ce qu¹est la Responsabilité quand on le déresponsabilise, quand on fait tout à sa place ?" Ce que Paul Louchouarn formule plus directement : "Est-ce que la prison est le meilleur endroit pour apprendre à quelqu¹un à vivre ? "La grande difficulté quand on est amené à accueillir massivement des personnes, comme c¹est le cas à Saint-Etienne, c¹est qu¹on est dans l¹exclusion et dans le remplissage. On travaille dans l¹urgence : il faut trouver les matelas, s’organiser pour les douches, les surveillants y passent des matinées entières, les détenus ne peuvent se laver que trois fois par semaine. On en vient à gérer une communauté d¹individus d¹un point de vue strictement éconnomique. Cette gestion terre à terre nous empêche d¹élever le débat." ...Mais des peines qui s’allongent Les peines en milieu ouvert constituent l’alternative à l’incarcération. Leur principal avantage est de maintenir le lien social. Il s’agit des sursis avec mise à l’épreuve, des travaux d’intérêt général, des libérations conditionnelles, des contrôles judiciaires, des ajournements avec mise à l’épreuve. Ces mesures représentent près des trois quarts des sanctions judiciaires nationales. Dans la Loire, le ratio est encore plus fort : 8 personnes condamnées sur 10 ne vont pas en prison. "Paradoxalement, souligne Yves Perrier, les peines d¹emprisonnement ont tendance à s¹allonger." De 3 mois et demi en 1980, la durée moyenne de l’encellulement est passée à plus 7 mois en 1999. Ce qui signifie que les tribunaux sont plus sévères quand il s’agit de condamner quelqu’un à l’encellulement. Une sévérité que l’on retrouve d’ailleurs dans les décisions d’admissions à la libération conditionnelle : "elles sont en chute libre", regrette le directeur du Spip de la Loire. C’est le juge d’application des peines (Jap) qui est maître en la matière,"libre d’autoriser ou non les libérations conditionnelles sans qu’aucune directive administrative ou politique ne viennent l’influencer". Au cours de l’année 1998, les juges d’application des peines ont pris 5 098 décisions d’admissions à la libération conditionnelle. 471 ont été révoquées par la suite. François Revouy Incarcérations en France Métropolitaine* 76 900 en 1969 Karim, 24 ans, incarcéré pour récidive Jean-François, 47 ans, incaréré pour affaire de moeurs "Je savais que la prison c’était tout sauf la liberté, que la contrainte était énorme. Au début c’était très dur pour les enfants, pour mon épouse... L’univers carcéral est plus dur que l’extérieur. D’abord parce qu’on se retrouve en milieu fermé, ensuite parce qu’on est avec des gens qui n’ont pas les mêmes horizons que soi. Entre détenus il n’y a pas de respect. Si on commence à être connu, ça passe mieux. Ce qu’il faut c¹est exercer une responsabilité dans la prison... Celui qui a un problème de moeurs, c’’est le mal-aimé. Il a intérêt à se méfier. Mais pour celui qui a tué un enfant, une femme, ou un vieux, c¹est encore pire, ça ne passe pas. Il y a cinq cellules d’isolement... Du racket ? Bien sûr, il y en a. Les petits chefs des quartiers, on les connaît... Une remise de peine normale c’est 7 jours et demi par mois. Quand on travaille, on a droit à 2 jours et demi supplémentaires par mois travaillé, ce qui fait un mois de plus à la sortie. En tout, je devrais avoir 5 mois de remise de peine. Au lieu de 36 mois, j’en ferai que 27, en principe... C’est impossible ici de faire de la réinsertion, surtout pour ceux qui viennent du bas. L’année passée il y en a un qui a réussi son bac pro. Les trois quarts des détenus sont illétrés... Est-ce que la prison est inhumaine ? Oui, elle l’est. C’est l’ensemble du système qui l’est. Il faudrait tout changer. Toute la justice..." Laihla, 34 ans, incarcéréé pour recel Propos recueillis par François Revouy Plus de mineurs Si la durée moyenne de détention se réduit, de 5 mois et quinze jours en 1997 elle est passée à 4 mois et 14 jours en 1999, le nombre moyen de détenus continue de croître : de 348 en 1997 à 351 en 1998 et 372 en 1999. L’écho de la Loire avait déjà consacré un large sujet à la maison d¹arrêt de la Talaudière (n° 113). Précurseurs, nous vous avions fait vivre de l’intérieur le monde carcéral. Un monde aujourd’hui sous les feux de l¹actualité. La polémique est née du livre du docteur Vasseur, médecin chef à la prison de la santé. Sept ans après être entré à la Santé, le docteur Vasseur a écrit un brûlot qui dénonce les conditions d’hygiènes et les violences dont sont victimes les détenus. Résultat : une commission d’enquête parlementaire a vu le jour pour faire toute la lumière sur les conditions de vie des prisonniers. Retour à l’UCSA, l¹unité de soins de la prison de la Talaudière "Si je m’en tiens à ce que j’ai entendu, les détenus se font violer quotidiennement et les vermines grouillent dans les couloirs". Paul Louchouarn, directeur de la maison d’arrêt de la Talaudière a le verbe ironique. En quatre ans, il n’a eu que "quelques d¹affaires sérieuses à déplorer" : un viol, une tentative de viol et quatre suicides. Pour l¹année 1999, il est intervenu pour 400 infractions disciplinaires, dont 101 pour échanges de coups. Rien à voir avec des difficultés rencontrées à la prison de la Santé. Promiscuité... "Le principal problème que nous rencontrons ici, c¹est le manque d¹effectif. Dans le bâtiment A, nous avons un surveillant pour 80 détenus ! Nous ne pouvons pas tous les surveiller, ni être tout le temps à leur écoute, encore moins faire de la réinsertion", avoue Paul Louchouarn. La prison de Saint-Etienne, la seule en activité dans la Loire depuis que celle de Roanne a fermé, existe depuis trente ans. Les établissements français les plus récents remontent à une dizaine d¹années (programme 13 000). 4 000 places supplémentaires dans dix nouveaux établissements devraient voir le jour prochainement. Un parc jugé insuffisant en regard du nombre de prisons qui datent de Mathusalem :"Assumer notre mission dans des établissements construits à la fin du XIX ème siècle relève d¹un challenge permanent". A la Talaudière, les escaliers du bâtiment A sont en bois, limite question incendie !... et l’eau chaude est absente des cellules. Les détenus doivent aller aux douches,un seau à la main, pour tirer de quoi faire leur vaisselle. Une corvée pour le gardien qui doit accompagner chacun d’entre eux, un par un. Alors quand certains orateurs, peu avisés de la réalité pénitentiaire, parlent de douches en cellules, ici on rigole. On a même du mal à prendre au sérieux les unités de vie familiale, ces fameuses "chambres d’amours", où le détenu pourra recevoir son conjoint. Il n’y a pas la place pour la construire... Quelle est la solution ? La privatisation ? Il existe 21 établissements en France qui fonctionnent en délégation de gestion (hors garde, greffe et direction) avec des partenaires privés."Dans ces établissements on fait de la maintenance préventive, souligne Paul Louchouarn, on provisionne les investissements en matériels et on change d’un coup toute une gamme de matériel (ampoules, etc)". Un fonctionnement qui prévient toute décrépitude : On peut regretter que les moyens alloués aux partenaires privés ne soient pas réinjectés au public", conclut-il. Une question qui n’a pas fini de soulever des polémiques. "On pourrait améliorer le traitement médical..." En 1999, la maison d’arrêt de la Talaudière a accueilli plus de 1000 "entrants". Chaque détenu est vu trois fois : une fois par le service médical (dans les 24 heures), une seconde fois par les travailleurs sociaux et une troisième fois par la détention. Au cours de la peine, le détenu peut consulter le médecin sur simple demande. Une vingtaine de personnes travaillent actuellement à l’UCSA, l¹unité de consultation et de soins ambulatoires de la maison d’arrêt. L¹UCSA ne dépend pas de la prison, mais du CHU, sous la responsabilité du professeur Bertrand. "Il y a deux infirmiers et une secrétaire en permanence", insiste Evelyne Oziol, cadre soignant. Malgré les risques, aucun agent du CHU n’a été agressé : "On est là pour les soins, les détenus le savent." L’UCSA, c’est presque un espace de liberté. Presque, car un surveillant est là, à côté de la salle de consultation, prêt à intervenir. Parfois même, il se tient dans l’entrebâillement de la porte. "On pourrait améliorer le traitement médical", poursuit Jean-Claude Bertrand. A la maison d¹arrêt de la Talaudière, il n’y a pas assez de surveillants pour accompagner les détenus à l’UCSA. "On nous dit que le détenu ne veut plus venir, qu’il est au parloir, qu¹il fait du sport ou qu’il est en promenade...et nous sommes dans l¹incapacité de vérifier". Un manque d¹effectifs qui empêche parfois les extractions de se réaliser : "il faut un brigadier et deux surveillants pour accompagner un détenu à l¹hôpital. Il n’est pas rare qu’on reporte l’extraction à la dernière minute". La nécessité de l’acte thérapeutique reste pourtant la même. La commission parlementaire sur les conditions de détention va peut être pousser l’Etat à injecter des fonds dans les établissements pénitentiaires. Et assurer ainsi une meilleure prise en charge des détenus. Un premier pas vers la réinsertion ? François Revouy 234,56 francs (1 jdd). A titre de comparaison, le coût d’un jour de détention s’élève à : Source : Reporter photographe |