Publié le jeudi 27 septembre 2007 | http://prison.rezo.net/rapport-p-tournier-loi/ CENTRE D’HISTOIRE SOCIALE DU XXe siècle, UMR CNRS 8058 Pierre V. TOURNIER LOI PÉNITENTIAIRE Sine ira et studio ? [1] Introduction - Introduction - Le 11 juillet 2007, Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, installait le Comité d’orientation restreint (COR) [2], composé de 28 membres et animé, par M. Jean-Olivier Viout, procureur général près la Cour d’Appel de Lyon. Le COR a été chargé de préparer le projet de loi pénitentiaire sur lequel M. Nicolas Sarkozy s’était engagé avant son élection à la présidence de la République. Dans son discours d’installation, la Garde des Sceaux précisait qu’il « lui paraissait souhaitable que ce comité appuie sa réflexion sur l’audition d’experts français et internationaux » [3]. Aussi avons-nous écrit, le 21 juillet 2007 à M. Viout afin d’être auditionné. Le présent document a été rédigé dans cette perspective. « Il faut traduire, dans notre droit positif, les règles pénitentiaires européennes », règles qui ont été adoptées par le comité des ministres du Conseil de l’Europe le 11 janvier 2006 [4]. Tel est, selon la Garde des Sceaux, l’un des objectifs majeurs de cette « grande loi pénitentiaire ». Cette volonté politique rejoint la prise de position exprimée par M. Claude d’Harcourt, directeur de l’administration pénitentiaire, dans son avant-propos à la publication, à son initiative, des règles, en août 2006 [5] : « [Les règles] engagent les 46 pays signataires à harmoniser leurs politiques pénitentiaires et à adopter des pratiques communes. Elles s’inscrivent dans une logique de réalisme qui est autant le fruit de l’expérience acquise que le gage de véritables avancées futures. Elles constituent une charte pour l’administration pénitentiaire qui donne sens à l’action de l’ensemble des personnels. Les mettre en oeuvre représente, par conséquent, un enjeu essentiel. » Mme Dati va plus loin encore, en affirmant que « cette loi ne doit pas être uniquement centrée sur la prison. Elle devra prendre en compte l’ensemble des missions induites par l’exécution des mesures et sanctions pénales ». Ce sont donc non seulement les mesures et sanctions privatives de liberté qui sont concernées (le « milieu fermé »), mais aussi les mesures et sanctions pénales « appliquées dans la communauté », pour reprendre la terminologie du Conseil de l’Europe [6] (le « milieu ouvert »). Face à de telles ambitions que l’on ne peut que partager, il y a la réalité du surpeuplement des établissements pénitentiaires et de l’inflation carcérale. Depuis l’abandon du projet de loi Lebranchu [7], la situation a empiré. Au 1er avril 2002, la France (outre-mer compris) comptait 53 183 personnes sous écrou, ce qui donne un taux de personnes sous écrou de 86,5 pour 100 000 habitants. 5 ans plus tard, l’effectif était de 63 290, soit un taux de 100 pour 100 000 habitants [8]. Cet accroissement d’environ 10 000 personnes sous écrou sur 5 ans ne concerne que la population des condamnés définitifs : 34 855 au 1er avril 2002 pour 45 064 au 1er avril 2007. Par ailleurs, cette croissance est due pour 2/3 aux courtes peines. L’accrois-sement relatif, sur 5 ans, varie en raison inverse du quantum : de + 60 % pour les « courtes peines » (un an et moins) à + 5 % pour les « très longues peines » (plus de 10 ans). Sur la même période, le nombre de prévenus est resté stable : 18 328 au 1er avril 2002 pour 18 226 au 1er avril 2007. La proportion de prévenus passe ainsi de 34,5 % à 28,8 %, simplement du fait de l’augmentation du nombre de condamnés. Alors que le nombre de personnes sous écrou augmentait de 19 %, la « capacité opérationnelle » des établissements pénitentiaires passait, elle, de 47 404 à 50 207 (+ 5,9 %), d’où une forte détérioration des conditions de détention au cours de la législature. Dans la statistique du 1er avril 2002, on ne distingue pas les condamnés placés sous surveillance électronique et les condamnés bénéficiant d’un placement à l’extérieur des personnes écrouées réellement en détention, comme le fait l’administration pénitentiaire depuis 2004. Malgré ce biais de faible importance, constatons la très forte augmentation du nombre de détenus en surnombre (NDS) qui passe ainsi de 8 772 au 1er avril 2002 à 11 589 au 1er avril 2007, soit + 32 % [9]. Cet indice ne cesse d’augmenter : au 1er juillet 2007, il est de 12 595. Le dépôt devant le Parlement, dès la session extraordinaire de juillet, du projet de loi créant un « contrôleur général des lieux de privation de liberté » est, évidemment une excellente initiative. Il est bon aussi que sa compétence ne se limite pas aux prisons, suivant en cela le modèle du Comité européen de prévention de la torture (CPT). Mais aura-t-il les moyens d’une telle tâche quand on pense aux difficultés de la commission informatique et liberté (CNIL) et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) ? Le projet Dati examiné par le Sénat le 31 juillet est, en fait, bien décevant : pas de garantie d’une enveloppe budgétaire et des effectifs nécessaires, nomination du contrôleur par simple décret, pouvoir d’inspection limité par le caractère secret de telle information ou de telle pièce utile, rôle du contrôleur limité à des recommandations, pas de pouvoir d’injonction. Jean-René Lecerf, sénateur UMP du Nord, a même parlé de projet « a minima » [10]. Il y a pourtant urgence à examiner de près les conditions de détention des 44 075 personnes détenues dans des établissements ou quartiers (pour les centres pénitentiaires) surpeuplés (chiffres au 1er juillet 2007) [11]. Ruptures Encore ne faudrait-il pas oublier d’examiner de près les propositions - qui s’inspirent des orientations européennes - de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), concernant les alternatives à la détention [13]. Lire la suite en pièce jointe [1] Sans ressentiment et sans parti pris ? [2] Le COR comprend 40 % de fonctionnaires pénitentiaires, 25 % de magistrats ou avocats. Il ne compte ni chercheurs en sciences sociales, ni philosophes, ni représentants des ONG de défense des droits de l’homme [3] Site internet du Ministère de la Justice [4] Conseil de l’Europe, 2006 [5] Ministère de la Justice, 2006a [6] Conseil de l’Europe, 1994b, 2002 [7] Lebranchu, 2003 [8] Tournier, 2007a [9] Voir définition et calcul infra. Ces calculs sont effectués, par nos soins, à partir de la statistique mensuelle de la population écrouée qui nous est adressée par la direction de l’administration pénitentiaire, bureau PMJ1 [10] Quotidien Le Monde, daté du mardi 31 juillet 2007, p.7 [11] Voir le descriptif de surpeuplement carcéral infra [12] Conseil de l’Europe, 2000, 2003a [13] Commission nationale consultative des droits de l’homme, 2007b [14] Tournier, 2006a. Nous n’aborderons pas, dans ce texte, les questions soulevées par le président de la République et la garde des Sceaux à la suite de l’enlèvement, cet été à Roubaix, du petit Enis par une personne déjà condamnée pour viol sur mineur et récemment sortie de prison. Nous reviendrons sur ce sujet ultérieurement
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