Q : Toi qui a beaucoup bourlingué dans beaucoup de prisons, trouve-t-on du matos partout ?
R : Bien sûr ! Mais tu as des endroits où ça tourne plus qu’à d’autres.
Q : C’est facile de trouver de quoi fumer ?
R : Non c’est pas si simple. Tu débarques pas comme ça en passant commande au premier lascar venu. Déjà, il n’y a pas de fric en prison -enfin, c’est comme tout le reste, ça circule aussi.
Q : Alors ça se passe comment si tu veut chopper ?
R : Le plus courant, c’est le troc. Par exemple tu peux avoir un petit bout de shit contre 2 ou 3 cartouches de Marlboro. Mais aussi contre du café ou tout ce que tu peux cantiner [1]. Parfois aussi le matos est payé à l’extérieur. Quand les mecs se connaissent déjà, ça se règle parfois dehors, entre les potes ou les cousins.
Q : Combien ça vaut à l’intérieur ?
R : Ca dépend. Il n’y a pas vraiment de tarif. On peut pas dire, ça vaut 2, 5 ou 10 fois plus cher que dehors. Ca va déjà dépendre du mec qui te le refourgue. Si c’est ton codétenu ou le cousin du pote d’un mec que tu vois en promenade, c’est pas pareil. Par contre, il y a rarement de grosses quantités et il est clair que ça revient beaucoup plus cher qu’au pied de ta cité.
Q : Comment rentre le matos ?
R : Le plus courant, c’est au parloir, pendant les visites. Faut faire discret mais ça le fait. En général, tu te le caches dans le cul. C’est le seul endroit qui, en principe, ne sera pas contrôlé -bien que ça puisse aussi arriver. Dans la bouche ou dans les chaussettes, c’est beaucoup trop risqué car la fouille est totale quand on revient du parloir.
La matos rentre aussi par d’autres biais, disons par l’intermédiaire de certaines personnes. Il y a beaucoup de gens qui rentrent et qui sortent chaque jour dans les prisons : avocats, visiteurs de prison... Je ne parle pas des matons. Car là, c’est vraiment beaucoup plus rare. Les mecs ne vont pas risquer leur carrière pour un bout de shit. A la limite, s’ils prennent de tels risques, ce sera pour un jeu qui en vaut vraiment la chandelle. Encore que j’en ai vu un qui "dealait" des bouteilles de scotch. A l’époque (NB : il y a 6 ans) c’était 1000 balles (150 Euros).
Q : Quels sont les produits que l’on trouve en prison ?
R : Ce qui circule le plus, ce sont les médicaments. Il y a pas mal de détenus qui suivent un traitement de substitution, alors forcement certains s’en gardent sous le coude pour pouvoir les échanger. Il y a aussi beaucoup de somnifères et de produits type Tranxène ou Valium. Mais si tu as les moyens, tu peux tout trouver. Même de la dope ou de la coke, mais beaucoup plus rarement. Et, plus encore que pour la fumette, tu vas casquer un max. Alors quand tu te fais un rail, tu l’apprécies. C’est aussi vrai pour le shit quand tu t’es procuré de quoi fumer, tu essaies de te limiter et de faire durer le plaisir.
Q : Comment ça se passe quand tu veux trouver du matos ?
R : Déjà, il faut être patient. Quand tu débarques dans une prison, il faut montrer que tu n’es pas une balance, que tu n’as pas la langue trop pendue, bref que tu es réglo. Sinon, tu sais rapidement à qui tu dois t’adresser. Il faut aussi se faire respecter. J’ai vu un mec se faire dépouiller à son retour de parloir par des "gros durs" qui savaient qu’il était "chargé". Bref quand tu as fini par obtenir la confiance des bonnes personnes, il n’est pas rare d’attendre 1 semaine ou 10 jours entre le moment où tu commandes et celui où tu récupères le matos. Attention, comme à l’extérieur, il y a pas mal d’arnaque. Si tu es trop pressé ou si tu n’as pas la bonne connexion, tu as vite fait de te faire refourguer de la merde.
Il faut aussi dire que si tu te fais choper en sortie de parloir avec du matos, la personne qui est venu te voir se voit immédiatement convoquer au tribunal. Au mieux... Quant à toi, outre les problèmes qui t’attendent, tu vois tous tes parloir supprimés.
Q : Comment éviter de se faire prendre en train de consommer ?
R : Disons qu’il y a des périodes où les risques sont moindres. Mais il faut vraiment faire gaffe, surtout en fumant à cause des odeurs. On utilise du papier d’Arménie pour tuer les "petites mauvaises odeurs". En principe on consomme le soir et la nuit car c’est moins chaud qu’en journée. Tu finis rapidement par connaître les heures où les gardiens font leur ronde.
Mais, malgré les risques, le shit est vraiment omniprésent. Il y a beaucoup de taulards qui apprécient la fumette et c’est un des sujets de conversation préférés : celui qui en a, celui qui en aura, celui qui en a eu.... On voit même des sticks tourner dans la cour de promenade de certains centres de détention [2]. Dans la mesure où, vu le prix des paquets de clopes, la plupart des détenus roulent leurs cigarettes, ça passe. Mais faut pas se faire gauler !
Q : Justement, quels sont les risques quand on se fait prendre avec des stupéfiants ?
R : Pour commencer, plusieurs jours de mitard [3] et la suppression des parloirs. Ensuite, on repasse au tribunal où l’on risque, suivant le produit et la quantité, entre 1 mois et ... beaucoup plus de prison ferme. Tu perds aussi l’espoir d’une sortie en liberté conditionnelle pour bonne conduite. Donc les risques sont énormes, ce qui explique que ce soit beaucoup plus cher qu’à l’extérieur où les flics ne s’emmerdent même plus pour une barette de shit.
Q : On dit que les gardiens savent qu’il y a du shit mais qu’ils laissent faire.
R : C’est vrai et c’est pas vrai. Ca dépend. Disons qu’il y a des matons qui ont moins d’odorat que d’autres... Ca peut aussi dépendre de ton lieu d’incarcération. Souvent, en CD (centre de détention), c’est plus cool. Avec certains gardiens, s’instaure au fil des mois et des années, une espèce de relation du genre "tu fais pas chier, je te fais pas chier". Mais attention, il faut de toutes façons être super discret. Mais c’est clair que les matons savent qu’il y a de la drogue en prison. Ils savent également qu’un détenu stoned pose souvent moins de problème...
Entretien réalisé par EB