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Mise en ligne : 12 novembre 2003

Texte de l'article :

PREFACE

Les efforts combinés de plus d’une centaine d’experts gouvernementaux et non gouvernementaux de quelque cinquante pays ont donné à cet ouvrage un caractère véritablement international.

L’ONU s’intéresse à la manière dont sont traités tous les êtres humains, y compris ceux qui se trouvent détenus. Elle s’est dotée à cet égard d’un certain nombre d’instruments de droit international visant à protéger et à garantir les droits de l’homme et les libertés fondamentales au sein des prisons. Force est de constater que l’application de ces principes est déficiente dans un grand nombre (sinon dans la plupart) de pays du monde. Ce livre recense, sous une forme claire, les règles élaborées par les Nations unies en matière de condition de vie en prison et de traitement des détenus et tente d’expliquer les conséquences concrètes qui en découlent, tant pour les politiques pénitentiaires que pour la gestion au quotidien des prisons.

Notre plus grande gratitude va à tous les experts, qui, par leurs contributions, écrites et orales, ont permis de faire de ce livre un document de portée internationale que l’on espère pratique et pertinent.

Nous remercions tout particulièrement les rédacteurs bénévoles : Norman Bishop, ancien directeur de la recherche à l’Administration suédoise des prisons et de la probation, expert scientifique auprès du Conseil de l’Europe ; Kees Boeij, directeur des prisons de la région d’Alkmaar, aux Pays-Bas ; Dr. Silvia Casale, actuellement présidente du Comité européen pour la Prévention de la Torture ; le Dr. Johannes Feest, professeur de criminologie et de droit pénal, à l’Université de Brême ; Chidi Anselm Odinkalu, alors consultant de Interights, à Londres ; Hans Tulkens, alors président de PRI, professeur de criminologie à l’Université de Groningue et conseiller en criminologie du ministre de la Justice, aux Pays-Bas ; Joanna Weschler, alors directrice du Projet sur les prisons, pour Human Rights Watch, à New York ; Dirk van Zyl Smit, professeur et doyen de la Faculté de droit, à l’Université du Cap.
Nous sommes également reconnaissants aux nombreux organismes et partenaires qui ont facilité la traduction et la diffusion de ce manuel dans plus de 15 langues et de nombreux pays. Pour cette version française, nous remercions en particulier la Commission des Communautés européennes et le ministère de la Justice des Pays-Bas.

A L’ORIGINE DU LIVRE

Les droits de l’homme en prison
1. Les droits universels de l’homme ne s’arrêtent pas aux portes des prisons. Ils s’appliquent à tout
individu arrêté ou incarcéré.

Ces droits comprennent :
- le droit à la vie et au respect de l’intégrité de la personne ;
- le droit de n’être l’objet ni d’actes de torture ni de mauvais traitements ;
- le droit à la santé ;
- le droit au respect de la dignité humaine ;
- le droit à l’application équitable de la loi ;
- le droit d’échapper aux discriminations de toute natures ;
- le droit de n’être pas soumis à l’esclavage ;
- le droit à la liberté de pensée ;
- le droit à la liberté de conscience ;
- le droit à la liberté de religion ;
- le droit au respect de la vie familiale ;
- le droit à l’épanouissement personnel.

Droits universels
2. Les droits fondamentaux de l’homme sont garantis par des lois et des règles internationales. Un grand nombre de pays de toutes les parties du monde ont signé et ratifié des traités, des conventions, des accords ou des règlements internationaux confirmant ces droits. Les textes les plus importants sont la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Certains Etats ont réaffirmé ces droits dans des conventions ou accords supranationaux.

Droits particuliers
3. Quelles que soient les circonstances de leur vie, tous les êtres humains bénéficient de droits fondamentaux qui ne peuvent être suspendus sans justification légale. Les personnes arrêtées ou incarcérées ont perdu à cause de l’infraction dont elles sont accusées leur droit à la liberté. Si elles se trouvent retenues illégalement, elles conservent tous leurs droits, y compris celui à la liberté.

4. Certains droits peuvent cependant être limités du fait de l’incarcération, tels l’exercice de certaines libertés personnelles, le droit à la vie privée, la liberté de mouvement, la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté de vote. La grande question est de savoir si - et dans quelle mesure - d’autres restrictions des droits de l’homme peuvent constituer une conséquence nécessaire et justifiée de la privation de liberté.

Privation de liberté
5. Le contrôle social du crime peut justifier l’emploi de sanctions. Mais l’emprisonnement doit constituer un ultime recours, car son utilisation soulève immanquablement la question des droits de l’homme, qui est au centre du présent ouvrage.

Privation de liberté et vie normale
6. Beaucoup de détenus se trouvent en prison pour y accomplir une peine. L’expression est ambiguë : on ne va pas en prison pour y recevoir des châtiments, c’est l’absence de liberté en tant que telle qui constitue la peine. Dès lors, les conditions de détention ne devraient pas ajouter de la souffrance à l’emprisonnement en tant que tel et les effets pervers inhérents à l’enfermement devraient être atténués sinon éliminés. Car s’il est impossible de recréer en prison les conditions d’une “ vie normale ”, tout doit être mis en œuvre pour s’en rapprocher.

7. En plus des condamnés, la prison accueille un certain nombre de personnes qui s’y trouvent pour des motifs divers : prévenus en attente d’une décision de justice définitive, réfugiés ayant demandé l’asile politique, immigrés en quête d’un statut ou frappés d’une décision d’expulsion, etc. L’emprisonnement ne représente pas pour eux une sanction, mais une mesure de précaution ou de sûreté. A leur égard, les conditions de détention devraient être aussi proches que possibles de celles de la vie normale.

8. Les détenus attendant d’être fixés sur leur sort doivent bénéficier du plus large accès possible aux sources d’information extérieures (médias, avocats, etc.) afin de pouvoir exercer pleinement leur droit de se défendre.

Principe de l’ouverture de la prison sur l’extérieur
9. La privation de liberté présente toujours le risque de la violation des droits de l’homme. L’homme dispose du droit fondamental de ne pas être privé de sa liberté, sauf si la loi pénale l’exige et si les règles de la procédure pénale sont respectées. Dans la pratique, la privation de liberté peut être exercée en dehors de la loi, des personnes se trouvant emprisonnées au mépris des procédures et protections légales normales. La sauvegarde des droits des personnes en captivité exige l’ouverture des prisons et autres lieux de détention à des inspections extérieures indépendantes, les détenus ne devant pas être pour leur part coupés du reste du monde.

Devoir d’assistance
10. L’Etat qui prive une personne de sa liberté a envers elle un double devoir d’assistance : la maintenir en vie et assurer son bien-être.

11. Les droits des personnes emprisonnées reposent, en droit international, sur une série de conventions et d’accords qui ont valeur de traités ; les Etats qui les signent et les ratifient s’obligent à en suivre les prescriptions.

12. La mise en œuvre de ces traités est définie dans l’ “ Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus ” (RMT [1]). Ces “ règles minima ” constituent le plus ancien document international en matière de traitement des “ personnes soumises à la détention ou à l’emprisonnement ”.
Elles ont été très largement reconnues en raison de leur qualité juridique et morale et ont exercé une influence déterminante sur le développement des politiques pénales et des pratiques pénitentiaires. Elles offrent un luxe de détails pratiques (sur le devoir d’assistance aux détenus par exemple) que l’on n’a pas l’habitude de trouver dans des déclarations, conventions et accords internationaux. Les RMT ont été utilisées par diverses institutions, notamment des tribunaux nationaux et internationaux, dans la perspective de mettre en exergue l’assistance à laquelle les détenus ont droit. Les RMT sont des règles minima ; elles établissent des normes qui doivent impérativement être mises en pratique.

Les prisons et autres lieux de détention
13. Nombre de personnes sont incarcérées dans d’autres lieux que les prisons : dépôts et cellules de police, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention administrative, voire d’autres espaces de détention non officiels ou privés qui échappent à l’administration pénitentiaire. Les droits des personnes incarcérées doivent s’appliquer à l’ensemble de ces lieux de détention.

Groupes de détenus particuliers
14. Le présent ouvrage ne s’intéresse pas aux prisonniers de guerre, quand bien même nombre des règles et principes évoqués ici leur seraient applicables. On se contentera d’évoquer le caractère particulier de certaines catégories de détenus : les mineurs, les femmes, les étrangers, les malades mentaux et les toxicomanes. Tous nécessitent des conditions de détention appropriées et des dispositions particulières de traitement que nous ne pourrons malheureusement que signaler ici sans les détailler.

Les mots “ prison ” et “ détenu ”
15. Les mots “ prison ” et “ détenu ” seront utilisés dans les pages suivantes dans leur sens général : le mot "détenu" se rapporte à toute personne privée de liberté quel que soit le lieu où elle se trouve incarcérée et quel que soit le motif ayant présidé à son incarcération.

L’AMBITION ET LES LIMITES DE CE LIVRE

1. Le présent ouvrage ne prétend pas dresser un inventaire exhaustif des règles ou prescriptions applicables à la prison. Il n’entend pas non plus promouvoir la révision des règles existantes.

2. Son ambition est d’expliquer comment des règles pour le traitement des détenus acceptées dans le monde entier doivent trouver une application concrète et généralisée dans le quotidien des prisons.

3. Ce livre est le fruit de discussions ouvertes et approfondies auxquelles ont participé des experts (gouvernementaux et non gouvernementaux) représentant plus de cinquante pays du monde.

4. Il n’est pas destiné aux seuls théoriciens. Il s’adresse aux rédacteurs de codes pénaux ou de procédure pénale, aux responsables des prisons et plus généralement à tous ceux, fonctionnaires, membres d’associations ou agents du privé, qui sont engagés à quelque titre que ce soit dans une activité en rapport avec les détenus.

5. L’ouvrage n’est ni exhaustif ni parfait. Il est néanmoins souhaité qu’il soit utilisé partout dans le monde.
Pour des raisons d’universalité, les documents légaux à caractère national ou local ont été négligés, sauf à être mentionnés à titre d’illustrations.

6. On espère que les lecteurs apporteront les précisions qui permettront d’adapter le présent ouvrage à des catégories spécifiques de détenus, ou encore à des nations ou à des prisons particulières.

7. Le traitement des détenus a été abordé sous huit angles différents, déterminés en accord avec tous les experts ayant concouru à la rédaction de ce livre.

8. L’ouvrage repose aussi sur les points de vue et les expériences accumulés par les experts au fil des ans, dès lors qu’ils avaient l’occasion de mettre en pratique les RMT.

9. Il n’offre pas de solutions sommaires. La vie en prison ne peut se voir réduite à des stéréotypes. Les situations et les comportements humains sont complexes, aussi les actions et les décisions doivent-elles être soigneusement évaluées. Dans cet esprit, le présent ouvrage tente de fournir une “ base de données ” qui permette une amélioration continue des pratiques pénitentiaires.

Notes:

[1] Dans ce livre, les “ Règles Minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ” sont traduites en abrégé par le sigle RMT. Quand une règle pénitentiaire est mentionnée sans plus de précision, il s’agit toujours d’une RMT