INTRODUCTION
Le contexte de la détention provisoire n’a pas tellement changé depuis le début des travaux de la Commission de suivi de la détention provisoire en 2002.
On fera certes valoir que telle affaire judiciaire, qui connaît un retentissement considérable dans l’opinion, pose la question de la profonde inéquité qu’il y a à maintenir incarcérées des personnes qui font ensuite l’objet d’une décision d’acquittement ou de relaxe. De la même manière, telle affaire policière, qui provoque des émotions de même envergure, pose la question du maintien en liberté de telle personne qui aurait dû faire l’objet de mesures tendant à assurer le respect de l’ordre public, c’est-à-dire des personnes (singulièrement en l’espèce) et des biens.
Mais en dépit de la force émotive de ces évènements, on doit penser que le risque qu’ils se produisent est inhérent au fonctionnement de l’institution judiciaire. Et on peut penser que, sur la première des deux affaires indiquées du moins, ce risque est assumé du mieux qu’il est possible puisque le dispositif d’indemnisation par la puissance publique des personnes indûment placées en détention provisoire est le plus généreux, en termes financiers, qui soit au monde. On fera naturellement valoir les vies « interrompues » par la détention provisoire, interruption qu’aucun
dédommagement ne saurait réparer. Mais il en est ainsi de toutes les peines humaines. Ici, dès avant le retentissement du procès d’assises qui a marqué les esprits, l’Etat assumait ses erreurs. On le constatera ci-après en lisant les développements relatifs à l’indemnisation des personnes écrouées à tort.
En revanche, bien qu’elle porte moins aux sentiments de l’opinion publique, la condition des personnes placées par décision judiciaire justifiée en détention provisoire reste profondément insatisfaisante. La situation des établissements de détention, singulièrement des maisons d’arrêt, ne s’améliore que lentement, en dépit des efforts des responsables et des personnels, en particulier en raison du nombre de personnes détenues. La suroccupation n’est pas l’exception en maison d’arrêt : elle est la règle. Elle est aggravée, on le sait, par la fragilité de nombreux détenus, en particulier dans leur équilibre psychologique. Cet état de fait se prolonge.
Un effort important est consenti en matière d’investissements. Il produira ses fruits. Mais il n’a de sens que s’il s’accompagne de réflexions centrées sur les conditions du recours à la détention provisoire et du maintien en détention provisoire d’une part, et sur la prise en charge des personnes mentalement fragiles d’autre part.
Ces trois objectifs (constructions ou aménagements d’établissements, recours à la détention provisoire et personnes fragiles) doivent être l’objet d’objectifs ambitieux et de long terme.
Pour les éclairer, comme elle en a désormais pris l’habitude, la Commission a scindé ses propres réflexions en deux parties.
D’une part, elle a dressé le tableau de la situation générale de la détention provisoire, en examinant successivement la modification éventuelle des textes qui lui sont applicables, ce que révèlent les données statistiques, enfin l’indemnisation des personnes acquittées ou relaxées. Sur le premier point, elle a relevé avec satisfaction la stabilisation des textes de la procédure pénale, modifiés trop fréquemment, pour le meilleur et pour le pire, depuis vingt-cinq ans. Après les lois du 9 septembre 2002 (d’orientation et de programmation pour la justice) et du 9 mars 2004 (portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité), les textes normatifs ont été peu modifiés, comme on le verra dans le premier chapitre de la première partie. Sur le second point, après les modifications importantes des années 2001 et 2002 en termes de nombres, les années 2003 et 2004 (sur laquelle on ne dispose pas encore de tous les éléments) font apparaître des tendances quelque peu diverses qui marquent, au final, une sorte de stabilisation à un point haut et dont on manque encore de recul pour savoir si elles sont appelées ou non à durer.
D’autre part, elle a consacré ses réflexions en 2005 à un thème particulier, celui du contrôle de la détention provisoire, qui lui a paru nécessaire précisément en raison de la situation difficile que connaissent les personnes concernées. Sa réflexion s’est naturellement ordonnée selon deux grands axes : le contrôle de la décision relative au principe de la mise en détention et du maintien en détention en premier lieu. Il s’agit exclusivement d’un contrôle juridictionnel, effectué par les magistrats sur des décisions juridictionnelles, dans lequel les chambres de l’instruction jouent un rôle essentiel. En second lieu, le contrôle des conditions d’exécution de la détention, qui est réalisé au contraire par des personnes extrêmement variées quant à leur statut et à leur rôle. Sans s’arrêter seulement à la description de ces contrôles et de leurs organes, la Commission s’est efforcée de s’interroger sur leur efficacité, question inévitable en raison de l’encombrement des juridictions et de la situation des maisons d’arrêt. Elle a souhaité aussi, à partir des contrôles très différents réalisés, s’interroger sur ce que peut être la méthodologie d’un bon contrôle, à l’égard de populations de prévenus placées, par leur nature même, dans des sujétions si particulières. Sur ce plan méthodologique, comme sur le plan matériel, des insuffisances existent, ce qui a amené la Commission, de manière qui n’est donc pas uniquement descriptive, à proposer quelques mesures qui figurent dans un « relevé de propositions », joint au rapport.
Comme à l’accoutumée, la Commission a tenu compte avec le plus grand soin des expériences étrangères, celles, du moins de nos proches voisins. Les systèmes demeurent naturellement très différents dans leurs principes (le monde anglo-saxon et italien opposé au « romano-germain »). Mais la réalité de la détention provisoire n’est pas si éloignée entre les différents pays que l’est le système pénal lui-même.
Pourtant, on observe à cet égard des écarts très substantiels, qui ne manquent pas d’intriguer, et de stimuler. On trouvera en annexe, sur ce point, outre la trace des travaux suivant lesquels le rapport de la Commission a été établi, les apports des magistrats de liaison français en fonction dans les principales capitales européennes aux travaux de la Commission.