Séance sur les difficultés posées par l’application du principe de légalité en matière pénitentiaire
Présentation par Martine Herzog-Evans
Maître de conférences à l’Université de Nantes
La question est posée de manière basique, cruciale, dans le domaine des sanctions quasi disciplinaires (C). Elle l’est également, malgré les réformes successives, pour celui des sanctions disciplinaires (B). Le principe de légalité a pourtant un support juridique incontestable en matière répressive (A).
A) Fondements du principe de légalité
Contenu.
Le principe de légalité se décline en droit pénal en toute une série de sous-principes
- nulle incrimination sans loi ;
- nulle peine sans loi ;
- pas de procédure sans loi.
Mais aussi :
- interprétation stricte des textes répressifs ;
- obligation de définir clairement les textes répressifs ;
- pas de rétroactivité sauf loi pénale plus douce.
Outre les fondements chez les auteurs des Lumières (Montesquieu, mais surtout Beccaria, Des délits et des peines), les fondements textuels internes et supranationaux abondent.
1. Les sources internes
Plusieurs articles de la déclaration des droits de l’homme de 1789 peuvent servir de support au principe de légalité sous ses divers aspects.
- L’article 5 : « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint de faire ce qu’elle n’ordonne pas ».
- L’article 8 : « la loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’une vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ».
Ce dernier texte, plus précis fonde donc les principes suivants (outre la nécessité des peines) :
- légalité des peines ;
- non rétroactivité des peines ;
- application « légale » des textes.
- L’article 7 : « nul homme ne peut être arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et dans les formes qu’elle a prescrites ».
C’est la nécessité de légalité en matière de privation de liberté, quelle qu’elle soit, et de légalité de la procédure.
A côté des textes de la DDH, deux textes sont insérés dans le Code pénal.
Article 111-3 du Code pénal.
« Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi si l’infraction est un crime ou un délit ou par le règlement si l’infraction est une contravention. »
Ceci correspond donc à
- pas d’infraction sans texte
- pas de peine sans texte
Article 111-4 du Code pénal
« La loi pénale est d’interprétation stricte ».
Il faut aussi citer la jurisprudence du Conseil constitutionnel
La règle selon laquelle un texte répressif doit être extrêmement précis a valeur constitutionnelle. V. C.C 19-20 janvier 1981 (JCP 1981, II, n° 19701, note FRANCK ; D. 1982, p. 441, note DEKEUVER).
Le Conseil constitutionnel a ainsi, à plusieurs reprises, censuré des lois parce qu’elles n’étaient pas assez précises.
Par exemple, dans une décision des 10-11 octobre 1984 (J.O. 13 octobre 1984, p. 3200) il a censuré une loi qui, amendée, devait devenir la loi du 23 octobre 1984, dont l’article 28 punissait de lourdes amendes l’inobservation de l’article 6 de la loi. Or ce dernier texte, avant correction, ne précisait pas quels étaient les destinataires de l’obligation d’insertion qu’il avait créée : soit au cédant soit au cessionnaire d’entreprise de presse. Le CC avait censuré la loi pour non conformité à la Constitution en se fondant sur le fait qu’elle était « édictée en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines puisque la détermination de son auteur est incertaine ».
Les fondements en opportunité
Traditionnellement l’on invoque aussi des fondements en opportunité au principe de légalité comme :
- sa nécessité pédagogique et donc criminologique : l’incrimination constitue l’avertissement indispensable au candidat à l’acte interdit
- sa nécessité démocratique : les dictatures ne respectaient pas le principe de légalité (exemples Nazi et soviétique particulièrement éclairant à cet égard). Une démocratie ne peut que rechercher une application croissante de la légalité des incriminations et des sanctions, y compris au-delà de ce qu’elle considère étroitement comme relevant du droit pénal :
Application en droit disciplinaire
L’ensemble des ordres répressifs non pénal, et spécialement l’ordre disciplinaire, opère, depuis une décennie environ, un rapprochement croissant vers le droit pénal, qu’il s’agisse du droit de fond ou de la procédure.
L’un des signes les plus immédiat de ce rapprochement consiste généralement à inscrire l’action disciplinaire dans le cadre du principe de légalité.
En ce sens, v. les nombreux travaux de J. Pralus-Dupuy
- Discipline, Répertoire Dalloz de droit pénal et de procédure pénale
- La répression disciplinaire de l’infraction pénale, RSC 1992, 229
- Cumul et non-cumul de sanctions en droit disciplinaire, D 1993, chron., p. 135
- L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et le contentieux de la répression disciplinaire, RSC 1995, 723.
2) Les sources supranationales
La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
- L’article 9 : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé »
- surtout, l’article 11.2 : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international. De même il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’acte délictueux a été commis ».
Ce dernier texte fonde donc les règles :
- pas d’infraction sans texte ;
- pas de peine sans texte ;
- non rétroactivité.
La Convention européenne des droits de l’homme
l’article 7-1 : "Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise."
Ce texte vise donc :
- pas d’infraction sans texte ;
- pas de peine sans texte ;
- non rétroactivité de la loi répressive plus sévère
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
l’article 15 dans des termes quasiment identiques : "Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise."
B) Insuffisances de l’application du principe de légalité en matière disciplinaire
1. L’apparence observation du principe de légalité
Elle se traduit par une présentation globale du droit disciplinaire comme étant inspirée du principe de légalité et du droit pénal en particulier.
Le droit disciplinaire pénitentiaire se place d’emblée dans le cadre du principe de légalité
Sur un plan général, à propos de la règle « pas d’infraction sans texte », c’est la circulaire d’application du 2 avril 1996 (NOR JUSE9640025C) [1], qui énonce, à l’article 2.1.1., le souci d’ « assurer le respect du principe de la légalité des infractions ».
Pour y parvenir, le décret du 2 avril 1996 (n°96-287) s’inspire à l’évidence du droit pénal, d’une part, en ce qu’il dresse une liste des sanctions punissables d’apparence exhaustive, et, d’autre part, en prévoyant pour celles-ci une classification tripartite.
Le caractère limitatif des fautes disciplinaires apparaît à la lecture des articles D 249-1 à D 249-3 du code de procédure pénale. Il ressort de l’insertion, en préalable a la liste qui les introduit, d’un A. intitulé « Les fautes disciplinaires ». De la même manière, l’article D 249 énonce que « les fautes disciplinaires sont classées…. ».
Seules les fautes qui sont énoncées ensuite peuvent faire l’objet de poursuites disciplinaires. ".
La division tripartite des fautes disciplinaires est également empruntée au droit pénal. Les fautes disciplinaires sont classées en trois catégories soumises à des régimes pour partie divergents, comme en matière pénale. De plus, l’article D 249 du Code de procédure pénale énonce que « Les fautes disciplinaires sont classées, suivant leur gravite, et selon les distinctions prévues aux articles D 249-1 a D 249-3 en trois degrés », quasiment dans les mêmes termes que ceux employés par l’article 111-1 du Code pénal qui prévoit que « Les infractions pénales sont classées, suivant leur gravite, en crimes, délits et contraventions ».
Il faut surtout noter que les fautes de premier et de second degré correspondent toutes à des infractions pénales, même si les éléments constitutifs n’en sont pas toujours identiques. Il en va de même de quelques fautes de troisième degré.
Par ailleurs, les fautes de premier et second degré, ainsi que quelques fautes de troisième degré, correspondent tous à des délits. C’est ainsi, par exemple, que l’on retrouve par exemple au titre des fautes de premier degré, des qualifications comme celles de violences (art. D 249-1-1°CPP), de détention et de trafic de stupéfiants (art D 249-1-3° CPP), de menaces (article D 249-1-4° CPP), d’évasion (article D 249-1-6° CPP), de dégradations (article D 249-1-7° CPP) et de mise en danger d’autrui (art. D 249-1-8° et D 249-2-12° CPP).
Les seules sanctions qui sont admissibles en matière disciplinaire sont prévues aux articles D 251 et suivants. Il est à noter que le régime juridique de ces sanctions s’apparente également souvent très fortement au droit pénal. Par exemple, des travaux d’intérêt « pénitentiaire » dont le régime et la formulation sont très proches du TIG (v. D 251-1-5° et 7°), une privation de liberté (cellule disciplinaire) qui peut être provisoire (D 250-3) mais uniquement pour les deux catégories de fautes les plus graves (comp. Pénal : crimes et délits uniquement), et qui est certes la peine principale (l’échelle des sanctions pour chaque degré de faute est ainsi assise sur cette sanction), mais pour laquelle, comme en matière pénale, les réformateurs (de 1996) ont tenté d’instaurer des peines alternatives (et textuellement conçues comme telles. V. D 251-1 dernier alinéa). Il faut encore citer l’usage de techniques d’individualisation de la sanction dont l’esprit comme le régime s’apparentent au droit pénal : sursis simple, suspension de sanction, grâce…
Malgré cette apparence, qui a indéniablement constitué un important progrès en 1996, de, nombreuses lacunes demeurent qui doivent à présent être corrigées.
2. Lacunes et violations du principe
Le principe de légalité n’est pas entièrement observé en droit disciplinaire, tantôt parce que des lacunes sont apparues, tantôt parce que la proximité avec le droit pénal suscite des questions sans réponse claire, tantôt encore parce que les réformateurs ou la jurisprudence n’ont pas hésité à le violer.
a) Lacunes. Manquent certains outils techniques
Au titre des lacunes, il faut signaler que la logique pénale étant partout présente, non seulement dans les mécanismes juridiques, mais encore dans les situations litigieuses (rappelons que la plupart des fautes disciplinaires correspondent à des fautes pénales), des difficultés résolues en droit pénal par des outils techniques bien connus se posent également sans que ces outils soient disponibles. Il en va ainsi par exemple (d’autres questions ne seront pas traitées ici) de :
La complicité
Le concept de complicité n’a pas fait l’objet d’une disposition analogue à celle de l’article 122- du Code pénal. Le Code de procédure pénale s’est borné à prévoir des cas de complicité par provocation non pas dans un texte unique, mais dans plusieurs dispositions situées à la fin de la liste de chaque catégorie de faute. Ces textes disposent en termes identiques qu’est également prohibé le fait « d’inciter un codétenu à commettre l’un des manquements énumérés par le présent article ».
Les autres hypothèses de complicité et notamment la fourniture de moyens ont été omises alors qu’elles peuvent tout aussi aisément se rencontrer. En vertu du principe de légalité ceci devrait strictement prohiber toute sanction d’autres formes de complicité. Tel n’est cependant pas toujours le cas en pratique.
Les causes d’irresponsabilité.
Le droit pénitentiaire ignore les faits justificatifs du droit pénal et même, plus généralement, toutes les causes d’irresponsabilité. Ceci ne veut pas dire qu’ils ne soient pas parfois appliqués par les commissions. Mais celles-ci le font sans support textuel, sans définition ni critères juridiques, et les juridictions administratives, elles-mêmes, sont conduites à inventer des outils bancals (l’invention elle-même posant problème au regard du principe de légalité)
Tel est particulièrement le cas pour la légitime défense, par exemple, lorsqu’il existe une bagarre entre détenus. L’un est victime, mais est le plus souvent traité en tant que coauteur (v. TA Marseille, 4 mars 1998, Maria, D. 1999, chron., p. 511, J.-P. Céré et M. Herzog-Evans ; TA Versailles, 16 mars 2001, Abouchiche, D. 2002, chron., p. 115 M. Herzog-Evans ; Cour administrative d’appel de Marseille, 2è chambre, le 11 décembre 2001, Req., n° n° 98MA00849, inédit).
Tel est ensuite le cas pour la démence. Là encore tandis qu’en droit pénal, l’auteur d’une infraction, atteint d’un « trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes », bénéficie d’une cause d’irresponsabilité (C. pén., art., 122-1, al. 1), ou d’atténuation de sa responsabilité si sa maladie n’a fait qu’altérer son discernement ou son autocontrôle (C. pén., art., 122-1, al. 2), rien de tel n’est prévu en droit disciplinaire alors que la commission de fautes disciplinaires par des personnes atteintes de troubles mentaux est ultra fréquente.
La question de la contrainte a eu également l’occasion de se poser en droit disciplinaire. Il se produit couramment que des détenus soient contraints d’agir sur l’empire d’une contrainte très forte exercée par un codétenu, prenant la forme de menaces de mort, de violences ou de viol, de représailles sur lui-même ou sur des membres de sa famille, etc. De la même manière, la faute est parfois le fait d’évènement extérieur, imprévisibles et irrésistibles équipollents à la force majeure. En droit pénal, le détenu pourrait éventuellement bénéficier d’une cause d’irresponsabilité s’il « a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle (il) n’a pu résister » (C. pén., art. 122-2). En droit disciplinaire, aucun texte ne le prévoit, ce qui a conduit la jurisprudence administrative à faire application du concept civil et administratif de force majeure, moins adapté que celui de contrainte (v. à propos d’un retour de permission tardif pour cause de contrôle policier du véhicule ramenant le détenu : TA Caen, 10 oct. 2000, D. 2002, chron., p. 115 , M. Herzog-Evans).
b) Interrogations nées de la proximité du droit disciplinaire avec le droit pénal
Plus globalement la proximité des qualifications pénales avec un très grand nombre de qualifications disciplinaires soulève des questions complexes.
Quelle attitude adopter lorsque la notion utilisée en droit disciplinaire est la même, qu’en pénal, et n’a pas été définie ? Convient-il de se tourner vers la définition pénale ? La question se pose pour de nombreuses qualifications et notamment pour l’évasion, le vol, les atteintes frauduleuses à la propriété d’autrui.
La question se pose également lorsque les éléments constitutifs de la qualification sont quasiment identiques en disciplinaire et en pénal (exhibition sexuelle). Les solutions traditionnellement retenues dans la jurisprudence pénale s’appliquent-elles ?
La question est traitée de manière paradoxale par les juridictions administratives. D’un côté, elles énoncent de manière constante depuis 1996, que les procédures administratives sont indépendantes des procédures pénales (ce qui traduit une confusion entre procédure et fond… [2] ) ; de l’autre, il leur arrive d’aller chercher en droit pénal, le support d’une qualification disciplinaire. Ainsi dans une affaire Yven, le tribunal administratif de Nantes (13 dec. 2002, req., n° 0203580, inédit) a-t-il été rechercher dans l’article 227-13 du Code pénal (détention d’images pornographiques d’un mineur) le fondement de la sanction disciplinaire infligée à ce détenu sur la base de l’article D 249-3-10° (fait pour un détenu… « de faire un usage abusif ou nuisible d’objets autorités par le règlement »).
La proximité avec le pénal soulève une autre question : un élément moral est-il toujours nécessaire ? Faut-il donner à cette question une solution globale ou propre à chaque texte (sachant que la plupart ne permettent pas de trancher) ? Le droit pénal, qui pose qu’il faut un élément moral, sauf texte contraire est-il applicable ? Faut-il adopter s a définition de l’élément intentionnel ? Faut-il distinguer entre les fautes de premier et deuxième degré, d’une part, et les fautes de troisième degré ? Faut-il distinguer entre les fautes disciplinaires qui sont aussi de nature pénale et celles qui ne le sont pas ?
Une question essentielle se pose encore : en matière pénale, le principe de légalité contraint le juge répressif à interpréter strictement les qualifications pénales. Les juridictions administratives ne pratiquent pas cette technique et peuvent aller jusqu’à admettre l’interprétation par analogie, formellement prohibée en droit pénall. Ainsi dans l’affaire Yven précitée. Ainsi encore dans une affaire Sallès, 12 mars 2002 (D. 2003, chron., p. 922, note M. Herzog-Evans), un fait non prévu par le CPP a-t-il pu être retenu en recourant à l’analogie : communication irrégulière de l’article D 249-3-9° s’agissant du fait pour un détenu de profiter de la possibilité de téléphoner pour, se faisant passer par un avocat, obtenir d’une direction régionale des renseignements qui n’auraient pas du lui être communiqués. Il conviendrait sans doute de rédiger une disposition en droit disciplinaire qui poserait le principe de l’interprétation stricte.
Une longue liste de texte ne respectent pas un autre aspect du principe de légalité : la clarté des textes.
c) Textes conçus de manière floue, ou procédant par renvoi ou adaptation
Certains textes posent de redoutables problèmes d’interprétation, en raison de leur rédaction floue
Textes flous posant des difficultés d’interprétation
- D 249-1-2° vise « le fait de participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement » alors que D 249-2-2° vise « le fait de participer à toute action collective de nature à compromettre l’ordre de l’établissement ». Comment distinguer les deux lorsqu’on sait que ordre et sécurité sont synonymes en détention ?
Dans le même registre, D 249-1-7° vise le fait « de causer délibérément de graves dommages aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement » tandis que D 249-2-4° vise le fait de « causer délibérément un dommage aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement ». Comment distinguer ce qui est grave de ce qui ne l’est pas ?
Textes procédant par renvoi
- articles D 249-2-9° : « détenir des objets ou substances non autorisés par les règlements ou de se livrer à leur trafic »
- D 249-3-11° « pratiquer des jeux non autorisés par le règlement intérieur »
- D 249-3-5° du Code de procédure pénale : « ne pas respecter les dispositions du règlement intérieur de l’établissement ou les instructions particulières arrêtées par le chef de l’établissement ».
- D 249-2-6° du Code de procédure pénale vise le fait de « refuser de se soumettre à une mesure de sécurité définie par les règlements et instructions de service » (noter que cette qualification pose aussi des difficultés d’interprétation au regard de la faute prévue à l’article D 249-3-4° (refus de soumission à une injonction) et D 249-3-5° (refus de respecter le règlement intérieur)
Le problème que soulèvent ces renvois est que :
- les règlements intérieurs sont souvent - le plus souvent même - lacunaires et ne prévoient pas les dispositions auxquelles renvoient les textes du CPP ou, quand ils le font, ne respectent pas le principe de la clarté textuelle vu ci-dessus ;
- les règlements intérieurs sont parfois inexistants, obsolètes… ;
- les règlements intérieurs sont le plus souvent inaccessibles aux détenus, voire aux avocats (beaucoup de difficulté à se procurer un exemplaire, ne serait-ce que par barreau, en pratique) ;
- Les règlements intérieurs sont différents d’un établissement à l’autre. D’où un second problème : celui de l’égalité devant la loi, singulièrement la loi répressive ;
- Beaucoup d’établissements ont en réalité des règlements intérieurs mal rédigés, incomplets, se bornant à recopier le Code de procédure pénale, ou au contraire pléthoriques et abscons, dépassés, etc.
- Trop de règlements intérieurs sont « mis à jour » par voie de notes de services affichées un temps puis décollées ou disparues, ce qui pose un sérieux problème de sécurité juridique
S’il est admissible que la détermination des horaires de parloir ou des promenades varie d’un établissement pénitentiaire à un autre, en revanche, il est ahurissant que le régime disciplinaire varie, et spécialement la détermination des comportements jugés fautifs, du fait des nombreuses qualifications qui comportent des renvois aux règlements et instructions de service.
D’où la nécessité d’uniformiser les règlements intérieurs au moins sur une partie générale (la partie spéciale restant à définir), et par catégorie d’établissement.
Il est à noter que ce sont justement les articles D 249-3-5° (4973 procédures en 2000) et D 249-3-4° (3766 procédures en 2000) [3], qui sont le plus fréquemment sanctionnés parmi les fautes de troisième degré.
Textes à la fois flous et procédant par renvoi
L’article D 249-3-10° du Code de procédure pénale réprime le fait de « faire un usage abusif ou nuisible d’objets autorisés par le règlement intérieur. ».
Textes prônant d’adapter les qualifications !
L’absurde est atteint et la violation du principe de légalité abyssale lorsque le Code de procédure pénale vient rien de moins qu’enjoindre les commissions de discipline à adapter des qualifications disciplinaires afin de les rendre applicables ! L’article D 249-4 du CPP énonce ainsi que les qualifications disciplinaires peuvent être commises en dehors d’un établissement pénitentiaire (ce qui suppose que le détenu soit en cours d’exécution d’un aménagement de peine. Noter que ceci ne peut concerner que les situations où il est encore sous écrou, ce qui exclut la libération conditionnelle).
Ce même texte énonce alors cependant « En ce cas, les violences, dégradations, menaces mentionnées aux 1° et 7° de l’article D 249-1 et 1° et 4° de l’article D 249-2 peuvent être retenues comme fautes disciplinaires quelle que soit la qualité de la personne visée ou du propriétaire des biens en cause ».
La circulaire précitée du 2 avril 1996 confirme à l’article 2.2.4.2. que certaines fautes « doivent être adaptées ». Au demeurant, en pratique comme en droit, d’autres qualifications devraient être adaptées pour pouvoir être appliquées au monde extérieur, sous peine de n’avoir aucun sens…
C) L’absence de respect du principe de légalité en matière quasi disciplinaire
Ce n’est un secret pour personne et le Conseil d’Etat la récemment lui-même admis à propos de l’isolement [4], l’administration pénitentiaire utilise d’autres sanctions que les sanctions officiellement disciplinaires.
Il s’agit notamment de :
- l’isolement imposé (D 283-1 et s.CPP) ;
- le changement d’affectation imposé (D 82 et s. CPP) ;
- la suspension ou l’annulation du permis de visite (D 408 CPP) ;
- l’obligation de subir les visites dans le cadre d’un dispositif de séparation (D 405 CPP).
Ces sanctions posent problème à plusieurs égards
- elles ne sont pas reconnues comme sanctions par les textes (v. notamment et expressément, l’article D 283-2)
- aucun texte ne prévoit quelles sont les fautes qui permettent de prononcer ces sanctions.
- Ces sanctions ne comportent pas de limite temporelle claire (v. D 408), voire aucune limite temporelle (v. D 405 et D 283-1).
Les violations du principe de légalité sont ici si basiques, que l’urgence est considérable.
Quelques mots sur les questions procédurales* Martine Herzog-Evans
Maître de conférences à l’Université de Nantes
Les questions procédurales sont à la fois :
- extrêmement complexes (et ne peuvent être traitées ici de manière correcte) ;
- globalement bien balisées en matière disciplinaire pure.
Pour résumer il est possible de dire que sous réserve de quelques questions spécifiques (surtout absence de partie poursuivante, régime flou quant à la citation de témoins, vide juridique quant aux expertises, temps pour la préparation de la défense soumis à un flou juridique depuis l’abrogation de la circulaire du 30 octobre 2000), et d’un débat éventuel à soulever quant à la composition de la commission de discipline, le droit disciplinaire a fait de considérables progrès depuis l’entrée en vigueur de la loi du 12 avril 2000 et depuis le décret du 25 juillet 2002 relatif au mandataire ainsi que la circulaire AP du 9 mai 2003 (NOR JUSE03 400 55C)
La difficulté réelle concerne aujourd’hui le domaine quasi disciplinaire.
La circulaire du 9 mai 2003 a abrogé celle du 31 octobre 2000 et aménagé les conditions procédurales du débat contradictoire pour les sanctions disciplinaires comme quasi disciplinaires.
Toutefois, elle prétend réduire le domaine d’application de la loi du 12 avril 2000 et exclut notamment les sanctions les plus coercitives comme l’isolement et le changement d’affectation imposé, les sanctions de parloir avec dispositif de séparation de l’article D 405 du CPP, les confiscations sur la part disponible de l’article D 332 alinéa 1er, et les sanctions de confiscation de l’article D 323 [5]. Il faut à cet égard noter que, pour l’isolement, la circulaire a été démentie par l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 juillet 2003 précité.
A mon sens elle doit l’être pour toutes les sanctions faisant grief qu’elle exclut.
A côté des exclusions, il faut aussi citer d’autres points pour lesquelles la protection procédurale est encore minime, même dans le domaine d’application de la loi du 12 avril 2000
- absence d’audience pour réaliser le débat contradictoire, pour les sanctions quasi disciplinaires, la circulaire du 9 mai 2003 organisant simplement un entretien informel (il est vrai dans le respect de la lettre de la loi du 12 avril 2000)
- absence d’enquête dans ces matières (aucune phase préparatoire n’est distinguée de la phase décisoire), donc aucune discussion possible des preuves
- absence d’aide juridictionnelle