Champ pénal, Penal Field, Nouvelle revue française de criminologie, New French Journal of Criminologie, « champpenal.revues.org », 2006.
VI. - Détention, alternatives à la détention.
Comment décrire l’état des lieux ? Approche conceptuelle
Résumé : Réduire la place de la prison dans les systèmes de Justice pénale, développer le recours aux mesures et sanctions alternatives à la détention, ces objectifs sont partagés par l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe. Aussi est-il important de mieux connaître les situations des Etats, en la matière et les évolutions en cours. Encore faut-il pouvoir disposer d’un certain nombre de concepts et de méthodes susceptibles d’être utilisés dans des contextes nationaux différents, et ce malgré la spécificité du droit, du système pénal, de l’appareil statistique dans chaque pays. C’est à cet exercice que s’atèle l’auteur, en s’appuyant sur sa longue expérience d’expert au Conseil de l’Europe.
Mot-clés : mesures et sanctions pénales, peine alternative, prison, détention, socio-démographie pénale
Summary : To reduce the place of the prison in the systems of penal justice, to resort more to measures and penalties other than imprisonment, are objectives shared by all the member-states of the Council of Europe.
It is thus important to have a better knowledge of the situation of the various States in this matter and of current developments. This means being able to deal with a certain number of concepts and methods liable to be used in different national contexts and this in spite of the specific character, in each country, of the law, the penal system and the statistical apparatus.
This is the task undertaken by the author, relying on a long experience as an expert in the Council of Europe.
Key-words : penal measures and penalties, alternative punishment, prisons, emprison-ment, penal socio-demographic sciences.
Zusammenfassung : Folgende Zielvorstellungen werden von allen Mitgliedsstaaten des Europarates geteilt : den Platz des Gefängnisses in den strafrechtlichen Justizsystemen zu reduzieren, den Einsatz von Ma ?nahmen und Strafen zu entwickeln, die eine Alternative zur Haft darstellen. Außerdem ist es wichtig die Situationen der Staaten in diesem Bereich und den Verlauf der Entwicklungen besser zu kennen. Aber dazu muss man über eine gewisse Anzahl von Konzepten und Methoden verfügen, die zur Anwendung in verschiedenen nationalen Kontexten geeignet sind, und dies trotz der Besonderheit des Rechts, des Strafrechtssystems, des statistischen Apparates in jedem Land. Dies hat sich der Autor zur Aufgabe gemacht, wobei er sich auf seine lange Erfahrung als Experte am Europarat stützt.
Schlüsselwörter : strafrechtliche Ma ?nahmen und Sanktionen, alternative Strafe, Gefängnis, Haft, strafrechtliche Soziodemographie
Introduction
A l’heure où, à pas des plus mesurés, l’Union Européenne tente de construire un espace judiciaire, il parait important que les chercheurs développent de nouveaux outils susceptibles d’aider aux comparaisons internationales. La contribution que nous proposons aux lecteurs de Champ Pénal / Penal Field » s’intéresse à la production des systèmes pénaux en matière de sanction. Nous cherchons évidemment à dépasser des considérations purement juridiques - quelle(s) peine(s) encourue(s) pour quelle(s) infraction(s) - en essayant, afin de quantifier cette production, de définir des typologies prenant en compte non seulement le prononcé des peines mais aussi leur application. Elles seules sont susceptibles de rendre compte de la complexité des choses et, par exemple, de mesurer le poids des « sanctions privatives de libertés » (à définir) par rapport à celles que nous appellerons « alternatives » à la détention (à définir).
Dans cette approche, nous nous appuyons sur l’expérience acquise aux cotés de nombre de collègues étrangers, de disciplines diverses, rencontrés dans le cadre des travaux du Conseil de l‘Europe [1], l’Europe des 46 Etats dont les apports restent fondamentaux pour tous ceux qui veulent faire avancer l’Union européenne vers cet « espace de liberté, de justice et de sécurité ». Nous n’avons pas la naïveté de penser que ses typologies, de par leur complexité, puissent être applicables, en l’état, aux 46 pays de la grande Europe, pas plus qu’aux 25 Etats de l’Union européenne. Nous espérons, plus modestement, que des collègues de tel ou tel autre pays auront envie de tenter l’exercice sur leurs propres données, dans une démarche heuristique, et de débattre des difficultés rencontrées.
1. - Le Taux de détention
Lorsque l’on cherche à comparer la « production » des systèmes de justice pénale de deux pays donnés, pour savoir, par exemple, si l’un est plus sévère que l’autre dans sa façon de sanctionner les infractions pénales, la méthode la plus simple, sinon la mieux adaptée, est d’aller voir du coté des prisons et de compter le nombre de personnes détenues. La présence de hauts murs amène naturellement à penser que ce recensement ne doit pas être bien compliqué, nulle personne concernée ne pouvant, a priori, y échapper. Encore faudra-t-il relativiser ce nombre, en fonction de l’importance démographique des pays concernés, sans parler de quelques problèmes de définition.
Le taux de détention est un indicateur de stock (ou d’état) obtenu en rapportant, à une date donnée, le nombre de personnes détenues au nombre d’habitants du pays considéré. C’est en fait une proportion (rapport d’une partie sur le tout).
Ce taux ne doit pas être confondu avec le taux d‘entrées en détention que nous avons appelé taux d’incarcérations à l’origine de la Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE) mise en place en 1983. Ce second taux est un indicateur de flux, obtenu en rapportant le nombre d’entrées annuelles en détention de personnes précédemment libres, au nombre moyen d’habitants sur la période. Il représente la fréquence des entrées en détention par rapport à l’ensemble de la population.
Au 1er septembre 2004, les statistiques du Conseil de l’Europe donnent un taux de 91 pour 100 000 en France (Conseil de l’Europe, 2004). Ce taux est assez proche de celui de la Suisse (82), de l’Allemagne ou de l’Italie (97). On trouve, traditionnellement, des taux plus bas dans le Nord de l’Europe : 40 en Islande, 65 en Norvège, 66 en Finlande, 70 au Danemark, 76 en Irlande du Nord (mais 82 en Suède). En revanche, nombre de pays européens connaissent désormais des taux nettement supérieurs à 100 détenus pour 100 000 : 121 au Luxembourg, 124 aux Pays-Bas, 136 en Ecosse, 140 en Angleterre Pays de Galles ou en Espagne, sans parler des anciens pays communistes d’Europe centrale ou orientale où les taux sont généralement nettement plus élevés.
Ce calcul des taux de détention, malgré la simplicité apparente de l’indice, n’est pas sans poser quelques problèmes méthodologiques. Signalons, brièvement, quelques unes de ces difficultés. Le taux de la France figurant dans la base de données SPACE, au 1er septembre 2004, a été obtenu en divisant 56 271 par 62 177 000 habitants. A cette date, le nombre de « personnes écrouées », c’est-à-dire juridiquement détenues [2] - est en fait de 56 971 (métropole et outre-mer). En excluant les 472 condamnés placés sous surveillance électronique et les 228 condamnés placés à l’extérieur sans hébergement, on obtient le nombre de 56 217 retenu dans SPACE. En se référant à la totalité de la population sous écrou, on aurait obtenu un taux de détention de 92 p. 100 000. On aurait pu aussi décidé de ne pas compter les détenus en permission de sortir (congé pénitentiaire), eux aussi juridiquement détenus mais physiquement absents. Ainsi l’adage selon lequel « c’est l’écrou qui fait le détenu » est très simplificateur. Nous y reviendrons.
Le choix du dénominateur du taux - la population de la France -, pose aussi problème. En effet, les habitant les plus jeunes - qui sont tous comptés au dénominateur - ont une probabilité nulle d’être détenus, pour des raisons juridiques et, pour les plus âgés, la probabilité est très faible. A l’inverse, certaines catégories peuvent être représentées en prison sans être comptabilisées dans le recensement de la population de la France : étrangers en situation irrégulière, étrangers de passage (travailleurs saisonniers, touristes...).
Mais plus fondamentalement au regard de notre problématique - la place de la prison dans les systèmes de sanction - ces taux de détention ne nous renseignent évidemment pas sur les alternatives à la détention. Pour ce faire, on se tourne, classiquement, vers les statistiques de condamnations issues du casier judiciaire national.
2. - L’approche classique : un chiffrage à géométrie variable
2.1 - Une alternative pour deux sanctions
En France, les infractions pénales sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions (art. 111-1 du code pénal), ces dernières étant subdivisées en 5 classes. En matière de crime, la peine maximale encourue - réclusion ou détention criminelle - est la perpétuité, en matière de délit, la peine maximale est de dix ans (emprison-nement). Les peines contraventionnelles sont l’amende (maximum de 1 500 euros pour les contraventions de 5ème classe, 3 000 euros en cas de récidive, dans certains cas) et les peines privatives ou restrictives de droits, prévus à l’article 131.14 du Code pénal. Depuis la mise en application du nouveau code pénal, le 1er mars 1994, les peines privatives de liberté ne peuvent plus être encourues pour les contraventions, même de 5ème classe.
Les sanctions inscrites au casier judiciaire sont les condamnations pour crimes, pour délits et pour contraventions de 5ème classe. Pour 2003 [3], elles sont au nombre de 525 053.
Etablissons une première dichotomie (A) dans cet ensemble :
A1. Les peines privatives de liberté (PPL), « au sens large », sanctions qui, d’une façon ou d‘une autre, se réfèrent à la « prison » :
1. - Réclusion criminelle,
2. - Emprisonnement ferme sans sursis à exécution,
3. - Emprisonnement ferme assorti d’un sursis partiel, à exécution (peine mixte),
4. - Emprisonnement assorti d’un sursis total, simple (c’est-à-dire sans obligation spécifique),
5. - Emprisonnement assorti d’un sursis total, avec mise à l’épreuve non accompagné d’un travail d’intérêt général (SME),
6. - Emprisonnement assorti d’un sursis total, avec mise à l’épreuve, accompagné d’un travail d’intérêt général (SME-TIG).
A2. Les autres peines dites sanctions alternatives « au sens étroit » (NON-PPL)
1. - Amende
2. - Suspension du permis de conduire
3. - Mesures éducatives
4. - Jours-amendes
5. - TIG peine principale
6. - Interdiction du permis de conduire
7. - etc.
Le sursis total avec ou sans mise à l’épreuve se réfère bien à la prison, puisqu’un quantum est effectivement prononcé (6 mois, un an d’emprisonnement...) mais non mis à exécution (sauf révocation ultérieure du sursis). C’est la différence qui existe entre la « probation à la française » et la « probation à l’anglaise » (sans référence à la prison).
Sur la base de cette première dichotomie, on trouve, pour 2003, 283 202 PPL, soit 54 % du total des condamnations inscrites au casier judiciaire. La proportion des sanctions alternatives (NON-PPL) est donc, dans l’ensemble des trois catégories d’infractions pénales considérées, de 46 %. Ce qui fait un peu moins d’une alternative pour deux sanctions.
2.2 - Une alternative sur trois sanctions (délits)
Les 525 053 condamnations, inscrites en 2003, se répartissent de la façon suivante : 3 174 condamnations pour crimes (0,6 %), 411 373 condamnations pour délits (78,4 %) et 110 506 condamnations pour contraventions de 5e classe (21,0 %).
On a recensé 3 145 PPL (au sens défini supra) parmi les condamnations pour crimes, soit 99 %, 280 057 PPL parmi les condamnations pour délits, soit 68 %, les PPL n’étant pas possible en droit en matière de contravention de 5ème classe.
Si, comme précédemment, on appelle sanction alternative une sanction qui n’est pas une PPL, la proportion des alternatives est donc de 1% pour les condamnations pour crimes, 32 % pour les condamnations pour délits et, évidemment, de 100 % pour les contraventions de 5e classe. Ainsi dans cette présentation, 1/3 des sanctions pour délits sont des alternatives.
Parmi les alternatives pour les délits, vient, largement en tête, l’amende (52 % des alternatives), puis la suspension du permis de conduire (13 %), les mesures éducatives (12 %), les jours-amendes (9 %), les TIG peine principale (7 %), l’interdiction du permis de conduire (2 %) ...
2. 3 - Trois alternatives pour quatre sanctions (délits)
On peut effectuer la dichotomie (B) des sanctions autrement :
B1. Les peines privatives de liberté (PPL*), « au sens étroit », sanctions qui comprennent nécessairement une partie ferme de privation de liberté :
1. - Réclusion criminelle,
2. - Emprisonnement ferme sans sursis à exécution,
3. - Emprisonnement ferme assorti d’un sursis partiel, à exécution (peine mixte),
B2. Les autres peines dites sanctions alternatives « au sens large » (NON-PPL*)
1. - Emprisonnement assorti d’un sursis total, simple (c’est-à-dire sans obligation spécifique),
2. - Emprisonnement assorti d’un sursis total, avec mise à l’épreuve non accompagné d’un travail d’intérêt général (SME),
3. - Emprisonnement assorti d’un sursis total, avec mise à l’épreuve, accompagné d’un travail d’intérêt général (SME-TIG).
4. - Amende
5. - Suspension du permis de conduire
6. - Mesures éducatives
7. - Jours-amendes
8. -TIG peine principale
9. - Interdiction du permis de conduire
10. - etc.
Ainsi, quand on exclut des PPL, les peines d’emprisonnement avec sursis total, les choses vont apparaître bien différentes. Celles-ci représentent, en effet, les 2/3 des PPL pour délits, au sens précédent.
En appelant maintenant sanction alternative une sanction qui n’est pas une PPL ferme ou assortie d’un sursis partiel (NON-PPL*), on trouve alors une proportion d’alternatives de 75 % pour les délits. Vient en tête le sursis simple (39 % des alternatives), puis l’amende (22%), le sursis avec mise à l’épreuve (15 %), la suspension du permis de conduire (5 %), la mesure éducative (5 %), le jour-amende (3,7 %), le TIG peine principale (2,9 %), le sursis accompagné d’un TIG (2,8 %), l’interdiction du permis de conduire (0,7%).
2.4 - Sanction et qualification des infractions
Revenons aux taux de PPL (ou de PPL*). Quelle que soit la définition retenue, le taux global (T) est la moyenne pondérée des taux pour les crimes, les délits et les contraventions de 5e classe, les coefficients de pondération étant les poids de chacune de catégories d’infractions par rapport à l’ensemble des sanctions inscrites au casier judiciaire.
Soit T1 le taux de PPL pour les crimes, T2 le taux de PPL pour les délits et T3 le taux pour les contraventions de 5e classe.
Soit p1 la proportion de crimes, p2 la proportion de délits et, p3 la proportion de contraventions de 5e classe.
On a T = p1 .T1 + p2 . T2 + p3 T3
Si on considère en première approximation que p1 = 0 % (en réalité : 0,6 %), comme on a T3 = 0 %., la formule précédente se simplifie et on obtient
T = p2 . T2, avec p2 proportion de délits et T2 le taux de PPL pour les délits.
Le taux global de PPL est, approximativement, égal au produit du taux de PPL parmi les délits et de la proportion de délits parmi l’ensemble des sanctions.
Avec la définition des PPL (incluant le sursis total), on obtient :
T = p2 . T2 = 78,4 % x 68 = 53,3 %
Avec la définition des PPL* (excluant le sursis total), on obtient :
T* = p2 . T2* = 78,4 % x 25 = 19,6 %,
On voit évidemment ici l’importance de la qualification des faits. Un même fait peut être, dans la réalité, qualifié de contravention de 5ème classe ou de délit, en matière de coups et blessures par exemple. Le qualifier « contravention de 5ème classe », revient automatiquement, depuis 1994, à prononcer une alternative à la détention. En revanche, le qualifier de « délit » laisse la porte ouverte à la prison.
Ainsi, le fait que des infractions, a priori qualifié de contraventions de 5ème classe, soient qualifiées de délits peut faire augmenter la proportion globale de PPL. Mais la pris en compte - ou non - des peines avec sursis total et la distinction selon la catégorie juridique de l’infraction ne sont pas les seuls problèmes posés par de tels calculs.
2. 5 - Autres questions de champ
Ainsi ne crée-t-on pas un biais en raisonnant, comme on vient de le faire - sans le dire - sur l’ensemble des juridictions de jugement, sans distinguer les juridictions de 1er degré et les cours d’appel ? Pour éviter ce problème, la solution serait de quitter la démarche transversale utilisée ici (prise en compte des condamnations prononcées une année donnée) pour une analyse de type longitudinal consistant à suivre des affaires à travers les différents degrés de juridiction jusqu’à ce que l’on connaisse la sanction définitive.
Par ailleurs ne devrait-on pas tenir compte du mode de jugement, autrement dit, doit-on raisonner uniquement sur les sanctions prononcées de façon contradictoire ou bien inclure les jugements qui pourront être remis en cause, du fait de l’absence du condamné (jugement par défaut) ?
On le voit, malgré une simplicité apparente, cette approche classique de la question des « peines alternatives » n’est pas sans poser quelques problèmes. De plus, elle a l’inconvénient majeur d’ignorer que le procès pénal, moment d’établissement de la culpabilité de la personne mise en cause et du choix de la sanction, s’inscrit dans tout un processus, qu’il y a un avant (le pré-sententiel) et un après (le post-sententiel) où la question du recours aux alternatives à la détention se pose tout autant. C’est ce que nous tentons de prendre en compte infra.
3. - Classification européennes des mesures et sanctions pénales
Une première façon d’élargir le champ d’analyse consiste à se référer au concept complexe de mesure et sanctions pénales (MSP) introduit indirectement par le Conseil de l’Europe lorsqu’il a été question d’élaborer des règles pour « le milieu ouvert » après l’adoption, pour le « milieu fermé », des règles pénitentiaires européennes en 1987.
3.1 - Sanctions et mesures appliquées dans la communauté
Le concept de « sanctions et mesures appliquées dans la communauté » (SMC) trouve son origine dans la recommandation n°R (92), 16, (Conseil de l’Europe, 1994). Les SMC sont celles qui maintiennent le délinquant dans la communauté et impliquent une certaine restriction de sa liberté par l’imposition de conditions et/ou d’obligations, et qui sont mises à exécution par des organismes prévus par des dispositions légales en vigueur. Cette notion désigne également les sanctions décidées par un tribunal ou un juge et les mesures prises avant la décision imposant la sanction prise à la place d’une telle décision, de même que celles consistant en une modalité d’exécution d’une peine d‘emprisonnement hors d’un établissement pénitentiaire. Ainsi, les modalités d’application des SMC doivent prévoir une forme d’assistance et de surveillance de la part de la communauté.
L’amende ou le sursis simple (à exécution d’une peine d‘emprisonnement) du droit français, sans assistance ni surveillance, ne sont pas des SMC, au sens du Conseil de l’Europe, le sursis avec la mise à l’épreuve (SME), si.
Sont aussi des SMC le contrôle socio-éducatif (mesure pré-sententielle), le travail d’intérêt général qui peut être aussi bien considéré comme une sanction s’il est prononcé à titre principale ou comme une mesure, s’il s’agit d’une des obligations d’un sursis avec mise à l’épreuve, le placement à l’extérieur, le placement sous surveillance électronique fixe, la libération conditionnelle (mesures prononcées ab initio ou post-sententielles).
3.2 - Une typologie implicite en trois catégories
Cette approche définit, de façon implicite, un triptyque (C) des sanctions et mesures pénales :
C1. - Les sanctions et mesures exécutées dans un établissement pénitentiaire ;
C2. - Les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, c’est-à-dire exécutées hors d’un établissement pénitentiaire, mais avec supervision ;
C3. - Les sanctions et mesures exécutées hors d’un établissement pénitentiaire, mais sans supervision.
Ce triptyque est compatible, pour les sanctions, à la dichotomie B, définie supra. En effet B1 = C1 et B2 fait l’objet à son tour d’une dichotomie (B2 = C2 + C3).
Revenons aux condamnations prononcées en France, en 2003, pour un délit. Si l’on prend en compte la notion de sanction appliquée dans la communauté du Conseil de l’Europe qui exige que la sanction soit non carcérale mais aussi accompagnée d’un suivi (supervision), les peines pour délits se répartissent de la façon suivante :
C1. 25 % de peines carcérales - ferme ou avec sursis partiel -,
C2. 17 % de sanctions appliquées dans la communauté,
C3. 58 % de sanctions alternatives sans suivi.
On se retrouve ainsi à établir une dichotomie parmi les mesures et sanctions alternatives à la détention selon qu’elles peuvent être accompagnées d’une « supervision » (17 %) ou non (58 %). Quand on débat, en France, de la questions des alternatives à la détention, celles et ceux qui dénoncent la faiblesse du nombre d’alternatives ont en général la catégorie B en tête (pour les délits) ; soit « une alternative pour 5 sanctions. Rappelons que l’on ne parle ici que de condamnations. Mais la notion essentielle de « MSP » est évidemment beaucoup plus large.
4. - La mosaïque pénitentiaire : une approche statique
Ici, nous quittons le champ des sanctions prononcées, ou la classification abstraite des sanctions et mesures, pour aborder le « terrain » de l’exécution des sanctions et mesures appartenant aux catégories C1 et C2 de la typologie européenne, et ce à un instant t (approche statique). Le concept de « mosaïque pénitentiaire » (Tournier, 2004) permet d’inclure, dans la même approche, mesures et sanctions, milieu fermé et milieu ouvert, mais aussi l’interface entre les deux, tout en précisant bien qui est qui (statut pénal) et qui est où (conditions concrètes du placement sous main de justice).
La première dichotomie qui s’impose, dans cet ensemble des personnes placées sous main de justice (PPMJ), en droit, n’est-elle pas celle qui permet de distinguer les personnes qui sont en attente d’un jugement définitif et sont de ce fait présumées innocentes de celles qui ont été déclarées coupables par une juridiction de jugement, ont fait l’objet d’une sanction pénale et sont en train d’exécuter cette peine, quelle qu’en soient la nature et les modalités d’exécution [4]. On parlera de « prévenus », au sens large du terme et de « condamnés » définitifs (schéma 1.) [5].
Mosaïque pénitentiaire - schéma 1.
1. PPMJ PRÉVENUES
2. PPMJ CONDAMNÉES
La deuxième distinction essentielle repose sur la notion d’écrou. Certaines PPMJ sont sous écrous, d’autres pas. Cette deuxième approche doit, a priori, être croisée avec la précédente. D’où le schéma 2. en quatre catégories dont on s’assurera ultérieurement de la pertinence (cases non vides)
Mosaïque pénitentiaire - schéma 2.
« Milieu ouvert »
1. PPMJ PRÉVENUES NON ÉCROUÉES
2. PPMJ CONDAMNÉES NON ECROUÉES
« Milieu fermé »
3. PPMJ PRÉVENUES ÉCROUÉES
4. PPMJ CONDAMNÉES ECROUÉES
Les PPMJ de la catégorie 1., « prévenues non écrouées », sont les personnes placées sous contrôle judiciaire. Elles peuvent être suivies par le service pénitentiaire d‘insertion et de probation (SPIP) ou par une association habilitée. Elles ont pu être placées sous contrôle judiciaire ab initio, ou en cours de détention provisoire. Les PPMJ de la catégorie 2, « condamnées non écrouées » sont suivies par le SPIP [6]. Il s’agit, en particulier, des condamnés ayant bénéficié d’un sursis (à exécution) avec mise à l’épreuve (SME) ou d’une peine de travail d’intérêt général (TIG), mais aussi des condamnés à une peine d’emprisonnement ferme ou de réclusion criminelle qui ont fait l‘objet d’une levée d’écrou avant la fin de peine prévue, dans le cadre d’une libération conditionnelle (LC). Les SME et TIG exécutent une peine non privative de liberté, les LC continuent à exécuter une peine privative de liberté, mais aménagée dans la « communauté ».
Cette catégorie s’est encore complexifiée par l’application de la loi n°98-468 du 17 juin 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs et de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales).
Ainsi y trouve-t-on aussi des condamnés considérés comme dangereux qui vont faire l’objet d’un « suivi socio judiciaire » (comme sanction principale ou comme mesure accompagnant une peine privative le liberté sans sursis) ou d’une « surveillance judiciaire » après la libération, avec ou sans injonction de soin, avec ou sans surveillance électronique satellitaire.
Les catégories 1 et 2 constituent le « milieu ouvert » (ou la « probation » au sens large du terme) et les catégories 3 et 4 le milieu fermé (« la prison »).
Mais les choses se compliquent quand on sait, comme on l’a déjà rappelé supra, que certaines personnes, tout en étant sous écrou, à l’instant t, ne sont pas présentes, à cet instant, dans un établissement pénitentiaire. Cette référence non à la « présence juridique » (l’écrou), mais à la présence physique est la troisième distinction qui, évidemment ne concerne qu’une partie de la mosaïque, les personnes sous écrou. D’où le schéma 3. en six catégories.
A l’inverse, certaines personnes peuvent n’être pas sous écrou, tout en étant d’une certaine manière « enfermée ». Il s’agit, par application de la loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002, des mineurs placés dans les centres éducatifs fermés (CEF) en application d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’une libération conditionnelle.
Mosaïque pénitentiaire - schéma 3.
« Milieu ouvert »
1. PPMJ PRÉVENUES NON ÉCROUÉES
2. PPMJ CONDAMNÉES NON ECROUÉES
« Centres éducatifs fermés (CEF) »
3. PPMJ PRÉVENUES NON ÉCROUÉES
Dans les CEF (POUR MINEURS)
4. PPMJ CONDAMNÉES NON ECROUÉES
Dans les CEF (POUR MINEURS)
« Milieu fermé / sous écrou / hors les murs »
5. PPMJ PRÉVENUES ÉCROUÉES
« hors les murs »
6. PPMJ CONDAMNÉES ECROUÉES
« hors les murs »
« Milieu fermé / sous écrou / dans les murs »
7. PPMJ PRÉVENUES ÉCROUÉES
« dans les murs »
8. PPMJ CONDAMNÉES ECROUÉES
« dans les murs »
Ce que nous appelons le « milieu fermé - hors les murs » est lui-même une véritable mosaïque : certaines personnes écrouées sont absentes légalement, d’autres pas (les évadés). On se limitera ici à la première catégorie et l’on distinguera trois cas [7] :
- « Absence permanente et totale de l’établissement pénitentiaire » : condamnés placés sous surveillance électronique (PSE), condamnés faisant l’objet d’un placement à l’extérieur sans hébergement dans un établissement pénitentiaire.
- « Absence permanente et partielle » : condamnés en semi-liberté, condamnés faisant l’objet d’un placement à l’extérieur avec hébergement dans un établissement pénitentiaire.
- « Absence temporaire et totale » : condamnés faisant l’objet d’une permission de sortir, prévenus ou condamnés hospitalisés à l’extérieur, y compris en unité pour malade difficile (UMD).
Le schéma comporte alors 10 catégories, faisant apparaître un « entre-deux » complexe entre milieu ouvert et milieu fermé.
Mosaïque pénitentiaire - schéma 4.
« Milieu ouvert »
1. PPMJ PRÉVENUES NON ÉCROUÉES
contrôle judiciaire par SPIP ou associations...
2. PPMJ CONDAMNÉES NON ECROUÉES
SME, TIG, libération conditionnelle, suivi socio judiciaire, surveillance judiciaire (avec ou sans PSE mobile)
« Centres éducatifs fermés (CEF) »
3. PPMJ PRÉVENUES NON ÉCROUÉES
dans les CEF (POUR MINEURS)
contrôle judiciaire
4. PPMJ CONDAMNÉES NON ECROUÉES
Dans les CEF (POUR MINEURS)
SME, libération conditionnelle
6. PPMJ CONDAMNÉES ECROUÉES
hors les murs, absence permanente et totale :
PSE fixe, ...
« Milieu fermé/ sous écrou / hors les murs »
7. PPMJ CONDAMNÉES ECROUÉES
hors les murs, absence permanente et partielle :
semi-liberté...
5. PPMJ PRÉVENUES ÉCROUÉES
hors les murs, absence temporaire et totale : hospitalisation extérieure, Unités pour Malades Difficiles
8. PPMJ CONDAMNÉES ECROUÉES
hors les murs, absence temporaire et totale :
Permissions de sortir, hospitalisation extérieure,
Unités pour Malades Difficiles...
« Milieu fermé / sous écrou / dans les murs »
9. PPMJ PRÉVENUES ÉCROUÉES
dans les murs
10. PPMJ CONDAMNÉES ECROUÉES
« dans les murs »
La population placée sous main de justice est ainsi constituée de 9 catégories :
P = [P1 + P2] + [P3 + P4] + [P5 +P6 + P7 + P8] + [P9 + P10]
Si nous revenons à la classification européenne des mesures et sanctions pénale, en nous limitant aux catégorie C1 (sanctions et mesures exécutées dans un établissement pénitentiaire) et C2.( sanctions et mesures appliquées dans la communauté, c’est-à-dire exécutées hors d’un établissement pénitentiaire, mais avec supervision) on obtient la classification suivante :
C1 = P9 + P10
C2 = P1 + P2 + P3 + P4 + P5 +P6 + P7 + P8
On notera tour de même que dans cette dichotomie, on peut faire l’objet d’une sanction ou d’une mesure appliquée dans la communauté tout ayant une liberté de mouvement fort réduite (personnes sous écrou en UMD, mineurs placés en CEF, condamnés en semi-liberté).
On peut alors définir le poids de la privation de liberté, au niveau de l’exécution des mesures et sanctions par l’indicateur de stock à la date t C1 / (C1 + C2).
Il n’est pas possible, aujourd’hui de calculer cet indice compte tenu de l’absence d’un certain nombre de données. Dans une prochaine étude menée en coopération avec la direction de l’administration pénitentiaire, nous allons tenter de combler ces vides.
5. - Typologie des alternatives à la détention : une approche dynamique
La dernière approche que nous proposons consiste à élaborer une typologie de l’ensemble des mesures et sanctions appartenant à la catégorie C2. (sanctions et mesures appliquées dans la communauté) ou à C3 (sanctions et mesures exécutées hors d’un établissement pénitentiaire, mais sans supervision), et ce en partant l’analyse des modes de renouvellement de la population carcérale : analyse des stocks à partir de celle des entrées en détention et des durées de détention.
5.1 - P = E x d
L’existence de la population sous écrou est régi par le mécanisme suivant : des personnes placées sous écrou - précédemment libres - entrent dans la population ; des personnes sont libérées et sortent. Un laps de temps s’écoule entre la mise en détention et la libération d‘une personne, cette durée de détention, différente selon les individus assure la coexistence à tout moment d’un nombre variable de personnes qui constituent la population sous écrou. Instrument d’étude de ces modes de renouvellement des populations, l’analyse démographique dispose de modèles élémentaires, fournissant des populations de référence, faciles à décrire, qui permettent par comparaison de juger certaines situations concrètes. Le modèle le plus simple est celui de la population stationnaire. Une population est dite stationnaire si les entrées annuelles dans la population (E) sont constantes et si les sorties de chaque génération - au sens des individus entrés une même année - se font selon le même rythme, selon le même calendrier. On peut alors démontrer que l’effectif de la population, à un instant donné (P) est égal au produit du nombre des entrées annuelles (E) par la durée moyenne de séjour dans la population (d, exprimée en années) : P = E x d. (Tournier, 2005) Cette équation implique qu’une population stationnaire a un effectif constant. C’est sur la base de cette formule théorique que repose la typologie que nous allons présenter (Tournier, 2003).
5.2 - Des alternatives de trois types
Est dit alternative de 1ère catégorie (D1), toute MSP qui a pour conséquence de réduire le nombre d’entrées en détention. Il en est ainsi du contrôle judiciaire ab initio ou du sursis simple quand la sanction est prononcée à l’encontre d’un prévenu libre. Ces alternatives peuvent être dites radicales. En évitant l’entrée en détention, elles permettent au prévenu ou au condamné d’échapper totalement à la détention.
Naturellement parmi ces alternatives de 1ère catégorie, on trouve des mesures et sanctions appartenant à la catégorie C2 (par exemple le contrôle judiciaire) comme à C3 (par exemple le sursis simple).
Les alternatives de 2ème catégorie (D2) permettent de réduire la durée de la détention, ou plus précisément le temps passé sous écrou. C’est alors une mesure de moindre mal, elle est partielle ou relative : le recours à la prison n’a pas pu être évité, mais on fait en sorte de réduire le temps passé sous écrou. Dans ce schéma, les crédits de réduction de peine pour « bonne conduite », les grâces, individuelles ou collectives, concernant des personnes détenues, sont des alternatives de 2ème catégorie. Il en est de même de la libération conditionnelle, mesure d’aménagement de la peine qui s’accompagne d’une levée d’écrou.
Certes, cette dichotomie ne permet pas de classer l’ensemble des MSP en deux catégories distinctes car beaucoup appartiennent à l’une et à l’autre selon les conditions d’application. Ainsi le contrôle judiciaire est de 1ère catégorie s’il est prononcé ab initio. Mais s’il est décidé alors que la personne est en détention provisoire, la mesure est de 2ème catégorie : elle réduit la durée de détention, en attendant le jugement. La LC appartient à la 2ème catégorie : ne réduisant pas le temps d’exécution, elle permet une libération anticipée - avec levée d’écrou- , le reliquat de la peine s’effectuant en « milieu ouvert ». Ainsi la question de l’aménagement des peines apparaît bien comme partie intégrante de la problématique des alternatives.
Ce faisant, la dichotomie montre ses limites. Qu’en est-il, en effet, de la semi-liberté, du placement à l’extérieur, mesures qui elles aussi sont des mesures alternatives, partielles ou relatives, à la prison mais qui n’évitent pas la mise sous écrou - elles ne sont pas de 1ère catégorie - et ne réduisent pas la durée du temps passé sous écrou - elles ne sont pas de 2ème catégorie - ?
Ainsi appelons-nous alternatives de 3ème catégorie (D3) les mesures qui réduisent le temps réellement passé derrière les murs des établissements pénitentiaires, sans levée d’écrou, et donc sans réduction du temps passé sous écrou. C’est le cas de la semi-liberté comme du placement à l’extérieur mais aussi des permissions de sortir. Et c’est aussi le cas du placement sous surveillance électronique fixe (PSE). L’intérêt de telles mesures est évident : diminution de la pression démographique, réduction des effets négatifs de la détention, outils de réinsertion, aide au développement de la libération conditionnelle.
5.3 - Alternatives réelles ou virtuelles ? La question du « net-widening »
La typologie que nous venons de présenter à l’avantage de la simplicité. Elle permet surtout de mettre en évidence que c’est en développant ces trois types d’alternatives que l’on peut arriver à juguler l’inflation carcérale, comme le Conseil de l’Europe a pu le réaffirmer dans sa recommandation sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale du 30 septembre 1999 (Conseil de l’Europe, 2000). Mais, sur un plan plus théorique, cette classification permet d’aborder, sous un jour nouveau, la théorie bien connue du net-widening.
Quand une personne, qui n’a pas fait l’objet d’une détention provisoire, bénéficie d’un contrôle judiciaire et se trouve ultérieurement condamnée à une peine avec sursis total, on peut penser que cette mesure individuelle de contrôle lui a réellement permis d’échapper à la prison. Mais on peut aussi affirmer que le juge n’aurait pas eu recours à la détention provisoire, si le contrôle judiciaire n’avait pas existé, en droit. Le juge a utilisé une garantie supplémentaire qui lui était offerte. S’il en est ainsi, ce contrôle judiciaire ne joue pas son rôle d’alternative à la prison (c’est une alternative virtuelle) mais permet d’élargir le filet du contrôle social. Cette même question peut en fait plus ou moins se poser pour toutes les alternatives de 1ère catégorie. Tel condamné au travail d’intérêt général aurait-il été condamné à une peine d’emprisonnement ferme si le TIG n’avait pas existé dans les textes ? N’aurait-il pas plutôt bénéficié d’un sursis simple voire d’une amende ?
La question se pose en des termes assez différents pour les alternatives de 2ème catégorie. Un condamné à qui il reste trois ans de réclusion criminelle à exécuter et à qui est octroyée une libération conditionnelle bénéficie d’une alternative bien réelle. Il effectuera son reliquat de trois ans hors les murs, en milieu ouvert, sous le contrôle du juge de l’application des peines et du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) Et pourtant...
En France, les libérations conditionnelles sont devenues de plus en plus rares. Le Gouvernement Jospin (1997-2002) en avait pris conscience et avait fini par s’engager dans une réforme importante des procédures d’octroi dans le cadre de la loi du 15 juin 2000. Imaginons que la relance souhaitée de la libération conditionnelle soit, dans quelques années, effective - pure hypothèse car on n’en prend pas le chemin [8] -. N’entraînerait-elle pas à terme une augmentation compensatoire du quantum des peines prononcées par les juridictions, frustrées de voir « leurs » sanctions par trop « érodées » ? Ainsi une alternative de 2ème catégorie, bien réelle, au niveau individuel - le bénéficiaire n’aura aucun doute à ce sujet - peut devenir bien virtuel au niveau global, et dans la durée.
Pour les mesures de 3ème catégorie, il est nécessaire de distinguer les mesures prises dès le début de la détention - des autres. Prenons le cas du placement sous surveillance électronique fixe (PSE) correspondant à l’exécution d’une peine d’un an ou moins [9] : en l’absence du PSE, en droit, l’intéressé aurait-il été condamné à une peine privative de liberté effective, ou aurait-il fait, tout simplement l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve, voire d’un sursis simple ? Les juridictions ne seront-elles pas désormais encouragées à prononcer des peines d’emprisonnement ferme de moins d’un an dans des cas où auparavant elles auraient accordé le sursis, sachant que le condamné pourra échapper à la détention grâce au bracelet ? Raisonnement des plus aléatoires, quand la décision de placement n’est pas prise par la juridiction de jugement. On peut imaginer le scénario « catastrophe » suivant : un tribunal correctionnel prononce une peine d’emprisonnement ferme de six mois par exemple, plutôt qu’un sursis avec mise à l’épreuve, pensant que celle-ci sera exécutée dans le cadre d’un placement sous surveillance électronique (sans pour autant décider de la mesure ab initio), mais le juge de l’application des peines auquel reviendra alors la décision de placement s’y refuse. Loin d’être alors une alternative à la privation de liberté, le PSE en favorise le recours. Sans travaux empiriques sur lesquels pouvoir s’appuyer, ce raisonnement reste, en l’état purement théorique.
En revanche, le PSE en fin de peine ne pose pas le même type d’interrogation. Le cas des mesures probatoires à la libération conditionnelle est particulier. Leur existence peut favoriser l’octroi de la libération conditionnelle en augmentant les garanties sur lesquelles peut s’appuyer le juge de l’application des peines. Mais elle peut retarder la mise en libération conditionnelle. Sans ces mesures, la libération conditionnelle aurait pu être effective à compter de la date t ; avec ces mesures, le détenu fait l’objet d’une levée d’écrou seulement à la date à t + t’ ; alternative virtuelle puisqu’elle a, en, réalité, pour effet d’augmenter le temps de détention.
6. - Rapprochement des points de vue
* Dans la typologie A, il est question des seules condamnations - les mesure n’étant pas concernées - prononcées pour crimes, délits ou contraventions de 5eme classe, flux de sanctions prises une année donnée :
A = A1 + A2, A1 représentant toutes les sanctions qui se réfèrent d’une façon ou d’une autre à la prison (emprisonnement avec sursis total inclus), A2 étant constitué des autres sanctions (sans référence à la prison).
Sur cette base, on obtient un premier indice du poids des « alternatives » :
a = A2/ (A1 + A2).
* Dans la typologie B, la base est la même que précédemment mais on classe autrement les peines d’emprisonnement avec sursis total :
B = B1 + B2, B1 représentant les peines privatives de liberté comportant une partie ferme, B2 étant constitué de toutes les autres sanctions (y compris le sursis total).
On obtient ainsi à un nouvel indice du poids des « alternatives » : b = B2/ (B1 + B2).
* Dans la typologie C, on élargit le champ à l’ensemble des mesures et sanctions pénales, sans d’ailleurs préciser la nature des infractions concernées :
C = C1 +C2 + C3, C1 représentant les MSP carcérales, C2 les MPS exécutées dans la communauté (avec possibilité de supervision) et C3 les autres MSP (non carcérales mais sans supervision).
Cette nomenclature n’est pas compatible avec la typologie A, mais elle l’est avec la typologie B. Pour les sanctions, on a B2 = C2 +C3.
Deux indices peuvent être intéressant à considérer
c1 = (C2 + C3) / (C1 +C2+C3) et c2 = C2 / (C2 + C3), le second indice mettant en évidence le poids des alternatives avec supervision.
* Dans la typologie « PPMJ », la démarche est tout autre. On cherche à décrire, à un instant donné, les populations exécutant des mesures et sanctions pénales appartenant aux catégories C1 et C2 de la typologie précédente. Tenant compte de la distinction entre prévenus et condamnés, entre personnes qui sont sous écrou et celles qui n’y sont pas et prenant en considération les conditions concrètes de placement, on obtient une classification en 10 groupes compatible, nous l’avons vu supra avec la typologie C :
C1 = P9 + P10 et C2 = P1 + P2 + P3 + P4 + P5 +P6 + P7 + P8 .
* Enfin dans la typologie D, on reprend l’ensemble des mesures et sanctions pénales comme dans la typologie C, mais en se limitant aux catégories C2 et C3 que l’on va distinguer selon leurs effets sur la population sous écrou :
D = D1 + D2 + D2, avec D1 MSP qui permettent d’éviter l’entrée en détention, D2 MSP qui réduisent la durée sous écrou et D3 MSP qui réduisent le temps passé derrière les murs. Là encore la classification est compatible avec la typologie C.
Tableau de concordances
Mesures Sanctions
B1 B2
C1 C2 C3 C1 C2 C3
P9 P1, P3, P5 P10 P2, P4, P6, P7, P8
D1, D2,D3 D1, D2,D3 D1, D2,D3 D1, D2, D3
Pour conclure provisoirement, nous souhaiterions inviter nos collègues d’autres pays à arpenter leur propres systèmes de mesures et sanctions pénales à travers les différentes grilles proposées, en décrivant ce que l’on peut trouver - en droit - dans l’ensemble des cases et sous-cases et en ...mesurant le poids des différentes catégories.
* Références bibliographiques
Conseil de l’Europe, 1994, Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, Recommandation n°R (92) 16 et exposé des motifs, Références juridiques, 1994, 74 pages.
Conseil de l’Europe, 2000, Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, recommandation N°R (99)22, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 30 septembre 1999 et rapport, coll. Références juridiques.
Conseil de l’Europe 2004, Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE I), http://www.coe.int/T/E/Legal_affairs/Legal_co-operation
Lavielle (B.), Lameyre (X.), 2002, Le guide des peines. Prononcé. Application, Dalloz, collection des guides, 2002, 335 pages.
Tournier (P.V.), 2003, Real Alternatives versus Virtual Alternatives : On the Theory of Net-Widening Applied to Electronic Monitoring in France, in Mayer M., Haverkamp R. Lévy R. (Eds.) Will Electronic Monitoring Have a Future in Europe ? Contributions from a European Workshop, June 2002, Kriminologische Forschungsberichte aus dem Max-Planck-Institut für ausländisches und internationales Strafrecht, Freiburg i. Br, 2003, 177-186.
Tournier (P.V.), 2004, Mosaïque pénitentiaire : une topologie mouvante, Actualité juridique. Pénal, Les Editions Dalloz, n°9/2004, 333-334.
Tournier (P.V.), 2005, L’équation des prisons in Lehning (H.), Dir, Les équations algébriques. Aborder les inconnues », bibliothèque Tangente, HS n°22, juin 2005, 150-152.