Passe Murailles, publication du groupement étudiant national
d’enseignement aux personnes incarcérées (GENEPI), n°4, 2006, 6-9.
VII. - La surpopulation des établissements pénitentiaires
en France en 2006
Le 30 septembre 1999, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adoptait une recommandation sur Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale
dans les Etats membres. Il affirmait que « l’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement ». La recommandation présentait toute une série de propositions tendant à réduire l’inflation carcérale, et cela en distinguant les moyens mis en œuvre selon les différents stades du processus pénal. Ces conclusions s’appuyaient sur une analyse approfondie de la démographie des prisons et de ses évolutions. Un tel travail avait nécessité de clarifier des questions de terminologie et de méthodologie : avoir des approches communes et un langage commun pour en débattre, au delà des questions de langues. Il en fut ainsi des concepts d’inflation et de surpeuplement souvent confondus.
1. - Inflation et surpeuplement
Parler d’inflation carcérale, c’est constater que l’augmentation du nombre de détenus est très importante - données de stock - c’est-à-dire sans commune mesure avec l’augmentation du nombre d’habitants, et ce sur une certaine période. Exemple : en France, entre le 1er janvier 1975 et le 1er janvier 1995, le nombre de détenus a connu un accroissement de 100 % contre 10 % seulement pour le nombre d’habitants (métropole). Ainsi en 20 ans, le taux de détention, qui permet de raisonner à nombre d’habitants constant est passé de 49 détenus pour 100 000 habitants à 89 p. 100 000. Dans cette façon de voir les choses, on fait un constat sur l’ampleur de l’accroissement du taux de détention sans se référer aux questions de capacité des établissements. Ainsi le concept d’inflation carcérale qui d’ailleurs n’a de sens qu’en référence à un intervalle de temps suffisamment long pour que les évolutions ne soient pas simplement conjoncturelles, est à distinguer du concept de surpopulation carcérale qui, lui, se réfère à la situation à une date t donnée (Conseil de l’Europe, 2000, Tournier, 2000).
La notion de surpopulation carcérale a, dans le langage courant, deux sens assez différents : a. un sens général « il y a trop de détenus », sans que l’on précise sur quels critères on se base pour affirmer ce diagnostic, b. un sens plus précis qui se réfère au nombre de places disponibles. Dans ce second sens, il décrit l’inadéquation, à un instant t donné, entre le nombre de détenus et la capacité « d’accueil » dans les prisons. La surpopulation est alors évaluée par la densité carcérale (nombre de détenus pour 100 places opérationnelles).
Surpeuplement et inflation carcérale sont évidemment liés : l’inflation accentue le problème de la surpopulation, faute de constructions suffisantes. Mais la surpopulation diminue-t-elle l’inflation, en mobilisant les pouvoirs publics dans le sens d’une diminution du recours à la prison ? On pourrait l’espérer. La sous occupation - obtenue par une politique de développement inconsidéré du parc pénitentiaire - favoriserait-elle l’inflation ? On a quelques raisons de le craindre. Toujours est-il que distinguer les deux concepts permet au moins de poser la question de leur relation.
2. - Densité carcérale
Ce que l’on appelait autrefois, de façon ambiguë, le taux d’occupation et que nous avons proposé de nommer densité carcérale, repose sur la notion difficile à cerner de place en prison. Ne suffit-il pas d’installer un matelas par terre pour qu’une cellule supposée individuelle devienne une cellule à deux places ? En dehors de cette question très complexe de définition, se pose le problème, bien connu des géographes, du bon niveau spatial d’analyse de la densité. Un indice global, calculé au niveau d’un Etat n’a qu’un sens limité. Si la densité est supérieure à 100, il y a de toute évidence problème mais quelle en est la dimension en nombre d’établissements surpeuplés et en nombre de détenus vivant dans un établissement surpeuplé ? Si la densité est inférieure à 100, l’absence de problème n’est peut-être que pure illusion, sur le plan local. Aussi est-il claire qu’il faut descendre au niveau de chaque établissement, ou plutôt de chaque quartier de détention, quand les établissements ont plusieurs fonctions (quartier « maison d’arrêt » et quartier « centre de détention » par exemple), tout en construisant des indicateurs significatifs permettant de résumer la situation des 227 unités de détention existant en France métropolitaine et dans l’Outre mer (Kensey, Tournier, 2006).
Le calcul du nombre de places théoriques, par la direction de l’administration pénitentiaire repose sur la circulaire AP8805G B402 du 3 mars 1988, sur la base de la superficie au plancher, selon les règles suivantes : un cellule de moins de 11 m2 = 1 place, de plus de 11 à 14 m2 inclus = 2 places, plus de 14 à 19 m2 inclus = 3, plus de 19 à 24 m2 inclus = 4 places, etc.... et enfin plus de 94 m2= 20 places (Guillonneau, Kensey, 1997). A partir de là, l’administration évalue, chaque 1er jour du mois, le nombre de places en service ou opérationnelles.
3. - Population sous écrou, population détenue et surpopulation apparente
Au 1er janvier 2006, l’effectif de la population sous écrou est de 59 522 (métropole et outre-mer). Cet effectif se compose de 58 344 personnes effectivement détenues (98 % du total), 871 condamnés placés sous surveillance électronique - PSE - (1,5%) et 307 condamnés placés à l’extérieur sans hébergement (0,5%).
A cette date, 51 252 places opérationnelles sont disponibles en détention. En rapportant le nombre de 58 344 personnes effectivement détenues au nombre de places, on obtient un densité carcérale globale de 114 détenus pour 100 places. Cet indicateur (national) indique un état de surpeuplement du système carcéral, dans son ensemble, mais il ne donne qu’une estimation par défaut de l’effectif des détenus en surnombre : 58 344 - 51 252 = 7 092. C’est la surpopulation apparente : en effet, il ne permet pas de mettre en évidence la diversité des situations selon le type d’établissements (maisons d’arrêt, centres de semi-liberté autonomes, établissements pour peine), ni la dispersion au sein d’un même type d’établissement. Prenons un exemple : à la maison d‘arrêt de Loos-les-Lille, il y a 470 détenus (hébergés) pour 456 places opérationnelles, tandis qu’à quelques centaines de mètres de là, au centre de détention on compte 355 détenus pour 369 places. Globalement, cela donne 825 détenus pour ... 825 places (ce sont les chiffres officiels au 1er janvier 2006), soit une densité de 100 détenus pour 100 places. La bonne façon de décrire la situation n’est pas celle-ci : c’est de dire qu’il y a 14 détenus de trop (à la maison d’arrêt), et 14 places inutilisées (au centre de détention).
4. - Etablissements surpeuplés ou sous-peuplés
Au 1er janvier 2006, 104 établissements ou quartiers, sur 227 (46%) disposent de places inoccupées : 29 maisons d’arrêt (ou quartiers « maisons d’arrêt »), 11 centres de semi-liberté, 2 centres pour peines aménagées, 50 centres de détention et 12 maisons centrales. Cela représente un total 2 077 places disponibles. Ces établissements ou quartiers qui échappent au surpeuplement accueillent 20 451 détenus, soit 40 % des personnes écrouées hébergées.
A la même date, 123 établissements ou quartiers, sur 227 (54%) reçoivent plus de détenus qu’il n’y a de places : 116 maisons d’arrêt (ou quartiers « maisons d’arrêt »), 2 centres de semi-liberté, 4 centres de détention et 1 maison centrale. Cela représente un effectif total de détenus en surnombre de 9 169 ; c’est la surpopulation réelle. Rappelons que la surpopulation apparente n’était que de 7 092. Ces établissements ou quartiers touchés par le surpeuplement accueillent 37 893 détenus, soit 60 % des personnes écrouées hébergées.
Surpopulation réelle - Places disponibles = Surpopulation apparente
(9 169 - 2 077 = 7 092).
5. - Structure pénale de la population sous écrou et surpeuplement
Au-delà de la distinction déjà faite supra entre personnes écrouées détenues et personnes écrouées placées (placement électronique ou placement à l’extérieur), distinguons les prévenus des condamnés, les courtes peines (un an et moins) des autres peines (plus d’un an) :
Population totale écrouée................ : 59 522 100,0 %
Prévenues.................................. : 19 732 33,1 %
Condamnés à un an ou moins placés... : 1 178 2,0 %
Condamnés à un an ou moins détenus : 10 994 18,5 %
Condamnés à plus d’un an.............. : 27 618 46,4 %
Ainsi, sur un total de 59 522 personnes écrouées, il y a 12 172 condamnés purgeant des courtes peines (un an et moins) : 1 178 sont aménagées en milieu ouvert (environ 10%), 10 994 ne sont pas aménagées (environ 90 %).
Nous avons cherché à évaluer dans quelle mesure le développement de l’aménagement des courtes peines en milieu ouvert par le placement sous surveillance électronique (fixe) et le placement à l’extérieur pourrait réduire le surpeuplement des prisons. Nous devons distinguer trois cas de figure.
*Les établissements qui disposent de places inoccupées. Certains peuvent avoir des condamnés à de courtes peines, non placés. L’aménagement en milieu ouvert de ces peines n’aurait évidemment pas d’effet sur le surpeuplement.
* Les établissements surpeuplés. Il faut alors distinguer deux cas :
1er cas : Etablissements où le nombre de condamnés à de courtes peines non placés (CNP) est supérieur ou égal au nombre de détenus en surnombre (DS). Il faudrait alors placé CNP - DS détenus en milieu ouvert pour avoir une densité de 100 et résoudre ainsi le problème de surpeuplement dans cet établissement (ou quartier). Ces établissements sont au nombre de 54. Il suffirait d’aménager 51 % des courtes peines qui ne le sont pas encore pour arriver à une densité, par établissement de 100.
2ème cas : Etablissements où le nombre de condamnés à de courtes peines non placés (CNP) est inférieur au nombre de détenus en surnombre (DS). On ne peut alors placé que les CNP et le nombre de détenus en surnombre sera diminué d’autant, soit DS - CNP. On ne résout pas complètement le problème de surpeuplement dans cet établissement (ou quartier), mais la situation peut être améliorée. Ces établissements sont au nombre de 69. Dans ces établissements, il y a 6 143 détenus en surnombre et 3 470 condamnés à un an et moins détenus. Après aménagement des peines qui pourraient l’être l’effectif de détenus en surnombre ne serait plus que de 2 673.
Ainsi en observant la situation de chaque établissement, concernant le surpeuplement, ainsi que la structure pénale de la population sous écrou, on a pu montrer que l’aménagement des courtes peines en milieu ouvert pourraient faire passer l’effectif de détenus en surnombre de 9 169 à 2 673.
C’est donc 70 % du problème qui serait résolu.
Descriptif de peuplement carcéral en Europe (au 1er septembre 1997)
Parc pénitentiaire et surpeuplement : sur les 23 pays que l’on a pu étudier, 11 ont une densité carcérale globale inférieure à 100 détenus pour 100 places : Autriche, Croatie, Danemark, Finlande, Macédoine, Norvège, Pays-Bas, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse. Si on se contentait de cet indice, on pourrait donc dire que la moitié des pays n’a aucun problème de surpeuplement. En réalité, 3 Etats seulement sur les 23 étudiés n’ont aucun établissement surpeuplé, l’Autriche, la Macédoine et la Slovaquie.
La Suède compte 4 % d’établissements surpeuplés, la Croatie 5 %, le Danemark 10 %, la Finlande 12 %, la Slovénie 15 %, la Norvège 17 %, les Pays-Bas 23 % et la Suisse 43 %. Dans les 11 autres pays étudiés, plus de 50 % des prisons sont surpeuplées. On trouve ainsi de 50 à 75 % d’établissements surpeuplés en Irlande, France, Lettonie, Belgique, Angleterre et Pays de Galles, Italie et Espagne. Plus de 80 % le sont en Hongrie, Portugal, Bulgarie, Roumanie et Estonie.
Enfin on trouve des établissements qui ont une densité au moins égale à 200 en Bulgarie (maximum de 371 détenus pour 100 places), au Portugal (max. 368), en Hongrie (max. 311), en France (max. 299), en Roumanie (max. 242), en Estonie (max. 208) et en Espagne (max. 200).
Nombre de détenus et surpeuplement : si l’on raisonne en proportion de détenus vivant dans un établissement surpeuplé, la situation est nettement plus tranchée entre les différents Etats. Un premier groupe est constitué des 10 Etats où la proportion de détenus vivant en situation de surpeuplement est inférieure à 30 % : Autriche, Croatie, Danemark, Finlande, Macédoine, Norvège, Pays-Bas, Slovaquie, Slovénie et Suède. Dans les autres pays, 2/3 au moins des détenus vivent dans des conditions de surpeuplement. En tête on retrouve l’Estonie (100 % de détenus), la Bulgarie (95%), la Roumanie (93 %), le Portugal (90 %), la Hongrie (89 %) et l’Italie (85%), mais les autres pays de ce groupe ne sont pas loin (65 % pour la France). La situation la plus enviable, si l’on peut dire, est celle de la Suisse avec 57 % de détenus vivant dans un établissement sur occupé.
Source : Tournier, 2000
* Références bibliographiques
Conseil de l’Europe, 2000, Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, recommandation N°R (99) 22, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance de A. Kuhn, P. Tournier et R. Walmsley, coll. Références juridiques, 212 pages.
Guillonneau (M.) et Kensey (A.), 1997, Densité de la population carcérale, Direction de l’administration pénitentiaire, Cahiers de démographie pénitentiaire, n°4, septembre 1997, 4 pages.
Kensey (A), Tournier (P-V), 2006, Surpeuplement carcéral et aménagement des courtes peines, au 1er janvier 2006. Méthodologie, Direction de l’administration pénitentiaire, Concepts et Méthodes, n°24, mars 2006, 60 pages.
Tournier (P-V), 2000, Prisons d’Europe, inflation carcérale et surpopulation, Questions Pénales, 2000, XIII, 2, 4 pages.
Tournier (P-V) dir., 2005a, Population carcérale et numerus clausus, débat autour d’un concept incertain : contributions et documents, publication du Club « DES Maintenant en Europe », septembre 2005, 35 pages.
Tournier (P-V), 2005b, Descriptif du surpeuplement carcéral en France. Situation au 1er décembre 2005, Document de travail, Université Paris 1., CHS XX siècle, 2005, 17 pages.