Introduction
1. Les prisons sont habitées par des êtres humains. Ceci peut sembler évident mais on ne répétera jamais assez que les détenus, en tant qu’êtres humains, ont des droits et éprouvent des sentiments. Les prisons n’existent pas en dehors de la loi. Au contraire, elles ont été créées par la loi. Les détenus et le personnel pénitentiaire sont soumis aux lois, y compris celles qui créent et protègent les droits des détenus.
2. Il sera question dans ce chapitre des procédures légales et des plaintes ; on y abordera donc la question du système disciplinaire et celle des possibilités offertes aux détenus de se défendre, en particulier en portant plainte ou en faisant appel d’une décision les concernant. Autant de questions cruciales qui touchent tant à la sauvegarde des droits des détenus qu’au maintien de la paix et de l’harmonie au sein d’un système pénitentiaire.
3. L’objet des mesures disciplinaires et des procédures de plaintes en prison est, naturellement, le maintien ou le rétablissement de l’ordre et de la sûreté dans l’établissement. Cet objet serait impossible à atteindre au moyen de la seule coercition. Le personnel pénitentiaire peut et doit chercher à encourager les détenus à coopérer à cet objectif en montrant l’exemple et en organisant la gestion humaine de l’institution. Le plus souvent, le détenu adoptera un bon comportement dès lors qu’il sera traité comme un être humain responsable, avec respect et dignité. Il n’est pas interdit au personnel pénitentiaire d’entretenir des relations amicales et saines avec les détenus ; c’est au contraire un des moyens les plus efficaces d’assurer la paix tout en recourant le moins possible aux sanctions disciplinaires.
Maintenir l’ordre en prison
4. Outre ces relations informelles et amicales, la discipline peut être assurée si ses règles découlent logiquement du comportement des détenus. Il est logique, par exemple, que le détenu qui se lève en retard soit privé de petit déjeuner. Par contre, lui infliger un travail supplémentaire serait illogique. Les réponses disciplinaires doivent donc être adaptées aux écarts de conduite ; elles ne devraient en aucun cas être arbitraires. Il n’est par ailleurs ni sain ni avantageux de punir par automatisme ou souci de vengeance. L’application systématique et indifférenciée d’une sanction produit l’effet contraire au but recherché, et n’est donc pas souhaitable. Dans l’application des règles de discipline, les agents doivent agir en professionnels, avec tact et discrétion, en gardant toujours à l’esprit que les règles sont faites pour des êtres humains et non l’inverse.
5. Cette constatation est lourde de conséquences. Les surveillants doivent être formés en vue d’acquérir un certain nombre de compétences. Ils doivent être des spécialistes des relations sociales et humaines, aptes à intervenir en vue de réduire les tensions et d’apaiser les conflits inhérents à la vie en détention.
Détenteurs d’un pouvoir considérable vis-à-vis des détenus, ils doivent se comporter avec sang-froid, maturité et humanité [1].
Les surveillants et le règlement
6. Aussi bien les règles disciplinaires que l’opportunité offerte aux détenus de faire appel des sanctions ou de porter plainte affectent les relations mutuelles entre détenus et surveillants. Les procédures disciplinaires et de dépôt de plaintes doivent être justes et efficaces si l’on veut qu’elles recueillent la confiance des détenus, des surveillants et de la société.
7. Les troubles en prison (grèves de la faim, évasions, mutineries et même les suicides) sont souvent les symptômes du manque de confiance éprouvé par les détenus tant à l’égard du système disciplinaire que des procédures de plainte ou d’appel. Si, d’un autre côté, les surveillants considèrent que le système disciplinaire est inefficace, ils peuvent reporter leurs frustrations sur les détenus en infligeant des sanctions arbitraires et illégales. Dans un cas comme dans l’autre, l’équilibre du système pénitentiaire ne sera plus assuré.
Le système disciplinaire et les procédures de plainte
8. Les détenus ne devraient être punis que si les règles de la procédure disciplinaire ont été rigoureusement suivies. Si le détenu estime que tel n’a pas été le cas ou s’il est mécontent de la sanction qui lui a été infligée, il peut faire appel. Le détenu peut aussi porter plainte pour toute autre modalité de la vie en prison dont il ne serait pas satisfait.
Règles internationales relatives à la procédure légale de plainte et d’appel
9. Les règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (RMT) ne sont guère détaillées en la matière. Elles contiennent des dispositions relatives à la discipline en prison, mais elles sont quasiment muettes sur les plaintes et plus encore sur les procédures d’appel.
10. On aura donc principalement recours dans ce chapitre, en plus des quelques indications pertinentes qui se trouvent dans les RMT, aux grands règlements internationaux : Déclaration universelle des droits de l’homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, traités internationaux sur les droits de l’homme en Afrique, en Europe et dans les Amériques. Cette documentation sera complétée par la jurisprudence et la doctrine des Comités pour les droits de l’homme des Nations Unies et des autres institutions internationales et nationales. Davantage peut-être que dans tout autre domaine, ces règles et ces règlements doivent être analysés avec bon sens et appréhendés avec humanité.
La plainte et l’appel
La procédure de dépôt de plainte est obligatoire
11. Les règles 35 et 36 des RMT contiennent certaines indications relatives aux plaintes des détenus.
Règle 35 (1) Lors de son admission, chaque détenu doit recevoir des informations écrites au sujet du régime des détenus de sa catégorie, des règles disciplinaires de l’établissement, des moyens autorisés pour obtenir des renseignements et formuler des plaintes, et de tous les autres points qui peuvent être nécessaires pour lui permettre de connaître ses droits et ses obligations et de s’adapter à la vie de l’établissement.
Règle 35 (2) Si le détenu est illettré, ces informations doivent lui être fournies oralement.
Règle 36 (1)
Tout détenu doit avoir chaque jour ouvrable l’occasion de présenter des requêtes et des plaintes au directeur de l’établissement ou au fonctionnaire autorisé à le représenter.
Règle 36 (2) Des requêtes ou plaintes pourront être présentées à l’inspecteur des prisons au cours d’une inspection. Le détenu pourra s’entretenir avec l’inspecteur ou tout autre fonctionnaire chargé d’inspecter hors la présence du directeur ou des autres membres du personnel de l’établissement.
Règle 35 (3) Tout détenu doit être autorisé à adresser, sans censure quant au fond mais en due forme, une requête ou plainte à l’administration pénitentiaire centrale, à l’autorité judiciaire ou à d’autres autorités compétentes, par la voie prescrite.
Règle 35 (4) A moins qu’une requête ou plainte soit de toute évidence téméraire ou dénuée de fondement, elle doit être examinée sans retard et une réponse donnée au détenu en temps utile.
12. La règle 35 oblige les autorités de la prison à informer les détenus de leurs droits ainsi que des règles et règlements applicables dans l’établissement. Ce principe est vital pour le maintien de l’ordre en prison.
De manière significative, La règle exige que l’information soit distribuée lors de l’arrivée du détenu dans l’établissement, afin de faciliter son adaptation aux conditions locales de détention. Le personnel de surveillance doit aussi être parfaitement informé de ces règles et règlements. Des programmes de formation convenables doivent être organisés dans cette perspective. Les mots “ téméraire ” et “ dénuée de fondement ” de la règle 36 (4) ne sont pas précisés et donc laissés, comme on va le voir au paragraphe 17, à une interprétation arbitraire.
L’information des détenus et du personnel pénitentiaire sur la procédure de la plainte
13. Le moyen le plus efficace d’assurer cette information consiste à collationner les dispositions réglementaires applicables dans la prison en matière de discipline dans une brochure remise au détenu dès son arrivée. Ces dispositions peuvent être aussi affichées à des endroits stratégiques de l’établissement. Certains détenus pourront être employés à confectionner des affiches présentant ces dispositions. Dans les pays où sont pratiquées plusieurs langues, ces brochures et affiches seront traduites dans toutes les langues locales. Dans les pays où les prisons accueillent un nombre important d’étrangers, ces brochures et affiches seront diffusées dans les langues les plus répandues. A l’égard des nationalités peu représentées, l’administration s’efforcera d’offrir une traduction de ces dispositions lors de l’arrivée en prison des personnes concernées. D’où l’importance pour les prisons de disposer d’une unité d’accueil, qui s’acquittera de cette tâche parmi de nombreuses autres.
14. La règle 36 encourage les détenus à communiquer leurs plaintes à l’administration de la prison. Les directeurs et responsables de la prison doivent être réceptifs à cette procédure et assurer une permanence dans ce but au moins une fois par semaine. On ne soulignera jamais assez la nécessité, pour chaque groupe humain, d’une communication saine entre tous ses membres. Les détenus devraient être encouragés à faire part à l’administration de toutes les difficultés qu’ils rencontrent et être assurés que leurs requêtes seront toutes les fois examinées et prises en compte. Dans la pratique, il serait judicieux d’associer les détenus à la gestion de la prison, un tel système participatif ayant pour effet de favoriser la communication entre les surveillants et les détenus.
15. Les entraves à la communication des détenus avec les autorités de la prison sont source de frustration. Le sentiment d’impuissance qui en résulte peut, à son tour, engendrer des troubles. Les détenus ne devraient jamais être empêchés, par intimidation, de se plaindre de la gestion de la prison et le personnel pénitentiaire a le devoir d’accueillir ces plaintes avec bienveillance et sérénité.
Le dépôt de plaintes doit être facilité
16. Par crainte de représailles, les détenus sont souvent dissuadés de se plaindre du personnel de surveillance ou de la direction. La règle 36 (3) des RMT et le principe 33 (3) de l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement encouragent les autorités pénitentiaires à assurer aux détenus la confidentialité de leurs plaintes - anonymat du plaignant et confidentialité quant au contenu de la plainte. Les détenus conserveront leur confiance dans ce processus s’ils ont la possibilité d’adresser leurs plaintes à une personne ou à un organisme indépendant de l’administration de la prison, médiateur ou magistrat.
17. L’intégrité du processus de plainte et la confiance que les détenus lui accordent seront préservées à la condition expresse que les autorités de la prison ne disposent pas du pouvoir de rejeter les plaintes avant même leur instruction, sous le motif qu’elles seraient jugées “ téméraires ” ou “ dénuées de fondement ”, pour reprendre les termes de la RMT 36 (4). L’examen par l’administration de la prison de toutes les plaintes présentées par les détenus représente l’une de ses principales responsabilités. Les termes ou expressions “ de toute évidence ”, “ téméraire ” ou “ dénuée de fondement ” étant vagues et ambigus, il importe que toutes les plaintes soient instruites par un organisme indépendant qui appréciera si telle plainte est ou pas, “ de toute évidence ”, “ téméraire ” ou “ dénuée de fondement ”.
Les plaintes déposées par des proches et d’autres personnes concernées
18. Les familles des détenus et leurs avocats, de même que des visiteurs bénévoles ou des représentants d’ONG, peuvent aussi présenter une plainte en lieu et place d’un détenu, dès lors qu’ils ont des motifs suffisants pour le faire. Le principe 33 de l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement l’explique en détail :
1) Toute personne détenue ou emprisonnée, ou son conseil, a le droit de présenter une requête ou une plainte au sujet de la façon dont elle est traitée, en particulier dans le cas de tortures ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux autorités chargées de l’administration du lieu de détention et aux autorités supérieures, et, si nécessaire, aux autorités de contrôle ou de recours compétentes.
2) Lorsque ni la personne détenue ou emprisonnée ni son conseil n’ont la possibilité d’exercer les droits visés au paragraphe 1 du présent principe, un membre de la famille de la personne détenue ou emprisonnée ou toute autre personne qui connaît l’affaire peut exercer ces droits.
Les plaintes contre les intervenants non pénitentiaires
19. Les détenus doivent aussi être informés de leur droit de porter plainte contre des intervenants non pénitentiaires, par exemple des avocats ou des membres du personnel de santé. Ceux-ci n’observent pas toujours les règles déontologiques de leur profession, sous le prétexte qu’ils interviennent à titre humanitaire et bénévole. Il appartient aux autorités de la prison et aux responsables de la profession incriminée (chef de service, président du conseil de l’ordre ou bâtonnier) d’informer les détenus de cette opportunité [2].
Les plaintes traitées à l’intérieur et hors de la prison
20. Les plaintes ne justifient pas toutes une prise en considération et une réponse formelles. Les agents pénitentiaires sont en mesure de prendre en compte et de résoudre la plupart d’entre elles dans l’exercice de leurs fonctions quotidiennes, sans avoir besoin d’en référer à la hiérarchie. Seules les plaintes les plus sérieuses devront être transmises au directeur de la prison qui s’en saisira personnellement.
21. La direction de la prison encouragera les requêtes et les plaintes des détenus en direction d’organismes extérieurs bénévoles et non gouvernementaux, qui peuvent s’avérer aptes à régler des problèmes devant lesquels la direction est démunie. Ainsi, l’administration de la prison peut mettre des détenus étrangers en contact avec des associations locales et des organisations humanitaires capables de fournir des conseils et une aide spécifique dans le cadre de visites ou d’autres formes d’intervention.
22. La règle 36 (2) assigne à des inspecteurs extérieurs à la prison le soin de traiter des plaintes des détenus. On reviendra dans le chapitre VIII sur l’inspection des prisons. Notons dès maintenant que le principe 29 de l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement exige que les gouvernements établissent des instances chargées de contrôler, de superviser et d’inspecter l’administration des prisons.
Principe 29 (1)Afin d’assurer le strict respect des lois et règlements pertinents, les lieux de détention doivent être inspectés régulièrement par des personnes qualifiées et expérimentées, nommées par une autorité compétente distincte de l’autorité directement chargée de l’administration du lieu de détention ou d’emprisonnement et responsables devant elles.
Principe 29 (2) Toute personne détenue ou emprisonnée a le droit de communiquer librement et en toute confiance avec les personnes qui inspectent les lieux de détention ou d’emprisonnement conformément au paragraphe 1 du présent principe, sous réserve des conditions raisonnablement nécessaires pour assurer la sécurité et le maintien de l’ordre dans lesdits lieux.
23. Le public aura d’autant plus confiance dans le système pénitentiaire que le corps d’inspecteurs sera composé de personnalités reconnues, recrutées parmi l’état-major des prisons et les professionnels du droit et de la santé, mais aussi au sein d’organismes non gouvernementaux travaillant dans le domaine des prisons. Entre autres missions, ce corps aura pour tâche de traiter en appel des sanctions et autres mesures disciplinaires infligées aux détenus. Sans ce pouvoir d’appel, toute procédure en matière de plainte serait illusoire.
24. Il n’est pas souhaitable que ce soit la même autorité qui impose les sanctions et reçoive les plaintes, ce qui reviendrait à confier à l’autorité disciplinaire le soin de revenir sur ses propres décisions. Une décision rendue en appel dans ces circonstances ne serait naturellement pas crédible. Il est donc essentiel que ces deux pouvoirs (disciplinaire et d’appel) soient séparés.
Les procédures réglementaires offertes aux prévenus et autres catégories particulières de détenus
25. Le règlement de l’établissement s’applique à des catégories différentes de détenus : personnes en attente de jugement, étrangers, groupes minoritaires ou marginaux tels que les malades mentaux, les infirmes, les illettrés et les membres de minorités ethniques.
Prévenus
26. Les détenus en attente de jugement constituent une catégorie spéciale de détenus : n’étant pas encore reconnus coupables, ils sont présumés être innocents de par la loi. L’objectif essentiel des prévenus est, très souvent, de se défendre des accusations qui pèsent sur eux. Ainsi, la règle 93 des
RMT indique que :
Un prévenu doit être autorisé à demander la désignation d’un avocat d’office, lorsque cette assistance est prévue, et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles. A cet effet, on doit lui donner, s’il le désire, du matériel pour écrire. Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de vue, mais ne peuvent pas être à portée d’ouïe d’un fonctionnaire de la police ou de l’établissement.
27. La règle 93 a pour but d’assurer aux prévenus des moyens honorables d’anéantir les charges qui pèsent sur eux devant les tribunaux. Le personnel pénitentiaire a le devoir de faciliter les contacts et les communications entre les prévenus et leurs avocats, notamment en permettant à l’avocat de rendre visite au détenu pour le conseiller, en donnant au détenu les moyens de communiquer par lettre et, si possible,
par téléphone ou par fax avec son conseil.
Détenus étrangers
28. Les détenus étrangers constituent un groupe particulièrement vulnérable : ils ne disposent pas du réseau de parents et des soutiens qui entourent les autochtones ; ils ne pratiquent pas toujours la langue du pays où ils se trouvent emprisonnés. Les détenus étrangers sont désarmés ou réticents à se plaindre des mauvais traitements dont ils peuvent être les victimes, par crainte en particulier d’être expulsés. Les responsables pénitentiaires devraient être particulièrement mobilisés par ces détenus afin de leur prêter assistance ; ils devraient se montrer extrêmement sensibles aux plaintes qu’ils pourraient formuler.
Autres catégories de détenus vulnérables ou désavantagés
29. Les malades mentaux, les illettrés et les membres de minorités ethniques méritent d’être plus soutenus que les autres détenus, l’accès au dépôt de plainte doit leur être facilité. Le personnel d surveillance a le devoir de répondre à ce besoin. Les surveillants peuvent aider, par exemple, les illettrés à correspondre avec les tribunaux, si ces détenus leur en font verbalement la demande.
30. Il faut rappeler avec force et solennité au personnel de surveillance, qu’il soit en cours de formation ou en fonction, que la communication des détenus avec leurs avocats est confidentielle. Cette prérogative fondamentale est l’apanage des prévenus, mais aussi de toutes les catégories de détenus.
La discipline
31. Le système disciplinaire permet de maintenir l’ordre en prison. Il acquiert un maximum d’efficacit quand il est utilisé pour réparer un manquement grave à la discipline, après que les autres moyens de restaurer l’ordre furent demeurés vains. Les règles 27 à 30 des RMT circonscrivent le cadre à l’intérieur duquel la discipline est exercée en prison.
Règle 27 L’ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de restrictions qu’il n’est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d’une vie communautaire bien organisée.
Règle 28 (1) Aucun détenu ne pourra remplir dans les services de l’établissement un emploi comportant un pouvoir disciplinaire.
Règle 28 (2) Cette règle ne saurait toutefois faire obstacle au bon fonctionnement des systèmes à base de self-government. Ces systèmes impliquent en effet que certaines activités ou responsabilité d’ordre social, éducatif ou sportif soient confiées, sous contrôle, à des détenus groupés en vue de leur traitement.
Règle 29 Les points suivants doivent toujours être déterminés soit par la loi, soit par un règlement de ’autorité administrative compétente :
a) La conduite qui constitue une infraction disciplinaire ;
b) Le genre et la durée des sanctions disciplinaires qui peuvent être nfligées ;
c) L’autorité compétente pour prononcer ces sanctions.
Règle 30 (1) A ucun détenu ne peut être puni que conformément aux dispositions d’une telle loi ou d’un tel èglement, et jamais deux fois pour la même infraction.
Règle 30 (2)
Aucun détenu ne peut être puni sans être informé de l’infraction qu’on lui reproche et sans qu’il ait eu l’occasion de présenter sa défense. L’autorité compétente doit procéder à un examen complet du cas.
Règle 30 (3) Dans la mesure où cela est nécessaire et réalisable, il faut permettre au détenu de présenter sa défense par l’intermédiaire d’un interprète.
Règles applicables pour la défense des droits de l’homme
32. L’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 9 (1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdisent formellement toute détention arbitraire et jettent les bases légales du principe régissant la mise en œuvre et le maintien de la discipline en prison. L’interdiction de l’arbitraire ne s’étend pas seulement au contenu des règles disciplinaires mais aussi à la manière dont elles sont mises en œuvre.
33. La règle 27 des RMT encourage les autorités à maintenir la discipline en prison “ avec fermeté, mais sans apporter plus de restrictions qu’il n’est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d’une vie communautaire bien organisée ”. Dans le but de décourager l’arbitraire, la règle 29 (1) des RMT exige qu’une “ conduite qui constitue une infraction disciplinaire ” soit “ déterminée soit par la loi, soit par un règlement de l’autorité administrative compétente ”. La règle 30 des RMT énumère enfin les principaux moyens dont le détenu dispose pour se protéger de l’arbitraire dans l’administration de la discipline en prison.
Autres documents pertinents
34. La proscription de l’arbitraire dans le maintien de la discipline en prison est aussi affirmée dans l’article 6 de la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples, les articles 7 (2) et (3) de la Convention américaine sur les droits de l’homme, l’article 5 (1) de la Convention européenne des droits de l’homme, de même que dans de nombreuses constitutions nationales.
Conséquences institutionnelles
35. Les dispositions des RMT afférentes à la discipline et à la lutte contre l’arbitraire en prison sont lourdes de conséquences pour l’organisation et la gestion des établissements. On va examiner les plus significatives.
Des règles et des règlements écrits
36. Les règles relatives à la discipline en prison doivent impérativement être écrites, à l’instar de la plupart des règlements généraux des prisons et autres règles de procédure pénale. Le principe 30 (1) de l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement exige que de tels règlements spécifient les points suivants :
1°) les types de comportement qui constituent, de la part d’une personne détenue ou emprisonnée, des infractions disciplinaires durant la détention ou l’emprisonnement ;
2°) le genre et la durée des sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées ; et
3°) les autorités compétentes pour imposer ces sanctions.
37. Le pouvoir disciplinaire ne doit pas être abandonné entre les mains de n’importe quel agent, il doit être exercé par des agents supérieurs et donner toutes les fois l’occasion de traces écrites. Le détenu incriminé doit avoir connaissance des voies d’appel et de recours possibles en cas de contestation de sa part.
Révision périodique des règles et règlements de la prison
38. L’arbitraire n’existe pas seulement du fait de l’absence de règles mais aussi de la pérennité de règles périmées. Dans bon nombre de pays, les règles et les règlements pénitentiaires exigeraient un sérieux époussetage, voire un brutal coup de balai. Pour éviter d’en arriver à ces extrémités, les règles et règlements pénitentiaires doivent être réexaminés et mis à jour périodiquement en vue de les mettre en harmonie avec les principes légaux généralement admis.
Diffusion de l’information sur les règles
39. Il est inutile d’édicter des règles et règlements nombreux ou sophistiqués si personne n’en a connaissance. Les autorités pénitentiaires ont par conséquent l’obligation d’informer tant les détenus que les agents pénitentiaires de ces règles et ce dès leur premier contact avec l’établissement [3].
Par quels moyens la discipline est-elle imposée ?
40. La violation des règles disciplinaires en prison peut recevoir deux types de réponses, non exclusives l’une de l’autre : ou bien le détenu est sanctionné par l’administration pénitentiaire (“ voie interne ”) ; ou bien la violation constitue un délit que sanctionne le système pénal ordinaire (“ voie externe ”). Il n’est ni réaliste ni souhaitable d’engager une procédure disciplinaire pour la plus petite peccadille. Un avertissement verbal, un conseil amical ou un signe clair de désapprobation suffisent le plus souvent à faire prendre conscience au détenu des conséquences de sa transgression. Le recours aux sanctions disciplinaires formelles doit intervenir quand les moyens ci-dessus sont inadaptés ou qu’ils ont échoué.
41. De même, tous les délits perpétrés en prison ne doivent pas faire l’objet d’une poursuite devant la juridiction pénale compétente. Traînera-t-on devant le tribunal correctionnel le détenu qui a volé un morceau de savon pour pouvoir se doucher proprement ? Seules les infractions les plus graves doivent faire l’objet d’une procédure pénale. Il appartient au personnel pénitentiaire d’apprécier l’opportunité de poursuites pénales. Les responsables de la prison doivent élaborer des règles permettant d’aider les surveillants à trancher en faveur de la voie interne ou de la procédure judiciaire.
42. Les procédures disciplinaires doivent prendre en compte les garanties prescrites par les RMT. Ainsi, la règle 30 (2) des RMT exige que le détenu soit informé des charges pesant sur lui et puisse présenter sa défense. Les détenus ne doivent jamais être sanctionnés sur la base de rumeurs, fondées ou non fondées ; les autorités de la prison ont l’obligation de notifier aux détenus les rapports les mettant en cause et ceux-ci doivent pouvoir répondre quand de tels rapports peuvent entraîner une procédure disciplinaire. Le droit pour le détenu de se défendre revêt une importance encore plus considérable si la procédure disciplinaire peut entraîner une sanction affectant l’exécution de la peine, comme par exemple la suppression d’une réduction de peine. Dans l’affaire Campbell & Fell contre le Royaume Uni, 5 EHRR, 207 (1982), la Commission européenne des droits de l’homme a estimé que des détenus passibles d’une sanction disciplinaire interne consistant dans la perte de réduction de peine pour une durée déterminée - dans ce cas précis, la suppression de 570 jours de réduction de peine pour mutinerie et agression - avaient droit à toutes les garanties offertes par une juridiction pénale, en particulier d’être défendus par un avocat.
43. Si une violation de la discipline est traitée au prétoire (voie interne), le détenu peut demander le réexamen de la décision par une autorité supérieure, comme le prescrit le principe 30 (2) de l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement [4].
44. Si la violation de la discipline est poursuivie en tant qu’infraction pénale, le détenu bénéficie de toutes les protections légales et de tous les moyens pour pouvoir se défendre. Il a le droit en particulier de s’entretenir librement avec son avocat ou tout autre représentant légal et avec sa famille. Subirait-il une peine de prison pour une autre infraction, le détenu recouvre le statut de prévenu et tous les droits afférents tels ceux définis dans les paragraphes 26 et 27 du présent chapitre.
Défense légale
45. Si le détenu qui comparaît au prétoire doit pouvoir présenter sa défense, il n’est pas nécessaire cependant qu’il se fasse assister d’un avocat. La gestion de la prison deviendrait impossible si l’avocat intervenait au prétoire quelle que soit l’importance de la charge. Il suffit, le plus souvent, que le détenu puisse exposer son point de vue et faire appel à des témoignages dont l’administration tiendra un compte scrupuleux dans sa décision.
46. Les détenus témoignant au cours de procédures internes formelles, disciplinaires ou d’inspection, ne doivent être soumis ni à l’intimidation ni au harcèlement, si l’on veut que soient préservées l’objectivité et la confiance dans les procédures en matière de discipline et de plainte. L’administration de la prison a l’obligation de décourager et de punir de semblables pratiques qui ont pour effet d’intimider les détenus comparaissant devant des instances disciplinaires ou d’inspection.
47. Si, dans une affaire disciplinaire, les sanctions encourues sont très lourdes, ou si sont soulevées des questions de droit complexes, les autorités de la prison peuvent accepter que le détenu dispose d’une représentation légale. Les conditions dans lesquelles une telle représentation est possible ne doivent pas être arbitraires, mais clairement définies dans les règles ou le règlement de la prison distribués aux détenus.
48. Le gouvernement et a fortiori les autorités de la prison sont, dans beaucoup de pays, dans l’incapacité financière de procurer une représentation légale aux détenus traduits devant le prétoire. Ces autorités doivent alors encourager les organisations non gouvernementales, bénévoles et caritatives, qui interviennent en prison, à développer des programmes convenablement ciblés d’aide et de soutien légal aux détenus. Les autorités pénitentiaires favoriseront à cet effet les rencontres entre les détenus et les organisations non gouvernementales.
Qui gère la discipline en prison ?
49. Seuls les agents de l’administration pénitentiaire ont compétence pour exercer le pouvoir disciplinaire à l’intérieur de la prison. La règle 28 (1) des RMT interdit absolument de transmettre tout ou partie du pouvoir disciplinaire à certaines catégories de détenus. Cette règle oblige l’administration de la prison à interdire la pratique (répandue dans beaucoup de pays) consistant à confier à des détenus (baptisés “ présidents ”, “ généraux ”, “ maréchaux ”, “ prévôts ”, etc.) la police d’un dortoir, d’une unité de vie ou d’une cellule.
Sanctions
50. La sanction doit être l’aboutissement d’une procédure disciplinaire engagée à la suite d’une plainte ou d’un rapport d’incident mettant en cause tel ou tel détenu. Dans de nombreux systèmes pénitentiaires, l’ordre est maintenu sans qu’il soit tenu compte d’un barème de sanctions disciplinaires, mais en inspirant aux détenus la crainte que les surveillants utilisent des méthodes incontrôlées et brutales pour venir à bout des récalcitrants. Les règles disciplinaires découlant des RMT et d’autres normes internationales interdisent ce genre de pratiques. Le cadre général en matière de sanctions disciplinaires est fourni par les règles 31 et 32 des RMT :
Règle 31 Les peines corporelles, la mise au cachot obscur ainsi que toute sanction cruelle, inhumaine ou dégradante doivent être complètement interdites comme sanctions disciplinaires.
Règle 32 (1) Les peines de l’isolement et de la réduction de nourriture ne peuvent jamais être infligées sans que le médecin ait examiné le détenu et certifié par écrit que celui-ci est capable de les supporter.
Règle 32 (2) Il en est de même pour toutes les autres mesures punitives qui risqueraient d’altérer la santé physique ou mentale des détenus. En tout cas, de telles mesures ne devront jamais être contraires au principe posé par La règle 31, ni s’en écarter.
Règle 32 (3) Le médecin doit rendre visite tous les jours aux détenus qui subissent de telles sanctions disciplinaires et doit faire rapport au directeur s’il estime nécessaire de terminer ou de modifier la sanction pour des raisons de santé physique ou mentale.
51. A suivre la philosophie actuelle des droits de l’homme, La règle 32, qui contredit la règle 31, est devenue obsolète par rapport à l’Ensemble de règles internationales concernant le traitement des détenus en cours d’élaboration. La privation de nourriture est une sanction injustifiable qui affecte la santé des détenus. La règle 32 ne donne pas de définition du terme “ isolement ” et ne fixe aucune limite quant à la durée de celui-ci. Il est indéniable pourtant que l’isolement, qui affecte lui aussi la santé des détenus, est en contradiction avec les règles générales de défense des droits de l’homme.
52. Certaines des sanctions répertoriées dans la règle 32 sont infligées en vue de prévenir des désordres en prison, c’est-à-dire avant même toute violation de la discipline, ce qui est contraire aux principes des droits de l’homme et aux RMT dans leur exigence, avant toute sanction, d’une procédure disciplinaire appropriée.
53. Les procédures de plaintes, telles que définies ci-dessus par les RMT, s’appliquent avec autant de force en matière disciplinaire. Les détenus sont en droit de se plaindre des sanctions, tant dans la manière dont elles sont distribuées que dans la façon dont elles sont exécutées. Les autorités pénitentiaires doivent prévenir par tous les moyens les abus possibles en matière disciplinaire, notamment en faisant procéder au réexamen régulier et fréquent des sanctions par une personnalité ou un organisme indépendant.
Droits de l’homme et sanctions
54. L’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdisent la torture et toutes les autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, confortent les RMT consacrées aux sanctions disciplinaires. L’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques exige notamment que :
1) Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
2) a) Les prévenus sont, sauf dans des conditions exceptionnelles, séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées ;
b) Les jeunes prévenus sont séparés des adultes et il est décidé de leur cas aussi vite que possible.
3) Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal.
55. Dans son Commentaire général 21(44) du 6 avril 1992, le Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies a souhaité que les Etats respectent la dignité des détenus et des prisonniers. Le Comité a estimé que cette règle est “ fondamentale et de portée universelle ”, son application constituant un minimum indépendant des ressources matérielles des pays.
La torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
56. La torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont également proscrits par l’article 5 de la Charte africaine pour les droits de l’homme et des peuples, par l’article 5 de la Convention américaine sur les droits de l’homme et par l’article 3 de la Convention européenne sur les droits de l’homme.
57. L’article 5 de la Convention interaméricaine contre la torture stipule que :
Ni le caractère dangereux d’un détenu ou d’un prisonnier, ni le manque de sécurité d’un établissement pénitentiaire ne peuvent justifier la torture.
58. L’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est affirmée (parfois de manière indirecte) dans les constitutions de tous les pays du monde. Pour renforcer l’universalité de ce principe, la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants oblige les Etats et gouvernements à rechercher et à punir les auteurs de tels actes et à accorder une compensation aux victimes.
59. L’interdiction de tels actes doit constituer le principe de base qui gouverne le système disciplinaire des prisons. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984) décrit, dans son article 1.1, la torture comme suit :
Aux fins de la présente Convention, le terme “ torture ” signifie tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.
Quand peines ou traitements sont-ils assimilables à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ?
60. Un corpus de principes généraux a été constitué, tant sur le plan international que sur celui des Etats, à la suite de plusieurs affaires dans lesquelles les prisons étaient mises en cause pour des actes de torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Suivant ces principes, les sanctions disciplinaires peuvent être assimilées à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et par suite doivent être considérées comme inacceptables, si elles sont :
a) disproportionnées par rapport aux infractions commises ou à l’objectif de maintien de la discipline et de l’ordre dans l’établissement ;
b) déraisonnables ;
c) superflues ;
d) arbitraires ;
e) la source d’une frustration et/ou d’une souffrance injustifiables.
61. On peut déterminer si une sanction viole l’un de ces principes à partir de plusieurs critères :
1) la nature et la durée de la sanction ;
2) la fréquence de la répétition de la sanction et les conséquences de cette répétition compte tenu du sexe, de l’âge et des autres caractéristiques physiques du détenu sanctionné ;
3) l’état de santé physique et mentale du détenu sanctionné ;
4) la compétence et l’indépendance du personnel médical chargé d’évaluer les conséquences de la sanction sur la santé physique et mentale du détenu ;
5) la conformité de la sanction aux textes de loi.
62. Les responsables des prisons ne peuvent justifier un traitement cruel des détenus en invoquant avoir agi sous le couvert de la loi ou des ordres supérieurs. L’article 5 du Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois précise à ce propos :
Aucun responsable de l’application des lois ne peut infliger, susciter ou tolérer un acte de torture ou quelque autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant, ni ne peut invoquer un ordre de ses supérieurs ou des circonstances exceptionnelles telles qu’un état de guerre ou une menace de guerre, une menace contre la sécurité nationale, l’instabilité politique intérieure ou tout autre état d’exception pour justifier la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Proportionnalité de la sanction
63. Les règles des droits de l’homme applicables au système disciplinaire en prison mettent en exergue le principe de proportionnalité, la sanction ne devant jamais être disproportionnée par rapport à l’infraction commise. Ainsi, l’article 3 du Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois leur interdit l’usage de la force, sauf “ quand cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions ”. En outre, le principe 16 des Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois rappelle que :
Les responsables de l’application des lois ne doivent pas, dans leurs relations avec des prévenus ou condamnés incarcérés, avoir recours aux armes à feu, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace immédiate de mort ou de blessure grave, ou lorsque ce recours est indispensable pour prévenir l’évasion d’un prévenu ou condamné incarcéré présentant le risque visé au principe 9. (Le risque visé au principe 9 est celui d’ “ une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines ”.)
Les différentes formes de sanctions
64. La règle 29 (b) des RMT et le principe 30 (1) de l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement exigent que la nature et la durée des sanctions soient définies dans des lois ou des règlements écrits. En pratique, les formes de sanctions pouvant être infligées pour manquement à la discipline sont nombreuses et variées. On n’en examinera ici que quelques-unes.
L’isolement
65. De toutes les formes de sanctions, l’isolement est peut-être la mieux connue. La règle 32 (1) des RMT interdit “ les peines de l’isolement et de la privation de nourriture ” à moins qu’un “ médecin ait examiné le détenu et certifié par écrit que celui-ci est capable de les supporter. ”
66. Les RMT n’interdisent pas expressément l’isolement mais le considèrent clairement comme une forme de punition qui doit être seulement utilisée à titre exceptionnel. Dans son Commentaire général n°20 (44) du 3 avril 1992, le Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies remarque que “ l’isolement prolongé ” peut constituer une forme de torture. Le principe 7 des Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs au traitement des détenus émet le vœu suivant :
Des efforts tendant à l’abolition du régime cellulaire ou à la restriction du recours à cette peine doivent être entrepris et encouragés.
67. Les nombreux avis et décisions du Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies et d’autres organismes nationaux et internationaux en matière d’isolement permettent de dégager les règles d’une bonne pratique.
Isolement prolongé
68. L’isolement prolongé n’est pas légal. Dans son Commentaire général n° 20/44 de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies observe que “ l’isolement prolongé d’une personne détenue ou emprisonnée ” peut équivaloir à un acte de torture. Dans l’affaire Larrosa contre l’Uruguay, (Communication n° 88/1981), le Comité pour les droits de l’homme des Nations Unies a décidé que l’isolement de plus d’un mois était un isolement prolongé qui violait les droits du détenu à être traité avec dignité.
Isolement de durée indéterminée
69. L’isolement ne devrait, dans aucune circonstance, être infligé à un détenu pour une période indéterminée. Dans l’affaire Dave Marais contre Madagascar (communication n° 49/1979), Dave Marais, ressortissant d’Afrique du Sud subissant une peine de prison à Madagascar, fut maintenu, après une tentative d’évasion, sans contact avec l’extérieur pendant une période de plus de trois ans dans une cellule mesurant un mètre sur deux. Il ne fut, pendant toute cette période, sorti brièvement de sa cellule qu’en deux occasions, afin de comparaître devant un tribunal de la capitale du pays, Antananarivo. Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’homme a considéré qu’un tel traitement était inhumain.
Isolement répété
70. La répétition de l’isolement est tout aussi illégale. L’isolement est souvent considéré et utilisé par l’administration de la prison comme un moyen commode et efficace de traiter des détenus présumés dangereux, sans qu’il fût tenu compte des charges pesant sur eux dans le cas par exemple d’une nouvelle incarcération. Les autorités pénitentiaires considèrent qu’un détenu ayant subi un premier isolement s’accommodera sans rechigner des suivants, le maintiendrait-on dans cet état sans justification ou excuse valables. L’isolement est porteur d’effets dangereux pour la santé physique et mentale du détenu, et l’administration pénitentiaire centrale a le devoir légal d’empêcher ce genre de pratique.
Isolement combiné avec d’autres sanctions
71. L’isolement ne doit jamais être combiné avec une autre forme de sanction, si l’on s’en tient à la règle 30 (1) des RMT suivant laquelle aucun détenu ne doit être puni deux fois pour la même faute. Ainsi, dans une affaire survenue au Zimbabwe, un détenu fut condamné à une peine de trois ans pour cambriolage, à laquelle s’ajoutait une peine antérieure de trois ans de travaux forcés avec sursis ; le magistrat ordonna que le condamné devait subir la première et la dernière quinzaine de sa peine sous le régime de l’emprisonnement solitaire et d’une diète sévère. La Cour suprême du Zimbabwe a estimé que l’isolement solitaire accompagné d’une diète sévère constituait une peine inhumaine et dégradante et, à ce titre,
anticonstitutionnelle, expliquant que “ ces formes de sanction étaient des souvenirs des âges anciens ” (Sv. Masitere, 1991 (1) SA 804).
Assistance médicale aux détenus punis
72. Un médecin ou une autre personne qualifiée sur le plan médical doit veiller impérativement aux besoins médicaux des détenus subissant une sanction quelconque ; leur rôle ne doit pas se limiter à certifier que le détenu est capable de supporter physiquement sa sanction. La participation du personnel médical à l’exécution des sanctions en prison soulève des problèmes éthiques considérables [5], en particulier l’exigence de la règle 32 (1) des RMT qui requiert qu’un médecin examine un détenu avant de certifier par écrit qu’il est capable de supporter des punitions telles que l’isolement. Le Principe 3 des Principes d’éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des détenus et des prisonniers contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies de décembre 1982, affirme que :
Il y a violation de l’éthique médicale si les membres du personnel de santé, en particulier des médecins, ont avec des prisonniers ou des détenus des relations d’ordre professionnel qui n’ont pas uniquement pour objet d’évaluer, de protéger ou d’améliorer leur santé physique et mentale.
73. Un médecin qui certifie qu’un détenu est apte à supporter l’isolement viole ce principe. Mais il n’y a pas faute si le médecin répond aux besoins médicaux des détenus soumis à l’isolement ou à une punition similaire. Le personnel médical a aussi le devoir de conseiller à l’administration de la prison d’arrêter l’isolement si la santé des détenus est menacée, et les responsables devraient faire le plus grand cas de tels avis. Dans une affaire évoquée devant la Commission européenne des droits de l’homme, Krocher et Moller, suspectés par les autorités suisses d’être des terroristes, furent maintenus à une forme d’isolement accompagnée d’une privation sensorielle sévère. Ils furent placés sous contrôle médical et psychiatrique. En réponse à un avis médical, les conditions de leur détention furent progressivement adoucies et ils furent extraits de leur cellule d’isolement au bout de deux mois. La Commission européenne des droits de l’homme jugea ce traitement approprié. (Krocher & Moller contre la Suisse, Application n° 8463 / 78 (1983).
74. Il appartient naturellement au personnel médical concerné de soulever auprès de l’administration toutes ses objections éthiques, quant au rôle qui lui est confié à l’intérieur de la prison.
Les règles de l’isolement doivent être clairement codifiées
75. Les conditions dans lesquelles l’isolement peut être prescrit doivent être énoncées avec la plus grande précision. Si les prisons ne sont pas ou ne peuvent pas être dotées d’un personnel médical convenablement qualifié (en raison de la faiblesse des ressources du pays), l’administration de la prison fera appel à un personnel médical volontaire relevant d’organisations non gouvernementales, religieuses et caritatives, dont l’une des tâches consistera à prêter une assistance médicale aux détenus subissant l’isolement [6].
Menottes, fers aux pieds et autres instruments de contrainte
76. La règle 33 des RMT interdit absolument l’emploi d’instruments de contrainte à titre de punition :
Les instruments de contrainte tels que menottes, chaînes, fers et camisoles de force ne doivent jamais être appliqués en tant que sanctions. Les chaînes et les fers ne doivent pas non plus être utilisés en tant que moyens de contrainte.
77. La règle 33 permet l’emploi d’instruments de contrainte dans des conditions précises pour des buts limités :
a) Par mesure de précaution contre une évasion pendant un transfèrement, pourvu qu’ils soient enlevés dès que le détenu comparaît devant une autorité judiciaire ou administrative ;
b) Pour des raisons médicales sur indication du médecin ;
c) Sur ordre du directeur, si les autres moyens de maîtriser un détenu ont échoué, afin de l’empêcher de porter préjudice à lui-même ou à autrui ou de causer des dégâts ; dans ce cas, le directeur doit consulter d’urgence le médecin et faire rapport à l’autorité administrative supérieure.
Quelle que soit la situation de crise, la règle 34 des RMT exige que :
Le modèle et le mode d’emploi des instruments de contrainte doivent être déterminés par l’administration pénitentiaire centrale. Leur application ne doit pas être prolongée au-delà du temps strictement nécessaire.
78. Lues à la suite, les règles 33 et 34 semblent signifier que les responsables de la prison ne peuvent utiliser les instruments de contrainte que pour empêcher les détenus de se blesser eux-mêmes ou de blesser autrui, sauf circonstances médicales sur lesquelles on reviendra dans le chapitre IV. Il est à noter que ces règles interdisent l’emploi de contraintes telles que chaînes et menottes lors de la comparution du détenu devant un tribunal ou une autorité administrative, une interdiction rarement respectée.
Punitions corporelles
79. La règle 31 les classe parmi les sanctions cruelles, inhumaines ou dégradantes et les proscrit formellement. Il est donc illégal de battre ou de fouetter des détenus à titre de sanction disciplinaire.
Suppression d’une réduction de peine
80. Le refus d’une libération anticipée ou la suppression d’une réduction de peine sont parmi les formes de sanctions les plus utilisées. Ce qui n’est pas critiquable, à condition, si l’on veut éviter l’arbitraire, de réserver ces sanctions à des infractions graves ou répétées et de ne pas donner au refus de libération anticipée ou conditionnelle un caractère définitif.
81. Jusqu’en 1983 par exemple, les autorités pénitentiaires du Royaume-Uni disposaient d’un pouvoir indéfini en la matière. A l’occasion d’une affaire survenue en Grande Bretagne, la Cour européenne des droits de l’homme a désapprouvé la suppression d’une réduction de peine d’une durée de 570 jours et estimé que les détenus concernés auraient dû bénéficier de l’assistance d’un avocat (Campbell & Fell contre le Royaume Uni, (1984) 7 EHRR 165).
Privation sensorielle
82. Suivant la règle 31 des RMT, il est interdit aux autorités pénitentiaire d’enfermer des détenus dans des cellules disposant d’une seule source de lumière artificielle et d’une ventilation insuffisante, à titre de sanction ou pour toute autre raison. Dans une affaire intervenue au Zimbabwe, un condamné à mort fut, à titre de sanction, placé à l’isolement dans une cellule sans fenêtre éclairée à l’électricité 24 heures sur 24, l’interrupteur étant disposé à l’extérieur de la cellule. Le détenu n’avait droit qu’à 30 minutes d’exercice physique par jour. Pareil traitement fut considéré comme inhumain et dégradant. (Conjwayo contre Ministère de la Justice et des Affaires Légales et Parlementaires, 1991, (1) ZLR 105 (SC)).
Privation de nourriture
83. La règle 32 (1) interdit la privation de nourriture comme forme de sanction, sauf dans le cas où le médecin a examiné le détenu et certifié par écrit qu’il était capable de la supporter. On l’a démontré dans les paragraphes 50 et 69 de ce chapitre : la privation de nourriture est dorénavant jugée comme une forme de sanction impropre.
Double sanction ou sanctions multiples pour une seule infraction
84. La règle 30 (1) interdit de sanctionner un détenu deux fois pour une seule infraction à la discipline. Il arrive pourtant assez souvent que des détenus soient changés de cellule ou transférés dans une autre prison après avoir subi une sanction. Ces combinaisons sont inacceptables, sauf si le changement d’affectation est partie intégrante de la sanction. Si par exemple le détenu est reclassé dans une catégorie de plus haute sécurité, il pourra être transféré dans un établissement approprié. Les responsables de la prison doivent chaque fois tenir soigneusement compte des conséquences effectives de la forme de sanction choisie. Dans tous les cas, devront être évitées les mesures disciplinaires additionnelles autres que celles découlant logiquement de la sanction choisie, et des mesures devraient être prises pour atténuer les conséquences des sanctions en termes de droits et de prérogatives des détenus.
Appel d’une sanction disciplinaire
85. Le maintien de l’ordre sera assuré au sein de la communauté vivant en prison si les détenus mécontents du système disciplinaire ou de la manière dont il est appliqué ont les moyens de se plaindre.
L’appel est nécessaire pour au moins deux raisons :
- limiter et contrôler le pouvoir du personnel pénitentiaire en matière disciplinaire ;
- corriger les abus ou injustices susceptibles de se produire dans l’exercice de la discipline.
Les détenus doivent être informés des procédures d’appel existantes et encouragés à les utiliser.
Les principes des droits de l’homme applicables
86. Les RMT sont muettes sur les possibilités d’appel en matière disciplinaire. Cependant, l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme évoque cette possibilité :
“ Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. ”
87. L’article 2 (3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est plus explicite :
Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à :
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;
b) Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’Etat, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développera les possibilités de recours juridictionnel ;
c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié.
88. Les articles 2 et 12 à 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants font une obligation aux Etats de prévenir, rechercher, punir et corriger les actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis sur leur territoire.
Dans la mesure où elle affecte les droits des détenus, cette obligation impose à l’administration pénitentiaire d’offrir aux détenus une procédure de plainte efficace.
Autres instruments de droit
89. L’obligation de disposer pour les détenus d’une procédure de plainte efficace est aussi contenue dans l’article 1 de la Charte africaine pour les droits de l’homme et des peuples, les Articles 2 et 25 de la Convention américaine des droits de l’homme et dans l’article 6 de la Convention interaméricaine contre la torture.
Nature de la procédure d’appel
90. Les autorités de la prison ont naturellement la responsabilité d’établir et d’administrer la procédure d’appel des sanctions disciplinaires interne à l’établissement. Cette procédure, qui doit s’inspirer des règles régissant plus généralement le dépôt de plaintes, doit être initiée et développée sous l’égide de l’administration pénitentiaire centrale.
91. Au sein des systèmes pénitentiaires nationaux, une structure centrale d’appel sera mise en place. Elle accueillera les appels des détenus mécontents des décisions d’appel rendues en première instance au sein de l’établissement. Cette structure centrale aura l’avantage de réduire sensiblement la crainte ressentie par des détenus qui remettent en question une décision rendue à l’intérieur de l’établissement où ils se trouvent enfermés.
92. Pour bénéficier de la confiance des détenus, la procédure d’appel doit être traitée rapidement et sans formalisme excessif. Les plaintes seront dûment enregistrées, leur instruction fera l’objet d’une procédure écrite et les décisions devront être motivées.
93. Peuvent aussi être proposées aux détenus des procédures et des structures d’appel indépendantes de l’administration pénitentiaire [7].
Appel en justice
94. Les tribunaux ont le pouvoir et le devoir d’exercer un contrôle sur l’administration des sanctions en prison, dans le but de s’assurer qu’elles sont conformes à la loi et qu’elles ne sont ni arbitraires ni injustes.
95. L’appel en justice présente l’inconvénient d’être onéreux, tant en frais de justice qu’en honoraires d’avocat. La plupart des détenus ne disposent pas des ressources financières nécessaires et se trouvent donc dans l’incapacité d’attaquer en justice une sanction disciplinaire dont ils estiment qu’elle constitue une violation de leurs droits. Il revient donc à des organismes bénévoles et non gouvernementaux agissant dans l’intérêt public et dans celui des détenus de collationner les violations des droits des détenus et de porter plainte auprès des tribunaux compétents. De tels organismes ont été à l’origine des progrès accomplis en matière de droits et garanties accordés aux détenus.
96. En dépit des difficultés et contraintes existantes, les gouvernements ont le devoir d’assurer aux détenus une assistance légale, grâce à laquelle la surveillance judiciaire de l’administration des prisons sera établie ou renforcée.