N° 340
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 26 juin 2002
Dépôt publié au Journal officiel du 27 juin 2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 27 juin 2002
RAPPORT
de la commission d’enquête (1) sur la délinquance des mineurs, créée en vertu d’une résolution adoptée par le Sénat le 12 février 2002,
PRÉSIDENT
M. Jean-Pierre SCHOSTECK,
RAPPORTEUR
M. JEAN-CLAUDE CARLE,
Sénateurs.
Tome I : Rapport
(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André, M. Laurent Béteille, Mme Nicole Borvo, M. Robert Bret, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Claude Carle, Jean-Claude Frécon, Patrice Gélard, Hubert Haenel, Jean-François Humbert, Jean-Jacques Hyest, Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Mme Valérie Létard, MM. Jean-Louis Lorrain, Jacques Mahéas, Georges Othily, Bernard Plasait, Jean-Pierre Schosteck, Simon Sutour, François Zocchetto.
Voir les numéros :
Sénat : 332 (2000-2001), 213 et TA 59 (2001-2002)
Jeunes
INTRODUCTION
« L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur est que qui veut faire l’ange fait la bête. »
Blaise Pascal
Pensées
« L’ancien régime est là tout entier : une règle rigide, une pratique molle ; tel est son caractère. »
Alexis de Tocqueville
L’ancien régime et la révolution
La primauté de l’éducation sur la répression qui inspire le droit applicable aux mineurs délinquants est un principe nécessaire, qui devient nocif quand cette primauté signifie dissociation. La sanction est partie intégrante de l’éducation : vouloir éduquer sans contraindre est « l’utopie par excellence du gouvernement des hommes dans le cadre de la société des individus : les conduire et les constituer entièrement mais sans jamais les contraindre, et de telle sorte que tout soit vécu par eux comme leur initiative autonome » [1].
La délinquance des mineurs donne trop souvent lieu à un débat idéologique au mauvais sens du terme, où les jugements ne sont pas confrontés au réel. Mais « le réel n’est jamais ce qu’on pourrait croire ; il est toujours ce qu’on aurait dû penser » [2].
La commission d’enquête du Sénat a souhaité se forger un jugement autonome par ses auditions et ses déplacements dans notre pays et à l’étranger. De ses travaux, elle retire notamment les constats suivants :
- si la délinquance des mineurs n’est pas un phénomène nouveau, la situation actuelle est réellement préoccupante, parce que cette délinquance s’est massifiée, qu’elle est plus violente et concerne des mineurs plus jeunes. Cette délinquance a aussi été sous-estimée et non exagérée comme on l’a parfois dit au cours des dernières semaines. Les mineurs délinquants ont souvent des personnalités fragiles, peu construites, comme l’a noté l’un des interlocuteurs de la commission qui a parlé de « délinquance par absence d’être ». Leurs victimes sont souvent elles-mêmes des mineurs ;
- la famille et l’école n’endiguent plus la délinquance. Tandis que de nombreux parents sont en grande difficulté pour assurer l’éducation de leurs enfants, l’école n’est plus ce sanctuaire à l’abri de la violence. A force de vouloir faire entrer tous les enfants dans un « moule » unique, l’école a fini par exclure plus gravement qu’auparavant une partie de ceux qui lui sont confiés et devra réinventer les moyens de faire une place à chacun ;
- l’insuffisance des liens entre les institutions exerçant à un titre ou à un autre une action de prévention crée des discontinuités, des ruptures de suivi qui nuisent à l’efficacité de cette prévention ; trop souvent, des enfants en difficulté sont repérés, à l’école notamment, sans qu’une solution adéquate puisse être trouvée dans des délais acceptables ;
- la justice des mineurs n’est pas particulièrement laxiste ; elle est erratique. Son fonctionnement a été éloquemment résumé par M. Malek Boutih, président de SOS racisme, lors de son audition : « Vue par les jeunes, c’est une succession de petites « emmerdes » et, un jour, c’est une grosse « emmerde ». La justice apporte bel et bien des « réponses » à la délinquance des mineurs, mais ces réponses ne font pas sens parce qu’elles interviennent trop tardivement, parce qu’éducation et sanction sont généralement dissociées.
Notre arsenal législatif n’est pourtant pas inexistant pour sanctionner les mineurs ou ceux qui les utilisent, pour exercer une contrainte sur les parents défaillants... Mais, comme en d’autres matières, les règles ne semblent faites que pour n’être pas utilisées, chacun prenant dans la loi ce qui lui paraît acceptable au regard de ses propres conceptions ;
- l’enfermement des mineurs donne lieu à un débat idéologique sur la possibilité ou non de conduire une action éducative en milieu fermé. La commission constate que nos partenaires européens, par exemple les Pays-Bas, plus pragmatiques, ont mis en place des parcours d’éducation et de réinsertion comportant des phases de liberté et des phases de contention pendant lesquelles le travail éducatif se poursuit ;
- la protection judiciaire de la jeunesse connaît une crise d’identité profonde. Malgré le fort potentiel humain que constituent ses éducateurs, elle peine à assurer l’ensemble des missions qui lui sont confiées et souffre d’une gestion qui est loin d’être irréprochable. La prise en charge des mineurs les plus difficiles au sein des structures d’hébergement ne semble plus motiver ses cadres, dont certains adoptent même une véritable stratégie d’évitement de ces mineurs.
*
Ces constats suggèrent que si telle ou telle mesure particulière peut être utile et constituer un bon « signal », la réponse à la délinquance des mineurs demande une approche globale et une politique menée dans la durée.
TRAVAUX DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
· Les étapes des travaux de la commission d’enquête
- La présente commission d’enquête a été créée par le Sénat à la suite du dépôt, le 18 mai 2001, d’une proposition de résolution n° 332 (2000-2001) présentée par MM. Henri de Raincourt, Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel et Josselin de Rohan, « tendant à la création d’une commission d’enquête sur les diverses mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs ».
- Au cours de sa réunion du 6 février 2002, la commission des Lois, sur la proposition de son rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest, a estimé que la proposition de résolution était juridiquement recevable et que la création d’une commission d’enquête était tout à fait opportune en précisant que cette commission devrait enquêter sur les moyens de répondre à la délinquance des mineurs, en particulier sur les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs.
- Dans sa séance publique du 12 février 2002, le Sénat a adopté, sur le rapport de M. Jean-Jacques Hyest (n° 213, 2001-2002), la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur la délinquance des mineurs et son article unique dans les termes proposés par la commission des Lois.
- Lors de sa réunion du 19 février 2002, la commission a constitué son bureau qui a décidé notamment que ses auditions seraient ouvertes à la presse et a arrêté les premières orientations de son programme de travail.
- La commission d’enquête a ratifié les grandes lignes de ce programme au cours de sa réunion du 6 mars 2002.
- Le 25 juin 2002, la commission d’enquête a approuvé les conclusions du présent rapport.
· Les auditions de la commission d’enquête
Du 6 mars au 29 mai 2002, la commission d’enquête a organisé douze séries d’auditions au Sénat [3] et convoqué 73 personnalités concernées à un titre ou à un autre par la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs : sociologues, associations familiales, représentants de l’Education nationale, pédopsychiatres, psychologues, éducateurs, policiers et gendarmes, magistrats, représentant des victimes, universitaires, épidémiologiste, directeur d’établissement pénitentiaire....
Toutes ces auditions, à l’exception de deux [4], ont été ouvertes à la presse. La commission tient à souligner le parfait déroulement de ces auditions. Les interlocuteurs de la commission, convoqués pour déposer sous serment, se sont pliés de bonne grâce à cette obligation et ont accepté [5] que le procès-verbal de leur audition soit annexé au rapport de la commission.
Tout au plus, Mme Nicole Prud’homme, présidente de la Caisse nationale d’allocations familiales, a souhaité souligner que le questionnaire de la commission d’enquête ne lui avait été adressé que le vendredi 5 avril pour une audition le 10 avril : « vous comprendrez que la densité des questions posées et les chiffrages qu’elles impliquent obligent nos services à arrêter tout autre travail et à se concentrer exclusivement sur ce questionnaire. Les personnels sont donc obligés de travailler dans l’urgence qui est toujours de la sur-urgence » a-t-elle déclaré à la commission.
La commission d’enquête est profondément désolée d’une telle situation et doit faire part de son inquiétude à l’idée que l’ensemble des personnels de la Caisse nationale d’allocations familiales aient dû être mobilisés pour répondre aux 6 questions qu’elle avait cru courtois d’adresser à l’avance...
La commission n’a pas pu entendre toutes les personnes qui l’avaient souhaité et remercie celles qui se sont spontanément manifestées et qui ont bien voulu lui transmettre leurs observations par écrit.
· Les déplacements de la commission d’enquête
Outre ces auditions, la commission a estimé indispensable de compléter ses investigations par une série de déplacements qui se sont déroulés entre le 7 mars et le 23 mai 2002.
Déplacements de la commission d’enquête
- 7 mars : Visite du centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis
- 12 mars : Déplacement à Bagneux
- 14 mars : Visite du Tribunal pour enfants de Bobigny
- 26 mars : Visite du tribunal pour enfants de Paris
- 28 mars : Déplacement au Havre
- 4 avril : Déplacement à Beauvais
- 8 avril : Déplacement dans le Rhône
- 9 avril : Déplacement en Haute-Savoie
- 11 avril : Déplacement à Valenciennes
- 15 et 16 avril : Déplacement aux Pays-Bas
- 22 et 23 avril : Déplacement au Royaume-Uni
- du 22 au 26 avril : Déplacement en Guyane et en Guadeloupe
- 29 avril : Visite du centre JET juniors à La Souchère
- 16 et 17 mai : Déplacement dans les Bouches-du-Rhône
- 23 mai : Déplacement à Strasbourg
Le compte-rendu de ces déplacements figure en annexe du présent rapport.
Ces déplacements ont permis aux membres de la commission de voir fonctionner l’ensemble de la chaîne éducative et pénale et de découvrir quelques-unes des multiples actions de prévention conduites dans notre pays par des associations admirables.
A Paris et à Bobigny, la commission a pu assister à des audiences au tribunal pour enfants ou à des audiences de cabinet du juge des enfants. Le hasard a même voulu que le rapporteur ait la surprise de retrouver dans un centre d’éducation renforcée un mineur placé en détention provisoire quelques semaines plus tôt le jour de la visite de la commission au tribunal de Paris.
La commission d’enquête a découvert la diversité des conditions d’accueil des mineurs placés, visitant des foyers en pleine ville, le centre JET de la Souchère encadré par des militaires et où flotte le drapeau républicain, des établissements flambant neufs mais sous-occupés (l’école de la nouvelle chance de Beauvais), un complexe gigantesque et dont la restructuration paraît quelque peu désordonnée (les Chutes-Lavie à Marseille)...
La commission a également découvert la diversité des conditions d’incarcération des mineurs. Un gouffre sépare aujourd’hui le centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, devenu la « vitrine » de l’administration pénitentiaire et le quartier des mineurs des prisons de Lyon que la commission d’enquête du Sénat sur les prisons qualifiait déjà de « sinistre »...
· Les documents communiqués à la commission
Comme elle en a la faculté, la commission en se fondant sur l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée sur le fonctionnement des assemblées parlementaires, a demandé communication de nombreux documents aux ministres compétents et à leurs administrations, afin de compléter son information.
Dans l’ensemble, celles-ci ont volontiers répondu à ces requêtes et communiqué les documents souhaités.
Un questionnaire très détaillé a été adressé à chacune des 100 directions départementales de la protection judiciaire de la jeunesse. La commission tient à souligner le travail important réalisé par 98 directions sur 100 pour transmettre des informations très complètes.
La commission a également adressé un questionnaire à chacun des tribunaux pour enfants. 39 (trente neuf) tribunaux sur 134 (cent trente quatre) ont bien voulu répondre... Qu’ils en soient remerciés.
Enfin, la commission a demandé au ministère de la justice de lui transmettre les rapports que les juges des enfants doivent adresser chaque année au garde des sceaux après avoir visité les établissements de leur ressort accueillant des mineurs, conformément au décret du 16 avril 1946. Cinq documents seulement lui ont été adressés. Il semble que ces documents ne soient plus adressés au ministre de la justice, malgré les prescriptions réglementaires, de sorte que la commission est conduite à se demander si ces rapports continuent à être établis. Exemple typique de ces règles qui semblent n’être conçues que pour n’être pas appliquées.
CHAPITRE PREMIER LA DÉLINQUANCE DES MINEURS N’EST PAS UN FANTASME OU UN SENTIMENT
« Nous avons peur de nos jeunes maintenant. C’est un séisme fort, diffus, que tout le monde ressent »
Père Guy Gilbert [6]
On n’agit bien que si l’on connaît bien. Forte de ce précepte, la commission d’enquête a tenté de mieux comprendre la réalité de la délinquance des mineurs aujourd’hui. Le constat qu’elle en tire n’est pas particulièrement rassurant : la délinquance des mineurs, qui reste sous-estimée, a fortement augmenté et concerne des adolescents plus jeunes et plus violents face auxquels les adultes sont de plus en plus désemparés. Les mineurs délinquants cumulent bien souvent de nombreux handicaps difficilement réductibles. Enfin, les mineurs sont souvent les premières victimes des mineurs.
I. UNE ÉVOLUTION PRÉOCCUPANTE
La délinquance des mineurs a toujours existé. La situation actuelle est cependant préoccupante par le caractère massif qu’elle revêt aujourd’hui.
A. UN PHÉNOMÈNE ÉTERNEL ?
Au VIIIème siècle avant J.C., Hésiode écrivait, dans Les travaux et les jours : « Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain, parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible. Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents ».
C’est donc à bon droit que le sociologue M. Sébastian Roché, lors de son audition par la commission d’enquête, a constaté à titre liminaire que « Structurellement, la délinquance des jeunes a toujours existé ».
Plus précisément, M. Laurent Mucchielli, également sociologue, a souhaité rappeler que le vingtième siècle avait été marqué par trois périodes de forte délinquance juvénile :
- « La première période, c’est celle des années 1900-1914. Les jeunes délinquants avaient alors la figure des « apaches » et l’existence de bandes de jeunes délinquants réputés très violents devenait un élément majeur du débat politique et médiatique de l’époque, au point qu’un journaliste pouvait écrire, en 1907, à la une d’un des principaux quotidiens, La Petite République : « L’insécurité est à la mode, c’est un fait. » ;
- « (...) lors de l’été 1959 surgissait dans la presse une nouvelle figure du jeune délinquant dangereux, le « blouson noir ». Or, lorsque l’on fait la comparaison systématique entre les sources et les travaux de cette époque et de la nôtre, on est frappé de constater que les (...) reproches qui étaient faits aux blousons noirs sont encore au coeur du débat sur la délinquance juvénile » ; de fait, les « blousons noirs » étaient responsables d’affrontements entre bandes, se voyaient reprocher des viols collectifs, des vols d’usage immédiat, enfin des actes de vandalisme contre les institutions ;
- depuis la fin des années 1970, la délinquance juvénile a de nouveau augmenté, régulièrement, jusqu’en 1996, puis de manière brutale.
On pourrait être tenté, dans ce contexte, de relativiser la situation présente, qui ne serait qu’un énième avatar d’un phénomène aussi vieux que le monde.
Une telle conclusion serait pourtant hâtive.
B. UNE DÉLINQUANCE QUI AUGMENTE ET SE MODIFIE
Aucun des spécialistes interrogés par la commission n’a récusé le fait que la délinquance des mineurs ait évolué. Ainsi, après avoir montré que la délinquance des mineurs constituait un phénomène ancien dans la société française, M. Laurent Mucchielli a reconnu que si « les actes se ressemblaient en nature [...], ils ne [...] semblaient pas avoir le même niveau d’intensité. Il y a incontestablement eu un durcissement sur le plan quantitatif ».
Il apparaît que la délinquance des mineurs a fait l’objet de cinq modifications fondamentales qui pourraient être résumées de la manière suivante :
- progression de la délinquance des mineurs (mesurée par l’identification des auteurs) en nombre mais également en taux ;
- rajeunissement de l’âge d’entrée dans la délinquance ;
- aggravation des actes de délinquance ;
- développement d’une délinquance d’exclusion, territorialisée et accompagnée de trafics ;
- explosion des incivilités.
1. L’augmentation de la délinquance des mineurs
Les statistiques des services de police et de gendarmerie témoignent de l’augmentation de la délinquance des mineurs mesurée à partir du nombre des mineurs mis en cause. Plusieurs personnes entendues par la commission ont d’ailleurs parlé d’une « massification » de la délinquance.
Entre 1977 et 1992, le nombre de mineurs mis en cause est passé de 82.151 à 98.864, soit une augmentation de 20,4 %. Entre 1992 et 2001, le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de 79 % pour atteindre 177.017 en 2001.
C’est à partir de 1994 qu’un fort mouvement de hausse s’est dessiné (+17,7 % par rapport à l’année précédente soit 109.338 mineurs mis en cause) pour se poursuivre de façon continue les années suivantes : en 1995 (+ 15,4 % avec 126.233 mineurs), en 1996 (+ 13,9 % avec 143.824 mineurs), en 1997 (+ 7,3 % avec 154.437 mineurs) et en 1998 (+ 11,2 % avec 171.787 mineurs).
Exception faite d’un léger tassement observé en 1999 (- 0,81 % avec 170.387 mineurs), la mise en cause des mineurs a continué à s’accroître à un rythme toutefois plus modéré (+ 2,86 % en 2000 et + 1 % en 2001).
En outre, la délinquance des mineurs n’a pas seulement progressé en nombre, mais également en taux. La part des mineurs impliqués dans les différents types d’infractions a crû plus rapidement que celle des majeurs, sauf en matière d’homicides.
L’implication des mineurs dans le total des mis en cause pour les composantes de la délinquance et de la criminalité
1. Pour les vols
C’est la catégorie dans laquelle les mineurs ont toujours été les plus impliqués en nombre et avec une participation qui a dépassé le seuil des 30 % du total des mis en cause depuis 1997, alors qu’ils en constituaient un peu moins du quart en 1992.
Si leur participation est variable selon le type de vols, elle s’est sensiblement accrue en matière de vols avec violence sans armes à feu (de 31 % en 1992 à 47,5 % en 2001) et tout particulièrement pour ceux commis contre des particuliers sur la voie publique (de 33,1 % en 1992 à 50,1 % en 2001).
2. Pour les infractions économiques et financières
Il s’agit de la catégorie où les mineurs sont le moins représentés, même si leur part dans les infractions économiques et financières s’est sensiblement accrue, passant de 1,91 % en 1992 à 7,07 % en 2001.
Les mineurs sont particulièrement impliqués dans les affaires de fausse monnaie (leur part atteint 18 % en 2001) où leur nombre a été multiplié par 16 depuis 1992. En matière de falsification et usages de cartes de crédits, le nombre de mineurs mis en cause a été multiplié par 6 et leur part représente près de 20 % en 2001 contre 11,5 % en matière de falsification et usages de chèques volés.
Enfin, en matière d’escroqueries et d’abus de confiance, leur nombre a été multiplié par 5 et leur part est passée à 8 % en 2001.
3. Pour les crimes et délits contre les personnes
En 10 ans, le nombre de mineurs mis en cause pour crimes et délits contre les personnes a été multiplié par un peu plus de 3 pour atteindre 27.224 mineurs. Leur part dans le total des mis en cause pour cette catégorie d’infraction s’élève à 15,4 % en 2001.
Les mineurs sont peu impliqués dans les homicides. En revanche, leur part dans les coups et blessures volontaires atteint près de 17 % et concerne 13.543 mineurs en 2001.
De même, leur part en matière d’atteinte aux moeurs se monte à 20 % (soit 4.062 mineurs en 2001). Ce constat est largement imputable à une plus grande implication des mineurs en matière de viols, où leur nombre a doublé entre 1992 et 2001 pour atteindre 1.275 mineurs, soit 21 % des mis en cause. En ce qui concerne les viols sur mineurs, leur part atteint même désormais 31 %.
4. Pour les autres infractions
Cette catégorie est assez hétérogène puisqu’elle regroupe à la fois les destructions et dégradations de biens, les infractions contres les dépositaires de l’autorité ou encore les infractions à la législation sur les stupéfiants.
En ce qui concerne les destructions et dégradations de biens, le nombre de mineurs mis en cause s’élève désormais à 24.158 en 2001. Ils représentent le tiers des mis en cause (contre le quart en 1992).
En matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants, leur nombre a plus que quadruplé, passant de 2.904 mineurs en 1992 à 13.035 en 2001 : ils représentent désormais 19,43 % des mis en cause contre 7,32 % en 1992.
Enfin, l’implication des mineurs dans les infractions contre les dépositaires de l’autorité a également été sensible. Pour les faits de violence et les faits d’outrage, le nombre des mineurs mis en cause a plus que quadruplé en dix ans et leur part s’élève respectivement à 17 % et 15 %.
Source : ministère de l’intérieur
2. Des mineurs délinquants plus jeunes et plus violents
a) Un rajeunissement incontestable
Toutes les personnes entendues par la commission d’enquête ont insisté sur le rajeunissement de l’âge d’entrée des mineurs dans la délinquance.
Lors de son audition, le colonel Christophe Métais, chef du bureau de police judiciaire à la direction de l’emploi de la gendarmerie, a noté « un abaissement de l’âge des auteurs d’infractions puisque l’implication des jeunes de dix à douze ans est en hausse de près de deux points et celle des adolescents âgés de treize à quinze ans de plus de quatre points, tandis que l’on constate un léger recul s’agissant des jeunes âgés de seize à dix-sept ans ».
Les chiffres fournis par M. Patrice Bergougnoux, Directeur général de la police nationale, confirment le constat dressé par la gendarmerie : sur l’ensemble des mineurs mis en cause, la part des seize à dix-huit ans régresse légèrement (- 2 %) en 2001, celle des quatorze à seize ans reste stable. En revanche, celle des moins de treize ans augmente. Les mineurs de moins de seize ans représentent 12 % des personnes interpellées par la sécurité publique et près de 49 % des mineurs mis en cause.
Quant à M. Alain Bauer, il a constaté que si les mineurs de treize à dix-huit ans représentent une très large majorité des mineurs délinquants, on observait une poussée des mineurs de huit à douze ans. M. Xavier Raufer a par ailleurs noté que les observations empiriques des étudiants de l’Institut de criminologie impliqués dans le travail social leur permettaient d’affirmer que l’âge moyen d’entrée dans les bandes avait tendance à baisser environ tous les trois ans.
Ce phénomène est particulièrement inquiétant dans la mesure où de nombreuses études ont montré que l’aggravation des actes est d’autant plus systématique que les actes délictueux sont précoces. En conséquence, l’augmentation du niveau de violence des jeunes serait liée à leur entrée précoce dans la délinquance. Pour M. Sébastian Roché, « le rajeunissement et l’augmentation du niveau de violence des actes sont un seul et même phénomène (...). C’est un peu comme jouer au tennis : pour être un champion, il faut commencer à s’entraîner jeune ».
Ainsi, l’enquête de délinquance auto-rapportée dirigée par M. Roché [7] souligne une augmentation du nombre de ceux qui réalisent des délits avant 13 ans. Par ailleurs, elle démontre que la précocité pour les « petits » délits influe sur la commission d’actes graves. 74 % des jeunes qui ont déjà commis un délit bénin à 12 ans ou moins sont impliqués dans un acte grave par la suite. Ils sont un peu moins de la moitié (44 %) pour ceux qui ont commencé à 13 ans. En revanche, les adolescents qui attendent 14 ans pour commettre leur premier délit ne sont plus que 15 % à avoir commis un délit grave.
M. Sébastian Roché en conclut : « Le simple délit précoce semble donc favoriser le déclenchement ultérieur d’autres comportements, dont certains très agressifs [8] ».
M. Philippe Lutz, commissaire principal à Noisy-le-Grand, a témoigné devant la commission d’enquête de l’entrée précoce des jeunes dans la violence. Il a rappelé qu’en 1997, les moins de treize ans représentaient 13 % des auteurs d’actes de délinquance, mais 80 % des auteurs de vols avec violence. Or, les vols avec violence progresseraient chaque année, sur Noisy-le-Grand, d’à peu près 60 à 70 % !
b) L’aggravation des actes de délinquance
Les données chiffrées révèlent également un changement dans la nature de la délinquance des mineurs depuis la fin des années 1970.
De la seconde guerre mondiale à 1975, la progression des vols est considérable, passant de 4,5 pour mille à 23,8 pour mille tandis que les violences restent assez stables, passant de 1,4 pour mille à 1,7 pour mille. Comme le fait remarquer Hugues Lagrange [9] : « Les Trente Glorieuses sont une période d’expansion extraordinaire de la délinquance acquisitive ».
A partir de la fin des années 1970, la délinquance évolue.
Certes, le nombre de mineurs mis en cause pour des vols a augmenté de 37 % sur cette période (mais le nombre de mineurs mis en cause pour des vols de voitures et de deux-roues motorisées a diminué), mais le nombre de mineurs mis en cause pour des vols avec violence, des viols, des coups et blessures volontaires et des destructions de biens publics ou privés a littéralement explosé puisqu’il a plus que quadruplé.
En revanche, l’homicide commis par un mineur reste un phénomène rarissime à la fin du XXème siècle.
Il apparaît ainsi qu’à côté de la traditionnelle délinquance d’appropriation tend à se développer une délinquance violente et gratuite.
Les données statistiques de la police et de la gendarmerie qui analysent les types d’infractions pour lesquels l’accroissement numérique des mineurs mis en cause est le plus fort, confirment cette tendance.
Sur les dix dernières années, le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de 78.153. Cette hausse est liée :
- pour 24 % à leur implication en matière de vols (avec + 18.945 mineurs mis en cause). Dans cette catégorie, l’accroissement est imputable pour 31,5 % à leur implication plus importante dans les vols avec violence ;
- pour 18 % à leur implication en matière de destructions/dégradations de biens ;
- pour 16 % à leur implication en matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants. Dans cette catégorie, l’accroissement est imputable pour plus de 81 % à leur implication dans la consommation de drogues ;
- pour 12 % à leur implication en matière de coups et blessures.
Ces chiffres laissent apparaître une montée de la violence, qu’elle soit tournée vers les personnes (en cas de vols avec violence ou de coups et blessures), représentantes ou non de l’autorité, ou vers les biens privés et les institutions.
Comme le constate M. Laurent Mucchielli : « Depuis la fin des années soixante-dix, et plus encore depuis la fin des années quatre-vingt, on assiste à une forte augmentation de ce que l’on peut appeler les violences contre les institutions pour désigner à la fois le vandalisme contre les biens publics et les différentes formes d’irrespect envers les personnes symbolisant les institutions publiques, c’est-à-dire, d’une part, essentiellement les policiers et parfois les pompiers, d’autre part, les enseignants ».
La plupart des personnes entendues par la délégation ont par ailleurs insisté sur la gravité des actes commis par les mineurs délinquants, que les statistiques de la police et de la gendarmerie confirment.
Le tableau ci-après indique que sur la période 1992-2001, le pourcentage de mineurs mis en cause pour des vols dans l’ensemble des mineurs mis en cause a diminué puisqu’il est passé de 69,7 % à 49,6%.
Au contraire, le pourcentage de mineurs mis en cause pour des crimes et délits contre les personnes a pratiquement doublé sur cette même période, passant de 8,7 % à 15,4 %.
De même, le pourcentage de mineurs mis en cause pour des atteintes aux moeurs a progressé et est passé de 1,49 % en 1992 à 2,29 % en 2001.
Implication des mineurs en fonction des différentes catégories d’infraction
[voir tableau : site Sénat]
3. Une délinquance concentrée : la théorie des 5 %
Aux termes de l’étude de délinquance autorapportée de M. Sébastian Roché [10], 74 % des jeunes interrogés reconnaissent avoir commis un acte de délinquance (dégradation, vol ou agression). Tous ne sont pourtant pas délinquants au sens où on l’entend communément. La gravité de l’infraction comme le caractère répétitif du comportement délinquant jouent un rôle essentiel.
La prise en compte de ce dernier critère conduit à relativiser l’importance numérique de la délinquance chez les jeunes. Ainsi, lors de son audition, Mme Sophie Body-Gendrot a déclaré : « Nous parlons en fait d’une minorité de jeunes. En matière de délinquance juvénile, il n’y a que 10 % de multirécidivistes dont personne d’ailleurs ne veut se charger. [...] Je rappelle que 80 % des jeunes qui passent pour la première fois devant le juge ne récidivent pas ».
M. Sebastian Roché a insisté devant la commission d’enquête sur la très forte concentration de la délinquance sur un petit ensemble de personnes : il s’agit de la « théorie des 5 % ». D’après les informations recueillies auprès des jeunes auteurs de délits eux-mêmes, 5 % des jeunes commettent 60 à 85 % des infractions.
Tous les magistrats interrogés à ce sujet ont confirmé cet état de fait : il existe bien un petit pourcentage de jeunes qui commettent une part importante des délits.
Ainsi, les magistrats du tribunal pour enfants de Marseille ont évalué à 350 le nombre de mineurs qui posent d’énormes difficultés dans cette ville. Les maires rencontrés par la commission lors de ses déplacements en province, notamment à Bonneville et à Thonon-les-Bains, ont eux aussi évoqué la responsabilité d’un tout petit nombre dans l’exaspération de la population.
Plutôt que de parler de « noyaux durs », certains sociologues comme M. Sébastian Roché préfèrent employer le terme de « noyaux suractifs ». En effet, si les grands réitérants ont tendance à se regrouper dans des bandes, ils ne « s’installent » pas structurellement dans la délinquance.
Mme Patricia Fiacre a étudié les relations entre les membres des bandes [11] et a montré qu’en trois ans, elles se défont. Empiriquement, elle a constaté que 50 % des jeunes ont une carrière de délinquant de trois ans ou moins et 80 % de cinq ans ou moins. Seuls 20 % des jeunes réitérants s’installent dans la délinquance pendant plus de cinq ans. Autour de 18 ans, le noyau éclate et les membres deviennent moins actifs...
L’étude épidémiologique conduite par Mme Marie Choquet [12] va dans le même sens puisqu’elle démontre que la violence diminue sensiblement avec l’âge parmi les élèves scolarisés. Pour les garçons, elle passe de 32 % à 19 % entre 11 et 18 ans. Pour les filles, elle augmente jusqu’à 14-15 ans (de 12 % à 18 %) pour diminuer après cet âge (de 18 % à 10 %).
Bandes et noyaux durs
Le phénomène des bandes a été régulièrement évoqué devant la commission d’enquête. En effet, il est souvent assimilé à l’une des composantes fortes de la délinquance des mineurs dans l’esprit de la population : bagarres collectives qui opposent plusieurs bandes, bandes de jeunes qui se rassemblent au pied des immeubles et intimident les habitants, viols collectifs réalisés dans les caves d’immeubles, voitures incendiées par une bande de jeunes...
Les spécialistes interrogés ont estimé que le développement des bandes contribuait à l’augmentation du nombre de mineurs mis en cause dans des actes de violence commis en réunion.
Mme Nicole Le Guennec, sociologue, a fait état d’une montée du caïdat et d’une augmentation des conflits entre bandes.
Pour autant, la plupart des sociologues ont estimé, comme le Président de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, M. Thierry Baranger, qu’il ne s’agissait pas de bandes au sens classique du terme, mais plutôt de regroupements territoriaux.
Certains ont également tenu à relativiser la responsabilité des mineurs dans la commission d’actes graves au sein des bandes. Ainsi, M. Xavier Raufer a constaté : « Quand on a affaire à des bandes, la délinquance des mineurs est un faux problème[... ] Il ne s’agit pas de gamins de huit ans qui se réunissent pour former une bande. La bande se constitue un peu comme on fait de la mayonnaise. On la « touille » et on ajoute une goutte de temps en temps. Une bande comprend d’abord des meneurs, généralement appelés grands frères. Eux ont vingt-cinq ans et sont bel et bien intégrés dans le processus d’une carrière criminelle lucide et consciente. En dessous des meneurs, il y a le gros de la bande, dont les membres sont âgés entre quinze et dix-huit ans. Puis, de temps en temps, un petit entre dans la bande et y fait ses classes. ».
Il en a conclu que « les noyaux durs des bandes criminelles ne sont pas des gamins de huit ans. Ce sont les éléments âgés de dix-huit à vingt-cinq ans. Si jamais vous démantelez les noyaux durs, les gamins de huit ans n’ont plus de bande vers qui aller ».
D’autres intervenants se sont montrés plus sceptiques sur l’élimination des « noyaux durs ».
Ainsi, le président de SOS racisme, M. Malek Boutih, a estimé que lorsqu’un chef de bande est éloigné de la cité, non seulement il est aussitôt remplacé, mais les tensions liées aux agissements de la bande empirent.
Quant à M. Eric Debarbieux, il a estimé que « l’élimination des noyaux durs, qui est souvent souhaitée, notamment dans les établissements scolaires, ne servirait pas à grand chose parce qu’elle ne met pas en place les instruments qui permettraient d’enrayer les mécanismes de cofabrication des noyaux durs ».
4. La délinquance d’exclusion : trafics et ghettos
M. Denis Salas, magistrat, distingue trois catégories de délinquance : la délinquance initiatique, qui n’est qu’un passage à l’acte ponctuel lié à l’adolescence ; la délinquance pathologique liée à des difficultés familiales lourdes, enfin, la délinquance d’exclusion, propre aux dernières décennies.
La délinquance d’exclusion est une « délinquance de masse, territorialisée, essentiellement liée à des parcours de désinsertion durable dans lesquels des groupes familiaux tout entiers vivent dans l’illégalité et dans des cultures de survie, dans des modalités de précarité extrêmement importantes les conduisant insensiblement vers la déviance ou vers la délinquance » [13].
Plusieurs interlocuteurs de la commission d’enquête ont noté que les conditions socio-économiques n’étaient pas déterminantes à elles seules dans la délinquance, mais qu’en général, celle-ci résultait plutôt d’un cumul de handicaps.
M. Sébastian Roché a noté qu’« entre 1970 et aujourd’hui -ou même depuis la fin de la seconde guerre mondiale- on a remplacé une population de personnes âgées pauvres par une population de jeunes pauvres qui sont sortis du système scolaire et qui n’ont pas encore trouvé d’emploi. En fait, la pauvreté a été massivement réduite dans notre pays mais ce qui a surtout changé, c’est la structure démographique de la pauvreté, c’est-à-dire qu’au lieu d’avoir des personnes âgées pauvres, on a des jeunes pauvres, ce qui, en matière de délinquance, est tout à fait différent ».
La délinquance d’exclusion s’inscrit dans le contexte d’une explosion du trafic de stupéfiants dans notre pays, notamment du trafic de cannabis.
M. Laurent Mucchielli, tout en faisant remarquer que la pauvreté avait toujours favorisé la pratique du « système D » pour essayer d’améliorer « l’ordinaire » et que l’existence de petits trafics ou du recel était extrêmement ancienne, s’est inquiété du rôle de la drogue dans les économies illégales, en particulier depuis la seconde moitié des années quatre-vingt. Certes, les trafics sont dans la plupart des cas organisés par des majeurs. Toutefois, ces derniers utilisent les mineurs pour faire le guet, ce qui « risque incontestablement de faciliter leur entraînement dans la délinquance ».
En outre, la revente de drogue est une activité très lucrative pour des mineurs sans véritable qualification. Lorsqu’un mineur y est impliqué, les éducateurs ont beaucoup de mal à l’inciter à renoncer à cette manne pour un stage ou un travail souvent précaire. A cet égard, les propos du père Guy Gilbert sont éloquents : « La drogue a pris une emprise formidable sur les jeunes : il existe un marché parallèle énorme. Un gamin à qui j’avais trouvé un stage m’a dit : « Mais curé, tu me prends pour une bille ! J’ai seize ans, je gagne 10.000 francs par mois nets d’impôts. Ton stage de 3.500 francs, tu peux te le foutre où je pense ! ».
Ce développement considérable du trafic de stupéfiants n’est pas pour rien dans l’isolement de certains quartiers qui deviennent de véritables ghettos.
Trafic et ghettoïsation
Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Malek Boutih, président de SOS racisme, a longuement évoqué le processus d’isolement de certains quartiers et le rôle joué par le trafic de stupéfiants :
« Enfin, j’évoquerai un dernier élément qui m’a paru extrêmement frappant : la montée en puissance de ce que l’on appelle l’économie parallèle et qui est en fait structurée centralement par le trafic de drogue, principalement par le trafic de cannabis. Cette drogue est, selon moi, la manne financière la plus massive compte tenu de l’explosion de la consommation de cannabis en France.
« Personnellement, j’ai toujours connu ce phénomène depuis que je suis tout petit. Je savais qu’il y avait un trafic de cannabis, etc., mais son ampleur est devenue démesurée à partir du moment où, dans les lycées et les universités, dans toutes les soirées où l’on danse, la jeunesse française s’est mise à consommer du cannabis (...).
« Après tout, quant on y réfléchit bien, on peut se demander comment un marché qui doit représenter plusieurs centaines de millions d’euros peut être laissé entre les mains de petits voyous de quartier. La réponse tient, je crois, à la notion de territoire, concernant cette drogue-là particulièrement, car cela représente de grandes quantités de marchandises. En outre, il faut être accessible à tout le monde et il faut donc pouvoir se livrer à ce trafic en toute tranquillité. C’est ainsi que la notion de quartier est devenue, pour les trafiquants, très importante.
« Il s’agit là de phénomènes qui sont lents à se mettre en place, mais l’idée d’avoir un sanctuaire pour pouvoir organiser le trafic est devenue primordiale. Or, pour constituer ce sanctuaire, il est évident qu’il fallait créer une sorte de dynamique excluant tout ce qui est positif dans ce quartier et intégrant au sein de ce dernier tout ce qu’il peut y avoir de négatif. C’est ce que j’appelle une sorte de « deal informel » qui s’est constitué entre ces quartiers. Je dis « informel » car, bien sûr, personne n’a décidé, mais l’idée était celle-ci : « on fait ce que l’on veut dans notre quartier et, en contrepartie, on ne demande rien à l’extérieur ».
Par ailleurs, l’afflux important d’argent dans certains quartiers génère une délinquance plus violente, de type mafieux, qui mêle apparition d’armes et règlements de compte entre les trafiquants. Lors de son audition, M. Sébastian Roché a constaté le lien entre l’importance du trafic et l’augmentation de la violence des actes : « Une fois qu’il est entré dans le trafic, le délinquant va devoir se faire respecter des autres trafiquants, des autres caïds, comme il va devoir se faire respecter de la population et de la police. Or, dans ce contexte, la violence est un moyen utile, je dirai presque indispensable ».
5. Les « incivilités », dévaluation de la délinquance ?
La notion d’incivilité est apparue dans les années quatre-vingt-dix et vise à décrire « un changement global dans la structure contemporaine de la délinquance et de l’insécurité. Si les crimes de sang ont massivement régressé depuis deux siècles, les statistiques criminelles montrent depuis près de trente ans que l’augmentation de la petite délinquance est une tendance lourde des sociétés libérales [14] ».
Les incivilités correspondent donc à cette petite délinquance qui reste souvent impunie et qui est très mal vécue au quotidien par les citoyens.
Il peut s’agir de petits délits comme les tags, les injures ou encore des petites dégradations de biens (sièges de bus ou de métro lacérés, téléphones arrachés dans les cabines téléphoniques, glaces d’abris de bus brisées...).
Certaines incivilités ne constituent pas des infractions au sens du code pénal, mais elles témoignent d’un non-respect des règles de la vie en société : abandon d’objets dans l’espace public (bouteilles de bière, saletés), rassemblement de jeunes dans les halls d’immeubles. En outre, leur répétition les rend d’autant plus insupportables pour les populations qui les vivent au quotidien que ces dernières se sentent démunies face à ces désordres et abandonnées par les institutions (police, justice, mairie).
L’utilisation du terme d’incivilité suscite régulièrement des polémiques car il est soupçonné de contribuer à ce que M. Xavier Raufer a appelé devant la commission d’enquête « la dévaluation sémantique : les autorités françaises ne savent plus appeler les choses par leur nom. [...] On en arrive ainsi à la situation actuelle où, par dévaluation, les crimes deviennent des délits, les délits des contraventions et les contraventions des incivilités. ». Par exemple, l’incendie d’une poubelle d’immeuble et la démolition d’une boîte aux lettres seront qualifiés d’incivilités alors qu’il s’agit de délits.
M. Eric Debarbieux a tenu à relativiser cette critique en estimant que « l’incivilité ne sert aucunement à minimiser la violence et la délinquance ou à méjuger de l’importance de l’insécurité ressentie, au contraire. [...] En montrant l’importance de la petite délinquance non traitée dans l’expérience victimaire elle a ouvert la voie à une nouvelle écoute de l’expérience quotidienne de la délinquance subie [15] ».
En effet, nombre de personnes entendues par la commission d’enquête se sont accordées à reconnaître que ce sont les incivilités, et non les formes plus graves de délinquance, qui « empoisonnent » le plus la vie des citoyens aujourd’hui et qui sont en grande partie responsables du sentiment d’insécurité.
C. UNE DÉLINQUANCE SOUS-ESTIMÉE ET MAL APPRÉHENDÉE
Dans sa recherche de la mesure de l’évolution de la délinquance des mineurs, la commission s’est heurtée à la fiabilité relative des statistiques disponibles et a constaté que le développement de nouveaux instruments d’évaluation permettait d’affirmer que la délinquance des mineurs restait sous-estimée.
1. Une appréhension parcellaire de la délinquance
Longtemps, la délinquance des mineurs n’a été appréhendée qu’à travers l’activité des services de police et de gendarmerie. Il s’agit de « l’état statistique 4001 » qui permet de mesurer le nombre de mineurs mis en cause et leur part dans le total des mis en cause (tous âges confondus) pour crime et délit.
Lors de son audition, M. Patrice Bergougnoux, Directeur général de la police nationale, a insisté sur le fait que « ces statistiques n’ont bien entendu jamais eu la prétention de comptabiliser l’ensemble des actes de délinquance commis sur le territoire national. Une partie de la délinquance n’est pas connue. Elle n’a pas été comptabilisée parce qu’elle n’a pas été signalée à la police ou n’a pas été relevée par elle. C’est ce que nous appelons plus simplement le « chiffre noir » de la délinquance ».
Ce « chiffre noir » correspond à la différence entre le nombre d’infractions commises et le nombre d’infractions répertoriées dans les statistiques des services de police et de gendarmerie au niveau national.
En effet, la mise en cause d’un mineur ne peut être réalisée qu’à la suite de l’élucidation d’un crime ou d’un délit et donc de son interpellation et de son audition par procès-verbal avec un recueil d’indices attestant de sa participation à la commission du fait pénal. Or, il existe de nombreux « filtres » entre la commission d’une infraction par un mineur et sa mise en cause. Il faut d’abord que la victime porte plainte, ce qui est loin d’être toujours le cas, que l’infraction soit signalée au parquet, enfin que le parquet prononce la poursuite de l’infraction et que celle-ci soit élucidée.
En conséquence, les statistiques fournies par la police et la gendarmerie fournissent plus une mesure de l’activité de leurs services qu’une mesure de la délinquance réelle.
Comme l’a fait remarquer le secrétaire général du syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de police, M. André-Michel Ventre en parlant du système statistique français : « Il est partial, parcellaire et parfaitement imprécis.[...] En revanche, il n’est pas inutile car il permet de dégager les grandes tendances prévisibles sur de longues périodes ».
Par ailleurs, il convient de noter que les chiffres de la police et de la gendarmerie doivent être interprétés avec prudence dès lors qu’ils sont très sensibles aux priorités données aux forces de l’ordre en matière de politique pénale. Le recensement de certaines infractions est en particulier déterminé par l’intensité des contrôles qui sont conduits...
2. Une grande partie de la délinquance reste ignorée de la police
Lors des auditions, de nombreux chercheurs ont insisté sur les limites des statistiques de la police et de la gendarmerie. Pour étudier de manière approfondie le phénomène de la délinquance et son évolution, M. Laurent Mucchielli a suggéré de « croiser le maximum d’indicateurs et de sources, qu’il s’agisse d’ailleurs de statistiques ou d’études sur le terrain ». Il a rappelé que trois indicateurs statistiques pouvaient être utilisés : les chiffres de la police, les résultats des enquêtes dites de « victimation » menées auprès des victimes ainsi que les enquêtes de délinquance autorévélée, menées auprès des jeunes pour les interroger sur leurs pratiques.
L’utilisation de ces nouveaux outils d’analyse inspirés des travaux réalisés à l’étranger et le développement d’enquêtes sur le terrain sont des phénomènes récents. Certes, les sociologues en connaissaient l’existence, mais ils ont rencontré des difficultés pour persuader les autorités publiques de l’intérêt de ces études et ont bien du mal à trouver les financements nécessaires pour leur réalisation.
L’exemple-type de ce genre d’étude est l’enquête menée par M. Sébastian Roché [16] entre avril et mai 1999 auprès de 2.288 jeunes de 13 à 19 ans issus de 100 établissements scolaires. L’échantillon avait été construit par la méthode du tirage au sort aléatoire sur liste. Au collège, toutes les classes avaient été représentées sur un pied d’égalité (les élèves ordinaires et ceux des SEGPA [17]). Au lycée, l’ensemble des filières avaient été concernées au même taux, ainsi que les CIPPA [18] qui s’adressent à des jeunes en rupture avec l’école et qui acceptent de reprendre une scolarité après 16 ans.
L’enquête dirigée par M. Eric Debarbieux constitue un autre d’exemple d’étude sur le terrain : pendant plusieurs années, un groupe de sociologues est parti à l’écoute des habitants de quartiers « sensibles » de plusieurs villes pour recueillir leurs témoignages sur la délinquance de proximité des mineurs afin de comprendre pourquoi (à quelle fin et dans quelles conditions) un acte délinquant a été commis ou empêché.
L’intérêt de ces études est de pouvoir mieux cerner les phénomènes de délinquance, à la fois quantitativement et qualitativement.
Ainsi, l’enquête précitée de M. Sébastian Roché révèle que « la délinquance des mineurs n’est pas connue de la police ou la gendarmerie dans sa masse » [19].
Les statistiques des mineurs mis en cause paraissent en effet largement sous-estimer la délinquance réelle des mineurs telle qu’elle résulte des déclarations des jeunes interrogés sur le nombre de fois où ils ont été interpellés par la police.
Les résultats sont éloquents comme en témoigne le tableau suivant
[site Sénat]
Devant la commission d’enquête, M. Sébastian Roché a ainsi analysé les résultats de son enquête : « Pour ce qui est des sanctions proprement dites, il convient de séparer les délits peu graves des délits graves. Pour les délits peu graves, environ 10 % des auteurs ont été confrontés à un policier à la suite de la réalisation d’un délit et 2 % ont été présentés à un magistrat. Concernant les vols avec violence, le pourcentage augmente puisqu’il est de 15 % dans le premier cas et de 5 % dans le second. Il reste donc entre 80 % et 85 % des jeunes qui jamais au cours de leur vie, n’ont été confrontés à l’autorité du système pénal ».
Si l’on admet avec Montesquieu que la certitude d’être pris fait plus que la rigueur de la peine, la situation qui vient d’être présentée n’incite pas à l’optimisme.
L’étude précitée permet de mieux appréhender les caractéristiques de la délinquance des mineurs. Alors qu’elle est associée par la population à des scènes très violentes (voitures incendiées, agressions physiques), les déclarations des mineurs démontrent en réalité qu’elle est essentiellement constituée de dégradations dans les espaces publics, de vols dans les supermarchés et de consommation de cannabis.
Les statistiques de la police et de la gendarmerie ne sont cependant pas les seuls outils d’analyse de la délinquance à rencontrer des limites. Les chiffres avancés par les enquêtes d’autodéclaration de la délinquance ou de victimation sont également à prendre avec précaution dès lors qu’elles sont menées ponctuellement dans des zones géographiques restreintes et souvent auprès d’une seule catégorie de personnes.
Afin d’améliorer la connaissance de la délinquance des mineurs, il conviendrait que des enquêtes de victimation et de délinquance auto-rapportée soient réalisées de manière beaucoup plus systématique et que leurs résultats soient croisés avec les chiffres de la police et de la gendarmerie.
D. L’OPPRESSION QUOTIDIENNE [20]
1. Les mineurs, premiers responsables du sentiment d’insécurité et d’exaspération de la population
La part des mineurs dans le total des personnes mises en cause représente 21,18 % en 2001. A contrario, cela signifie que les majeurs représentent près de 80 % des personnes mises en cause. Pourtant, c’est la délinquance des mineurs qui monopolise le débat public et provoque à la fois un sentiment d’insécurité et l’exaspération de la population.
L’analyse des caractéristiques de la délinquance des mineurs réalisée précédemment permet d’expliquer ce paradoxe. En effet, la délinquance des mineurs est plus visible que celle des majeurs : les incivilités, les dégradations de biens, les vols violents contre des particuliers sur la voie publique ou encore les bagarres sont le fait principalement des mineurs et ce sont ces types d’actes qui constituent l’essentiel de la délinquance et ont vu leur nombre exploser. Or, chacun de ces actes cache une victime.
Ainsi naît le sentiment d’insécurité. Comme a résumé très justement le père Guy Gilbert : « Nous avons peur de nos jeunes maintenant. C’est un séisme fort, diffus, que tout le monde ressent ».
Lors de son audition par la commission, M. Eric Debarbieux a évoqué les enquêtes de victimation et de climat scolaire qu’il mène régulièrement et qui s’intéressent à la fois aux faits, mais également à leur représentation et au sentiment d’insécurité. Il a constaté que lors des enquêtes de 1995-1996, 7 % des enseignants d’un même type d’établissement pensaient qu’il y avait une forte agressivité de leurs élèves tournées contre eux. En 1998, ils étaient 49 %, soit sept fois plus.
Il convient cependant de distinguer entre le sentiment d’insécurité et les risques réels courus par chaque citoyen. Or, le développement de la délinquance expressive et des violences a modifié le profil des victimes. Lorsque la délinquance était principalement une délinquance d’acquisition, elle se concentrait là où il y avait des richesses. Désormais, le développement des violences et d’une délinquance liée à une sociologie de l’exclusion fait que les premières victimes de la violence sont les « pauvres ».
Dans son ouvrage, Hugues Lagrange [21] précise : « si les violences collectives, comme la délinquance des mineurs, ont nettement augmenté au cours des années 1990, c’est moins par une extension du périmètre des zones touchées que par une intensification de la délinquance et des violences collectives dans les zones qui ont été depuis plus de quinze ans singularisées dans les politiques de la ville ».
Comme l’a fait remarquer M. Alain Bauer lors de son audition, il résulte de ce constat que « nier cette violence-là revient à construire une injustice sociale organisée, parce que les riches auront toujours les moyens de se défendre et de se protéger ».
2. Le désert des adultes
Lors de son déplacement au tribunal de grande instance de Strasbourg, les magistrats du parquet ont signalé à la délégation que les justiciables portaient de plus en plus plainte pour des actes qui, il y a encore quelques années, étaient réglés sans l’intervention de la justice.
Ce phénomène est d’abord lié à la judiciarisation de notre société, mais, selon les magistrats interrogés, il témoigne également de l’exaspération de la population face à la délinquance juvénile.
La commission a eu plusieurs exemples de cette situation durant ses travaux. Ainsi, lors de son déplacement en Haute-Savoie, Mme le maire de Gaillard a remis à la délégation des dizaines de lettres que lui avaient adressées ses concitoyens pour se plaindre d’actes dont ils avaient été victimes ou simplement pour demander de l’aide.
Un exemple de l’oppression quotidienne
« Cela fait maintenant plusieurs jours que des jeunes du quartier jettent des pierres contre la porte de mon garage et ma maison. Samedi, ils m’ont même agressée en jetant des pierres dans ma voiture et j’ai eu vraiment beaucoup de chance de m’en sortir indemne. Comme je ne pouvais pas partir par peur que l’on m’abîme ma voiture ou que je sois blessée, j’ai demandé secours auprès des voisins et j’ai appelé la police (...), en deux reprises, mais malheureusement ils ne se sont pas rendus sur place. Les malfaiteurs se sont calmés après à peu près une heure.
« Je tiens à mentionner que je ne peux pas ouvrir les volets et il m’est impossible de vivre dans de telles conditions.
« Je vais déménager la semaine prochaine car c’est une maison neuve et je ne veux pas vivre dans la peur. Mes voisins m’ont signalé qu’il y a eu bien des incidents dans le passé. J’ai essayé plus tard dans la soirée de parler aux jeunes délinquants mais ils m’ont menacée en disant que, je cite : « Vous allez en voir de toutes les couleurs ici, Madame : du noir, du jaune, du gris, surtout du gris (...). Vous voulez appeler la police ? Allez-y ! La police (...) c’est de la merde ! ». Il y avait un jeune avec un gros chien noir (...) qui a essayé de m’intimider en envoyant son chien vers moi.
« C’est inadmissible qu’une bande de délinquants, surtout qu’ils sont tous en bas âge (entre 7 et 14 ans), puisse imposer sa propre loi à toute une communauté.
« Je vous serais reconnaissante de bien vouloir faire le nécessaire pour que je puisse déménager dans ma maison dans des conditions normales, sans vivre dans la peur, surtout que je vais y habiter avec ma fille de 9 ans. ».
Extrait d’une lettre adressée à Mme le Maire de Gaillard et remise à la commission d’enquête
Lorsque la population manifeste son exaspération et porte plainte, c’est qu’il existe encore une volonté de résistance, mais il semble que, souvent, face à l’incapacité des autorités d’apporter une réponse, les victimes renoncent et adoptent simplement une stratégie d’évitement comme l’a souligné M. Eric Debarbieux devant la commission d’enquête :
« Cette loi du plus fort, nous l’avons vue fonctionner à plusieurs niveaux. Je choisirai (...) l’exemple d’un immeuble -nous avons d’autres cas dans d’autres quartiers- qui, depuis maintenant près de cinq ans et, j’y étais encore il y a très peu de temps, cela continue, est pris en otage par un petit groupe qui oscille entre dix et trente individus et qui rend tout simplement la vie impossible aux habitants. Ceux-ci, du coup (...) ont complètement abandonné les espaces publics et se calfeutrent derrière des portes blindées, alors qu’il s’agit d’un quartier très populaire où les habitants ne sont pas particulièrement de riches propriétaires. Cet espace est donc totalement livré à ce groupe qui, depuis maintenant quatre ou cinq ans, toutes les nuits jusqu’à cinq heures du matin, empêche les habitants de dormir. (...) Du coup cet espace est tout à fait ouvert au trafic, au business. (...) La délinquance des mineurs est ici une petite délinquance qui résulte beaucoup plus de microviolences répétées que de grandes choses, bien qu’il y ait eu dans cet immeuble des choses assez dures tout de même, et produit une telle oppression à répétition que l’on peut dire que le pouvoir de proximité - c’est ainsi que j’appellerai la loi du plus fort - n’appartient plus aux habitants.
« Je citerai un autre exemple, celui d’une mère de famille qui, dans un quartier roubaisien nous disait : « Moi, vous savez, je n’ai pas d’ennuis dans mon quartier, je sais où il ne faut pas aller. Là, je passe... » Le problème reste de savoir ce que c’est qu’un quartier, dans une République, où les habitants ne sont que des passants et s’expriment en tant que passants ».
De nombreux intervenants ont évoqué la désertion des adultes de certains quartiers, désertion qui est parfois cause parfois conséquence de la délinquance. M. Laurent Mucchielli a ainsi regretté « la raréfaction, voire, parfois, la disparition [des] modes de contrôles sociaux infra-institutionnels de la jeunesse. Je vise ici l’ensemble des adultes autres que les policiers, en position ou non d’agents publics, qui jouaient auparavant un rôle d’encadrement dans les quartiers populaires (...) ».
M. Louis Dubouchet, directeur d’un cabinet de consultants, a pour sa part noté que les stratégies d’évitement ne concernaient pas que les habitants des quartiers : « (...) j’observe que, dans certaines villes, les personnels chargés de la voirie ou de l’entretien des espaces verts obéissent à l’injonction implicite d’éviter tout incident avec qui que ce soit. Par conséquent, ils n’exigent pas que l’on respecte leur travail, ils ne rappellent personne à l’ordre, ils changent de trottoir, voire d’horaire pour éviter de nettoyer un bac à sable quand il est occupé par des adolescents de treize ou quatorze ans, lesquels réagiraient mal si on leur demandait de sortir. (...) Il me semble donc nécessaire de banaliser de nouveau la sanction au quotidien, simple et ordinaire ».
A l’issue de ses travaux sur cette délinquance d’oppression des mineurs, M. Eric Debarbieux ne s’est pas montré particulièrement optimiste s’agissant des solutions à ces situations : « (...) quel que soit l’impact des mesures prises par les professionnels, tant qu’il n’y a pas un travail de la communauté, un travail citoyen, un travail de tous, cela ne peut pas suffire. Or nous sommes dans une situation où les communautés, où les habitants eux-mêmes sont en très grand repli. Ils ne s’auto-organisent pas, il ne faut pas être romantiques ! ».
II. QUI SONT LES MINEURS DÉLINQUANTS ?
La commission d’enquête s’est efforcée de mieux appréhender les caractéristiques des mineurs délinquants. Tout en étant consciente qu’il n’existe pas de déterminisme, elle a pu constater que la majorité des mineurs délinquants présentaient des points communs. La délinquance apparaît plutôt comme un phénomène masculin. Les mineurs délinquants sont souvent également des mineurs victimes. L’état sanitaire des mineurs délinquants est souvent déplorable. Tandis que beaucoup souffrent de problèmes de comportement sérieux, le plus grand nombre abuse de substances telles que l’alcool et les drogues. Enfin, la commission d’enquête a relevé une surdélinquance des jeunes issus de l’immigration.
A. UNE DÉLINQUANCE LARGEMENT MASCULINE
Tous les interlocuteurs de la commission d’enquête ont insisté sur le fait que la délinquance touchait plus les jeunes garçons que les filles. Les chiffres du ministère de l’intérieur le confirment. En 2000, sur les 175.256 mineurs mis en cause, 21.003 (soit un peu moins de 12 %) sont des filles et 154.253 (88 %) sont des garçons.
La prédominance de la délinquance masculine varie cependant en fonction du type des infractions comme le montre le tableau suivant.
La délinquance des mineurs en fonction du sexe
[voir tableau : site Sénat]
Ainsi, les garçons sont très fortement impliqués dans les destructions et dégradations (93,5 % des mis en cause), dans les outrages et violences aux dépositaires de l’autorité et dans le port ou la détention d’armes (94 % des mises en cause), dans les vols avec armes blanches ou les vols avec violence (93 % des mis en cause), dans les atteintes aux moeurs (97 % des mis en cause), dans les recels (95 % des mis en cause), dans les incendies volontaires (94,5 % des mis en cause) et dans les cambriolages (92,2 %).
En revanche et même si elles restent minoritaires, les filles sont plus impliquées dans l’escroquerie et l’abus de confiance (31,3 % des mis en cause) ou dans les falsifications et usages de chèques ou de cartes de crédit volés (32,9 % des mis en cause).
L’étude de délinquance autorapportée de M. Sébastian Roché confirme cette tendance. Il apparaît ainsi que la différence entre les sexes augmente avec l’agressivité des actes. Lorsqu’il s’agit de rechercher du plaisir sans nuire à autrui, les filles sont un peu moins nombreuses que les garçons : 26 % ont pris du cannabis contre 32 % pour les garçons, 40 % des filles ont consommé de l’alcool contre 48,5 % pour les garçons. Pour les dégradations, 28 % des sujets féminins sont passés à l’acte contre 44,5 % de sujets masculins et, pour le vol, 20 % contre 32 %. Pour les violences physiques, seulement 10,5 % des filles y participent, contre 33 % des garçons. Elles ne sont également que 2,5 % à avoir commis un vol grave (racket, vol de voiture, cambriolage, vol à l’arraché) contre 7,5 % des garçons.
Les statistiques du ministère de l’Intérieur constatent cependant une légère augmentation de la délinquance féminine puisque le nombre de filles mises en cause entre 1999 et 2000 a crû de 5,45 %, alors que le nombre de garçons mis en cause sur la même période n’a augmenté que de 2,51 %.
En outre, il convient de souligner que la progression du recours à la violence a été, en 2000, en pourcentage, plus importante chez les filles que chez les garçons. Ainsi, le nombre de filles mises en cause pour coups et blessures volontaires a augmenté de 23,77 % contre 14,47 % pour les garçons ; celui pour menaces et chantages de 16,5 % (contre 7,45 % pour les garçons) et celui pour les outrages et violences à dépositaires de l’autorité de 17,07 % (contre 11,42 % pour les garçons).
B. MINEUR DÉLINQUANT, MINEUR VICTIME
1. Les victimes des mineurs sont souvent des mineurs
Entendu par la commission d’enquête, M. Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé, s’est ainsi exprimé : « (...) On présente souvent les jeunes comme étant les acteurs, les facteurs, les auteurs de cette violence. N’oublions pas qu’ils en sont les premières victimes et que 80 % des actes de violence commis par les mineurs le sont à l’encontre d’autres mineurs ! Quatre faits sur cinq ! Autrement dit, dans notre pays, le climat de violence qui règne est ressenti quatre fois plus douloureusement par les mineurs que par les adultes : comme j’aime à le rappeler aux politiques, il est plus dangereux d’être jeune collégien dans un collège de quartier sensible que d’être enseignant dans un collège de quartier sensible, il est plus dangereux d’être jeune habitant d’un quartier sensible que d’être éducateur dans un quartier sensible ».
Il semble que les victimes des mineurs délinquants soient le plus souvent des jeunes de sexe masculin.
Plusieurs sociologues ont insisté sur l’importance des bagarres que l’on peut qualifier de violences interpersonnelles et qui opposent essentiellement des garçons dans la rue, dans les transports en commun, dans les cours de récréation, à la sortie des écoles. Selon M. Laurent Mucchielli, « c’est le coeur du risque d’agression aujourd’hui et c’est le phénomène qui, incontestablement, s’est le plus amplifié au cours des dernières années ».
En ce qui concerne le racket, l’étude de M. Sébastian Roché [22] insiste sur le fait que, d’après les agresseurs, 77 % des rackettés et 83 % de ceux qui ont subi des coups et blessures sont des garçons. Parmi les 2.288 jeunes interrogés, aucune fille n’a déclaré avoir été rackettée par un garçon et, pour ce qui concerne les agressions violentes, 94 % des auteurs masculins prennent pour cible quelqu’un du même sexe qu’eux. Les filles violentes s’en prennent à peu près autant à des filles qu’à des garçons et la quasi-totalité des filles victimes d’actes violents sont agressées par des filles.
Une exception notable existe cependant : il s’agit des viols, et particulièrement des viols collectifs qui concernent essentiellement de jeunes filles mineures et sont le fait de jeunes garçons dont la plupart sont également mineurs puisqu’ils ont entre treize et quinze ans.
2. Les mineurs délinquants sont souvent des victimes
La commission d’enquête a également constaté l’étroite imbrication des concepts de mineurs auteurs et de mineurs victimes.
Ainsi, Mme Marie-France Ponelle, responsable de l’antenne des mineurs du barreau de Paris, a rappelé qu’ « il y a des familles dans lesquelles on ne sait dialoguer que par la violence : victimes de l’indifférence, de coups, de maltraitance et d’abus sexuels, les enfants reproduisent à l’extérieur ce qu’ils vivent chez eux. De nombreux délinquants ont ainsi, en même temps qu’un dossier de délinquance, un dossier d’assistance éducative tant leur vie, leur famille, est difficile et tant ils sont dans un mal-être qui entraîne un mal-faire ».
Une enquête épidémiologique réalisée à l’échelle nationale au début des années 1990 [23] révèle que les filles, mais surtout les garçons, qui ont été victimes de violences sont eux-mêmes plus violents que ceux qui n’ont pas subi ces atteintes. La violence des garçons ayant subi des agressions sexuelles est particulièrement élevée. Cette liaison « violences subies-violences agies » est d’autant plus forte que les sujets sont jeunes. Ainsi, lorsque les 11-13 ans ont été victimes de violences physiques, 43 % présentent des conduites violentes, proportion qui atteint 49 % en cas de violences sexuelles.
Mme Marie Choquet, épidémiologiste, a réalisé en 1998 une étude sur les publics pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Elle a souligné devant la commission d’enquête qu’ « une (...) caractéristique de cette population est la violence multiple exercée sur soi et sur les autres, et cela est particulièrement vrai pour les filles (...). En ce qui concerne les tentatives de suicide, les études ont montré que les jeunes qui sont violents envers eux-mêmes le sont envers autrui et ont eux-mêmes subi des violences. On est dans un climat de violence générale qui n’épargne personne. Durant leur vie, 12 % des garçons et 49 % des filles ont déjà fait une tentative de suicide. En population générale, le taux est de 5 % pour les garçons et de 8 % pour les filles (...). Il en est de même de la violence sexuelle subie. Là encore, 6 % des garçons et 34 % des filles de la population PJJ ont été victimes de violences sexuelles, contre respectivement 2 % et 6 % en population générale ».
Dans ces conditions, il peut arriver qu’un véritable échange des rôles se produise, la victime devenant auteur. M. Philippe Lutz, commissaire principal à Noisy-le-Grand, a indiqué à la commission avoir fréquemment rencontré ce cas de figure, en matière de racket en particulier.
Les comportements délinquants s’expliquent parfois par la crainte d’être victime, comme l’a expliqué M. Eric Debarbieux à la commission : « Le respect a un autre sens. Il veut dire aussi : attention, je veux être respecté pour ne pas être moi-même faible, pour moi-même être protégé. En particulier, nous avons beaucoup de témoignages (...) qui montrent que les jeunes filles qui se livrent à des actes de violence répétitive, qui sont regroupées dans un certain nombre de bandes (...) sont d’abord des filles qui cherchent à se protéger : à se protéger de la loi un peu machiste, à se protéger un peu aussi, il faut bien le dire, des violences sexuelles ».
C. UN ÉTAT SANITAIRE DÉPLORABLE
La commission d’enquête a pu constater que la délinquance des mineurs était souvent associée à des troubles comportementaux ainsi qu’à l’abus ou à la dépendance à l’égard de drogues.
1. Délinquants par « absence d’être » ?
La plupart des personnes entendues par la commission d’enquête ont constaté qu’une proportion importante de mineurs délinquants présentaient des troubles sérieux du comportement. Or, non seulement ces troubles ne sont pas repérés de manière précoce mais ils suscitent le désarroi de l’ensemble des institutions, ces adolescents n’étant pas « fous comme on est normalement fou » [24]. M. Jean-Pierre Chartier, directeur de l’école des psychologues praticiens a parlé de « délinquants par absence d’être. »
Les délinquants par absence d’être
« C’est parce qu’il y a une montée en puissance de ces jeunes que nos dispositifs éducatifs, de soins et même législatifs se trouvent désarmés. Pourquoi ? Regardons comment cela se passe. Dans les transports en commun : « T’as pas une cigarette ? », il n’a pas de cigarette donc je le plante avec mon cran d’arrêt. Nous n’avons jamais connu antérieurement une telle facilité à passer à l’acte meurtrier. « Comment qu’il m’a regardé celui-là ! », c’est la même chose.
« Pour en arriver là, on est obligé d’en déduire que ces jeunes n’ont pas construit de représentation humaine de l’autre. Si on a une représentation de l’autre en tant qu’être humain, on ne peut pas se comporter ainsi. Or, ils n’ont pas construit une représentation humaine de l’autre précisément parce qu’ils n’ont pas de représentation d’eux-mêmes. Ces gens sont des vampires. Non pas qu’ils vous sucent le sang -encore que, en s’occupant d’eux, on perde beaucoup de substance- mais parce que, lorsqu’ils passent devant un miroir, aucune image ne se reflète. On a affaire à une délinquance par absence d’être. »
Extrait de l’audition de M. Jean-Pierre Chartier
M. Philippe Jeammet, pédopsychiatre, a tenté de dégager, au cours de son audition par la commission, les caractéristiques communes de ces mineurs présentant des troubles du comportement :
« Ces sujets, qui rentrent dans des comportements délinquants recouvrant tout un spectre de psychopathologies, de la psychopathie, voire la psychose jusqu’à la normalité, présentent un certain nombre de caractéristiques qu’il me paraît important de prendre en compte. Tous ont une incapacité d’attendre qui est fondamentale. En effet, sans attente, il est impossible d’avoir un minimum de liberté de choix et d’apporter une réponse adaptée à la situation.
« (...) Ils n’ont confiance ni en eux, ni dans les autres. Cela se voit à la façon dont ils accusent les autres de leur propre comportement : si je réagis ainsi, c’est la faute d’un tel ! Ils apparaissent comme des marionnettes auxquelles il suffit de ne pas dire bonjour pour déclencher tel ou tel comportement. Cette extrême dépendance à l’environnement est le signe paradoxal d’une grande vulnérabilité intérieure. Contenus, ces caïds se montrent volontiers apeurés, phobiques et commettent de fréquentes tentatives de suicide (...). Ils font peur pour ne pas avoir peur ».
Au cours de ses visites, la commission d’enquête a été frappée de constater que ses interlocuteurs, qu’ils soient juges, éducateurs, surveillants de prisons, mentionnaient toujours les difficultés que leur posaient certains jeunes présentant des troubles de la personnalité.
Il existe donc un lien fort entre les troubles du comportement et la délinquance. Pourtant, la pédopsychiatrie reste une discipline pauvre dans le paysage médical français.
Dans ses rapports annuels 2000 et 2001, la défenseure des enfants a dénoncé les carences de la pédopsychiatrie en France. Alors que le taux de suicide est le plus élevé d’Europe chez les 15-24 ans (40.000 tentatives et 800 décès par an), les moyens mis à la disposition de la pédopsychiatrie ne sont pas à la hauteur des besoins.
Certes, la France se situe au deuxième rang mondial, derrière la Suisse, pour le nombre de psychiatres par habitant. Toutefois, la répartition entre psychiatres libéraux et psychiatres hospitaliers est très inégale et se fait au détriment de ces derniers : en 2000, 8 % des postes de praticiens hospitaliers n’étaient pas pourvus.
En outre, l’exercice de la pédopsychiatrie demande plus de temps que celui de la psychiatrie d’adulte, car il importe de rencontrer non seulement l’enfant, mais également son entourage. Pourtant, cette spécificité n’est pas prise en compte dans l’élaboration des tarifs de consultation des pédopsychiatres. En conséquence, il sont de plus en plus nombreux à renoncer à soigner les enfants et à revenir à la pratique de la psychiatrie de l’adulte.
L’une des conséquences de cette désaffection pour la pédopsychiatrie est le développement de listes d’attente de plusieurs mois pour obtenir une consultation en centre médico-psychologique.
Lors de son audition, Mme Claire Brisset, défenseure des enfants, a confirmé le dénuement de la pédopsychiatrie en rappelant que dix-sept départements en France n’ont aucun lit en pédopsychiatrie.
Interrogé par la commission d’enquête, M. Denis Salas a également fait remarquer que 5 % des admissions en hospitalisation de jour en Ile-de-France étaient refusées, faute de place.
Le système de soins français en santé mentale souffre par ailleurs d’un manque de visibilité évident. A côté des structures purement médicales coexistent des structures appartenant à l’Education nationale, à la protection maternelle et infantile, à la protection judiciaire de la jeunesse et à l’aide sociale à l’enfance. Or, il existe un défaut majeur de coordination entre les différentes institutions concernées qui ont des tutelles spécifiques.
En conséquence, un enfant en difficulté peut se voir refuser une place à la fois dans une structure psychiatrique fa ute d’un trouble psychique grave et dans une structure de l’aide sociale à l’enfance au motif que celle-ci n’a pas vocation à s’occuper des « malades ». Ces enfants « incasables » sont alors « ballotés » d’une structure à l’autre sans véritable prise en compte de leurs besoins.
A cet égard, il conviendrait sans doute de développer les structures mixtes santé-justice telles que celle que dirige actuellement M. Philippe Jeammet en région parisienne.
Mme Claire Brisset s’est également indignée de l’absence de prévention efficace en matière de troubles du comportement. Elle a ainsi critiqué le manque de personnel dans les écoles : dans le primaire, il y a un psychologue pour 1.800 enfants !
Par ailleurs, il n’existe de psychologues scolaires que dans le primaire. Les « conseillers d’orientation psychologiques » du secondaire ont une fonction d’aide à l’orientation professionnelle et non une mission de repérage des troubles psychologiques. De même, aucune prévention n’existe dans les crèches et les écoles maternelles alors que les psychologues entendus par la commission d’enquête ont tous insisté sur la possibilité - et l’utilité - de détecter les troubles de comportement dès le plus jeune âge.
Comme fait remarquer le rapport 2001 du défenseur des enfants [25], les conséquences des carences en matière de dépistage, notamment scolaire, des maladies mentales sont désastreuses : « on retrouve certains de ces enfants-là, quelques années plus tard, incarcérés en maison d’arrêt pour des crimes ou délits dont on est en droit de penser que certains auraient pu être évités par un suivi thérapeutique adéquat et précoce ».
Lors de sa visite au centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, la commission d’enquête s’est vue expliquer par le psychiatre de l’établissement qu’en l’absence de lieux d’accueil pour adolescents psychotiques, la prison devenait l’ultime recours... voire le seul lieu de soins, les détenus étant mieux soignés en prison qu’à l’extérieur !
2. Délinquance et usage de drogues
De multiples enquêtes montrent que les consommateurs de drogue, au sens large du terme, sont plus fréquemment auteurs d’actes de délinquance.
L’enquête épidémiologique précitée menée par Mmes Marie Choquet et Sylvie Ledoux souligne que les conduites violentes vont de pair avec :
- la consommation d’alcool : parmi les jeunes violents, 21 % ont une consommation régulière d’alcool (contre 7 % des « non-violents »). 36 % des racketteurs ont un tel niveau de consommation ;
- la consommation de tabac : parmi les violents, 22 % fument quotidiennement (contre 11 % des « non-violents »). Le tabagisme concerne 32 % des racketteurs ;
- la consommation de drogue : parmi les violents, 16 % ont consommé au moins dix fois une drogue illicite (contre 5 % pour les « non-violents »). 23 % des racketteurs sont des consommateurs réguliers de drogue.
De même, une enquête commandée par le ministère de la justice [26] auprès de jeunes de 14 à 21 ans pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse révèle un lien entre conduites délictueuses et consommation de produits psychotropes. 70 % de ces jeunes ont consommé de l’alcool. A 18 ans, 49 % peuvent être considérés comme des consommateurs réguliers. S’agissant du cannabis, 60 % des jeunes en ont pris durant leur vie.
L’enquête précitée de M. Sébastian Roché confirme également que la consommation de cannabis ou d’alcool est associée à la délinquance, et ce quel que soit le milieu social. Ainsi, lorsqu’ils consomment du cannabis, les enfants de cadre ou de professions intermédiaires sont plus souvent fraudeurs dans les bus (87,5 % contre 64 % des non-consommateurs) et plus souvent impliqués dans les trafics (25 % contre 5 %). Ils sont également plus souvent amenés à se bagarrer (29 % contre 11 %) et à porter une arme (20 % contre 5 %) ou même à commettre des dégradations graves comme incendier une voiture ou un bâtiment (13,5 % contre 4,5%).
Les experts médicaux entendus par la commission d’enquête ont souligné la dangerosité de cette drogue.
Ainsi, M. Jean-Luc Saladin, médecin, a rappelé qu’une étude de l’INSERM sur les effets du cannabis montrait que le risque de psychose en cas de consommation de cette drogue était multiplié par 4. Il a récusé le terme de drogue « douce » pour caractériser le cannabis et l’a défini comme une drogue « lente » en raison de la durée que met le corps pour l’éliminer.
De même, M. Renaud Trouvé, pharmocologue, a insisté sur la dangerosité du cannabis, beaucoup plus concentré que dans les années 1960 et qui perturbe le fonctionnement de la mémoire, entraîne des troubles spatio-temporels et augmente les risques d’infarctus du myocarde, sans parler de son effet cancérigène. Il s’est en conséquence fermement opposé à sa légalisation sous peine de voir le nombre de consommateurs encore augmenter alors qu’il est déjà fort préoccupant : en 10 ans, il aurait doublé pour atteindre 5 millions d’usagers. 35 % des jeunes Français de 16 ans en auraient consommé contre 16 % des jeunes au niveau européen.
Au cours de ses visites, la commission a été plusieurs fois interpellée à propos du débat sur la légalisation du cannabis. Des éducateurs du centre de placement immédiat de Collonges-au-Mont d’Or ont en particulier fait observer que le débat sur la légalisation du cannabis leur faisait perdre toute crédibilité lorsqu’ils s’opposaient aux jeunes sur cette question. Ils ont également souligné que les jeunes devenaient ingérables lorsqu’ils étaient sous l’emprise continuelle de psychotropes.
Au terme de ses travaux, la commission estime que ceux qui minimisent les effets nocifs du cannabis, voire en prônent la légalisation ou la dépénalisation, ont une attitude irresponsable. Elle considère que la justice devrait recourir plus fréquemment à la mesure d’injonction thérapeutique, qui permet une prise en charge médicale des personnes dépendantes et souhaite un renforcement des campagnes d’information à destination des jeunes sur les effets des drogues.
D. UNE SURDÉLINQUANCE DES JEUNES ISSUS DE L’IMMIGRATION
Jusqu’il y a peu, il était difficile d’évoquer la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration sans qu’une telle attitude passe pour une stigmatisation. Il y a quelques mois, M. Christian Delorme, le « curé des Minguettes » évoquait ainsi cette situation : « En France, nous ne parvenons pas à dire certaines choses, parfois pour des raisons louables. Il en est ainsi de la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration, qui a longtemps été niée, sous prétexte de ne pas stigmatiser. On a attendu que la réalité des quartiers, des commissariats, des tribunaux, des prisons impose l’évidence de cette surreprésentation pour la reconnaître publiquement. Et encore, les politiques ne savent pas comment en parler » [27].
L’enquête de délinquance autorapportée conduite en 2000 par M. Sébastian Roché a apporté des précisions sur cette question. Elle montre que la majorité des délits peu graves sont commis par des adolescents dont un parent ou les deux parents sont nés en France (68 %). Une forte minorité des actes peu graves sont commis par des personnes dont les deux parents sont nés hors de France (32 %).
Pour les actes graves, la situation est un peu différente. Les adolescents dont les deux parents sont nés hors de France commettent 46 % des actes graves.
Lorsque la question est posée aux adolescents qui vivent dans les HLM, les jeunes d’origine maghrébine représentent 39 % des actes peu graves et 47 % des actes graves.
Ces chiffres mettent en relief le fait que les actes de délinquance des adolescents maghrébins sont fréquents. Toutefois, ils ne permettent pas de statuer sur la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration car ils ne tiennent pas compte du poids relatif des différentes populations en fonction de leurs origines.
Cette analyse complémentaire a cependant été faite par Sébastian Roché et confirme une surdélinquance des jeunes d’origine maghrébine par rapport à ceux d’origine française, comme en témoignent les graphiques suivants.
Actes peu graves commis suivant les origines ethniques
Actes graves commis suivant les origines ethniques
[voir tableau : site Sénat]
Pour expliquer ce phénomène, le sociologue constate que ces jeunes cumulent certains facteurs associés à la délinquance : une plus faible supervision parentale, une résidence plus fréquente dans le parc HLM hors centre-ville, un niveau de revenu et de scolarisation faible des parents, un absentéisme scolaire plus élevé.
Lors de son audition par la commission, M.Thierry Baranger, Président de l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, a évoqué le handicap culturel dont souffriraient les jeunes d’origine maghrébine : « Ce n’est pas un hasard si une partie très importante des jeunes que nous avons à traiter et qui se retrouvent en prison sont issus de l’immigration. Il s’agit bien souvent, me semble t-il, de familles fragiles, de parents qui ne peuvent pas dialoguer avec l’école et ne trouvent pas leur place au sein des institutions ».
M. Malek Boutih, président de SOS racisme, a évoqué ainsi la question devant la commission d’enquête :
« Beaucoup de raisons expliquent pourquoi il y a plus de « bronzés » que de blancs dans les centres de jeunes détenus, mais ce ne sont pas des éléments culturels ; ce ne sont pas des sourates du Coran ni leurs parents qui les poussent. Il faut même faire très attention dans les discours lorsqu’on insiste sur la responsabilité des parents. Que se passe-t-il lorsqu’on a des parents très sévères dans le quartier ? En dernier ressort, quand ils n’en peuvent plus, ils mettent le gosse à la porte, donc à la rue. (...)
« Par ailleurs, dans les familles d’immigrés, les enfants prennent très vite le pouvoir. Déjà, d’une manière générale en France, le rapport au savoir a tendance à s’inverser en raison des modifications technologiques, des nouveaux rapports urbains, et les jeunes générations ont parfois une meilleure connaissance que leurs parents de la société. Alors, chez les immigrés, imaginez !...
« Je n’ai pas envie que les enfants d’immigrés, qui constituent ce que j’appelle la nouvelle génération de Français, deviennent les noirs américains de notre société, qui ne soient bons qu’à faire du sport ou des films et, pour le reste, passage par la case « prison ». Je sais que la vie est dure, que la société est dure, qu’il y a beaucoup d’injustice. Mais je ne crois pas que les comportements de violence aident à s’en sortir. A l’inverse, ces comportements structurent, organisent la violence et l’implantent définitivement dans la société ».
Certains interlocuteurs de la commission d’enquête ont mis en avant, parmi les causes de la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration, un sentiment d’hostilité à l’égard des institutions, notamment de la police, ainsi qu’un sentiment d’injustice lié au marché du travail. Les responsables de l’association « Agir ensemble » visitée par la commission lors de son déplacement au Havre ont ainsi noté que les jeunes qui réussissaient leurs études se voyaient souvent écartés des entretiens d’embauche lorsqu’ils annonçaient leur nom ou celui de leur quartier.
A cet égard, le président de SOS racisme s’est opposé à toute idée de quotas pour favoriser l’intégration des jeunes issus de l’immigration en observant que la tradition française se fondait sur la notion d’égalité et que celle-ci n’avait jamais empêché la République d’avoir des pratiques inégalitaires ou promotionnelles quand elle souhaitait remédier à certains déséquilibres sociaux.
E. UNE PROBLÉMATIQUE SPÉCIFIQUE : LES MINEURS ÉTRANGERS ISOLÉS
La question des mineurs étrangers isolés et souvent sans domicile fixe semble prendre des proportions inquiétantes dans notre pays. Dans son rapport pour 2001, la défenseure des enfants estime à 25.000 le nombre de ces mineurs sur notre sol.
L’ensemble de ces mineurs ne sont pas délinquants, mais tous vivent dans des conditions de précarité telles qu’ils peuvent à tout moment devenir délinquants.
Les responsables du parquet des mineurs rencontrés par la commission d’enquête lors de sa visite au tribunal pour enfants de Bobigny se sont déclarés très démunis face à la délinquance de ces mineurs sans référents parentaux sur le territoire national. Sur 5200 mineurs mis en cause par la police à Paris en 2001, 1100 étaient sans domicile fixe et sans référents parentaux (ces mineurs représentent la moitié des mineurs déférés). A Paris, il s’agit surtout de mineurs roumains, yougoslaves, tziganes, qui sont à la fois délinquants et en danger sur le territoire français, qui sont parfois utilisés par des réseaux mafieux. La délinquance des jeunes roumains occupe une part très substantielle des travaux du tribunal pour enfants de Paris.
Les mêmes difficultés ont été évoquées devant la commission lors de sa visite à Marseille, même si les mineurs isolés en situation irrégulière sont plus souvent marocains, algériens, turcs... La commission a assisté à l’assemblée générale de l’association « Jeunes errants », qui accomplit un travail remarquable d’accompagnement de ces jeunes et tente de renouer des liens avec le pays d’origine et la famille.
Il reste qu’il est difficile de trouver des solutions pour des jeunes qui ne sont pas expulsables, mais qui, dès lors qu’ils ont plus de seize ans, ne sont plus concernés par l’obligation scolaire. Comme l’a noté la défenseure des enfants dans son rapport pour 2001, « L’apprentissage, que beaucoup d’entre eux souhaiteraient poursuivre, leur est refusé car assimilé à un travail et ils n’ont pas de titre de séjour leur donnant droit à travailler ».
Lors de la visite de la commission au centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, les responsables de la PJJ ont observé que 20 mineurs en situation irrégulière étaient incarcérés et qu’il n’existait guère de prise en charge utile pour ces mineurs à leur sortie de prison.
La situation est exacerbée dans le département de la Guyane, qui subit d’importants flux migratoires en provenance des pays pauvres voisins : Brésil, Surinam, Guyana, Haïti, etc. et qui souffre d’un grave sous-équipement. Aussi, les rues de Cayenne sont-elles le dernier refuge de ces enfants des rues, qui subissent une violence insupportable dans les squatts de la ville.
CHAPITRE 2 EN PREMIÈRE LIGNE : LA FAMILLE ET L’ÉCOLE
« Le bébé du XXIème siècle ne naît pas plus violent que le bébé du XXème : la violence des jeunes, c’est un problème d’adultes, et la question que nous avons à nous poser est de savoir pourquoi notre génération d’adultes est à ce point en difficulté, comparée aux générations précédentes, pour assurer l’apprentissage de la régulation de l’agressivité et de la violence chez la génération suivante. »
Jean-Marie Petitclerc [28]
« Lorsqu’un enfant est « mauvais » à l’école, eh bien, il est mauvais obligatoirement jusqu’à 16 ans, six heures par jour ! »
Sébastian Roché [29]
Deux institutions sont particulièrement en charge de l’éducation des jeunes, de la transmission à ces derniers des valeurs indispensables à la civilité. Face à la montée de la délinquance, la famille et l’école sont aujourd’hui montrées du doigt. Aucune ambition de lutter contre la délinquance ne peut pourtant cheminer sans un renforcement de ces deux institutions essentielles au développement de la personnalité des enfants.
I. LA FAMILLE : UNE INSTITUTION RELÉGUÉE
Le lien entre délinquance des mineurs et délitement familial constitue aujourd’hui une explication « tout terrain » à un phénomène qui questionne et effraie. Malheureusement, les dispositifs destinés à aider les familles les plus en difficulté sont d’une efficacité variable.
A. FAMILLES DE DÉLINQUANTS, FAMILLES DÉLIQUESCENTES ?
En qualifiant de démissionnaires les familles de mineurs délinquants, les médias établissent un lien plus ou moins étroit entre les faits délictueux des enfants et le fonctionnement d’une cellule familiale apparaissant dès lors très dégradée. Les parents ne « jouent pas leur rôle », sont « absents » voire, dans les pires des cas, « encouragent » ou « participent ».
Ce constat, « le blâme des parents », doit être modéré : les parents partagent en fait, au fur et à mesure que l’enfant grandit, leur rôle éducatif avec d’autres acteurs contre lesquels il leur est parfois difficile de lutter.
1. Des parents qui ne jouent pas leur rôle
Titulaires de l’autorité parentale, les parents sont les premiers responsables des comportements déviants de leurs enfants, comportements qu’ils se sont révélés incapables de prévenir et de réprimer. Pourtant, leur responsabilité n’est pas égale. Dans certaines familles, les parents rencontrent parfois des difficultés telles qu’ils craquent. D’autres se révèlent pervers et à l’origine des faits dont leurs enfants sont accusés.
a) Des parents en difficulté et qui parfois craquent
Les spécialistes de la famille s’accordent pour reconnaître à la famille proche une influence déterminante sur le comportement de l’enfant. Mais il n’existe pas de consensus plus précis sur la nature des difficultés familiales les plus susceptibles de favoriser l’agressivité et la délinquance.
Certes, les mutations structurelles de la famille et les discordes parentales expliquent potentiellement ces troubles. Le nombre de familles « monoparentales » augmente régulièrement depuis une vingtaine d’années. Les familles « recomposées », issues de remariage, sont aujourd’hui banalisées. Mais, contrairement à une intuition répandue, les études les plus fouillées concluent que les troubles du comportement juvénile risquent moins d’apparaître dans une famille monoparentale « équilibrée » qu’au sein d’une famille devenue un lieu de conflit. Lorsqu’elle est violente, la période du divorce favorise l’apparition de dépression chez l’enfant qui se traduit par des comportements déviants : des fugues, l’inattention ou l’absentéisme scolaire, la violence, la toxicomanie. A elle seule, la structure de la famille explique assez peu la délinquance infantile ou juvénile. Mais, conjuguée à d’autres difficultés, elle devient potentiellement porteuse de risques.
En bonne place des obstacles à l’épanouissement des familles figure la précarité économique et sociale. L’influence de ce facteur dans un contexte d’accroissement de la pauvreté et des inégalités mérite d’être soulignée.
Le chômage atteint des niveaux élevés et concentrés sur certains quartiers. Les résultats du recensement de 1999 indiquent que le taux d’activité des zones urbaines sensibles est de cinq points inférieur à la moyenne nationale, sans que ces zones n’aient par ailleurs été les grands bénéficiaires de la croissance. Quand l’emploi existe, il y est en outre davantage précaire qu’ailleurs. Les contrats à durée déterminée, l’interim ou les emplois aidés entraînent un niveau de vie plus faible et l’incertitude sur l’avenir. Pour beaucoup de familles, l’urgence reste la gestion de préoccupations immédiates, notamment le gîte et le couvert. Cette situation fait de certains parents, malgré eux, le triste exemple d’une insertion sociale en apparence vouée à l’échec.
Le nombre élevé de logements dégradés, insalubres, voire tout simplement trop exigus, la pénurie de logements adéquats sapent le travail éducatif des parents. En effet, ces derniers se trouvent contraints d’envoyer leurs enfants dehors pour des raisons de commodités, voire de sécurité. Dans ce contexte, la supervision parentale ne se fait plus. Les mauvaises conditions de logement instaurent, dans la prise en charge des enfants, une concurrence dangereuse entre les parents et la rue.
Aux difficultés familiales se joignent souvent des carences d’ordre culturel. Dans certaines cités, une majorité de parents sont peu ou pas diplômés et l’illettrisme est fréquent. Ceux qui ont eux-mêmes subi un échec à l’école ne sont pas en mesure d’aider leurs enfants dans un parcours scolaire qu’ils appréhendent d’ailleurs parfois avec amertume ou défiance. Au sein des communautés étrangères, -le collège Romain Rolland de Bagneux, visité par la commission, en compte presque trente-, certains parents parlent peu ou mal le français. Cette situation confère à des enfants, parfois très jeunes, un rôle de médiation à l’égard de l’extérieur qui affaiblit l’autorité parentale et entrave la communication des parents avec les voisins, les services sociaux ou l’école. Il faut enfin noter l’immaturité de parents très jeunes, pour qui l’on parle « d’enfants qui ont des enfants » [30].
Aucune difficulté n’explique à elle seule les défaillances éducatives des familles. Des faisceaux d’indices permettent néanmoins d’identifier les parents les moins aptes à remplir leur rôle. Ce travail de repérage est difficile et appelle une coordination des acteurs sociaux (PMI, école...) qui n’existe, pour le moment, que dans de trop rares situations.
b) Des parents au comportement déviant
Plusieurs études menées par des spécialistes de l’enfance soulignent que l’apparition de comportements violents ne date souvent pas de l’adolescence mais remonte à la petite enfance. L’une d’entre elles [31] précise même que le premier « pic » de conduites violentes se situerait dans la tranche d’âge 6-8 ans. A cet âge, 4 % des enfants sont des violents chroniques et le seront encore à 15 ans ; 28 % ont été violents dans la petite enfance, mais ces troubles n’ont pas perduré avec le temps. Les autres enfants de l’échantillon n’ont pas été considérés comme posant des difficultés sérieuses de comportement.
L’enseignement central de ce travail statistique est de situer à l’enfance la source des comportements de délinquance violente, et de l’éclairer par la maltraitance dont ces petits enfants sont victimes.
Des parents créent ou transmettent un véritable « cycle de la violence ». La déstabilisation psychique des enfants a lieu au contact de parents violents, ou exerçant régulièrement la violence entre eux, sur leurs proches, sur leurs enfants. Les enfants battus sont potentiellement délinquants et risquent eux-mêmes, à terme, de transmettre cette chaîne de la violence dont la famille est le vecteur.
Doivent être distingués de ce phénomène les cas d’agressions sexuelles. Des comportements déviants au sein des familles expliquent une large part des agressions sexuelles et des viols dont les mineurs sont auteurs. Ainsi, faut-il considérer que 90 % des jeunes « violeurs » ont souffert de carences parentales sérieuses et précoces, et que 40 % ont été témoins, dans leur familles, de situations d’incestes, de violences sexuelles ou de prostitution. Cette affirmation rejoint le constat de nombreuses associations de terrain, comme l’association AJAR de Valenciennes, qui prennent en charge des victimes et des auteurs -ce sont souvent les mêmes- pour rompre cette chaîne de comportements où l’agressé devient agresseur.
Enfin, à côté de ces familles présentant un ou plusieurs symptômes de débilité psychologique ou sociale se trouve une petite catégorie de familles à proprement parler délinquantes. La précarisation économique aidant, le sentiment d’exclusion grandissant, certains parents perdent des repères ailleurs évidents et ferment les yeux sur des trafics plus ou moins graves qui ont le mérite « d’améliorer » le quotidien.
Ce qui pénalement ne ressort que du recel se banalise et est progressivement considéré comme un moyen de survie dans des cités où l’existence est plus dure qu’ailleurs. M. Jean-Pierre Chartier, [32] directeur de l’école des psychologues praticiens, a précisé à ce titre : « Il faut faire passer les normes qui n’ont pas été intégrées par ces jeunes. Il faut reconnaître qu’ils sont souvent dans des milieux dans lesquels il y a des antinormes. L’économie souterraine sert aussi à faire vivre les familles. Je me souviens d’un père qui me disait : « J’en ai marre d’aller chercher sans arrêt mon fils au commissariat, si au moins ça me rapportait ». Quand on a entendu cela, on a compris ! ».
Des cas particuliers de cette délinquance familiale sont le trafic et la consommation de stupéfiants, particulièrement le cannabis. Des parents d’aujourd’hui sont issus d’une génération qui s’est beaucoup livrée à la consommation de drogues ou, pour les plus jeunes, sont les enfants de ces derniers. D’initiés, ces parents deviennent parfois initiateurs, tolèrent ou encouragent des pratiques qu’ils ne jugent ni répréhensibles, ni préjudiciables. Les enfants trouvent dans les stupéfiants autant un échappatoire artificiel à un quotidien jugé morose qu’une source de revenus car la plupart d’entre eux sont des « dealers-consommateurs ».
Négligences parentales, conflits au sein des familles, comportements pervers, difficultés économiques sociales ou culturelles, ces situations variées contribuent, parfois en se mêlant, à ce que les parents soient dans l’incapacité d’assurer à leurs enfants un cadre propice à leur éducation, et expliquent que ces derniers trouvent, dans la délinquance, un exutoire à leur vécu familial. Néanmoins, empêchés ou réticents à jouer leur rôle, les parents ne sont pas seuls en cause : dans l’environnement familial proche ou éloigné se tiennent d’autres acteurs, prêts à les aider ou les concurrencer selon les cas, et dont l’influence est croissante à mesure que l’enfant grandit.
2. Des « proches » à l’influence équivoque
Les parents ne sont pas seuls à assurer l’éducation des jeunes. Déterminante à la petite enfance, leur influence a même tendance à décliner au profit de quatre acteurs au fur et à mesure que l’adolescence s’approche. Ces acteurs peuvent être des adjuvants des parents mais peuvent aussi les concurrencer dangereusement. Ces concurrents des parents, dont l’influence est établie sont les fratries, les pairs, les adultes référents et les médias.
a) Les fratries
Au premier rang de ces proches, part entière de la cellule familiale, figurent les fratries dont l’influence est indéniable dans l’initiation à des comportements délinquants. Le ou les frères plus âgés jouissent d’une influence sur les plus jeunes qui peut, selon les cas, utilement compléter ou dangereusement concurrencer celle des parents. Les frères se tiennent à l’interface de la vie à l’intérieur du foyer et de la vie extérieure du jeune. Ils peuvent, mieux que les parents, exercer un regard sur les fréquentations de leurs cadets mais également les associer à des comportements déviants ou les introduire au sein de bandes.
Une autre influence, indirecte, est exercée par les fratries et doit être ici évoquée. Après des années de mise en avant d’un modèle sympathique de la politique de la Ville, « le grand frère », il est temps de jauger l’efficacité de cette image si souvent citée. En réalité, le modèle des « grands frères » ayant accompli un parcours scolaire exemplaire n’est souvent qu’un anti-modèle. Confrontés, malgré des diplômes, à des difficultés d’insertion et à des discriminations, condamnés à des emplois précaires et peu rémunérés, beaucoup ne peuvent même pas envisager un départ du domicile parental. Ces modèles là, in fine et à leur corps défendant, font figure de repoussoir pour des plus jeunes dont la considération se tourne vers tel sportif de haut niveau, tel musicien reconnu ou, car il est malheureusement plus accessible, tel petit caïd du quartier.
b) Les groupes de pairs
Alors que la relation parentale occupe la majorité de l’espace affectif d’un enfant dans sa petite enfance, les groupes de pairs exercent un effet d’entraînement et d’imitation à partir de l’adolescence. Le rassemblement de « copains » qui se retrouvent assez naturellement, notamment dans la rue, au bas des immeubles, est un lieu de socialisation pour les jeunes. Or, dans le cadre des groupes, la conduite de ces individus change et favorise l’entraînement : des « bêtises » sont plus facilement commises. Certaines sont d’ordre initiatique, elles témoignent que l’enfant est « digne » d’appartenir au groupe. D’autres sont faites dans l’optique d’une entreprise délinquante délibérée -il s’agit souvent là des délits sur les biens. Enfin, certaines ne s’expliquent que par une sorte de psychologie de groupe, une sorte de « coup de tête » collectif. Beaucoup d’actes dans ce cadre ne sont pas prémédités. Mais, alors qu’ils pourraient constituer un espace utile de construction de l’enfant, lui apprenant les règles de la socialisation et le respect des autres, les groupes de pairs, par absence d’encadrement, exercent souvent une influence négative sur les adolescents. Les jeunes laissés à eux-mêmes deviennent très vite potentiellement à risques.
c) Les adultes référents
L’influence des groupes de pairs ne serait pas déterminante si elle ne se conjuguait pas à une remarquable absence d’adultes référents dans l’espace public. Les espaces urbains ne remplissent plus véritablement la mission éducative jouée traditionnellement par la « communauté », au sens du rassemblement des familles. Des réflexes encore naturels dans de petites agglomérations ont aujourd’hui disparu de la plupart des villes, anonymes parce que gigantesques.
Alors qu’aux côtés des familles, les voisins, les amis, les commerçants connus, les gardiens d’immeubles participaient à l’éducation, notamment pour le rappel des règles élémentaires, la rue n’est plus à présent qu’un lieu de transit pour les adultes qui l’ont abandonnée aux enfants. Une personnalité auditionnée par la commission [33] a sans doute raison de souligner qu’ « au lieu de dire « toi là-bas » si je dis « Charles qu’es-tu en train de fabriquer ? » cela change tout », mais force est de constater que dans la plupart des lieux publics, bien peu d’adultes élèvent la voix sur des enfants en train de commettre une incivilité ou un délit. Il n’y a même plus de « toi là-bas ».
Le désinvestissement des adultes atteint un degré inquiétant. Pour M. Guillaume Marignan, éducateur sportif, « Plus personne n’est responsable. Imaginez que vous placiez sur un même rang formant une belle ligne l’Education nationale, la police, la gendarmerie, les collectivités, les parents, les présidents d’associations, les éducateurs sportifs, et que vous disiez : « A mon signal, vous avancez. Plus vous allez loin, plus vous estimez avoir une part de responsabilité en pourcentage dans l’éducation des enfants. » Que verriez-vous ? Aujourd’hui, quand on donne le signal, plus personne n’avance. Tout le monde se regarde et l’on découvre que personne ne se sent responsable » [34].
Il existe bien évidemment des malentendus, comme en témoignent les difficultés des familles originaires d’Afrique de l’Ouest, pour qui la fonction parentale est en réalité partagée par l’ensemble de la communauté, le village. C’est avec confiance que les parents laissent leurs enfants sortir, certains que d’autres adultes, dehors, sont vigilants à leur tour. Peut-on dire qu’il s’agit là de naïveté alors que ces parents, finalement, s’imaginent la réalité telle qu’elle devrait être ?
Au total, dans un cadre urbain déserté par les parents, les voisins, ou les amis, d’où les gardiens d’immeuble ont progressivement disparu, les jeunes ne sont plus confrontés qu’à deux catégories d’adultes : ceux investis d’une mission au titre de la politique de la ville, dont on connaît par ailleurs les difficultés, et des adultes délinquants excellant à les apprivoiser dans l’optique d’en faire des supplétifs.
d) Les médias
La télévision a pénétré à un tel point la vie des familles et joue un tel rôle dans le quotidien des enfants qu’on peut, sans exagérer, parler de « troisième parent » pour la désigner. La consommation de programmes télévisuels occupe plusieurs heures dans le quotidien de l’enfant et de l’adolescent, particulièrement vulnérables aux contenus véhiculés par la télévision. Elle pourrait constituer un outil éducatif par excellence si les enfants et les adolescents savaient d’eux-mêmes l’utiliser. Or, et contrairement à ce qu’il y paraît, la télévision, comme les autres médias, nécessite une éducation.
En l’absence de cette éducation, les enfants sont très vulnérables au spectacle d’images susceptibles de les déstabiliser gravement. Une recherche [35] a été confiée à M. Serge Tisseron, psychiatre, que la commission a entendu, pour mesurer l’influence des images sur les enfants et les adolescents. Les résultats de cette recherche sont riches d’enseignement. Les images violentes auxquelles les jeunes sont confrontés quotidiennement, tant par le biais de fictions que d’images d’information, engendrent toute une série de réactions émotives comme « l’angoisse, la colère, la peur, la honte » et appellent des « réactions de lutte » liées aux tensions désagréables ressenties. Enfin, cette recherche précise que « le choc que des images violentes font courir à la personnalité encourage à renoncer à certains repères personnels et à adhérer plus massivement à ceux du groupe ».
L’exposition quotidienne des jeunes à la violence avait été évaluée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en 1995 [36]. Le Conseil constatait notamment la prolifération, dans les programmes, des actes violents -une dizaine en moyenne par heure de fiction- qui n’épargne pas, loin s’en faut, ceux destinés aux plus jeunes (les dessins animés).
Pour autant, la réglementation trouve rapidement ses limites dans la recherche d’une protection des mineurs qu’elle souhaite parfaitement étanche. La signalétique informant le public de l’âge d’accessibilité d’un programme n’est guère contraignante. Un quotidien du matin [37] rendait compte dernièrement de la diffusion effarante de la pornographie, pourtant interdite aux mineurs, dans les quartiers sensibles.
Il n’est sans doute pas réaliste de croire que l’on pourra empêcher les enfants ou les adolescents d’accéder aux images de violence. A tout le moins conviendrait-il de responsabiliser davantage les médias et d’éviter certaines situations contestables telles que la diffusion en « prime time » de films interdits aux moins de douze ans. Surtout, il conviendrait de développer une véritable éducation aux médias, aujourd’hui inexistante au sein de l’Education nationale, qui serait une réponse pertinente, et constituerait un projet éducatif en soi : apprendre aux jeunes à être autonomes, critiques et responsables, dans leur rapport à l’image.
B. DES FAMILLES INSUFFISAMMENT ACCOMPAGNÉES
Les obligations des familles sont établies par la loi, et d’un point de vue général par la culture. Le développement paisible de l’enfant se fait avant tout dans la famille, lieu où il puise ce qui est nécessaire à son développement harmonieux. Cette obligation de résultat n’étant pas facile à remplir, la société a pour devoir d’aider les familles les plus fragiles. Cependant, les dispositifs qui organisent cette assistance ne sont pas tous adaptés et conduisent même parfois à des effets pervers.
1. Soutien et sanction : les familles face à leurs responsabilités
a) Les obligations
Tout parent a à l’égard de l’enfant une triple mission : assurer son entretien, sa sécurité, son éducation. Ces dispositions sont la contrepartie de l’autorité parentale dont disposent les parents sur l’enfant, aux termes de l’article 371-1 du code civil, « pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».
Droits de l’enfant ou devoirs des parents ?
« (...) La fameuse charte des droits de l’enfant me paraît être, d’un point de vue psychologique, la plus grande aberration de nos temps modernes.
« Je suis particulièrement réactionnaire en disant cela, me direz-vous. Certainement, je réagis parce que je considère que tout ce qui diminue l’écart nécessaire entre l’enfant et l’adulte, entre les sexes aussi d’ailleurs, la différence nécessaire pour se positionner et se situer, crée de la confusion et génère à terme des conflits et des impasses pour la croissance psychique d’un être humain. Il n’était pas difficile d’appeler la Charte des droits de l’enfant Charte des devoirs des parents en gardant le même texte (...). Le contenu n’est pas mauvais, mais il faut dire que ce sont les parents qui sont obligés de se comporter d’une certaine manière et non pas les enfants qui ont des droits ! Où va-t-on comme cela ! Pour un psychologue, c’est une aberration. Je sais bien que peu le disent, c’est pourquoi je profite de ma présence devant vous pour le faire ! »
Extrait de l’audition de M. Jean-Pierre Chartier, directeur de l’école des psychologues praticiens
L’entretien de l’enfant est le premier devoir des parents qui doivent tout faire pour lui favoriser un développement physique et mental harmonieux. Cette obligation ne cesse d’ailleurs pas avec la majorité de l’enfant ainsi que le précise l’article 371-2 du code civil qui en fixe la teneur : « Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur ». Le devoir d’entretien implique la fourniture de tous les éléments nécessaires à cet épanouissement et, notamment, le gîte, le couvert, la distraction.
La sécurité de l’enfant est également au coeur des missions parentales. Cette sécurité s’entend comme la protection contre des risques extérieurs mais également contre ses propres initiatives. Les sociologues nomment cette fonction "supervision". Une personnalité entendue par la commission, M. Jean-Marie Petitclerc relate le cas d’un père au chômage désarmé face à la réponse de son fils de onze ans, qu’il avait, pour des motifs de sécurité, interdit de sortie : « j’ai quand même le droit de me détendre, et c’est pas toi qui ne fous rien qui va me l’interdire ». La décrédibilisation du père l’empêche ici d’exercer une obligation légale prescrite par l’article 371-3 du code civil qui précise explicitement que « l’enfant ne peut, sans permission des père et mère, quitter la maison familiale ».
L’éducation, qui est la troisième obligation parentale, est peut-être la plus large. Elle découle de la précédente, car assurer l’éducation des enfants est leur inculquer un système de valeurs les rendant à même de juger du bien et du mal. Les parents doivent surveiller leurs enfants pour reconnaître les éventuels comportements déviants et infliger une sanction appropriée. Fait partie intégrante de la fonction éducative l’obligation d’instruction. L’article L. 131-1 du code de l’éducation rappelle de manière solennelle que « l’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans ». Les parents ne peuvent soustraire leur enfant de l’école sauf à leur procurer par eux-mêmes une instruction équivalente dont le contenu fait l’objet d’un contrôle périodique par les services du ministère de l’Education nationale.
b) Les soutiens
Le soutien prodigué aux familles prend deux formes. Un premier volet compense la charge financière que constitue l’entretien des enfants. Un second volet cherche à accompagner les parents dans le fonctionnement quotidien de la cellule familiale.
(1) Les aides financières
Les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 disposent que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et qu’elle « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
Inspirée du programme du Conseil national de la Résistance, l’ordonnance fondatrice de la sécurité sociale décline ces principes. L’article L. 512-1 du code de la sécurité sociale dispose simplement que « Toute personne française ou résidant en France ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant en France bénéficie pour ces enfants des prestations familiales ». Ce soutien financier apporté par la sécurité sociale touche toutes les familles à des degrés divers, en fonction de leur taille, de leur situation ou de leurs revenus.
(2) L’accompagnement social
Les services polyvalents des départements
Les familles les plus en difficultés peuvent trouver une aide auprès des services polyvalents du Conseil général.
Parmi les missions des services de l’Aide sociale à l’enfance figure celle « d’ apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, (...) confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre » et d’ « organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles ». Les dispositions régissant l’assistance administrative aux familles s’appliquent bien entendu hors de tout mandat judiciaire. L’article 42 de la loi n° 86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d’aide sociale et de santé précise à ce titre formellement que l’aide à domicile est attribuée sur la demande ou avec l’accord de la famille.
En outre, l’article 45 de cette même la loi prévoit que le département peut « participer aux actions visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles », cette disposition recouvrant notamment « des actions tendant à permettre aux intéressés d’assurer leur propre prise en charge et insertion sociale (...), des actions dites de prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu (...), des actions d’animation socio-éducatives ».
Ces soutiens variés, embrassant tant le conseil que la production de services (garde d’enfant, aide ménagère...) peuvent être menés en association avec d’autres partenaires -les Caisses d’allocations familiales notamment- dont les travailleuses familiales, aujourd’hui nommées techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF) [38], restent appréciées des parents.
Le développement du dialogue parental ou « l’école des parents »
Ces dispositifs s’appuient sur le constat que beaucoup de parents ont besoin de conseils dans leur vie familiale, et que la démarche fondée sur un dialogue entre familles et le partage d’expériences, même orchestrés par des professionnels, est une approche plus efficace.
Le premier lieu d’accueil parents/enfants a été créé par Françoise Dolto en 1979 : c’est la célèbre « maison verte ». Les structures associatives se sont depuis multipliées pour recouvrir un grand nombre d’initiatives : relais familiaux, lieux passerelle, médiation familiale, points-rencontres, lieux d’accueil parents-enfants etc.
Les pouvoirs publics ont progressivement suivi ce mouvement. Les caisses d’allocations familiales ont créé en 1996 une prestation de service destinée à soutenir les lieux d’accueil parents/enfants. Puis, lors de la Conférence de la famille du 12 juin 1998, le Gouvernement a annoncé la mise en place de réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP), qui ont trouvé une traduction législative dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Le rapport sur les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l’équilibre financier (dit « rapport annexé ») précise que « Un réseau d’appui, d’écoute et de conseil aux parents et aux familles sera mis en place conjointement par l’Etat et la CNAF » avec pour objectif de « conforter les parents dans leur rôle éducatif ». Cette initiative avait par ailleurs une velléité de prévention de la délinquance puisque le Gouvernement avait précisé utiliser cet instrument pour « agir sur l’environnement des jeunes » [39].
L’accompagnement sous contrainte
Ces dispositifs ne s’avèrent toutefois pas suffisants pour permettre aux parents de faire face, par eux-mêmes, à des difficultés ayant pris une ampleur trop importante. Dans ces cas-là, la loi prévoit la faculté pour le juge de prononcer des mesures d’accompagnement obligatoires, où une solution basée sur l’accompagnement strict des familles est mise en oeuvre : ce sont la tutelle aux prestations sociales enfants (TPSE) et l’assistance éducative.
L’article L. 552-6 du code de la sécurité sociale prévoit que « dans le cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions d’alimentation, de logement et d’hygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations n’est pas employé dans l’intérêt des enfants, le juge des enfants peut ordonner que les prestations soient, en tout ou partie, versées à une personne physique ou morale qualifiée, dite tuteur aux prestations sociales ».
Cette tutelle n’est pas concomitante de la création des prestations familiales puisque c’est par la loi du 18 octobre 1966 que le législateur a reconnu nécessaire de donner à un tiers le pouvoir d’intervenir pour assurer aux enfants le bénéfice de ces prestations, dans les cas où ces dernières seraient mal utilisées.
Pour autant, l’esprit de la loi n’est en aucun cas de marginaliser des parents en proie, le plus souvent, à des difficultés d’organisation. Le décret du 25 avril 1969, devenu l’article R. 167-28 du code de la sécurité sociale, décrit les modalités d’intervention du tuteur. Son rôle est bien de s’assurer que les prestations sont utilisées dans l’intérêt des enfants (alimentation, chauffage et logement) mais le décret précise immédiatement que « dans le cadre de sa gestion, (le tuteur) est habilité à prendre toute mesure de nature à améliorer les conditions de vie des enfants et à exercer auprès des parents une action éducative en vue de la réadaptation complète de la famille ».
L’assistance éducative est d’une portée plus large puisqu’elle dépasse de beaucoup la simple question de l’utilisation des prestations familiales pour remédier à une carence générale dans l’exécution des obligations parentales.
Les mécanismes de l’assistance éducative [40] ne doivent pas induire en erreur. Le but de l’assistance éducative est de soutenir et non de se substituer totalement aux parents. Le code civil est formel sur ce point et rappelle que « les père et mère dont l’enfant a donné lieu à une mesure d’assistance éducative, conservent sur lui leur autorité parentale ».
c) Les sanctions pénales et administratives
Malheureusement, il arrive que certains cas justifient que des parents soient évincés de leur fonction éducative et de leurs responsabilités à l’égard de leur enfant.
L’incapacité parentale aggravée et persistante, qui met en péril la situation d’un enfant, ne saurait être simplement résolue dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative et de la mise sous tutelle des prestations familiales. Le fait de « priver un mineur d’aliments au point de compromettre sa santé », ou de « se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur » sont en conséquence punis par les articles 227-15 et 227-17 du code pénal à respectivement sept ans et deux ans d’emprisonnement.
Plus grave encore, le code pénal réprime les comportements de parents eux-même délinquants et qui y initient leurs enfants. Sont notamment visés le fait de « provoquer directement un mineur à faire usage illicite de stupéfiant (ou de) provoquer directement un mineur à transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants » et de « provoquer directement un mineur à commettre habituellement des crimes et des délits » par les articles 227-18, 227-18-1 et 227-21 du code pénal.
A côté des cas de mauvais traitement, intentionnel ou par omission, ou de corruption d’un enfant, la législation prévoit une sanction séparée des cas d’inexécution des obligations scolaires. L’article L. 552-3 du code de la sécurité sociale prévoit la suspension ou la suppression des prestations familiales en cas d’absentéisme scolaire, cependant que l’article 227-17-1 du code pénal punit le fait « de ne pas inscrire (son enfant) dans un établissement d’enseignement, sans excuse valable, en dépit d’une mise en demeure de l’inspecteur d’académie » d’une peine de six mois d’emprisonnement.
2. Des dispositifs à l’application incertaine
L’étude des moyens mis en oeuvre pour assurer ces obligations rendent sceptique sur leur efficacité actuelle. Certains sont appliqués sporadiquement, d’autres restent lettre morte. Enfin, les dispositifs de soutien n’évitent pas, dans une certaine mesure, la méfiance des familles elles-mêmes, ou leur indifférence.
a) Le contrôle de l’obligation scolaire est peu ou pas mis en oeuvre
L’article D. 552-2 du code de la sécurité sociale précise qu’il est du ressort de l’inspecteur d’académie de prévenir la caisse d’allocations familiales lorsque le respect de l’obligation scolaire n’est plus effectif. Cette disposition fondamentale sur laquelle repose la lutte contre l’absentéisme n’est malheureusement pas appliquée.
Entendue par la commission d’enquête, la directrice de la Caisse nationale d’allocations familiales, Mme Annick Morel [41] a indiqué que la suspension des prestations familiales était prononcée à moins de 9.000 reprises par an, ce qui est sans rapport avec l’ampleur du phénomène. Mme Morel précise par ailleurs que « l’Education nationale ne signale pas l’absentéisme, et ce pour diverses raisons. Elle n’est pas organisée pour le faire ou encore elle le signale avec beaucoup de retard ». Pourtant, la CNAF ne déplore pas l’irrespect de cette obligation légale qui « si elle était suivie entraînerait une profusion de saisines et une augmentation du nombre de suspensions des prestations ».
Ce dispositif peut pourtant être efficace. Une délégation de la commission s’étant déplacée à Bagneux au collège Romain Rolland s’est vu déclarer que, sur cet aspect, un partenariat était conclu entre l’inspection d’académie et la caisse d’allocations familiales pour formuler une réponse immédiate à tout absentéisme. D’après les enseignants du collège, la seule menace d’une suspension des prestations familiales met fin à l’absentéisme dans 60 % des cas.
La Caisse nationale d’allocations familiales défend l’idée que la suspension des prestations familiales peut constituer une réponse à l’absentéisme scolaire lorsque des partenariats sont conclus entre l’école et les caisses, comme c’est le cas à Dunkerque, à Douai ou dans les Hauts-de-Seine, et que la mesure revêt un caractère essentiellement préventif, la simple menace se révélant souvent efficace.
Sans doute peut-on souscrire à cette analyse. Il conviendrait toutefois que de telles actions soit généralisées dès lors que la loi prévoit explicitement la mise en oeuvre de la mesure de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire.
Dès lors que la Caisse nationale d’allocations familiales reconnaît que la menace fait plus que la sanction, il conviendrait sans doute de reconnaître au chef d’établissement la possibilité d’envoyer le premier courrier aux parents et d’aviser la caisse d’allocations familiales au cas où celui-ci resterait lettre morte.
b) L’accompagnement ne touche pas toujours sa cible et les mesures sous contrainte sont contestées
(1) Les accompagnements contraignants sont contestés
L’esprit des textes instituant la tutelle aux prestations familiales et l’assistance éducative est de favoriser la réadaptation de la cellule familiale grâce à un travail éducatif. Cette vision s’avère en réalité très utopique. Les familles, très souvent écartées par les travailleurs sociaux, vivent finalement des mesures de soutien comme de véritables sanctions.
La tutelle aux prestations sociales enfants (TPSE) comprend plusieurs services : la gestion budgétaire des fonds familiaux, l’ouverture et le maintien de droit, les relations avec les tiers mais également une réflexion avec les parents sur leur rôle, un apprentissage des responsabilités, des conseils à l’éducation, etc.
Le nombre des tutelles n’augmente pas depuis plusieurs années et concerne aujourd’hui environ 25.000 familles. Toutefois, les professionnels de la tutelle déplorent que les aspects gestionnaires absorbent l’essentiel du temps et que le travail éducatif reste subsidiaire. Il ne donne en outre pas lieu à suivi.
Perçue comme une sanction, la tutelle soulève la défiance des parents qui ne font presque jamais appel à ces services d’eux-mêmes, mais attendent un signalement de créanciers, alors que leur situation est devenue critique.
La caisse nationale d’allocations familiales, par la voix de sa présidente Mme Nicole Prud’homme [42], déclare que la gestion de la tutelle « n’est pas la seule mission » d’une institution qui en « assume bien d’autres qui sont beaucoup plus utiles ». La commission peut d’autant moins souscrire à ces propos que, fin juin 2001, les TPSE représentaient un coût de gestion d’un demi milliard de francs pour la collectivité et que ce coût comprend aussi un travail éducatif qui n’est pas accompli.
Sans doute l’institution réfléchit-elle, avec le concours des professionnels, aux moyens d’améliorer ce dispositif. A titre d’exemple, la tutelle n’existant pas dans ce département, la caisse de la Réunion a instauré un système qui permet un repérage précoce des familles en difficultés, qui contractent avec la caisse des engagements, ce qui permet un accompagnement et un suivi plus précis.
L’assistance éducative et les services de l’ASE souffrent pour leur part, du fait de leur responsabilité dans les placements, d’une image de « rapteurs d’enfant » qui n’est pas propice à l’établissement d’une confiance entre les familles et les services. Les conditions de travail des services polyvalents ayant été considérablement alourdies, la partie éducative qui pourrait s’exercer est elle aussi réduite à sa portion congrue [43].
(2) Les autres dispositifs restent complexes et ne parviennent pas toujours à capter la confiance des parents
L’accompagnement des familles dans le cadre de l’ASE administrative, c’est-à-dire hors mandat judiciaire, peine à attirer les parents, sans doute effrayés par les conséquences que pourrait déclencher la demande d’une aide. Les services départementaux, absorbés par de nombreuses autres compétences sociales et par l’alourdissement progressif des saisines judiciaires, restent à l’écart des familles, hormis certains éducateurs menant des actions dans le cadre de la prévention spécialisée, et les travailleuses familiales dont l’image reste très positive au sein des familles en difficultés.
Les réseaux d’écoute, d’appui et d’assistance à la parentalité (REAAP) constituent une tentative intéressante de rationaliser une offre prolifique en matière de soutien à la parentalité. Pourtant, le premier bilan des REAAP, réalisé en 2000 par la cellule nationale d’accompagnement, est mitigé. Il y est regretté « la trop grande multiplicité des programmes et dispositifs, le manque de définition du pilotage et de l’animation, la difficulté d’obtenir une implication conséquente de l’Education nationale », même si le bilan annonce non sans espoir « une implication croissante des CAF, des MSA (mutualités sociales agricoles) et des conseils généraux, un foisonnement des projets et un intérêt croissant pour le thème de la parentalité ».
Pour porter ses fruits, l’aide à la parentalité doit toucher des publics précarisés qui ne sont souvent guère informés des dispositifs existant en leur faveur. Le travail des acteurs sociaux est d’atteindre justement ces cibles avant que l’aggravation de leur situation implique nécessairement des mesures contraignantes. Les nouveaux outils mis en oeuvre n’ont à ce jour pas atteint cet objectif. A ce titre, la suppression prochaine de la cellule d’accompagnement des REAAP, décidée par Mme Ségolène Royal, alors ministre de la famille, rend malheureusement sceptique sur l’avenir de réseaux laissés sans coordinateurs.
c) Les dispositifs pénaux restent des armes d’exception.
Les articles du code pénal réprimant l’indigence ou la délinquance parentale donnent lieu à une application limitée.
Mesures prises en application de l’article 227-17 du code pénal
[voir tableau : site Sénat]
Néanmoins, l’application de ces dispositifs requiert deux conditions : un lien de causalité entre la conduite des parents et les actes des mineurs et une intention de nuire. Sans doute viennent-ils en conséquence sanctionner les faits les plus graves.
Pour autant, on peut douter que les défaillances parentales telles qu’elles sont définies par l’article 227-17 se résument à 170 cas annuels.
II. L’ÉCOLE, UNE DIGUE FISSURÉE
Partant du principe que l’éducation restait l’antithèse de la brutalité, l’école a longtemps bénéficié d’une image d’îlot préservé de toute délinquance. Cette image a aujourd’hui vécu. La délinquance existe au sein de l’école et la difficulté de celle-ci à assurer les missions qui lui sont confiées est souvent citée parmi les causes de la délinquance.
A. LA FIN D’UN SANCTUAIRE
Le prestige dont jouit l’école au sein de la société française est ancien. Lieu de transmission du savoir et véhicule des valeurs démocratiques, elle est à la base d’un consensus national et l’objet de tous les respects. Cette situation est aujourd’hui remise en cause, non seulement par la dégradation des conditions d’enseignement et d’éducation, mais encore parce que l’école elle-même est devenue un lieu d’expression de la délinquance. Le développement des violences en milieu scolaire questionne évidemment le fonctionnement d’un système éducatif qui, pour le noyau qui n’y réussit pas, est un facteur de désintégration.
1. La transmission du savoir déstabilisée
Confrontés à une violence plus présente, mais aussi quotidiennement à une dégradation de l’ambiance éducative, les enseignants peinent à exercer leurs fonctions.
a) Une autorité qui s’effrite
Dans les quartiers les plus difficiles, l’école n’est plus « l’oasis » de tranquillité qu’elle fut. Paradoxalement, la massification de l’accès à l’enseignement secondaire a entraîné une concentration de l’échec. Au milieu des années 1980, les bacheliers ne représentaient guère plus de 30 % d’une classe d’âge. Sur le chemin de l’objectif des 80 % de bacheliers, les deux tiers d’une génération obtiennent aujourd’hui le baccalauréat. Dans un contexte où de plus en plus d’élèves connaissent le succès, dans le cadre d’une voie unique, ceux qui échouent sont davantage stigmatisés.
La massification de l’accès au collège a en outre banalisé l’enseignement, diminué le prestige de ses cadres, et confronté ces derniers à la défiance d’une frange résiduelle de la population juvénile qui ne réussit pas en collège mais est condamnée à y demeurer jusqu’à l’âge de seize ans.
Les études menées auprès des enseignants montrent que ceux-ci souffrent de l’indifférence croissante des élèves et du fait que beaucoup ne connaissent pas -ou refusent- les codes scolaires traditionnels qui permettent la transmission du savoir, ce que les enseignants considèrent comme leur mission première. La césure entre collèges favorisés et défavorisés s’accroît chaque jour. Dans les premiers, l’attitude des élèves est propice à l’étude. Dans les seconds, les enseignants subissent l’omniprésence d’une transgression « molle » : absence de travail, brouhaha, absentéisme et ce, avant même toute apparition de faits délinquants, ce qui nourrit l’impression que leur mission est réduite à l’état de garderie.
b) L’entrée en force de la délinquance à l’école
(1) Des statistiques officielles encore approximatives
Longtemps, les autorités scolaires n’ont pas jugé utile d’isoler et de comptabiliser la délinquance à l’école. Elle était donc fondue dans des statistiques beaucoup plus générales.
Après plusieurs années de résistance, en 1982, sous la pression des médias, l’Inspecteur général Rancurel est chargé de cette question. Dix ans plus tard, le diagnostic sur les difficultés à quantifier le phénomène est sans appel. Il constate que « ces phénomènes sont trop masqués, (et qu’) il y a comme une honte à en parler ». Les enquêtes confiées par la suite à l’Inspection générale de l’Education nationale ne parleront que de quelques « académies sensibles ». De leur côté, les parquets et le ministère de l’Intérieur vont, à partir de 1993, établir des recueils statistiques spécifiques à la délinquance scolaire.
Sur l’année 1998-1999, l’Education nationale déclare avoir eu connaissance de 240.000 incidents, parmi lesquels seuls 2,6 % correspondaient à des faits graves signalés. Des instructions sont données pour que les chefs d’établissements déclarent les incidents de manière systématique. Il y a bien là une évolution du ministère, auparavant satisfait de la situation de « boîte noire » de l’Education nationale et décidé à faire aujourd’hui un peu de lumière.
A la rentrée 2001-2002, un nouveau logiciel de comptabilisation (SIGNA) recense « les actes de violences les plus graves ».
Catégories d’infractions et Nomenclature SIGNA
Violences verbales et injures
- insultes ou menaces graves
- injures à caractère raciste
Port d’armes blanches
- Port d’arme autre qu’arme à feu
Port d’armes à feu
- idem
Vol
- Vol ou tentative
Racket
- Racket ou tentative, extorsion de fonds
Violences sexuelles
- Violences physiques à caractère sexuel
Coups et blessures
- violences physiques sans arme
- violences physiques avec arme
Toxicomanie
- Consommation de produits stupéfiants
Trafic de stupéfiants
- idem
Dégradations
- dommages aux locaux
- dommages au matériel de sécurité
- dommages au matériel autre que le matériel de sécurité
- dommages aux biens personnels autres que véhicules
- dommages aux véhicules
- incendies
- tags
Non référencé
- bizutage
- fausse alarme
- intrusion de personnes étrangères à l’établissement
- jet de pierres ou autres projectiles
- tentative d’incendie
- tentative de suicide
- suicide
- trafics divers autres que de stupéfiants
- autres faits graves
Source : Education nationale
Les derniers résultats connus font état de 53.174 incidents déclarés, pour 70 % dans des collèges. Les coups et blessures et les violences verbales représentent la moitié de ces actes. Hormis les dégradations et les vols qui atteignent 10 %, aucun autre fait ne dépasse les 4 %. Pour notable que soit l’amélioration apportée par SIGNA, les statistiques officielles rendent compte du phénomène de manière encore très imparfaite.
(2) L’apport des enquêtes alternatives
La perception de la délinquance à l’école à travers les outils de recensement de l’Education nationale est tronquée pour plusieurs raisons.
Si la tendance semble être reflétée correctement, l’Education nationale sous-estime le phénomène. Le recensement est établi sur la base des déclarations effectuées par les chefs d’établissements. Lorsque les victimes ne signalent pas l’incident, ces faits ne sont pas pris en compte. Une grande majorité des actes de délinquance sont commis aux dépens d’élèves, c’est-à-dire d’enfants. La peur, la honte aussi expliquent leur silence plus facilement encore que celui d’adultes victimes. SIGNA est, par définition, incapable de rendre compte du « chiffre noir » de la délinquance non signalée.
Le second véritable défaut des statistiques officielles est qu’elles ne livrent aucun renseignement sur la dégradation du climat scolaire due à l’augmentation de la délinquance. Le choix du seul recensement des actes graves signalés se heurte donc à des limites sérieuses.
L’apport des enquêtes de victimation et de délinquance scolaire auto déclarées est en conséquence précieux à bien des égards, en précisant l’ampleur du phénomène. A titre d’exemple, une étude sur un échantillon de trente établissements révèle que la présence du racket est déclarée connue dans une proportion 25 fois supérieure à ce que ne laisseraient penser les chiffres officiels. Elles permettent également de mettre en évidence le lien entre victimation et dégradation du climat scolaire ainsi qu’une augmentation de la dureté des faits de délinquance.
Sans doute serait-il utile que le Haut Conseil de l’évaluation de l’école examine les outils de recensement de la violence mis en place par l’Education nationale pour proposer éventuellement des améliorations.
2. La délinquance en germe dans l’échec scolaire
L’école doit admettre la responsabilité qui est la sienne dans l’extension de la délinquance. Les objectifs que lui confie la loi portent en eux la relégation d’une petite fraction des jeunes qui, dénués de perspectives, entrent en « jacquerie » ou se détournent définitivement des voies traditionnelles d’insertion.
a) Un lien indiscutable
Précurseur ou générateur de délinquance, il est impossible d’affirmer que l’échec scolaire, pas plus que les difficultés familiales, fabrique à lui seul la délinquance. Pour autant, plusieurs indicateurs mettent en évidence le rôle qu’il joue dans le basculement. En effet, si tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas des délinquants, une immense majorité de ces derniers n’a pas réussi à l’école.
Les conclusions des recherches [44] menées sur les « noyaux durs », c’est-à-dire les élèves les moins contrôlables au sein des établissements sont nettes. « Les agrégats des élèves en grande rupture constituent une première approximation des noyaux durs ». Ce petit nombre d’élèves, inférieur à 5 %, mais le plus souvent incontrôlables, sont les plus défiants à l’égard de l’école. Rien ne trouve grâce à leurs yeux, ni les lieux, ni les méthodes, ni le corps enseignant. Plus dissipés et agressifs, travaillant peu ou pas, ils perçoivent les sanctions disciplinaires et leurs résultats comme une injustice qui leur est faite. Ces jeunes qui ont « la haine » de l’école constituent l’image la plus radicale des extrémités dans lesquelles l’échec scolaire peut enfermer.
D’ailleurs le même constat peut être tiré à un stade plus dramatique encore. Les statistiques concernant les mineurs incarcérés sont là encore sans appel. Selon le ministère de l’Education nationale, « La situation de dénuement culturel est particulièrement marquée chez les jeunes détenus de moins de 18 ans. 80 % d’entre eux sont sans diplôme et près de la moitié en échec au bilan lecture proposé pour le repérage systématique de l’illettrisme. Plus de 10 % relèvent de l’illettrisme ».
b) Collège unique, collège utopique ?
Mis en place en 1975, le principe du collège unique est d’inspiration généreuse. Il s’agit d’offrir à tous les enfants une chance de réussir au sein d’un même cursus. Pour cela, la disparition des orientations précoces est préconisée, car, bien qu’elles offrent des perspectives d’insertion, elles souffrent d’une image très dévalorisée.
Vingt ans après, le bilan du collège unique est mitigé. S’il a permis l’accès aux études secondaires et supérieures à des enfants issus de milieux qui n’y avaient accès qu’épisodiquement, il a également conduit à une radicalisation de l’échec, et est, à ce titre, « co-producteur » de délinquance. La démocratisation du collège laisse en fait sur le carreau un nombre non négligeable d’enfants.
Les enseignants eux-mêmes ont conscience de cette difficulté. Les chefs d’établissements rencontrés sur le terrain déclarent d’ailleurs devoir chercher aux confins du système réglementaire des propositions et des perspectives, notamment par le biais de stages, pour des jeunes à qui le collège ne convient plus.
Le système de l’Education nationale reconnaît les difficultés spécifiques de certains et des brèches existent déjà. Les sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) au sein des collèges en sont une. Au sein de certains collèges, ces sections dispensent des enseignements destinés à faciliter le passage des jeunes vers un lycée professionnel ou vers l’apprentissage. Pour leur part, les cycles d’insertion professionnelle par l’alternance (CIPPA) visent également à mobiliser autour d’un projet les jeunes de plus de seize ans, c’est-à-dire dégagés de l’obligation de scolarité, et de trouver une solution dans un cadre professionnalisé.
Comment dès lors résoudre la difficulté de jeunes en situation d’échec profond précoce ? Il paraît indispensable d’offrir à ces jeunes, à qui l’horizon d’un maintien dans le système général jusqu’à seize ans n’offre d’autre perspective que l’échec, un enseignement adapté mêlant la transmission d’un savoir fondamental et non encyclopédique, un accès à la culture et des perspectives professionnelles par le biais d’une formation qualifiante.
c) La concurrence de l’école de la rue
Entendu lors de l’audition du Conseil communal de prévention de la délinquance de Valenciennes par une délégation de la commission, M. Grandamme, proviseur du Lycée de l’Escaut a déclaré, non sans humour, que la concurrence la plus féroce qu’il devait affronter était, non pas l’école privée mais l’école de la rue.
L’absentéisme scolaire régulier atteint dans certaines zones des niveaux très élevés. Cet absentéisme régulier est difficile à définir. L’article D. 552-4 du code de la sécurité sociale définit le manquement à l’obligation scolaire, passible d’une sanction financière, comme une absence non justifiée constatée « au cours de trois mois ou plus, consécutifs ou non, (...) quatre demi-journées dans le mois » ou « dix jours consécutifs ou au cours d’un même mois ». Mais, comme il a été dit, les services de l’Education nationale ne signalent qu’une infime portion d’un chiffre dont on estime qu’il touche entre 12 % et 15 % des jeunes.
L’enquête menée en 1993 par l’INSERM [45] sur la santé de l’adolescent comprenait un volet sur l’absentéisme scolaire. Cette étude a mis en évidence que les jeunes absentéistes présentent plus que les autres un comportement délinquant. Les garçons sont plus souvent, par importance décroissante, fugueurs, toxicomanes, alcooliques et violents. Les filles, elles, sont plus souvent toxicomanes, violentes, et commettent davantage de vols. Il est également notable que ces jeunes sont plus souvent eux-mêmes des victimes de violences physiques ou sexuelles et en souffrance, voire suicidaires.
Les réunions entre groupes de pairs hors de l’école constituent donc un redoutable môle de concurrence à une école symbole d’échec ou d’inutilité. Attirés dans des groupes, les enfants et adolescents découvrent rapidement qu’un profil délinquant est susceptible de leur offrir une « intégration » au sein d’un quartier et, rapidement, par des trafics et des vols, une rétribution financière qu’ils jugent hors d’atteinte dans la légalité. Leur premier rapport avec l’argent est souvent délictuel. L’école de la rue les entretient dans l’illusion que « le crime paie ».
B. UNE INSTITUTION QUI PEINE À TROUVER DES SOLUTIONS
Le trouble des personnels confrontés à des difficultés chaque jour plus nombreuses, l’inertie de leur hiérarchie souvent incapable de proposer des solutions rapides et adéquates souligne la difficulté de l’institution face à un phénomène qui la déstabilise. Les réponses traditionnelles reposent sur le déploiement de nouveaux moyens. Certes le passé n’augure pas de l’avenir mais l’école a déjà connu une augmentation considérable de ses moyens au cours de la décennie passée sans que la situation se soit considérablement améliorée. L’espoir réside sans doute dans les capacités des acteurs de terrain, chefs d’établissement et enseignants qui pallient les difficultés et le manque de moyens par de l’intelligence. Ces innovations-là sont pour la plupart à encourager.
1. Le malaise des personnels
Pour plusieurs raisons, toute une partie du personnel de l’Education nationale est démobilisée, particulièrement chez les plus jeunes enseignants. Cette démobilisation se traduit par un absentéisme notable et surtout par un turn-over extrêmement élevé dans les zones les plus difficiles. Dans certains collèges, ce sont jusqu’à huit enseignants sur dix qui changent de postes chaque année. Un véritable suivi éducatif pour les élèves les plus en difficulté ne peut s’instaurer dans ces conditions.
La première explication d’un tel phénomène réside probablement dans la dégradation des conditions de travail des enseignants. Non seulement ils sont de plus en plus découragés par le manque de réceptivité des élèves et ne supportent pas ce qu’ils considèrent comme une mission de « gardiennage », mais encore certains vivent avec un véritable sentiment d’insécurité qui va s’aggravant. Les conclusions des travaux d’Eric Debarbieux révèlent que la classe elle-même est devenue un lieu de violence, violence autrefois reléguée aux zones périphériques de l’école, les couloirs, la cour, voire l’extérieur. Ce déplacement vers la salle de classe, lieu de résidence par excellence de l’autorité professorale, a aggravé dans des délais très brefs un sentiment déjà latent. En 1996, 5 % des enseignants dénonçaient l’agressivité dont ils étaient victimes. Deux ans plus tard, ils étaient 37 %. Sans doute plus d’un enseignant sur trois n’est-il pas victime d’une attaque physique ou verbale. Mais près de 40 % d’entre eux travaillent « la peur au ventre », et ceci est inacceptable.
Facteur aggravant, ils ne sont pas formés pour affronter de telles conditions de travail. Les formations prodiguées dans les IUFM ne prennent pas en compte cette dimension du travail de l’enseignant, et notamment des jeunes enseignants qui sont, en raison des règles d’affectation, envoyés sur les postes les plus difficiles. Alors même que la formation initiale est leur seule expérience, ils ne peuvent pas s’appuyer sur des éléments, même sommaires, leur permettant de gérer des situations de conflits avec des élèves difficiles, ni de dispenser savoir et valeurs éducatives dans un climat hostile. Cette difficulté est pourtant bien connue de l’institution. L’ouvrage d’Eric Debarbieux [46], qui décrit explicitement cette carence, a été préfacé par M. Jack Lang, alors ministre de l’Education nationale. Pourtant, la visite réalisée à Vaulx-en-Velin par une délégation de la commission d’enquête confirme la réticence de l’institution à prendre en compte cette dimension dans la formation des maîtres.
Le malaise des personnels non enseignants n’est pas moins étendu. Infirmières scolaires en sous effectif, psychologues inexistants, assistantes sociales à tiers ou quart de temps, le secteur social à l’école est en déshérence. A Bagneux, l’infirmière scolaire a 1.000 enfants sous sa responsabilité. Un deuxième poste est pourtant budgété mais il n’est pas pourvu. Alors qu’il est clairement établi qu’il n’est pas possible de soutenir les élèves en situation de décrochage, ni prévenir les glissements vers la délinquance sans eux, les personnels médico-sociaux restent trop peu nombreux.
En définitive, on trouve dans les zones les plus difficiles deux catégories de personnels : des gens d’expériences, au profil « militant », qui épaulent avec dévouement beaucoup de débutants qui, eux-mêmes submergés par les difficultés, aspirent rapidement à être déplacés.
2. Une hiérarchie parfois inerte
L’administration de l’Education nationale fait parfois preuve d’une coupable inertie.
Il existe toujours ça et là, même si la doctrine officielle du ministère est à la transparence, la volonté de masquer les difficultés. Les actes de délinquance sont mieux signalés. En revanche, des cas problématiques peuvent traverser l’institution scolaire durant plusieurs années sans qu’une inspection d’académie ne réagisse. Deux cas exposés à la commission lors d’une visite dans une école de Vaulx-en-Velin stigmatisent cette impuissance. Il a fallu en effet plus de trois ans, une tentative de meurtre et une tentative de suicide pour que l’inspection académique réagisse et trouve, avec la PJJ, une solution de placement adéquat pour le mineur en cause.
Cette attitude est éminemment coupable puisqu’elle nuit à une prise en charge précoce des cas les plus difficiles. Par une intervention diversifiée et très en amont, prenant en compte le milieu familial ainsi que les difficultés psychologiques et scolaires de l’enfant, les chances de succès en termes de prévention des comportements déviants sont bien évidemment multipliées. L’école doit être à la pointe du dépistage précoce, mission qu’elle est aujourd’hui souvent incapable d’assumer.
Doit être également regretté le peu de capacité des inspections d’académie à trouver des solutions pour les élèves les plus en difficultés. Sans doute leurs capacités d’intervention, dans un cadre très centralisé, sont-elles encore trop limitées. Néanmoins, certaines réponses laissent perplexes. Si dans certains cas, le reclassement d’un élève expulsé dans un autre établissement peut se révéler positif, dans beaucoup d’autres cas, il relève d’une gestion de la « patate chaude ». On déplace les problèmes beaucoup plus qu’on ne les résout. Un jeune élève psychotique a ainsi été confié à une classe pour enfants handicapés (CLIS - classe d’intégration scolaire), entraînant un grand désordre dans cette structure et plusieurs plaintes de parents. Ce placement, fait « à défaut d’établissement », souligne dramatiquement la pauvreté des réponses apportées par l’institution.
Un nouveau travers constaté par l’ensemble des acteurs concernés par les questions de délinquance est une tendance à transférer sur d’autres la gestion de la sanction. Alors que longtemps les structures du second degré ont revendiqué un privilège d’extraterritorialité vis-à-vis des institutions judiciaires et policières, à l’instar de l’Université, les signalements à la justice se multiplient aujourd’hui. Ce défaut est admis par le directeur de l’enseignement scolaire [47] lui même qui précise « qu’à la loi du silence s’est substitué l’excès inverse. Je l’ai constaté sur le terrain. Il est plutôt sain d’avoir eu une période pendant laquelle les Parquets étaient encombrés » (sic).
Il reste que ce phénomène pose une difficulté aux juridictions confrontées à une multitude de saisines pour des faits relevant en réalité de la discipline scolaire, et qui sont dès lors classés sans suite. Ces incidents, s’ils n’ont pas donné lieu à une sanction interne, restent en définitive, après ce classement, impunis.
L’organisation de la « justice scolaire » interroge par elle-même. Les statistiques de l’Education nationale indiquent que seulement un tiers des trafics de stupéfiants et des atteintes sexuelles sont signalés à la justice. Concernant les vols, 4 % sont signalés à la justice. Il est compréhensible que les petits larcins trouvent une sanction dans l’établissement. Pourtant 40 % d’entre eux ne font l’objet d’aucune suite interne. Il apparaît donc que beaucoup d’infractions restent impunies, nourrissant le sentiment d’impunité du délinquant, jusqu’à un déferrement tardif à la justice. L’objectif de sanctions systématiques et graduées au sein des établissements et du rétablissement de la discipline n’est pas rempli à l’Education nationale. La règle « la justice ou rien » n’est pas efficace.
Un dernier point doit être rappelé. Les articles D. 552-4 et 552-6 du code de la sécurité sociale disposent que l’autorité compétente pour constater et avertir la caisse d’allocations familiales des cas d’absentéisme scolaire est l’inspecteur d’académie. Tant l’ampleur du phénomène que le chiffre des saisines annoncées par la CNAF montrent qu’une vigilance accrue doit être exigée de leur part en ce domaine.
3. Des réponses à renforcer
A côté des réponses traditionnelles de l’institution, des pistes existent pour lutter contre la délinquance et offrir aux élèves les moins doués scolairement -mais pas forcément les moins habiles- une véritable chance de réussir un parcours d’insertion.
a) Les réponses traditionnelles : politique de zonage et campagne d’information
(1) Les politiques de zonages : ZEP et plans contre les violences scolaires
(a) Les zones d’éducation prioritaire
Depuis 1981, une politique de sélection de zones prioritaires d’éducation a été mis en place. Le principe de « discrimination positive » qui préside à ce dispositif consiste à affecter des moyens supplémentaires aux établissements réputés les plus en difficultés. Cette politique a été renforcée en 1997 par la refonte de la carte des ZEP, et la création des Réseaux d’éducation prioritaire qui associent les collèges les plus en difficultés à des établissements situés à proximité pour mener des actions ensemble et mettre en commun des moyens. Depuis 1999, un peu moins d’un élève sur cinq se trouve en ZEP ou en REP, soit près d’un million sept cent mille élèves répartis sur neuf cents zones.
L’éducation prioritaire génère des contestations. Le rapport Toulemonde soulignait en 1998 que les ZEP ou les établissements sensibles « souffrent d’un manque de continuité et d’énergie, d’éclipses partielles ou totales de la politique ministérielle, d’un renvoi aux acteurs locaux et, par conséquent, d’une réussite certaine ici, quasi-abandon là ». La politique des ZEP attise les convoitises -il faut y être placé pour bénéficier de moyens supplémentaires- et suscite des effets pervers puisque la sortie de ZEP n’est pas organisée. Ainsi, si le classement ZEP fonctionne, l’établissement sera « déclassé » et risque de perdre son bonus. Les ZEP créent en réalité çà et là une forme « d’assistanat éducatif ».
La méthode reste pourtant la bonne ; certaines zones ont des besoins supérieurs pour assurer les mêmes chances à tous. Il reste que les ZEP ont trop longtemps laissé à penser que l’accumulation de réponses quantitatives suffirait pour résoudre les problèmes. Il est clair qu’il n’en est rien. La gestion des cadres dans les ZEP est éloquente. Les compensations, bonifications de points et primes, sont insuffisantes pour motiver les enseignants qui désertent, en majorité, ces zones quand ils le peuvent. Or le premier besoin des établissements difficiles est un personnel expérimenté. Faute de prendre en compte cette dimension à sa juste valeur, la politique des ZEP tâtonne depuis vingt ans.
(b) Les plans de lutte contre la violence scolaire
Conscient de l’extension du phénomène, les gouvernements successifs ont mis en oeuvre deux plans de lutte contre la violence scolaire.
Après des premières annonces (réduction de la taille des établissements, création d’un fonds d’assurance pour l’indemnisation des enseignants en cas de dommages, création de postes de médiateur), M. François Bayrou, alors ministre de l’Education nationale, a proposé un plan [48] de prévention de la violence scolaire comprenant dix-neuf mesures articulées autour de trois axes : encadrement des élèves ; élèves et parents ; les établissements et leur environnement. L’ensemble des grands thèmes de la prévention à l’école figuraient dans ces propositions : formations, pédagogie différenciée, renforcement du lien famille/école, collaboration avec les autres institutions.
En novembre 1997, M. Claude Allègre a proposé un nouveau plan de prévention. Il a proposé, en deux phases, à plusieurs académies l’attribution de moyens accrus. La mise en oeuvre de ce plan concerne désormais vingt sites dans dix académies, soit 539 établissements du second degré, 2.354 écoles représentant 740.000 élèves.
Depuis 1998, des emplois supplémentaires sont budgétés, notamment en personnels non enseignants.
Personnels non enseignants budgétés dans le cadre du Plan Allègre
Infirmières
1998 - 300 // 1999 - 185 // 2000/2002 - 395
Assistantes sociales
1998 - 300 // 1999 - 185
ETP vacataire de médecine scolaire
1998 - 58 // 1999 - 30 // 2000/2002 - 203
Emplois ATOS
1998 - 204 // 1999 - 195 // 2000/2002 - 1.503
CPE
1998 - 100
Aides éducateurs (emplois jeunes)
1999 - 4728 // 2000/2002 - 872
Source : Education nationale
Le renforcement de ces personnels est nécessaire car d’eux dépend la mise en oeuvre d’une partie importante des dispositifs de prévention de la délinquance à l’école. Pour autant, hormis le recours à des emplois-jeunes, les difficultés de concrétisation de ce plan restent importantes. Au collège de Bagneux, le poste d’infirmière scolaire n’est pas pourvu. Faute d’avoir anticipé ces besoins, la mise en oeuvre du plan est confrontée, dans son volet médico-social, à un goulet d’étranglement que rencontrent d’ailleurs d’autres structures, notamment les associations, pour le recrutement d’éducateurs qualifiés.
(2) Des campagnes d’information
Lancées sur des thèmes entourant la question de la délinquance des mineurs, plusieurs campagnes d’information ont été menées à destination des jeunes scolarisés ou des professionnels de l’éducation.
A destination des écoliers, la campagne « le respect, ça change l’école » vise, depuis la rentrée 2001, à promouvoir le respect et prévenir la violence, par l’intermédiaire de spots télévisuels et d’interventions en collèges. Par ailleurs, un « manuel lycéen de lutte contre la violence » a été rédigé avec le soutien du Conseil régional d’Ile-de-France, à destination des lycées. Enfin le numéro azur « SOS violence en milieu scolaire » vise à soutenir les victimes, dans le cadre d’une écoute anonyme.
A destination des personnels de l’Education nationale, la direction de l’enseignement scolaire a rédigé un guide de « prévention contre les violences sexuelles » et le comité de lutte contre la violence à l’école a publié lui aussi deux guides devant faire office de « vade me cum » pour les aider à faire face à des situations de crise.
Ces campagnes ont probablement un impact positif. Néanmoins, l’expérience montre que la valeur des interventions de professionnels dans les établissements est sans doute supérieure à celle de spots télévisés à l’image un peu cosmétique, et dont l’efficacité reste à prouver. Par ailleurs il faut marteler qu’aucun guide ou « vade me cum » ne peut compenser l’absence inexcusable d’une formation adéquate sur ces questions pour les enseignants et les chefs d’établissements dans les IUFM.
b) La lutte contre le décrochage à compléter d’urgence
(1) Des situations contrastées, une prise en charge diversifiée
Etant clairement établi que les élèves en situation de décrochage scolaire sont dans des proportions beaucoup plus importantes que les autres auteurs de faits délinquants, les pouvoirs publics doivent tout mettre en oeuvre pour prévenir l’échec à l’école.
Le décrochage scolaire recouvre deux difficultés étroitement liées mais néanmoins distinctes. On constate chez certains élèves une incapacité à la socialisation normale au sein d’un établissement. L’élève est replié sur lui-même, taciturne, discret, ou à l’inverse fortement agité, voire violent. A côté de ces problèmes de comportements, figurent les lacunes scolaires proprement dites dont on connaît, chez certains, l’ampleur dramatique. Le plan d’action pour une veille éducative du 27 novembre 2001 faisait cet inacceptable constat : « L’école, le collège et le lycée ont atteint un seuil d’efficacité au-delà duquel ils ne sont pas en mesure de descendre. Ce seuil se situe à 8,2 % d’une classe d’âge pour les élèves quittant l’école sans qualification, soit environ 58.000 jeunes ». Le collège unique s’adresse donc à 92 % des enfants. La lutte contre le décrochage scolaire doit pallier cette double exclusion de l’élève. Suivant les cas, ces difficultés sont plus ou moins développées. Évidemment, plus ces troubles sont traités de manière précoce, plus les espoirs de succès sont importants.
Les réponses apportées au décrochage scolaire s’inscrivent dans un rythme ternaire. Dans les situations les plus légères, l’élève doit bénéficier d’un soutien supplémentaire. Selon la difficulté, il s’agira de l’intervention d’un psychologue scolaire ou d’un éducateur pour effectuer un travail sur le comportement. Le tutorat et autres formes de soutien scolaire permettent de procéder à des remises à niveau.
Les élèves déjà plus en difficulté, souffrant d’un retard important ou en proie à des tensions passagères, bénéficient d’un dispositif adapté pour une partie, et une partie seulement, de leur scolarité. C’est le principe de la classe « SAS ».
Les élèves véritablement déstructurés doivent pour leur part être pris en charge à plein temps dans le cadre d’une structure séparée et différenciée, la « classe-relais ».
(2) Un système existant perfectible
Chacun de ces dispositifs mériterait d’être amélioré. Le soutien aux élèves se développe mais reste insuffisant dans le cadre de l’institution. Les personnels qualifiés, notamment psychologues scolaires et éducateurs, sont trop peu nombreux. Le tutorat et le soutien scolaire se développent mais restent souvent tributaires d’une politique partenariale (CNAF, associations, collectivités locales) et de la qualité des intervenants extérieurs. Ainsi à Bagneux, le soutien scolaire est assuré par les services du centre social et culturel. Si l’école ne peut pas tout faire toute seule, cette offre doit néanmoins être musclée dans le cadre des établissements.
La prise en charge alternée est, pour sa part, un peu prise en tenaille entre le soutien simple et les classes relais. Les classes SAS restent expérimentales. Il est d’ailleurs marquant, à ce titre, que le ministère soit incapable d’en indiquer le nombre en France, qui semble par ailleurs très faible. Cette carence est regrettable car les réponses au décrochage scolaire doivent être progressives.
Peut-être en raison de l’urgence du problème, la prise en charge dans les classes relais est le dispositif qui a été le plus encouragé [49]. Si le développement de ces structures est positif, il serait erroné de croire que les classes relais constituent une réponse « tout terrain » aux problèmes du décrochage scolaire.
Leur premier défaut est la forte carence de l’accompagnement après le passage en classe relais. Le suivi n’est pas institutionnel. Lorsque le dispositif relais est dans le cadre du collège, à l’instar de la classe relais de Bagneux, des enseignants peuvent garder un oeil sur l’élève. Dans les autres cas, le retour à la scolarité est source d’appréhension pour les jeunes, et ce, malgré les progrès réalisés.
En effet, si les classes relais donnent de bons résultats [50], notamment en termes de travail comportemental, l’évolution sur les résultats scolaires n’est souvent pas miraculeuse. L’objectif d’une remise à niveau pour revenir dans la classe d’origine est souvent trop ambitieux tant les carences sont grandes. Que faire alors lorsque les progrès effectués sont insuffisants pour revenir à une scolarité normale ? Bien sûr, pour les plus âgés, l’optique d’un pré-apprentissage [51] ou d’une orientation en filière professionnelle peut se profiler. Dans ces conditions, le passage en classe relais, ayant à la fois permis un vrai travail sur les fondamentaux ainsi que sur le comportement, accroît la confiance en soi de l’élève. C’est un succès. Mais pour les plus jeunes, l’optique d’une réintégration pour trois ou quatre années de collège reste véritablement problématique, si la remise à niveau n’est pas effective et la motivation retrouvée. La classe relais n’aura été qu’un temps inutile ou préalable à un « éternel retour » au sein du dispositif.
c) Des initiatives à encourager
Plusieurs outils déjà expérimentés ont prouvé leur capacité à réconcilier les jeunes en difficulté et l’école, et in fine, à prévenir de manière efficace les comportements délinquants. Contrepoint d’une politique faite d’un déversement massif de moyens, ces expériences misent sur des projets qualitatifs susceptibles de fédérer les ressources déjà existantes.
(1) Diversifier l’offre éducative par l’internat
La demande de places d’internat va croissante, les inspections académiques en recevant plusieurs par semaine, émanant tant des parents que des enfants. Si tous les internats ne sont pas remplis intégralement, l’offre est inégalement répartie sur le territoire et pas toujours adaptée à la demande.
Effectifs des internats
Collégiens : 10.776 (soit 1%)
Lycéens : 70.786 (soit 6,5%)
Lycéens professionnels : 69.578 (soit 13%)
Etudiants en classes préparatoires : 17.280 (soit 8%)
Source : Education nationale
L’internat n’est plus perçu comme une sanction mais l’occasion pour les jeunes de faire l’apprentissage d’une autonomie et de la vie en commun. C’est aussi souvent l’occasion de pratiquer, de manière plus intensive, des activités sportives, artistiques ou culturelles.
(2) S’appuyer sur les chefs d’établissements
Les études sur la violence en milieu scolaire mettent en évidence le rôle essentiel joué par le chef d’établissement en matière de prévention. Cette fonction doit être soutenue par des propositions de formation adéquates. Beaucoup ont des idées originales qui leur permettent, dans leurs écoles ou collèges, de pacifier les relations et d’encourager la réussite. Le projet d’établissement doit être l’occasion de contractualiser les objectifs et d’obtenir les moyens de les servir.
(3) Encourager l’encadrement extra scolaire des élèves
Le développement progressif des vacances scolaires longues a été véritablement préjudiciable aux enfants des milieux les moins favorisés, qui sont laissés à eux-mêmes. Les constats faits devant la commission d’enquête par M. le sous-préfet de Valenciennes sont sans appel : lors des vacances supérieures à deux semaines, les services de police constatent une dégradation du climat dans les cités et une augmentation des actes de délinquance.
Initié par le ministère de l’Education nationale en 1991, le principe de l’école ouverte permet aujourd’hui à plus de 400 établissements de proposer des activités alternatives durant les vacances, et parfois les week-end ou le mercredi. Dans le cadre de ses déplacements, la commission s’est rendue à Strasbourg, au collège du Stockfeld, qui propose aux jeunes des activités dans le cadre de l’école ouverte. En 1999, un atelier original a été lancé avec l’Opéra du Rhin. D’autres activités sont proposées autour des thèmes de l’environnement culturel, naturel, urbanistique ainsi que des soutiens scolaires et des stages sportifs. La plupart des établissements conduisant ces opérations constatent une pacification des relations dans l’établissement. En outre, il s’agit là d’une concurrence sérieuse contre « l’école de la rue » dont les méfaits sont connus.
(4) Poursuivre la politique des partenariats
De plus en plus, l’école s’associe avec des institutions extérieures, tant pour lutter contre le développement de la délinquance dans et hors ses murs que pour mener des programmes de prévention à l’intention des jeunes. Dans le cadre départemental, des conventions ont été passées entre les services de police et de gendarmerie et l’Education nationale. Celles-ci permettent aux forces de l’ordre d’intervenir dans les collèges à des fins préventives, à l’instar des campagnes de lutte contre la toxicomanie assurées par les Brigades de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie nationale (BPDJ), mais également d’assurer une meilleure veille répressive en lien avec les établissements. D’autres partenariats lient l’Education nationale à des institutions spécialisées. La CNAF s’investit pour soutenir l’implication parentale en lien avec l’école.
En 1998, une tentative d’organisation de certains partenariats a été lancée via les contrats éducatifs locaux (CEL). La circulaire interministérielle du 9 juillet 1998 implique les ministères de l’Education nationale, de la Culture et de la Ville pour assurer un meilleur suivi des jeunes dans et hors du temps scolaire. Les administrations de l’Etat comme les services sociaux locaux sont invités à proposer des activités aux enfants.
Actions proposées dans le cadre des CEL
Activités artistiques - 29,4%
Activités scientifiques et techniques - 13,5%
Activités « périphériques » (jeux, éveil, multi-sports etc.) - 17,7%
Activités sportives - 20,3%
Source : Groupe de suivi interministériel.
Les projets sont gérés sur le plan local par un groupe de pilotage animé par le maire, qui désigne un coordonnateur et valide le projet. Le coordonnateur assure le suivi. Au niveau départemental, un autre groupe de pilotage sous la responsabilité du préfet adresse un appel à projet à tous les acteurs concernés (collectivités, services et établissements de l’Etat, associations etc.), les valide et les finance.
La première évaluation des CEL réalisée par le groupe de suivi interministériel en 2001 met en avant des réussites et des faiblesses, notamment le manque de formation des encadrants et la faible participation des familles et des habitants. Néanmoins, ces actions permettent d’étendre l’offre tout en s’assurant que des jeunes, jusque-là non bénéficiaires de ce type d’action, ont accès à des services nouveaux.
Cette volonté de partenariat, indispensable, doit néanmoins éviter un écueil de taille : la prolifération de mesures qui, s’empilant, rendrait le schéma illisible, et nuirait à l’efficacité globale de l’action publique. A ce titre, l’apparition du « Plan éducatif local », qui est venu s’ajouter au CEL, jugé trop « lâche » [52], est à bien des égards inquiétante.
CHAPITRE 3 LES POLITIQUES DE PRÉVENTION : EMPILEMENT ET CONFUSION
« On a vu apparaître une volonté de coordination avec la mise en place de la politique de la Ville. Or, cette politique est vouée à l’échec si elle se contente de créer des comités Théodule, d’organiser des grand-messes pour parler de façon théorique et générale de la délinquance dans une ville ou un quartier. »
Jacques Andrieu [53]
A travers ses services de la protection maternelle et infantile et de l’aide sociale à l’enfance, le département dispose d’instruments particulièrement précieux dans la prévention de la délinquance qui méritent d’être valorisés et renforcés.
La politique de la ville, créée il y a près de trente ans, n’a cessé de se développer, de se diversifier, à tel point que sa cohérence et ses objectifs initiaux ont fini par être perdus de vue.
I. LE RÔLE CLEF DU DÉPARTEMENT
Depuis les lois de décentralisation, les départements remplissent un rôle déterminant dans le domaine de l’enfance et de l’adolescence. En charge de la veille sanitaire des enfants et de la prévention spécialisée, le département doit également être le maître d’oeuvre de la protection de l’enfance.
Pourtant, pour des raisons diverses, les départements n’ont pas encore, vingt ans après, saisi la totalité des instruments à leur disposition, ou s’interrogent encore sur l’éventualité de les faire évoluer pour mieux les adapter aux réalités de la jeunesse. La protection de l’enfance, dont les aspects préventifs ne dépendent que de lui, reste source de frottement avec l’autorité judiciaire.
Au moment où leurs compétences dans le domaine social s’affirment, notamment à l’égard des personnes âgées, les départements doivent trouver les ressources d’affirmer, au moyen des outils que la loi leur donne, leur rôle clef dans la prévention de la délinquance.
A. LES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION DÉPARTEMENTAUX AU MILIEU DU GUÉ
Les compétences des départements -hors aide sociale à l’enfance (ASE)- à l’égard de l’enfance sont résolument tournées vers la surveillance et la prévention des troubles et des déviances. La protection maternelle et infantile (PMI) est un outil de veille au moment de la petite enfance et, potentiellement, un instrument de prévention psychosociale et médicale précoce. La prévention spécialisée, pour sa part, après avoir connu des heures difficiles lors de la montée en puissance de la politique de la ville, a su mettre en oeuvre des réformes qui la crédibilisent et justifient les investissements que les départements envisagent de faire.
1. La PMI peut devenir un instrument de prévention psychosociale et médicale précoce
a) Historique de la PMI
Assurer la santé des mères et le développement harmonieux des enfants est un souci ancien. La loi Roussel de 1874 créait l’inspection médicale des enfants en garde et imposait la surveillance des nourrissons. Confronté à des difficultés démographiques sérieuses, le Gouvernement issu de la Résistance signait, en novembre 1945, une ordonnance créant la PMI et définissant ses missions selon un triptyque : visites prénatales, surveillance de l’enfant et éducation des mères. Les dispositions de l’ordonnance furent modifiées à plusieurs reprises, afin de renforcer la surveillance sanitaire infantile, notamment par la consignation des vaccinations.
La décentralisation fut, en 1983, l’occasion d’un transfert de compétences de la PMI aux départements.
La loi n° 89-899 du 18 décembre 1989 relative à la protection et à la promotion de la famille et de l’enfance et adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d’aide sociale a rappelé une nouvelle fois le rôle des administrations publiques (Etat, collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale) dans la protection de la santé des mères et de leurs enfants. Cette loi a été complétée par le décret n° 92-785 du 6 août 1992.
b) Missions de la PMI
L’article L. 2112-2 du code de la santé publique définit les missions de la Protection maternelle et infantile :
1° des consultations prénuptiales, prénatales et postnatales et des actions de prévention médico-sociale en faveur des femmes enceintes ;
2° des consultations et des actions de prévention médico-sociale en faveur des enfants de moins de six ans, notamment dans les écoles maternelles ;
3° des activités de planification familiale et d’éducation familiale (...) ;
4° des actions médico-sociales préventives à domicile pour les femmes enceintes et les enfants de moins de six ans requérant une attention particulière, assurées à la demande ou avec l’accord des intéressés, en liaison avec le médecin traitant et les services hospitaliers concernés.
Dans le cadre de ces missions, les personnels de la PMI, avant tout des personnels médicaux (médecins, infirmiers, puériculteurs etc.), sont à la pointe d’un diagnostic des cas de maltraitance. La loi leur donne d’ailleurs compétence pour effectuer des signalements et prendre des mesures d’urgence, lorsqu’ils constatent « que la santé ou le développement de l’enfant sont compromis ou menacés par de mauvais traitements ».
La PMI fut un moment l’objet d’une polémique entre les conseils généraux et le Haut Comité à la santé publique, le second accusant les premiers de ne pas faire de la PMI « une priorité ». Sans doute, les budgets des conseils généraux sont-ils sollicités de manière croissante par le soutien aux personnes âgées dépendantes, notamment depuis la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 sur l’allocation personnalisée d’autonomie. Néanmoins, au regard du constat fait sur l’importance de la prévention précoce, un investissement des conseils généraux sur ce domaine serait probablement d’une grande efficacité.
c) Quelle extension possible de la PMI ?
La plupart des études soulignent que l’apparition de comportements déviants est souvent très précoce. Ces comportements sont de bons indicateurs sur le basculement d’un enfant dans la délinquance.
Les acteurs de la PMI sont particulièrement qualifiés pour agir au sein de la famille et de l’école et participer à la mise en oeuvre d’une stratégie cohérente incluant des personnels médicaux. Beaucoup d’enfants souffrent de perturbations psychiques et les réponses médicales et psychiatriques restent encore trop faibles. Les services de la PMI doivent donc être un instrument de prévention psychosociale et médicale précoce.
La question d’une extension du travail réalisé dans le cadre de la PMI à l’ensemble des adolescents de moins de 16 ans, c’est-à-dire soumis à l’obligation de scolarité, pose davantage question. Des départements vont déjà au-delà de leur mission légale. Mme Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, avait souhaité, à titre expérimental, qu’un suivi des enfants jusqu’à onze ans soit assuré par la PMI. Les propositions formulées par certains présidents de conseils généraux lors de la discussion de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité n’ont pour l’instant pas été retenues, car leur adéquation avec le plan quadriennal de relance de la médecine scolaire n’était pas assurée.
Une telle extension mériterait sans doute des études préalables et une expérimentation, afin de savoir si les départements seraient à même de faire mieux que l’Etat en matière de santé scolaire.
2. La prévention spécialisée à redécouvrir
Après les années où la prévention conçue et menée dans le cadre de la politique de la ville a constitué une réponse unique à la délinquance juvénile, la prévention spécialisée redevient digne d’intérêt dans le cadre d’actions complémentaires aux autres dispositifs de prévention.
a) La prévention spécialisée : un regain d’intérêt
Héritière des clubs d’enfants créés à la fin de la Seconde guerre mondiale, la prévention spécialisée est née d’une critique de la prise en charge institutionnelle de la délinquance, souvent incapable de résoudre les problèmes posés par les bandes d’adolescents, et d’une volonté de proposer des réponses autres que répressives. En mai 1963, le Haut commissariat à la jeunesse et au sport crée un « comité national des clubs et équipes de prévention contre l’inadaptation sociale de la jeunesse ». La prévention spécialisée restera sous tutelle du Haut commissariat à la jeunesse et des sports pendant près de dix ans.
Rattachées à l’aide sociale à l’enfance, les pratiques de la prévention spécialisée sont fixées par l’arrêté du 4 juillet 1972. Cet arrêté rappelle la nécessité « dans un milieu où les phénomènes d’inadaptation sociale sont particulièrement développés, de mener une action éducative tendant à faciliter une meilleure insertion sociale des jeunes, par des moyens spécifiques supposant notamment leur libre adhésion ». La prévention spécialisée connaît alors une sorte d’apogée, forte d’environ 350 associations, 2.500 professionnels et d’un organe consultatif auprès du ministre des Affaires sociales, M. René Lenoir.
Les lois de décentralisation transfèrent les compétences d’aide sociale à l’enfance aux départements, et avec elles, la prévention spécialisée. Dans un contexte de promotion des outils de la politique de la ville, la prévention spécialisée n’est plus considérée comme une réponse pertinente au phénomène de montée de la délinquance.
Sceptiques au départ, les départements ont mis une quinzaine d’années avant de se décider à réinvestir la prévention spécialisée. Aujourd’hui, le nombre d’intervenants -structures et professionnels- est peu ou prou équivalent à son niveau des années 1970. Mais la prévention spécialisée suscite un nouvel intérêt. Tandis que les communes s’interrogent sur la possibilité de revendiquer cette compétence, comme l’a précisé devant la commission M. Daniel Hoeffel, vice-président de l’Association des Maires de France, l’Etat a mis en place un groupe de travail interministériel.
b) La prévention spécialisée : une action préventive véritablement complémentaire
Ce regain d’intérêt s’explique aisément dans le contexte d’une recrudescence de la délinquance juvénile. La prévention spécialisée propose d’accompagner, soit en comblant leurs lacunes, soit en renforçant leurs actions, l’ensemble des dispositifs de prévention sur lesquels les pouvoirs publics ont misé ces dernières années.
Le paradoxe de la prévention spécialisée est de travailler sur des jeunes pour lesquels tous les dispositifs existants ont échoué. A ce titre, la prévention spécialisée contrebalance l’abus de la médiation à l’égard de jeunes en grand besoin d’éducation. La médiation cherche à trouver un compromis dans le cadre d’un conflit. Les jeunes en difficulté ont aussi besoin de rencontrer des adultes qui leur tiennent tête dans le cadre d’actions qui, finalement, ne sont que des prétextes pour apprendre à ces jeunes les valeurs indispensables à la vie sociale : le respect d’autrui et de soi-même, l’effort, le travail, la solidarité.
Les éducateurs de la prévention spécialisée sont les seuls adultes présents dans la rue pour amener les jeunes les plus en rupture dans un parcours d’insertion. Il est tout à fait illusoire de croire qu’un jeune formé « à l’école de la rue » puisse du jour au lendemain participer à un programme sportif, éducatif ou culturel qui impose le respect des horaires et des responsabilités. Il faut auparavant qu’un éducateur ait, dans un premier temps, gagné sa confiance et l’ait, dans un second temps, convaincu. Aucun dispositif de médiation sociale n’a vocation à sortir les jeunes de la rue : c’est le travail exclusif des éducateurs de prévention spécialisée.
Ces derniers jouent un rôle tout à fait déterminant dans le décryptage de la demande sociale. Le plus souvent, des solutions tout à fait modestes résolvent des problèmes réputés inextricables pour peu qu’elles soient très ciblées. Coutumiers de l’échange avec les habitants, travaillant par définition dans la rue, l’éducateur spécialisé est souvent le mieux à même de renseigner les pouvoirs publics sur les attentes de tel ou tel micro-quartier. Cette fonction de « baromètre » et d’intermédiaire n’est pas toujours reconnue mais demeure pourtant essentielle. C’est la seule qui soit susceptible d’être partagée avec les acteurs de la politique de la ville.
c) Après avoir réalisé des progrès, la prévention spécialisée doit être dynamisée
Les traditionnelles difficultés rencontrées par la prévention spécialisée ne semblent plus aussi insurmontables.
Le principe de l’anonymat a longtemps été source de mésentente entre les éducateurs et les autres acteurs de la lutte contre la délinquance. Il semble cependant que la réticence à la levée de l’anonymat, demande souvent réitérée par les partenaires et donneurs d’ordres des éducateurs, ne soit plus aussi forte. Dans un contexte idéologique très marqué, celui des années 1960, beaucoup d’éducateurs refusaient absolument tout lien avec les institutions, au nom de la spécificité du travail d’éducateur de rue. Ce contexte est aujourd’hui définitivement révolu. Beaucoup d’éducateurs ne parlent plus d’anonymat mais de confidentialité. Les faits qui appellent une action institutionnelle sont signalés -il n’y a pas de « secret professionnel ». Toutefois les éducateurs sont discrets sur les relations qu’ils établissent avec les jeunes qui se confient à eux. Cette discrétion est logique car leur outil de travail est la confiance qu’ils sont capables de susciter.
Entendu par la commission d’enquête en tant que représentant de l’Association des départements de France, M. Philippe Nogrix a souligné que les conseils généraux étaient favorables à certaines évolutions, notamment en ce qui concerne la libre adhésion du jeune : « (...) il nous semble important de faire comprendre au jeune que, de temps en temps, il a besoin de recevoir certaines instructions lui indiquant la direction à suivre. Il faut l’obliger à adhérer à un contrat de « remise dans les clous » (...) Nous aimerions permettre l’établissement d’un contrat d’objectifs que chaque jeune aurait à atteindre, contrat prédéfini avec son éducateur, bilans d’étapes à l’appui.
« Nous réclamons une commande claire des actions à mettre en oeuvre sur un territoire bien délimité. Dans l’état actuel des choses, le président du Conseil général doit définir chaque année les territoires sur lesquels ses équipes spécialisées vont intervenir. Nous préfèrerions que ce soient les villes qui définissent la commande et ce sur un mode beaucoup plus territorialisé ».
Par ailleurs, la prévention spécialisée reste critiquée du fait des réticences des éducateurs face à l’évaluation de leur travail. Devant la commission d’enquête, M. Sébastian Roché a aussi observé à propos des éducateurs : « je ne connais pas de corporation plus opposée à l’idée de résultat ; ils ont une « sainte horreur », encore plus que la justice, et ce n’est pas peu dire, des chiffres et de l’évaluation externe ».
Il semble cependant qu’une évolution soit en cours. Les instances de la prévention spécialisée, le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée comme l’Union de la sauvegarde de l’enfance, souhaitent la généralisation d’une évaluation systématique des actions menées, au regard d’un diagnostic de départ réalisé conjointement et d’objectifs clairs formulés dans le cadre d’un projet contractuel entre le donneur d’ordre et l’association. Les instances estiment par ailleurs nécessaires les contrôles des services du département, notamment de l’aide sociale à l’enfance.
La prévention spécialisée a récemment opéré une évolution pour s’adapter à la modification des phénomènes de délinquance. Du fait du rajeunissement des auteurs, les éducateurs ont modifié leur intervention vers la tranche d’âge 8-14 ans, ce qui a eu pour effet d’entraîner un travail simultané en direction des familles, parents et fratries. Cette évolution -une prévention qui ne soit plus unicentrée sur les jeunes- est à saluer.
Il reste à régler la question cruciale de la formation des éducateurs, de plus en plus problématique dans un contexte de vieillissement de la profession et de fuite de certains d’entre eux vers les métiers de la ville. Le manque d’écoles susceptibles de former de nouveaux éducateurs plaide pour des solutions intermédiaires, notamment la formation en cours d’emploi. Bien sûr, la pénurie d’éducateurs n’est pas propre à la prévention spécialisée. Elle est au contraire générale. Toutefois, dans un contexte difficile -le travail de rue est, avec le secteur hébergement, la facette du métier la plus éprouvante- des propositions innovantes s’appuyant sur l’expérience devront être retenues.
B. L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE : DES RAPPORTS À PACIFIER AVEC SES PARTENAIRES
1. La double face de l’aide sociale à l’enfance
Confiée aux départements, dans le cadre des lois de décentralisation, la compétence de la sauvegarde de l’enfance est assumée par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), investis par l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles d’une quintuple mission :
- apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de vingt-et-un ans confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;
- organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale ;
- mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs ;
- pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ;
- mener, notamment à l’occasion de l’ensemble de ces interventions, des actions de prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs.
Ces missions s’exercent dans un double cadre théoriquement bien délimité mais qui nourrit aujourd’hui la défiance des usagers et des partenaires de l’ASE.
La protection administrative ne lie pas les usagers et notamment les familles qui y ont recours. Elle constitue un soutien social proposé dans le cadre des compétences générales du département : des aides et des actions à domicile voire un placement avec leur accord.
L’aide sociale à l’enfance exerce néanmoins les mêmes fonctions dans un cadre judiciaire, défini par l’article 375 du code civil, qui dispose que « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice ». Certes, cette suppléance des parents revêt rarement un caractère absolu. En effet, le juge « doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée » et, « chaque fois qu’il est possible » maintenir le mineur dans son « milieu actuel ». Toutefois, le cadre est ici contraignant et les familles doivent in fine se soumettre à la décision du juge, décision qui, en cas de placement de l’enfant, peut signifier une séparation.
Selon le rapport de P. Naves et B. Cathala [54], en 1998, près de 300.000 enfants faisaient l’objet d’une mesure de protection de l’enfance, 128.850 dans le cadre d’une action éducative en milieu ouvert et 143.200 en accueil.
LA PROTECTION DE L’ENFANCE
- Qui paie ?
- Qui décide ?
PRÉSIDENT DU CONSEIL GÉNÉRAL
protection administrative
- PMI
- service social de secteur
- prévention spécialisée
- ASE : aides et actions à domicile, placements, (avec l’accord des parents)
- ASE : suivi des mineurs qui lui sont confiés, y compris sur décision judiciaire
JUGE DES ENFANTS
protection judiciaire
Mesures confiées :
- à l’ASE
- à la P.J.J.
- directement au secteur associatif ou à un tiers digne de confiance
* protection administrative
- prévention du service social de secteur et PMI
- mesures ASE, mineurs et jeunes majeurs
- prévention spécialisée
* protection judiciaire
- AEMO confiées à l’ASE ou au secteur associatif
- placements à l’ASE
- placements directs
DÉPARTEMENT
* PJJ
* Décisions des J.E. concernant :
- toutes les mesures d’investigation
- les jeunes majeurs
- les délinquants
- les mineurs confiés au secteur public de la PJJ
Contrôle commun
Source : d’après rapport IGSJ-IGAS
DÉPARTEMENT
- régie et associations conventionnées non habilités
- familles d’accueil
SECTEUR ASSOCIATIF HABILITÉ JUSTICE
- JE
- PJJ
- secteur public
Rôle de la PJJ :
- habilitation
- tarification
- contrôle du secteur habilité
Qui contrôle ?
2. Un rapport conflictuel avec les parents
Lorsqu’il estime que l’enfant est en situation de danger, le Président du Conseil général est tenu de saisir le procureur de la République qui, lui-même, décide s’il y a lieu de saisir le juge des enfants. Il s’agit là d’une perspective qui effraie des parents et dissuade, bien souvent, des recours aux services de l’ASE.
Pourtant, les droits des familles et notamment des parents ont été régulièrement améliorés depuis les conclusions du rapport Bianco-Lamy de 1984. La loi du 6 juin 1984 consacrait cinq droits, résumés dans la loi du 6 janvier 1986 précisant les missions de l’aide sociale à l’enfance. Il y est fait référence au terme de « collaboration » avec les familles qui revêt un sens très fort : le consentement de ces dernières est obligatoire pour la mise en place d’une mesure et leur adhésion le plus possible recherchée.
Comment, dès lors, expliquer les phénomènes décrits par le rapport Naves-Cathala sur l’éviction parentale ? En effet, les auteurs de ce rapport n’hésitent pas à écrire que les familles « vivent l’intervention administrative et judiciaire avec un fort sentiment d’injustice et la peur du placement ». Il est expliqué que la perception de l’aide sociale à l’enfance comme une institution « rapteuse d’enfant » est le fruit d’un triple malentendu.
Il y a en premier lieu « incompréhension des logiques » entre familles et professionnels, les premières ayant notamment le sentiment que les décisions sont prises dans l’urgence, en second lieu des « pratiques qui ne favorisent pas le dialogue » et qui nourrissent les familles dans le sentiment d’un complot liant l’institution judiciaire et les travailleurs sociaux contre elles. Cette incompréhension est vécue avec un fort « sentiment d’impuissance et d’humiliation », surtout dans le cadre d’une limitation de leurs droits, notamment de l’accès aux dossiers.
Dans les perspectives de la Conférence de la Famille 1998, marquée sous le sceau de la valorisation parentale, Mme Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, a souhaité que soient étudiés les moyens pouvant aboutir à une réduction des placements de moitié.
Ce contexte n’est en tout cas pas favorable au développement du travail social prévu par le volet administratif de l’ASE et qui constitue pourtant, sur le papier, un instrument de prévention de la délinquance de premier plan.
3. Un système de protection de l’enfance dévoyé ?
a) La judiciarisation des interventions de l’aide sociale à l’enfance nuit à la protection administrative
Les interventions des services de l’aide sociale à l’enfance, lorsqu’ils sont en lien avec l’autorité judiciaire, sont de deux ordres.
L’ASE peut saisir l’autorité judiciaire lorsqu’elle estime que l’enfant est dans une situation de danger afin que le magistrat ordonne le recours à elle dans le cadre de l’article 375 du code civil. L’autorité judiciaire considère aujourd’hui que les départements recourent de manière trop systématique à la justice pour obtenir le placement d’un l’enfant sous le régime de l’assistance éducative, afin de se défausser des cas lourds et d’éviter le plus possible le recours aux mesures d’assistance éducative en milieu ouvert. Les parquets, placés pourtant en position de modérateur, n’ont pas les moyens de jouer ce rôle.
La tendance à la saisine de plus en plus fréquente de l’autorité judiciaire a été confirmée par M. Philippe Nogrix, représentant de l’Association des départements de France, lors de son audition par la commission d’enquête :
« Les signalements sont devenus de plus en plus nombreux de la part de l’Education nationale et des travailleurs sociaux. En effet, les éducateurs qui travaillent avec des familles sous la forme contractuelle se sont vus reprocher de ne pas avoir pratiqué le signalement au pouvoir judiciaire et ont été sanctionnés. Ils ont donc maintenant tendance à signaler les choses dès que la déstabilisation commence.
« Je crois nécessaire d’établir des partenariats beaucoup plus étroits entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif des départements. J’appelle à la concertation, à l’harmonisation des pratiques, à la définition de procédures complémentaires autour d’un partenariat basé à la fois sur la confiance, le respect et l’acceptation des procédures des uns et des autres. »
b) La confusion de la procédure d’assistance éducative et de la procédure pénale
Si l’ASE se voit reprocher une saisine trop systématique de l’autorité judiciaire, celle-ci doit elle aussi faire face à des critiques concernant sa tendance à recourir aux procédures de l’assistance éducative à l’égard des mineurs délinquants.
En principe, les règles du code civil relatives à l’assistance éducative sont réservées aux mineurs en danger cependant que les mineurs délinquants doivent faire l’objet d’un accompagnement dans le cadre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
En pratique, il est fréquent que les juges des enfants recourent aux règles du code civil pour placer certains mineurs délinquants. Cette attitude n’est pas sans conséquence, dès lors que la quasi-totalité des mesures prises au titre de l’assistance éducative sont financées par les conseils généraux tandis que les mesures prises au titre de l’ordonnance de 1945 sont financées par le ministère de la justice.
*
L’aide sociale à l’enfance est une institution qui doit tenir un rôle déterminant dans la prévention de la délinquance. Mais, si le rôle préventif de la protection administrative est pollué par l’assistance éducative, elle-même polluée par des actions relevant de l’ordonnance de 1945, un glissement de la prévention primaire vers l’accompagnement des cas de délinquance est inévitable.
Pour que le rôle clef du département puisse s’affirmer, il est nécessaire que la confusion sur les actions de l’ASE soit dissipée.
II. UNE POLITIQUE DE LA VILLE DONT L’EFFICACITÉ RESTE À PROUVER
La politique de la ville est née du constat que les difficultés de la vie dans les quartiers pouvaient générer des travers sociaux dont la délinquance des mineurs était le paroxysme. A mesure que ces quartiers ont été frappés par le chômage, que l’habitat s’y est dégradé, que les services publics et les commerces y ont disparu, cette intuition s’est révélée juste. Peu à peu, la politique de la ville, qui rassemble tous les programmes et les acteurs dédiés à prévenir cette dégénérescence, s’est imposée à la fois en tant que méthode de diagnostic et en tant que thérapeutique.
Mais « qui trop embrasse mal étreint » dit le vieux proverbe. La prolifération d’outils redondants et la multiplication des objectifs divergents, voire contradictoires, mettent aujourd’hui à mal la politique de la ville, rendant sa gestion complexe voire inextricable, ses logiques illisibles, sa mise en oeuvre impossible. Catalogue pour certains, véritable « ping-pong » institutionnel pour d’autres, où les acteurs se renvoient les difficultés, la politique de la ville doit à présent se réformer pour faire la preuve, depuis longtemps attendue, de son efficacité.
A. UNE POLITIQUE DE LA VILLE DONT L’INCAPACITÉ À SE REFORMER EST DÉMONTRÉE
1. Historique de la politique de la ville
A la fin des années 1970, des mouvements violents en zones urbaines reléguées, sporadiques puis étendus, ont fait prendre conscience aux pouvoirs publics de l’utilité d’une politique ciblée sur les quartiers. En août 1976, est créé un fonds d’aménagement urbain (FAU) complété l’année suivante par le lancement d’opérations Habitat et Vie sociale (HVS) dans une cinquantaine de quartiers. Ces deux initiatives constituent les deux premières pierres de la politique de la ville.
Dès le début des années 1980, la politique de la ville va s’amplifiant, en investissant plusieurs secteurs jugés stratégiques : le développement social des quartiers, le principe de l’éducation prioritaire, la lutte contre la toxicomanie.
Les années 1982 et 1983 marquent deux étapes importantes avec les rapports Bonnemaison « Face à la délinquance ; prévention, répression, solidarité » et Dubedout « Ensemble refaire la ville ». L’accent est mis sur les possibilités d’actions qu’offrent les collectivités locales et l’impérieuse nécessité de faire coexister dans une même structure la réflexion et l’élaboration d’actions préventives et répressives comme réponse à la délinquance. Avec les conseils départementaux et communaux de prévention de la délinquance (CDPD-CCPD) les différents acteurs de lutte contre la délinquance décident de mettre leur expérience en commun.
La fin des années 1980 connaît les premières évaluations du développement social des quartiers (rapport Levy) et la relance de la politique de la ville via la création de nouvelles structures, le Conseil national des villes (CNV), le comité interministériel des villes (CIV) et la délégation interministérielle à la ville (DIV). En 1989, M. Michel Rocard, alors Premier ministre, signe la « circulaire du 22 mai » qui fixe les programmes d’action pour la ville. La politique n’est plus centrée sur la prévention de la délinquance mais aborde d’autres aspects et notamment l’intégration, avec la création d’un Haut Conseil dédié à ce thème. Pourtant, les aspects de violences urbaines reviennent rapidement au premier plan avec une circulaire sur la prévention de la délinquance et le rapport Cardo relatif aux « mouvements collectifs et la violence dans les villes ».
A partir de cette date et de la loi d’orientation sur la ville (LOV), la politique de la ville va osciller entre la prévention de la délinquance et une ambition plus vaste -insertion, respect des droits, aménagement urbain- pourtant non dénuée de lien avec la prévention.
Le Pacte de relance pour la ville en 1996 a reposé sur le raisonnement suivant : la quiétude sociale passe par le développement économique des quartiers ; or celui-ci n’est possible que si la sécurité y est assurée.
Si les dispositifs de dynamisation économique, notamment les zones franches urbaines, ont donné de bons résultats, la participation des quartiers reste dans l’impasse depuis vingt ans. Et, malgré les mises en garde, les défauts signalés de la politique de la ville, ceux-là même qui ruinent son efficacité, ne sont pas corrigés.
2. Des travers de plus en plus stigmatisés
a) Les alertes du rapport Sueur
Commandé en 1997 par Mme Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, à M. Jean-Pierre Sueur, maire d’Orléans, le rapport « Demain la ville » dresse une liste de difficultés et de dysfonctionnements.
Les problèmes de financement sont les premiers évoqués. La dépense de l’Etat est insuffisante, celle des départements très faible, voire inexistante, et celle des régions inégale. Dans ce contexte, l’effort consenti par les communes est d’autant plus important que les ressources de celles-ci sont inversement proportionnelles aux besoins. De surcroît, les circuits de financement sont complexes, notamment pour débloquer les fonds de l’Etat soumis à des procédures administratives véritablement hermétiques.
Le rapport Sueur souligne en outre la globalité virtuelle des contrats de ville -dont 40 % n’engagent qu’une commune- et relève « la superficialité des diagnostics », le « flou des procédures ». Il dénonce « la dérive du projet à la procédure », c’est-à-dire le gaspillage de temps et d’énergie en gestion de problèmes administratifs complexes.
Enfin, et cette remarque est applicable à l’ensemble de la politique de la ville, l’évaluation est pratiquée de manière « parcellaire et disparate ».
La tonalité de ce rapport n’est pourtant pas pessimiste et des pistes sont proposées pour pallier ces carences.
Mais, le dernier rapport de la Cour des comptes témoigne que les objectifs n’ont pas été atteints.
b) Le rapport [55] de la Cour des Comptes, véritable livre noir de la politique de la ville
La haute juridiction financière s’était déjà livrée à un diagnostic de la politique de la ville dans un rapport rendu public en 1995. Il y était déjà déploré le caractère incertain du chiffrage de l’effort de l’Etat, des irrégularités dans la gestion des crédits et « les difficultés que la procédure de contractualisation rencontrait pour déterminer les priorités et pour identifier les partenaires ».
Dans une étude exhaustive consacrée au fonctionnement de la politique de la ville et publiée en février 2002, la Cour des comptes constate la persistance des difficultés précédemment rencontrées.
Les objectifs de la politique de la ville sont « flous et mal formulés », tant au niveau national que local, entraînant l’éparpillement des actions et des moyens. Les priorités ne sont pas hiérarchisées, la réalisation de diagnostic est aléatoire, l’adéquation des moyens aux fins erratique.
La Cour des comptes constate en outre que les conditions nécessaires à la conduite des partenariats ne sont pas remplies.
Les procédures et accords contractuels sont « enchevêtrés », rendant l’ensemble peu intelligible y compris pour les parties prenantes à l’accord.
Le rapport de la Cour des comptes déplore que « le désir d’affichage (conduise) l’Etat à lancer des « campagnes » de négociations contractuelles qui ne peuvent pas être simultanément adaptées à toutes les réalités locales et qui encouragent la signature d’accords ne reposant pas sur les projets aboutis ».
Enfin, la Cour regrette que la clarté des financements ainsi que les évaluations dans leur ensemble restent insuffisantes.
B. LA PRÉVENTION « MAL AU COEUR » DE LA POLITIQUE DE LA VILLE
1. Une prolifération anarchique
a) L’élargissement des axes de travail
Traditionnellement, les axes des politiques de prévention se répartissent sur trois volets distincts.
Le premier est constitué des politiques de sécurisation des espaces, de prévention de la récidive et de lutte contre la toxicomanie. Le second volet, moins centré sur les publics « à risque », assure l’animation des quartiers. Le troisième cherche à favoriser l’insertion et l’accès à l’emploi des habitants des zones sensibles.
A ces domaines traditionnels ont été ajoutées au cours des dernières années de nouvelles thématiques.
La médiation sociale, qui figure parmi les axes du volet prévention-sécurité des contrats de ville, assure le développement de nouveaux modes de régulation des conflits de la vie quotidienne. Les initiatives en ce domaine sont nombreuses et s’appuient sur plus de 40.000 agents.
La citoyenneté constitue un autre nouvel axe qui prétend tourner résolument la prévention vers les jeunes des cités. Des opérations visant à réconcilier ces derniers avec la vie sociale du quartier et de la ville sont mises en oeuvre. La lutte contre les discriminations constitue un troisième axe indispensable pour combattre les frustrations et l’injustice que le racisme et la ségrégation génèrent chez les jeunes. Cette politique de prévention est conduite grâce à des moyens aussi nombreux que divers : campagnes d’information, services téléphoniques, personnels (adultes relais et délégués du Médiateur).
Enfin, le soutien à la parentalité est plus ancien mais connaît un regain de faveur dû à la mise en cause du délitement familial dans la délinquance. La circulaire relative à la préparation des contrats de ville inclut d’ailleurs la famille au titre des sept priorités identifiées. Cet axe concerne plus de 4.000 projets et 100.000 personnes. Le soutien aux parents et adultes dans leur responsabilité éducative mobilise à lui seul plus de 1.000 actions.
Les axes indiqués ne sont d’ailleurs pas exhaustifs puisque les thématiques recensées par la Cour des comptes comprennent également l’habitat, l’accès aux soins, les services publics, etc.
L’élargissement des axes de travail de la prévention correspond sans doute à un désir de mieux appréhender la réalité de la délinquance. Il manifeste aussi une tentation d’élargir à d’autres objectifs une politique créée pour prévenir la délinquance.
Cet élargissement donne cependant naissance à des axes difficiles à distinguer entre eux et est à l’origine d’une démultiplication des outils.
b) La multiplication des outils
La multiplication des outils qui servent les axes de travail de la politique de la ville est d’autant plus préoccupante que la plupart d’entre eux participent simultanément au service de l’ensemble des aspects de la prévention.
La circulaire du 28 octobre 1997 instituant les contrats locaux de sécurité précise que l’objet de ces derniers est « la mise en place d’une politique de sécurité privilégiant l’éducation à la citoyenneté comme axe de la prévention ».
L’élaboration d’un contrat local de sécurité s’appuie sur un partenariat associant les institutions concernées par un dysfonctionnement social ou urbain commun. Ces institutions sont nombreuses : Etat, police, justice, éducation nationale, centre d’action sociale, collectivités locales, bailleurs, associations, etc. L’objectif est de favoriser l’émergence d’un projet concerté. La circulaire instituant les contrats locaux de sécurité prévoit un dispositif d’évaluation comprenant un suivi, une concertation obligatoire avec les habitants et l’existence d’une cellule interministérielle d’animation.
L’élaboration des contrats de ville a été l’occasion d’intégrer des éléments de prévention dans le développement social urbain. Ce volet prévention est obligatoire dans le cadre des contrats de ville 2000-2006 qui ont pour objet affiché la tranquillité publique et la sécurité. Le travail mené dans le cadre des contrats de ville prévoit que les politiques de prévention doivent garantir la participation des habitants à l’élaboration du diagnostic et à l’évaluation, la rénovation des CCPD et prévoir que « les modes d’intervention seront renouvelés ». Les aspects traditionnels -soutien des parents, lutte contre la toxicomanie- seront renforcés et de nouvelles priorités développées, notamment la médiation.
Le programme Ville-Vie-Vacances vise à prévenir la délinquance et les incivilités des jeunes durant les vacances scolaires. Dernièrement, les opérations Ville-Vie-Vacances qui touchent 800.000 jeunes ont été complétées par un plan d’accueil des jeunes dans les communes touristiques (PAJECOT).
La police nationale et la gendarmerie conduisent chacune des opérations de prévention. Les brigades de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ) de la gendarmerie établissent des partenariats avec les organismes ayant en charge la protection de l’enfance et mènent des actions de prévention diverses à destination des jeunes : information des lycéens et collégiens sur le domaine pénal ou la toxicomanie, stage sport-gendarmerie jeunesse, animent des « rendez-vous annuels de la gendarmerie » pour les adolescents. Ils ont en outre une fonction de formation à l’égard des agents locaux de médiation sociale (ALMS).
Ces quatre dispositifs ne sont que des exemples symboliques de la myriade d’outils disponibles à des fins de prévention.
c) Le fourmillement des métiers de la ville
La mise en oeuvre de la politique de la ville repose pour partie sur les personnels des institutions participantes, magistrats, forces de police, personnel départemental, bénévoles associatifs et pour partie sur de nouveaux « corps de métiers » qui ont fait dernièrement leur apparition.
Le rapport Brevan-Picard sur les nouveaux métiers de la ville et la conclusion du groupe de travail interministériel présidé par M. Yvon Robert apportent un éclairage sur ces nouveaux venus.
Presque chaque instrument de la politique de la ville génère avec lui un nouveau métier au point qu’aujourd’hui certains estiment leur nombre à plus de soixante-dix. Dernièrement, quatre « corps de métiers » ont été particulièrement mis en avant par la politique de la ville :
- les agents locaux de médiation sociale (ALMS) sont des contractuels de droit privé recrutés pour cinq ans, dont les interventions répondent à des objectifs multiples : résolution des conflits par la médiation, présence humaine sur les lieux sensibles, préservation du cadre de vie, recréation du lien social, etc. Les fonctions occupées par les ALMS sont diverses et, malgré une logique globalement préventive, pas souvent bien définies ;
- les adjoints de sécurité sont âgés de 18 à 26 ans, recrutés par le ministère de l’intérieur pour une durée de cinq ans, et exercent leurs activités sous l’encadrement de policiers titulaires, le plus souvent des « îlotiers ». Le recrutement d’adjoints de sécurité prétend « adapter le recrutement policier aux réalités locales », « diversifier le portrait sociologique de la police nationale et favoriser le rapprochement entre police et population » ;
- les adultes relais ont été créés par le comité interministériel des villes du 14 décembre 1999 ; la circulaire du 26 avril 2000 leur a donné pour mission de « créer ou développer le lien social dans les quartiers par des actions de médiation sociale et culturelle, mener des actions de prévention, favoriser le lien familles-écoles et la prévention de la violence en milieu scolaire ». La mise en place de ce dispositif n’a pas connu le succès escompté puisque fin septembre 2001, on comptait 1.089 postes pourvus au lieu des 3.000 postes initialement prévus, obligeant les pouvoirs publics à assouplir les conditions juridiques entourant ce dispositif ;
- les équipes emplois-insertion (EEI) sont nées, à l’instar des adultes relais, au cours du conseil interministériel de la ville du 14 décembre 1999. La mission de ces équipes est à la fois d’assurer un appui de proximité aux chômeurs résidant dans les quartiers et d’assurer l’orientation vers les missions locales, les PAIO, l’ANPE, c’est-à-dire l’ensemble des structures favorisant l’insertion et l’emploi.
Les catégories définies par les métiers de la ville sont quelquefois arbitraires, tant leurs fonctions sont proches, notamment dans les métiers de l’animation. Les conditions de recrutement les différencient parfois, tel étant réservé au secteur associatif, tel autre ouvert aux administrations et aux établissements publics. Toutefois, cette distinction tend elle-même à disparaître rapidement quand l’échec d’une mesure implique son redéploiement. Les adultes relais réservés initialement aux associations ont été ouverts aux collectivités locales pour favoriser leur recrutement. Il finit par être difficile de savoir qui fait quoi !
Derrière ces catégories se tiennent de nombreux métiers (correspondants de nuit, femmes relais, aide-éducateurs et toutes les fonctions de coordination) situés pour la plupart dans la mouvance des emplois-jeunes. En fait, les titulaires de ces métiers ont en commun leur enthousiasme -qui n’est pas inusable- leur statut précaire, des rémunérations modestes, l’absence criante d’objectifs clairs et la carence de leur formation.
Ces métiers soulèvent en outre une interrogation. La prolifération de ces agents ne constitue-t-elle pas en réalité un traitement social du chômage dans les quartiers défavorisés en même temps qu’un risque de remplacement progressif des titulaires expérimentés plus efficaces mais mieux rémunérés et donc plus coûteux ?
En outre, la multiplication des métiers de médiation dans les cités fait resurgir le risque des « stigmatisations » des quartiers bénéficiaires de la politique de la ville qu’abordait déjà le rapport de M. Jean-Pierre Sueur.
A ce titre, la remarque d’un quotidien du soir [56], même si elle est sans doute un peu excessive, pointe un véritable écueil : « pour les habitants des cités sensibles, la multiplication des médiateurs, des personnes relais ne fait qu’exacerber l’impression qu’ils constituent une population à part, à laquelle on ne peut plus s’adresser que par des intermédiaires, comme des indiens dans leur réserve ».
2. « Catalogues » et « ping-pong », un système illisible et inefficace
Exemple non-exhaustif de la prolifération des axes, des outils et des acteurs
Axes prévention
Sécurité-toxicomanie
* Outils
- CLS
- GLTD (disparus)
- Contrats ville
* Acteurs
- BPDJ
- Police
- Justice
- Collectivités locales
- Etat
- HLM
- Transports
* Métiers
- ALMS
- Adjoint sécurité
- Correspondants de nuit
Animation
* Outils
- Contrat ville
- VVV
- BPDJ
- Ecole ouverte
- Classe de ville
* Acteurs
- Etat
- Collectivités locales
- Police
- Associations
- Education nationale
- HLM
* Métiers
- Animateurs
- Correspondants de nuit
Médiation sociale, Citoyenneté, Parentalité
*Outils
- GELD
- 114
- CODAC
- Maison Justice Droit
- Centres sociaux
- REAAP
- ENS
- Contrat ville
* Acteurs
- Etat
- Collectivités locales
- Justice
- Associations
- Education nationale
- FAS
- CNAR
* Métiers
- Animateurs
- Adultes relais
- ALMS
- Correspondants de nuit
Insertion Echec scolaire
*Outils
- Missions locales
- PAIO
- CAPS
- Contrats ville
*Acteurs
- Etat
- Collectivités locales
- Associations
- Education nationale
* Métiers
- ALMS
- EEI
- Adultes relais
a) Une source de chevauchement, de lacunes et de concurrence
La confusion entre les orientations et les objectifs de la politique de la ville rend le système à bien des égards inopérant. Les thématiques liées à la prévention reviennent d’un dispositif à l’autre, et figurent dans la plupart des contrats. Dans certains quartiers, on peut compter jusqu’à une dizaine de contrats aux finalités communes, sans pour autant que ceux-ci ne s’emboîtent correctement les uns dans les autres, ni qu’une coordination véritable ne soit assurée. Ainsi, les mêmes objectifs sont censés être atteints par des programmes divers rassemblant parfois les mêmes acteurs sur des territoires non homogènes.
La multiplication de contrats imparfaitement cohérents est lourde à porter. Elle suppose l’élaboration de diagnostics coûteux à réaliser et exige, après leur négociation, un pilotage et une évaluation fine pour porter des fruits. La Cour des comptes constate en plus que ce phénomène « concerne des territoires de taille souvent réduite dont le pivot central est fréquemment constitué par des communes dont les moyens administratifs, techniques et financiers ne sont pas à la mesure du dispositif à mettre en oeuvre ».
En l’absence de rationalisation, la production d’actions de prévention reste erratique, surabondante à certains endroits, trop limitée ailleurs. Le ciblage est incertain : si une grande partie des jeunes seront probablement touchés par un programme de prévention, le faible calibrage de ces derniers rend très aléatoire l’adéquation des réponses aux besoins. L’écueil du saupoudrage n’est souvent pas évité.
Dans le pire des cas, le défaut d’une coordination efficace entraîne la faille du système et « des méconnaissances dans la chaîne du traitement des mineurs délinquants tout en créant des processus d’évitement de la part des adolescents les plus difficiles » [57].
L’empilement des mesures n’évite pas par ailleurs une concurrence exacerbée dans la production de l’offre, engendrée par les modes de financement, mais également par des enjeux de pouvoir et de responsabilité entre les différents acteurs.
Dans ce magma, l’effort de simplification qui est parfois mené révèle rapidement ses limites et aboutit même à une surcomplexification. Le cas de l’activité contractuelle de l’Education nationale est, à cet égard, parlant. Le contrat éducatif local (CEL) avait pour objet de simplifier, en les rassemblant, un certain nombre d’expériences (contrat local d’accompagnement scolaire et contrat d’aménagement du temps libre, opération école ouverte, etc.). Malheureusement, ainsi que le souligne la Cour des comptes « les relations entre les démarches mises en oeuvre dans le cadre de l’éducation prioritaire et celles des CEL sont souvent lâches, ce qui a conduit à l’émergence du nouveau concept de " plan éducatif local " (PEL), qui vise à assurer l’existence d’un projet d’ensemble entre les actions éducatives et les activités extra et péri-scolaires. »
Et la Cour de confirmer :
« Ainsi la recherche d’une plus grande cohérence des procédures et des dispositifs conduit-elle à une complexification progressive de l’architecture contractuelle, malgré la volonté affichée de simplification ».
Il est souvent moins rentable de faire évoluer un dispositif existant vers une nouvelle mission que de créer une nouvelle structure quitte à laisser l’ancienne dépérir. Les objectifs de communication et les effets d’annonce entraînent l’empilement des dispositifs.
Cette regrettable vérité explique la stratification de mesures dans tous les compartiments de la politique de la ville. Ainsi, la juridiction financière note, à propos des contrats locaux de sécurité qu’ils « ont été créés sans que soit clairement précisée leur relation avec les CCPD, ce qui donne lieu, localement, à des situations variées et à une sédimentation de procédures successives, dont certaines sont « dormantes ». Lors de son audition par la commission, M. Christian Petit, chef du bureau de la police administrative-circulation routière à la sous-direction de la gendarmerie, a partagé ce constat : « On observe un certain nombre de carences, la principale tenant à un évident phénomène d’empilement des dispositifs, avec les CLS, les conseils communaux de prévention de la délinquance, les plans départementaux de sécurité, les plans locaux de sécurité, etc. Cela nuit à la fois à la lisibilité et à l’efficacité » [58].
Au total, l’illisibilité de la politique de la ville n’évite pas le risque « d’angles morts » dans le traitement des questions de délinquance, créant une diminution du contrôle social par la fragmentation des actions.
b) Un système qui épuise ses acteurs...
La multiplicité des programmes et des intervenants épuise les acteurs de la prévention de la délinquance. Ainsi que le note un rapport [59] « le partenariat de terrain s’épuise à des rencontres répétées que bien des intervenants finissent d’ailleurs par bouder et ces réunions se bornent souvent, à part la mise au point de quelques happenings spectaculaires et parfois illusoires, à une reconnaissance mutuelle qui montre souvent que, dans leur quotidien, bien des acteurs, en fait, ne se rencontrent pas ».
Ce rapport poursuit en notant que « ce type de réunion se borne parfois à n’être que des réunions de coordinateurs (contrats de ville, CLS, ZEP, REP, bassin de formation, etc.) se coordonnant, c’est-à-dire réaffirmant leur champ de responsabilité ». On comprend dès lors aisément le malaise de la chargée de coordination de la politique de la ville de Vaulx-en-Velin et sa lassitude, confiée à une délégation de la commission d’enquête : « je coordonne du vide ».
En outre, la complexité des procédures, les financements croisés, l’inapplication des engagements pluriannuels et les retards dans le versement des subventions fragilisent beaucoup d’acteurs, notamment dans le tissu associatif. Le financement non pérenne est la plupart du temps la règle obligeant chaque année les structures à « quêter » auprès des donneurs d’ordre potentiels. Le fonctionnement de l’antenne de justice de Bagneux, visitée par la commission, n’est pas assuré à six mois car le secrétariat et les travailleurs sociaux relèvent de ces financements. Malgré ses bons résultats, l’association « Les Quatre Cités » de Thonon-les-Bains, où s’est également rendue la commission d’enquête, doit sans cesse compter sur l’engagement exceptionnel de la mairie.
Cette négociation des crédits « épuise et bureaucratise » des acteurs dont beaucoup viennent du bénévolat. Le diagnostic est, là encore, alarmant puisque le rapport précité constate que la « politique de la ville censée rapprocher les citoyens contribue à les éloigner par lenteur et technocratie » insistant sur le fait que « le suivi de longue durée que nécessitent les actions de prévention est alors bien aléatoire ».
c) ...Et reste difficile à évaluer
L’évaluation reste une faiblesse incontestable de la politique de la ville.
Evoqué par le rapport Sueur, le souci de l’évaluation a donné lieu à de multiples déclarations d’intention. Dans sa circulaire du 31 décembre 1998, M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, qualifiait l’évaluation des contrats de ville de « primordiale ».
Or, cette évaluation n’est, aujourd’hui, que rarement réalisée de manière satisfaisante. La Cour des comptes rappelle que « pour évaluer une politique, il est nécessaire d’avoir défini des objectifs et de s’être donné les moyens de mesurer s’ils sont atteints. Aucune de ces deux conditions n’est actuellement remplie concernant la politique de la ville », et ce, malgré les différentes initiatives prises par la Délégation interministérielle à la ville (DIV).
Evaluer les actions de prévention
« Il me paraît indispensable que les élus aient connaissance du coût par jeune, par jour, par activité, pour pouvoir prendre les bonnes décisions.
« Voici un exemple en matière d’interprétation des chiffres. Prenons l’hypothèse d’une structure de quartier qui pourrait être une association sportive. Du lundi au samedi, elle accueille vingt mêmes jeunes qui participent à toutes les activités mises en place.
« Il y a trois façons de présenter le bilan : la version la plus honnête serait d’écrire : « Vingt mêmes jeunes ont participé à toutes les activités proposées du lundi au samedi ». Cette phrase indique que les jeunes en question sont en contact régulier avec la structure et qu’un vrai travail éducatif de fond est mis en place par l’équipe pédagogique.
« La deuxième version, plus brève, permet à la structure de se mettre en valeur : « On a touché 120 jeunes par semaine ». Cette présentation laisse entendre que vingt jeunes différents sont venus pendant six jours, soit un total de 120 jeunes sur une semaine. Mais ce n’est pas la réalité de terrain.
« Enfin, la troisième version se lirait ainsi : « Vingt jeunes issus de cinq familles ont participé à toutes les activités proposées du lundi au samedi ». Un responsable d’association m’a confié que, s’il présentait un tel bilan, l’association serait contrainte de fermer ses portes. Il existe des associations où la famille est présente au grand complet, du petit de six ans jusqu’au grand frère de quatorze ans. Mais, si l’association communique ces chiffres, la collectivité s’indigne : « Nous avons monté une structure de quartier avec des subventions allouées extraordinaires et vous êtes en train de nous dire qu’on touche cinq familles sur le quartier ! ».
« Si les audits recueillaient les vrais chiffres, les décisions prises seraient différentes. Les conseillers ou les agents qui sont chargés de collecter les chiffres n’ont pas l’expérience de terrain et le recul nécessaire pour être à même de faire le constat suivant : « Ce n’est pas vrai ; j’y suis tous les matins ; les gamins sont les mêmes ».
Extrait de l’audition de M. Guillaume Marignan, éducateur sportif
Dans un rapport sur le projet de loi de finances pour 2001, notre ancien collègue M. Alain Joyandet [60] parlait de « trop plein d’études et manque d’évaluation ». Les études sectorielles de qualité, mais trop nombreuses sur la politique de la ville gagneraient à être complétées d’une évaluation systématique, nationale et locale, du travail accompli.
*
* *
La politique de la ville reste l’outil indispensable de la prévention d’une délinquance juvénile qui se développe prioritairement dans les cités les moins favorisées.
Après plusieurs constats sévères sur son développement anarchique, l’urgence pour la politique de la ville est de retrouver de la cohérence -avec comme leitmotiv que « tout ne peut pas servir à tout »- et de se réorganiser autour de trois axes -la sécurisation des espaces, l’amélioration de l’environnement des quartiers, le développement de ces quartiers- ayant chacun leurs outils propres.
Cette restructuration passe avant tout par une simplification des objectifs, des méthodes (diagnostic, procédures, financements, évaluation) et des programmes. A ce titre, la commission plaide pour un allégement des procédures contractuelles qui sont devenues dernièrement, dans beaucoup de domaines, des fins en soi.
« Moins de coordination, mieux de coordination » : au-delà du slogan, il est nécessaire de privilégier, autour d’opérations concrètes, des modes de contractualisation allégés qui permettent l’implication de tous et notamment des habitants des quartiers car in fine, la politique de la ville réussira lorsqu’elle sera devenue, de manière incontestée, la propriété de ces derniers.
CHAPITRE 4 UNE JUSTICE DES MINEURS INCOMPRÉHENSIBLE POUR LES MINEURS
« Il nous faut sortir du faux dilemme, du faux débat entre prévention et répression dans lequel, depuis quarante ans, on a enfermé la réflexion sur la délinquance dans notre pays. Il faut réhabiliter la sanction d’un point de vue éducatif, et je rangerai la sanction du côté de la prévention.
« Sortons de ce faux débat qui nous a conduits à avoir un corps, celui des éducateurs, voulant éduquer sans sanctionner et un autre corps qui aurait la prétention de sanctionner sans éduquer. »
Jean-Marie Petitclerc [61]
La justice des mineurs en France n’est pas particulièrement laxiste. Elle est erratique.
Son fonctionnement est tel qu’un mineur peut s’enfoncer dans la délinquance malgré de multiples « réponses » de la justice, parce que ces réponses ne sont pas claires, pas progressives, pas mises en oeuvre... Lorsqu’une peine d’emprisonnement ferme est prononcée, elle suscite incrédulité et révolte chez beaucoup, qui ne croyaient plus cette sanction possible. Il est peu de dire que la justice des mineurs doit profondément évoluer.
I. L’ORDONNANCE DE 1945 : TOTEM ET TABOU
L’ordonnance du 2 février 1945 concentre sur elle depuis plusieurs mois tous les anathèmes ou toutes les louanges.
Pour les uns, ce texte est devenu totalement obsolète dans un contexte radicalement différent de ce qu’il était en 1945. Ceux-là sont nommés par les autres les répressifs.
Pour les autres précisément, l’ordonnance a tout prévu et ne saurait être modifiée. Ceux-là sont nommés par les précédents les angéliques.
Les uns et les autres ont-ils lu ce texte ?
A. L’ÉVOLUTION DU DROIT APPLICABLE AUX MINEURS
Avant d’évoquer le texte qui régit aujourd’hui la justice des mineurs, un bref rappel historique peut faciliter la compréhension de certains débats actuels sur la justice des mineurs.
- En droit romain, s’il n’existait pas de droit spécifique des mineurs, ceux-ci pouvaient néanmoins bénéficier d’atténuations de peines. Jusqu’à l’âge de sept ans, l’enfant était dans un statut d’incapacité et d’irresponsabilité absolue.
- L’ancien régime a, pour l’essentiel, conservé ces principes. Une ordonnance de 1268 prévoit pour les enfants un régime dans lequel les châtiments corporels tiennent une place essentielle. La protection particulière des mineurs peut disparaître en fonction des circonstances du crime, conformément à l’adage « malatia supplet aetatem » (la méchanceté prend le pas sur l’âge).
- Le code criminel de 1791 introduit la notion de discernement en prévoyant que tout mineur de 16 ans bénéficie d’une présomption de non discernement laissée au libre arbitre du juge. Ces principes ont été repris par le code pénal de 1810.
- Les lois du 25 juin 1824 et du 28 avril 1842 marquent un premier pas vers la spécialisation des juridictions pour mineurs en prévoyant une compétence du tribunal correctionnel pour les mineurs même en cas de crime, à condition que celui-ci ne soit pas trop grave.
- La loi du 19 avril 1898 constitue une étape importante dans l’élaboration d’un régime spécifique pour les mineurs. Cette loi, relative à la répression des violences à enfant, fut en effet amendée à l’initiative du sénateur René Baranger, afin que l’enfant délinquant puisse être protégé au même titre que l’enfant victime de violences.
- La loi du 12 avril 1906 a reporté la majorité pénale de 16 à 18 ans.
- Enfin, la loi du 22 juillet 1912 opère une évolution décisive dans l’élaboration du droit actuellement applicable aux mineurs. Elle a en effet prévu la création de tribunaux pour enfants et a instauré la mesure de liberté surveillée, permettant au juge de suivre le mineur au sein de sa famille.
- Un nouveau texte est adopté le 27 juillet 1942, qui prévoit notamment la création de centres d’observation, mais ses dispositions ne seront, pour l’essentiel, jamais mises en oeuvre.
B. MODERNITÉ DES PRINCIPES DE L’ORDONNANCE DE 1945
« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. La guerre et les bouleversements d’ordre matériel et moral qu’elle a provoqué ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente ».
Ainsi débute l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, qui marque une évolution profonde des réponses apportées à la délinquance juvénile.
Le texte repose sur trois principes essentiels qui n’ont jamais été remis en cause par la suite : la primauté de l’éducation sur la répression, la spécialisation des juridictions, l’excuse atténuante de minorité.
1. La primauté de l’éducation sur la répression
Dès son article 2, l’ordonnance de 1945 énonce que « le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs prononcent, suivant les cas, les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation qui semblent appropriées.
« Ils pourront cependant, lorsque les circonstances et la personnalité du délinquant leur paraîtront l’exiger, prononcer à l’égard du mineur âgé de plus de treize ans, une condamnation pénale (...).
« Le tribunal pour enfants ne peut prononcer une peine d’emprisonnement, avec ou sans sursis, qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette peine ».
2. La spécialisation des juridictions
La loi du 22 juillet 1912 avait créé le tribunal pour enfants. L’ordonnance du 2 février 1945 a été plus loin en instituant le juge des enfants.
Ainsi, les mineurs relèvent de juridictions spécialisées pour toutes les infractions, à l’exception des contraventions des quatre premières classes, qui sont renvoyées au tribunal de police.
Par dérogation au principe de la séparation des fonctions d’instruction et des fonctions de jugement, le juge des enfants peut juger une affaire qu’il a instruite. Le juge des enfants exerce également les fonctions de juge de l’application des peines sauf lorsque les mineurs sont incarcérés.
Le code de l’organisation judiciaire prévoit également qu’au sein de chaque tribunal de grande instance dans le ressort duquel le tribunal pour enfants a son siège, un ou plusieurs juges d’instruction et un ou plusieurs magistrats du parquet sont chargés spécialement des affaires concernant les mineurs.
Le juge des enfants peut statuer en audience de cabinet en matière de contraventions de la cinquième classe et de délits. Au cours de ces audiences, il ne peut prononcer de sanction pénale (emprisonnement, amende, travail d’intérêt général).
Le tribunal pour enfants, composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs non-professionnels, statue également sur les contraventions de la cinquième classe et les délits. Le juge des enfants décide en effet si une affaire doit être jugée en cabinet ou devant le tribunal. Le tribunal pour enfants est également compétent en matière de crimes commis par les moins de seize ans et pour les délits qui ont fait l’objet d’une instruction (les affaires complexes peuvent être renvoyées par le procureur à un juge d’instruction plutôt qu’à un juge des enfants).
La cour d’assises des mineurs est compétente à l’égard des mineurs de 16 à 18 ans accusés de crime.
3. L’excuse atténuante de minorité
En vertu des articles 20-2 et 20-3 de l’ordonnance du 2 février 1945, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs ne peuvent prononcer une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue par un majeur pour l’infraction concernée ou à vingt ans de réclusion si la peine fixée est la réclusion à perpétuité.
Les mêmes juridictions ne peuvent prononcer une peine d’amende d’un montant supérieur à la moitié de l’amende encourue ou excédant 7.500 €.
Ce principe connaît cependant une exception. Si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs peuvent, à titre exceptionnel, et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur, décider qu’il n’y a pas lieu de faire application de la réduction de peine.
Au terme de ses travaux, la commission d’enquête considère que ces principes demeurent d’actualité et méritent d’être conservés.
C. DE NOMBREUSES MODIFICATIONS AU FIL DU TEMPS
Si les principes précédemment énumérés n’ont jamais été remis en cause, l’ordonnance du 2 février 1945 a subi de très nombreuses modifications depuis sa promulgation :
- la loi du 24 mai 1951 a notamment instauré la cour d’assises des mineurs et a prévu la possibilité d’adjoindre une mesure de liberté surveillée à une peine ;
- l’ordonnance du 23 décembre 1958 a étendu les pouvoirs du juge des enfants aux mineurs en danger en créant les règles relatives à l’assistance éducative ;
- la loi du 17 juillet 1970 a limité à dix jours la détention provisoire des mineurs de moins de seize ans ayant commis un délit ;
- la loi du 10 juin 1983 a étendu la peine de travail d’intérêt général aux mineurs âgés de 16 à 18 ans ;
- la loi du 30 décembre 1985 a prévu l’obligation de demander à un service éducatif de formuler des propositions alternatives dans tous les cas où un placement en détention était demandé à l’égard d’un mineur ;
- la loi du 30 décembre 1987 a interdit le placement en détention provisoire des mineurs de moins de seize ans en matière correctionnelle ;
- la loi du 6 juillet 1989 a limité la durée de la détention provisoire pour les mineurs et a supprimé la possibilité de placer en maison d’arrêt les mineurs en cas d’incident à la liberté surveillée ;
- la loi du 4 janvier 1993 a donné naissance à la mesure de réparation à l’égard de la victime ou dans l’intérêt de la collectivité ; elle a prévu l’assistance par un avocat de tout mineur poursuivi et a interdit le placement en garde à vue des mineurs de treize ans [62] ;
- la loi du 24 août 1993 a rétabli la possibilité de placer en garde à vue les mineurs de treize ans pour des infractions graves (cette disposition a été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel) ;
- la loi du 1er février 1994 a prévu une possibilité de retenir pendant une période de dix heures (renouvelable une fois) les mineurs de dix à treize ans soupçonnés d’avoir commis un crime ou un délit puni d’au moins sept ans d’emprisonnement ;
- la loi du 8 février 1995 a créé la procédure de convocation par officier de police judiciaire devant le juge des enfants aux fins de mise en examen, afin d’accélérer les procédures ;
- la loi du 1er juillet 1996 a prévu une convocation par officier de police judiciaire devant le juge des enfants aux fins de jugement ; elle a en outre créé la procédure de comparution à délai rapproché, destinée à permettre la comparution d’un mineur devant le tribunal pour enfants dans le délai d’un à trois mois après l’infraction ;
- la loi du 19 décembre 1997 a prévu la possibilité de placer les mineurs sous surveillance électronique ;
- la loi du 17 juin 1998 a redéfini la liste des peines complémentaires ne pouvant être prononcées à l’encontre des mineurs ;
- la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a transféré du juge des enfants au juge des libertés et de la détention le pouvoir de placer les mineurs en détention provisoire ;
- la loi du 30 décembre 2000 a permis au juge des libertés et de la détention de prononcer des mesures éducatives lorsqu’il refuse un placement en détention provisoire.
Ainsi, peu d’articles de l’ordonnance de 1945 telle qu’elle existe aujourd’hui sont véritablement « d’origine ».
Il convient également de rappeler qu’en 1990, lors de l’élaboration du nouveau code pénal, le Gouvernement avait élaboré un avant-projet de loi refondant complètement le droit applicable aux mineurs et abrogeant purement et simplement l’ordonnance de 1945. Ce texte n’a jamais été déposé sur le Bureau des assemblées.
La sacralisation récente de l’ordonnance de 1945 est donc difficile à expliquer.
D. LES « OUTILS » OFFERTS PAR L’ORDONNANCE DE 1945
L’ordonnance de 1945 permet au juge des enfants ou au tribunal pour enfants de prendre diverses mesures à l’égard des mineurs, même très jeunes, dont certaines sont qualifiées d’éducatives cependant que les autres sont proprement pénales.
1. Responsabilité pénale et discernement
L’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 évoque un « régime d’irresponsabilité pénale » pour l’ensemble des mineurs, susceptible de dérogations exceptionnelles s’agissant des mineurs de plus de treize ans.
Aussi, pendant longtemps, a prévalu l’interprétation selon laquelle les mineurs de treize ans étaient totalement irresponsables.
En réalité, l’ordonnance de 1945 précise seulement que les mineurs de treize ans ne peuvent se voir appliquer une peine (amende, travail d’intérêt général, emprisonnement...).
En revanche, tout enfant peut théoriquement être déféré devant le tribunal pour enfants et reconnu coupable d’une infraction. La Cour de cassation a précisé que l’enfant devait avoir un discernement suffisant pour faire l’objet de poursuites.
2. Les mesures provisoires
En cours de procédure, le juge des enfants peut ordonner des mesures d’investigation destinées à le renseigner sur la situation du mineur et son environnement. L’article 8 de l’ordonnance prévoit que le juge des enfants « recueillera, par une enquête sociale, des renseignements sur la situation matérielle et morale de la famille, sur le caractère et les antécédents du mineur, sur sa fréquentation scolaire, son attitude à l’école, sur les conditions dans lesquelles il a vécu ou a été élevé ».
Le juge peut également ordonner un placement provisoire du mineur, qui peut être confié à une personne digne de confiance, à un centre d’accueil, à une section d’accueil d’une institution publique ou privée habilitée à cet effet, au service de l’aide sociale à l’enfance ou à un établissement hospitalier, à un établissement ou à une institution d’éducation, de formation professionnelle ou de soins, de l’Etat ou d’une administration publique habilitée.
Le juge des enfants peut ordonner un contrôle judiciaire dans les mêmes conditions que pour les majeurs. En revanche, le placement en détention provisoire est très strictement encadré. S’il est possible pour les mineurs de 16 à 18 ans, il est interdit pour les mineurs de treize à seize ans sauf en matière criminelle. Il est totalement exclu pour les mineurs de moins de treize ans.
Durée maximale de la détention provisoire en fonction de l’âge du mineur
Délit pour les moins de 16 ans : Détention provisoire impossible
Délit pour les 16 ans au moins
- un mois + une prolongation d’un mois si la peine encourue n’excède pas 7 ans d’emprisonnement
- un an (prolongation comprise) dans les autres cas
Crime pour les 13 - 16 ans : 6 mois + 6 mois de prolongation
Crime pour les 16 ans au moins : deux ans (prolongation comprise)
Enfin, le mineur peut être placé sous le régime de la liberté surveillée, c’est-à-dire faire l’objet d’un accompagnement éducatif, soit dans son milieu familial soit dans le cadre d’un placement. Un délégué à la liberté surveillée est appelé à suivre le mineur et à rendre compte au juge des enfants des difficultés qu’il rencontre.
Cette mesure peut être ordonnée au cours de la procédure, mais également lors du jugement, que celui-ci intervienne en audience de cabinet ou en audience du tribunal pour enfants. La mesure de liberté surveillée peut être ordonnée pour une période allant jusqu’à la majorité du mineur.
Une mesure de réparation peut être ordonnée à tout moment de la procédure, soit en cours d’instruction soit lors du jugement.
3. Le jugement par le juge des enfants
Lorsqu’il décide de juger un mineur dans son cabinet, le juge des enfants ne peut prononcer que des mesures éducatives. Il peut :
- soit relaxer le mineur s’il estime que l’infraction n’est pas établie ;
- soit, après avoir déclaré le mineur coupable, le dispenser de toute autre mesure s’il apparaît que son reclassement est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé, et en prescrivant, le cas échéant, que cette décision ne sera pas mentionnée au casier judiciaire ;
- soit l’admonester ;
- soit le remettre à ses parents, à son tuteur, à la personne qui en avait la garde ou à une personne digne de confiance ;
- soit prononcer, à titre principal, sa mise sous protection judiciaire pour une durée n’excédant pas cinq années. La mise sous protection judiciaire, instaurée par une loi du 11 juillet 1975, permet un suivi du mineur dans la durée, éventuellement au-delà de l’âge de la majorité ;
- soit prononcer une mesure de placement.
Le juge des enfants peut également ordonner une mesure de réparation et prescrire le placement du mineur sous le régime de la liberté surveillée.
4. Le jugement par le tribunal pour enfants
Lorsqu’un mineur est jugé par le tribunal pour enfants, soit que le juge des enfants l’ait décidé, soit que l’affaire soit criminelle, soit qu’un juge d’instruction ait été saisi, celui-ci peut prononcer des mesures de remise à parents, de placement, de liberté surveillée ou de mise sous protection judiciaire. Il peut ordonner une mesure de réparation.
Il peut en outre prononcer une condamnation pénale et prononcer des peines d’amende, de travail d’intérêt général, d’emprisonnement avec sursis, avec sursis avec mise à l’épreuve ou ferme.
E. DES DISPOSITIONS PERFECTIBLES
Les travaux de la commission d’enquête lui ont permis de constater que, si les principes de l’ordonnance de 1945 méritent d’être conservés, le texte comporte néanmoins des faiblesses qui ne sont pas anodines.
1. L’opposition mesures éducatives-peines
Si chacun s’accorde à reconnaître que la priorité des priorités s’agissant des mineurs est le travail d’éducation ou de rééducation, la manière dont l’ordonnance de 1945 pose les mesures éducatives et les sanctions pénales comme alternatives est pour le moins singulière. Comme l’a souligné Mme Françoise Dupuis, présidente du tribunal pour enfants de Valenciennes lors du déplacement de la commission dans cette ville, l’ordonnance interdit formellement tout cumul entre une mesure éducative et une peine (article 19), ce qui paraît fort peu pédagogique.
A titre d’exemple, si un juge des enfants place à titre provisoire un mineur délinquant dans un foyer et souhaite ensuite prononcer une peine pour marquer la gravité de l’acte et faciliter la réhabilitation du mineur, le placement prendra immédiatement fin, même s’il était particulièrement bénéfique pour le mineur [63].
Une telle rigidité paraît particulièrement inadaptée s’agissant de mineurs.
De plus, cette opposition rigide a perdu beaucoup de sa pertinence avec les modifications progressives de l’ordonnance. Ainsi, le travail d’intérêt général, lorsqu’il a été étendu aux mineurs, a été classé parmi les sanctions pénales, cependant que la mesure de réparation est classée parmi les mesures éducatives.
Un travail d’intérêt général ne peut-il donc avoir aucune dimension éducative ? Une mesure de réparation ne peut-elle en aucun cas comporter une dimension de punition ?
Comme l’a souligné M. Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé, devant la commission « Il faut réhabiliter la sanction d’un point de vue éducatif, et je rangerai la sanction du côté de la prévention. Sortons de ce faux débat qui nous a conduits à avoir un corps, celui des éducateurs, voulant éduquer sans sanctionner, et un autre corps qui aurait la prétention de sanctionner sans éduquer ».
2. L’insuffisance des mesures pouvant être prononcées à l’égard des mineurs de moins de seize ans
a) Les mineurs de moins de treize ans
Actuellement, les mineurs de moins de treize ans ne peuvent être ni condamnés à une peine ni faire l’objet d’un placement en détention provisoire.
L’article 15 de l’ordonnance de 1945 précise que le tribunal pour enfants peut seulement prononcer une remise à parents ou un placement. Or, de plus en plus, certains mineurs entrent dans la délinquance avant l’âge de treize ans et s’y enfoncent faute de réponse adaptée.
Le père Guy Gilbert a évoqué cette situation devant la commission d’enquête : « Ecoutez l’histoire de Yann, douze ans et trois mois, qui m’a été confié par le juge des enfants de Lille. Dix fois, le juge a demandé au petit chéri de venir. Il n’a pas voulu. Nous sommes en démocratie. A douze ans et trois mois, on fait ce qu’on veut.
« Enfin, avec sa mère et son frère, il arrive avec son paquetage, prêt à partir. Il me tient de grands discours (...). J’ai fini par lui dire « (...) Tu as commis je ne sais combien de cambriolages. Tu vas avec des mecs de seize ans qui profitent de toi. C’est toi qui faisais le guet et qui portais les sacs de cinquante kilos et tu es impuni ». Vous ne savez pas ce que m’a répondu le môme, un juriste distingué ? Il m’a dit : « Moi, Monsieur, j’ai neuf mois à tirer ». Cela signifie qu’à douze ans et trois mois il peut vivre dans l’impunité totale ».
Il paraît souhaitable d’élargir la gamme des mesures applicables aux enfants de moins de treize ans. Ainsi l’ordonnance de 1945 ne prévoit pas explicitement que la mesure de réparation leur soit appliquée, même si elle ne l’interdit pas. Il conviendrait de le préciser, afin que la mesure soit plus fréquemment ordonnée à l’égard de ces mineurs. On pourrait également concevoir une mesure d’éloignement de brève durée, qui ne serait pas un placement, mais une sanction éducative destinée à effectuer un travail sur le comportement du mineur. Il devrait également être possible de confisquer les objets qui ont servi à commettre l’infraction.
b) Les mineurs âgés de treize à seize ans
Les mineurs dont l’âge est compris entre treize et seize ans peuvent faire l’objet de condamnations, mais il est très difficile d’exercer sur eux une contrainte pendant le déroulement de la procédure judiciaire.
S’ils refusent de se soumettre aux mesures ordonnées par le juge, aucune réaction n’est possible. Théoriquement, le juge peut ordonner un placement sous contrôle judiciaire, mais le placement en détention provisoire n’est pas possible sauf en matière criminelle depuis la loi du 30 décembre 1987. Ainsi, si le mineur se soustrait aux obligations du contrôle judiciaire, aucune sanction n’est possible.
M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, a évoqué cette difficulté devant la commission d’enquête et a proposé de revenir sur cette impossibilité du placement en détention provisoire : « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, le temps où le juge des enfants pouvait dire au jeune : « Je te mets la pression, si tu ne fais pas cela, je t’incarcère ». Pour ma part, je vous propose de revenir à ce dispositif en plaçant le délinquant sous contrôle judiciaire et en lui faisant comprendre que c’est un ordre du juge, un ordre de la République. »
La commission d’enquête souscrit à cette proposition, qui consiste non pas à rétablir la détention provisoire pour les mineurs de treize à seize ans, mais à permettre celle-ci dans le seul cas où les obligations d’un contrôle judiciaire sont violées par le mineur.
Une telle mesure pourrait permettre au juge de placer un mineur de treize à seize ans dans un centre d’éducation renforcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La fugue du mineur ou ses écarts de comportement pourraient alors justifier une incarcération.
Aujourd’hui, « un jeune placé en foyer qui veut pouvoir rentrer chez lui le soir n’a qu’à gifler le chef de service de ce foyer pour obtenir aussitôt la décision de justice qui lui permettra de rentrer chez lui. (...) Celui qui ne respecte pas le contrat se retrouve - apparemment, parce qu’en réalité il s’enfonce - dans une situation préférable à celle du jeune qui respecte le contrat » [64].
Une telle situation ne doit plus être possible.
3. Rigidités et mesures obsolètes
L’ordonnance de 1945 contient des dispositions qui, dans certaines circonstances, peuvent s’avérer excessivement rigides :
- elle prévoit qu’en matière de crime, les mineurs de moins de seize ans sont jugés par le tribunal pour enfants et les mineurs de plus de seize ans par la cour d’assises des mineurs. Ainsi, lorsqu’un même mineur commet des crimes, notamment sexuels, avant et après l’âge de seize ans, éventuellement sur la même victime, deux procès doivent être organisés devant deux juridictions différentes, avec toutes les conséquences que cela implique pour les victimes ; une simplification paraît s’imposer ;
- l’article 27 de l’ordonnance prévoit que les mesures ordonnées à l’égard d’un mineur peuvent être révisées à tout moment. Toutefois, le mineur ou sa famille ne peuvent demander la levée d’un placement que lorsqu’une année s’est écoulée depuis la décision. Un tel régime peut paraître excessivement rigoureux ;
- par ailleurs, les dispositions relatives à la mesure de liberté surveillée sont, pour certaines d’entre elles, totalement tombées en désuétude. Ainsi, les mesures de liberté surveillée peuvent théoriquement être confiées à des délégués bénévoles à la liberté surveillée. En pratique, ces mesures sont depuis bien longtemps confiées exclusivement à la protection judiciaire de la jeunesse.
En outre, le texte prévoit qu’en cas de défaut de surveillance caractérisé des parents ou d’entrave à la mission du délégué à la liberté surveillée, le juge peut les condamner à une amende civile de... 10 à 500 francs (1,52 à 76,2 euros) ;
- en revanche, rien n’est prévu à l’égard des parents qui ne comparaissent pas devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants. En 1998, Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck, dans leur rapport sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, avaient proposé l’instauration d’une amende civile dont l’existence aurait été portée à la connaissance des parents dans les convocations, mais cette proposition n’a pas jusqu’à présent été retenue.
II. LA CHAÎNE PÉNALE ET SES DÉRAILLEMENTS
Les déplacements de la commission d’enquête, ses nombreuses auditions lui ont permis de constater que le traitement de la délinquance des mineurs souffrait d’une insuffisance de moyens, mais aussi d’incohérences préjudiciables à son efficacité.
A. LA POLICE ET LA GENDARMERIE : UN RÔLE ESSENTIEL
Police et gendarmerie sont en première ligne face à la délinquance des mineurs. Ces institutions ont développé, comme on l’a vu précédemment, de très nombreuses actions préventives en direction des jeunes, marquées notamment par des partenariats avec plusieurs institutions telles que l’Education nationale.
L’action répressive de la police et de la gendarmerie se heurte à certaines difficultés encore très imparfaitement résolues.
1. Des taux d’élucidation qui restent faibles
La faiblesse des taux d’élucidation des infractions joue un rôle important dans l’insécurité en donnant le sentiment que les délinquants échappent aux recherches et en décourageant les citoyens de porter plainte.
Le taux moyen d’élucidation s’est établi à 26,8 % en 2000 et est en baisse constante ces dernières années puisqu’il était de 36,8 % en 1991, 30,20 % en 1996, 28,63 % en 1998 et 27,63 % en 1999.
En pratique, ce taux moyen cache de profondes disparités entre les infractions. Ainsi, 78,2 % des homicides sont élucidés, mais 8 % seulement des cambriolages d’habitations principales et 5,2 % des vols à la roulotte.
Dans ces conditions, la faiblesse des taux d’élucidation concerne surtout certaines infractions de faible ou moyenne gravité dans lesquelles sont précisément impliqués de nombreux mineurs.
Encore convient-il de préciser que les statistiques officielles de la police et de la gendarmerie considèrent un acte comme élucidé si au moins un des auteurs a été trouvé.
Ces données doivent être rapprochées des enquêtes de délinquance auto-rapportée conduites par M. Sébastien Roché, qui montrent que « Pour les délits peu graves, environ 10 % des auteurs ont été confrontés à un policier à la suite de la réalisation et 2 % ont été présentés à un magistrat. Concernant les vols avec violence, le pourcentage augmente puisqu’il est de 15 % dans le premier cas et de 5 % dans le second. Il reste donc entre 80 % et 85 % des jeunes qui jamais, au cours de leur vie, n’ont été confrontés à l’autorité du système pénal » [65].
2. Une spécialisation insuffisante
Plusieurs personnes entendues par la commission d’enquête ont souhaité un renforcement de la spécialisation des forces de sécurité à l’égard des mineurs en faisant allusion aux brigades des mineurs de la police nationale [66].
Ainsi, M. Alain Bruel [67], ancien président du tribunal pour enfants de Paris, s’est exprimé en ces termes :
« Dans le domaine des investigations, il est certain que la délinquance de groupe et le développement de trafics très « capillarisés » dans lesquels sont impliqués souvent des adultes posent de sérieux problèmes aux enquêteurs quand ils doivent identifier précisément les auteurs et établir les participations respectives. Toute faille dans ce domaine devient pour ceux qui en bénéficient source d’impunité et pour les autres la cause d’un sentiment profond d’injustice (...).
« Or, nous manquons cruellement d’une police judiciaire spécialisée dans les affaires de mineurs, capable de procéder à des recherches approfondies. Les brigades des mineurs qui, voici une trentaine d’années s’acquittaient de ce travail en étroite collaboration avec les magistrats se sont peu à peu repliées, faute d’effectifs, sur leurs tâches de protection des mineurs victimes, et ne trouvent aucune aide chez leurs collègues de la police judiciaire. »
En pratique, pareil jugement mérite d’être nuancé. Un réinvestissement des brigades des mineurs dans le traitement de la délinquance a été entamé au cours des dernières années, à la suite du rapport de Mme Christine Lazerges et de M. Jean-Pierre Balduyck sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs.
M. Philippe Lutz [68], commissaire principal à Noisy le Grand a longuement évoqué cette évolution devant la commission d’enquête : « La délinquance des mineurs n’était pas traitée, parce que les familles n’étaient pas identifiées et que les officiers chargés de ces affaires changeaient quasiment en permanence. Le phénomène n’était par conséquent pas véritablement connu.
« Nous avons donc décidé, en septembre 1998, de créer une brigade des mineurs renforcée, formée de sept personnes -deux officiers, quatre gardiens de la paix et un adjoint de sécurité- ayant une compétence totale sur la problématique des mineurs, à la fois auteurs et victimes, et s’attachant à mettre en place des partenariats relativement novateurs avec l’aide sociale à l’enfance et la PJJ ».
Progressivement, cette extension des missions des brigades des mineurs a été généralisée. Selon les propos de M. Christian Decharrière, directeur central de la sécurité publique, devant la commission d’enquête, on dénombre désormais 109 brigades des mineurs à compétence élargie dans les 462 circonscriptions de sécurité publique. Ainsi, nombre de circonscriptions demeurent dépourvues de telles brigades, même s’il convient de tenir compte du fait que, dans les départements de la couronne parisienne, la compétence des brigades des mineurs dépasse le cadre des circonscriptions.
Dans les autres circonscriptions, il semble que certains personnels, au sein des services d’investigation et de recherche, soient plus spécialisés en matière de traitement des problèmes relatifs aux mineurs.
Le développement des brigades des mineurs à compétence élargie mérite d’être généralisé, à condition que des moyens suffisants leur soient alloués pour traiter à la fois des mineurs victimes et des mineurs délinquants.
3. La répartition des forces de sécurité sur le territoire
La question de la répartition des forces de sécurité sur le territoire dépasse largement le cadre des travaux de la commission d’enquête. Elle a cependant été évoquée à plusieurs reprises au cours de ses travaux comme une difficulté importante dans le traitement de la délinquance, notamment de celle des mineurs.
Plusieurs interlocuteurs de la commission d’enquête ont souligné que les dernières années avaient été marquées par un certain déplacement de la délinquance des zones urbaines vers les zones périurbaines. Ainsi, M. Christophe Métais, chef du bureau de police judiciaire à la sous-direction de l’emploi de la gendarmerie a constaté « une extension de la zone périurbaine, qui est une zone de compétence de la gendarmerie. En moins de dix ans, cette population a augmenté d’un million d’habitants environ. La population de la zone de la police nationale s’est déplacée vers la zone de la gendarmerie. L’augmentation des forces de sécurité dans la zone de la police nationale, qu’il s’agisse de la police d’Etat, de la police municipale ou des emplois-jeunes, entraîne de facto un déplacement de la délinquance vers la zone périurbaine de la gendarmerie ».
De fait, en 2001, la délinquance des mineurs a augmenté de 9,69 % en zone de gendarmerie, la progression étant encore de 5,34 % pour le premier trimestre 2002 par rapport au premier trimestre 2001.
En 1998, un rapport de notre excellent collègue M. Jean-Jacques Hyest et de notre regretté collègue M. Roland Carraz, avait mis en évidence le déséquilibre de la répartition des forces de police et de gendarmerie sur le territoire et préconisé un redéploiement.
Après l’annonce d’un tel redéploiement territorial lors du Conseil de sécurité intérieure de 1998, ce projet a été abandonné en 1999 au profit d’initiatives ponctuelles.
M. Alain Bauer a dénoncé vigoureusement ce statu quo devant la commission d’enquête : « La France compte environ 460 circonscriptions de sécurité publique et 100 agglomérations. Sa carte judiciaire date, pour les pessimistes du XIIIème siècle et, pour les optimistes, du XVIIIème siècle. On cherche vainement de la cohérence. Rien n’est mutualisé. On trouve tout le monde au même endroit à la même heure, ou bien personne. On ne travaille pas en mettant en commun ses propres moyens. La police illustre ce phénomène. Je suis de ceux qui pensent qu’il y a largement assez de policiers en France. Ils sont simplement très mal répartis et particulièrement mal spécialisés ».
Sans intervenir sur une question qui dépasse le cadre des travaux de la commission d’enquête, il faut constater que la répartition des forces de police et de gendarmerie demeure une préoccupation pour beaucoup.
4. Une présence encore insuffisante de la police dans les quartiers difficiles
Devant la commission d’enquête, M. Christian Bergougnoux, directeur général de la police nationale, a largement évoqué les initiatives prises afin de renforcer la présence policière dans les quartiers particulièrement concernés par la délinquance. Il a notamment insisté sur l’importance de la police de proximité : « Le policier de proximité a en effet un rôle primordial à l’égard des mineurs à la fois par le dialogue qu’il doit entretenir avec eux, par le contact qu’il doit mener et par le suivi des mineurs délinquants qu’il assure dans son secteur. Il renseigne l’officier correspondant « jeunes » ou la brigade des mineurs de la circonscription, rencontre les familles et les éducateurs et s’interpose, en cas de nécessité, entre les délinquants et les victimes de leurs agissements. Il dresse, enfin, les procédures judiciaires chaque fois qu’il le faut ».
Le directeur général de la police a souligné que des efforts avaient été accomplis afin que la police soit présente dans les plages horaires où les besoins de sécurité ressentis sont les plus grands, en particulier en soirée. Il a en outre indiqué que de nombreuses structures immobilières de police (900 en deux ans) avaient été mises en place pour servir de points d’appui aux équipes de police de proximité.
M. Philippe Lutz, commissaire principal à Noisy le Grand, a insisté sur cette nécessaire réactivité face à l’adaptation de la délinquance à la présence policière : « Il y a eu une première vague où la police de proximité était très efficace, parce que d’un seul coup, grâce aux redéploiements d’effectifs, beaucoup plus d’hommes étaient affectés sur les créneaux les plus sensibles, c’est-à-dire la fin d’après-midi et le début de soirée. Les délinquants, en face, voient les arrivées, les départs ; ils savent à partir de quelle heure nous n’avons plus personne, il ne reste qu’un véhicule de police-secours et la brigade anti-criminalité. Il faut casser cette espèce de cercle qui nous conduirait à retrouver très rapidement les problèmes que nous avons connus voilà quelques années. Il faut une adaptation très régulière, sans, évidemment, que les fonctionnaires de police ne vivent quasiment un calvaire, ne sachant pas, d’une semaine sur l’autre, selon quels horaires ils vont travailler. C’est un problème de gestion des personnels ».
Il reste que cette présence est encore loin d’être suffisante partout. A titre d’exemple, le poste de police du quartier du Neuhof à Strasbourg, que la commission d’enquête a visité, ferme ses portes à 20 heures, ce qui paraît peu adapté aux besoins d’un tel quartier.
5. Les difficultés de la police judiciaire
Les rencontres de la commission d’enquête avec des fonctionnaires de police tant en région parisienne qu’en province et outre-mer lui ont permis de constater que l’activité de la police judiciaire se heurtait à des difficultés importantes :
- le développement de la police de proximité, qui ne s’est pas toujours accompagné d’une affectation de moyens suffisants, a parfois nui aux activités de police judiciaire, comme l’ont souligné plusieurs personnalités rencontrées par la commission notamment lors de la visite au tribunal pour enfants de Paris et de la réunion de travail avec le CCPD de Valenciennes ;
- de nombreux policiers constatent une difficulté de plus en plus grande à obtenir des dépositions de la part de témoins ou de victimes qui craignent des représailles ; à cet égard, le commissaire de police du Havre rencontré par la commission a estimé que le statut de témoin anonyme prévu par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne à l’initiative du Sénat était trop complexe à mettre en oeuvre pour être pleinement efficace ;
- par ailleurs, M. André-Michel Ventre, président du syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale a regretté devant la commission d’enquête que la réforme des corps et carrières de la police entreprise en 1995 ait eu pour effet de limiter le nombre de commissaires et officiers ;
- enfin, tous les policiers rencontrés par la commission d’enquête ont insisté sur l’alourdissement constant des procédures et formalités qui doivent être accomplies au cours d’une enquête. La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a notamment substantiellement renforcé les formalités à accomplir au cours des gardes à vue, ce qui a nécessairement des conséquences sur le travail policier. S’agissant spécifiquement des mineurs, la loi a prévu l’enregistrement audiovisuel systématique des interrogatoires de garde à vue, mesure qui a nécessité une adaptation très rapide des forces de police et de gendarmerie et dont la mise en oeuvre devait faire l’objet d’un bilan en juin 2002.
Une évaluation de cette mesure devrait être rapidement réalisée. L’enregistrement constitue en effet une contrainte importante pour les officiers de police judiciaire alors que les demandes de visionnage des enregistrements sont quasiment inexistantes.
Il serait souhaitable qu’au cours des prochains mois, des mesures soient adoptées afin de renforcer l’efficacité des enquêtes de police, corollaire indispensable du renforcement des droits de la défense.
B. L’AFFIRMATION DU PARQUET ET SES LIMITES
1. La montée en puissance du parquet : une évolution majeure de la justice des mineurs
Le parquet joue depuis une dizaine d’années un rôle de plus en plus important dans la justice des mineurs, comme dans celle des majeurs.
A l’origine, le parquet choisissait entre la mise en oeuvre de poursuites et le classement d’une affaire. Au cours des dernières années, de nombreuses mesures alternatives aux poursuites ont été développées, permettant à la fois de traiter un plus grand nombre d’affaires et de soulager les juridictions des infractions les moins graves.
Dans le même temps, les parquets ont développé le « traitement en temps réel » des affaires, permettant une orientation très rapide des dossiers, le service d’enquête contactant par téléphone le parquet alors même que la personne mise en cause est encore dans ses locaux.
La justice des mineurs n’a pas échappé à ce mouvement sans que l’ordonnance du 2 février 1945 prévoie expressément une telle évolution.
De telle sorte que les parquets des mineurs jouent aujourd’hui un rôle absolument essentiel comme le montre le tableau suivant.
Activité des parquets mineurs
[voir tableau : site Sénat]
Il apparaît que le nombre d’affaires traitées par les parquets des mineurs augmente de manière régulière et rapide puisqu’il est passé de 113.238 en 1996 à 162.800 en 2001 (sur 177.017 mineurs mis en cause par la police) alors que les chiffres pour cette dernière année ne sont pas définitifs.
Il faut dire que certains parquets se sont engagés de manière très volontariste dans la politique de traitement en temps réel. C’est notamment le cas du parquet des mineurs de Bobigny que la commission d’enquête a visité et dont l’exemple a été ensuite suivi par de nombreux autres parquets.
Cette politique est de plus en plus complétée par l’élaboration de conventions entre les parquets et certaines institutions, particulièrement l’Education nationale, afin de permettre un signalement très rapide au parquet des faits constatés au sein des établissements scolaires.
Dans ces conditions, il est tout à fait incontestable que de plus en plus d’affaires sont aujourd’hui traitées par la justice et reçoivent une réponse grâce à l’action des parquets. Le taux de réponse de la justice en matière de délinquance des mineurs est aujourd’hui proche de 80 %, si l’on ne prend en compte que les affaires poursuivables (les affaires non poursuivables sont celles dans lesquelles l’infraction est mal caractérisée ou le mineur hors de cause), soit une efficacité supérieure à celle de la justice des majeurs.
2. Les réponses du parquet
Dans le passé, les parquets n’avaient guère le choix qu’entre l’ouverture de poursuites devant une juridiction et le classement d’une affaire. Aujourd’hui, notamment à l’égard des mineurs, d’autres possibilités sont utilisées par le parquet afin d’apporter une réponse à des affaires sans nécessairement saisir la juridiction.
a) L’avertissement et le rappel à la loi
Le parquet peut adresser ou faire adresser au mineur et à ses parents un avertissement par courrier. Il peut également ordonner un « rappel à la loi », exercé soit par un officier de police judiciaire, soit par un délégué du procureur, soit par lui-même.
A cet égard, des pratiques différentes se sont développées dans les parquets. A Bobigny, le rappel à la loi peut être effectué dans les huit jours suivant le signalement. A Paris, les mineurs mis en cause sont en général convoqués dans un délai de deux mois.
Naturellement, cette procédure est réservée aux mineurs qui n’étaient pas connus des services de police et qui reconnaissent les faits qui leur sont reprochés.
Des délégués du procureur rencontrés par la commission ont indiqué qu’ils recherchaient systématiquement la coopération des parents pour la mise en oeuvre de la mesure, mais qu’ils se heurtaient parfois au barrage de la langue et à la difficulté de trouver des interprètes, le mineur traduisant alors lui-même le français pour ses parents.
En 2000, 30.021 rappels à la loi et avertissements ont été prononcés à l’encontre de mineurs sur un total de 45.326 procédures alternatives aux poursuites. Ce chiffre très important n’est pas sans susciter certaines interrogations en ce qui concerne l’articulation entre le travail du parquet et celui des juges pour enfants.
Dans le passé, le premier contact des mineurs avec la justice était le contact avec le juge des enfants. Celui-ci prononçait très fréquemment une mesure d’admonestation ou de remise à parents à l’égard des primo-délinquants.
Avec le développement des réponses alternatives aux poursuites, il devient fréquent que le premier contact d’un mineur avec le juge des enfants ait été précédé d’une ou plusieurs mesures prises par le parquet.
Dans un tel cas, on peut douter de l’efficacité d’une mesure d’admonestation sur le mineur qui n’est plus un primo-délinquant.
b) La médiation
Le parquet peut également mettre en oeuvre une médiation pénale s’il apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction et de contribuer au reclassement de l’auteur de l’infraction. 3.561 médiations ont été mises en oeuvre en 2000.
c) L’injonction thérapeutique
Le parquet peut aussi, dans certaines situations, ordonner une injonction thérapeutique, notamment à l’égard des usagers de stupéfiants. 550 injonctions thérapeutiques ont été prononcées en 2000.
3. La réparation : une mesure à encourager
La loi du 4 janvier 1993 a introduit dans l’ordonnance du 2 février 1945 la mesure de réparation. Celle-ci peut être proposée au mineur délinquant soit par le parquet, soit, lorsque les poursuites ont été engagées, par le juge des enfants ou le tribunal pour enfants. Ainsi, cette mesure est tantôt une alternative aux poursuites, tantôt une mesure préjudicielle, tantôt une sanction dans le cadre d’un jugement.
La réparation peut être une réparation directe à l’égard de la victime ou une réparation indirecte dans l’intérêt de la société.
La mise en oeuvre d’une mesure de réparation par le procureur ou la juridiction chargée de l’instruction implique l’accord préalable du mineur et des titulaires de l’exercice de l’autorité parentale. Lorsque la mesure est prononcée par la juridiction de jugement, celle-ci doit seulement recueillir les observations du mineur et des titulaires.
La réparation est incontestablement l’innovation la plus importante depuis très longtemps dans la justice des mineurs. Cette mesure combine en effet des avantages nombreux. Elle contient une dimension de sanction, elle permet la réparation des dommages causés, elle permet surtout un travail sur le sentiment de culpabilité avec le mineur mis en cause. La réparation n’est ni une médiation, ni une admonestation ni un travail d’intérêt général, mais elle reprend pourtant certaines caractéristiques de toutes ces mesures.
Au cours des dernières années, l’utilisation de la mesure de réparation a connu une progression régulière mais lente. Le nombre de mesures prononcées a dépassé les 10.000 en 1999 et 2000. S’agissant du parquet, le nombre de mesures de réparation, qui n’était pas comptabilisé auparavant, a atteint 4.772 en 2000.
La justice dite « restaurative » est incontestablement une voie à développer dans des proportions beaucoup plus importantes, notamment à l’égard des primo-délinquants. Cette conversion d’un acte négatif en une action positive précédée et suivie d’entretiens éducatifs est très certainement la mesure la plus pédagogique à l’égard d’un mineur, lorsqu’il y est accessible. Il s’agit aussi d’une mesure visible et compréhensible par la victime et la société.
L’utilisation de cette mesure tant par le parquet que par le siège demeure très insuffisante et surtout très inégale sur le territoire. Une étude très complète sur cette mesure montre qu’il existe des disparités considérables dans l’utilisation de la mesure entre les départements.
Volume de mesures de réparation par département (1999)
[voir tableau : site Sénat]
Il conviendrait d’aller beaucoup plus loin dans l’utilisation de la mesure de réparation comme cela se fait par exemple aux Pays-Bas où la commission d’enquête s’est rendue.
La réparation aux Pays-Bas
En visite aux Pays-Bas les 16 et 17 avril 2002, la commission d’enquête a visité un bureau Halt (Het alternatif : l’alternative). Lorsque des jeunes ont affaire pour la première ou la seconde fois à la police pour des infractions mineures, la police peut leur proposer de participer à un projet par l’intermédiaire du bureau Halt.
Un jeune soumis à une mesure Halt reçoit une invitation pour un entretien avec ses parents, qui permet de connaître son environnement familial et de s’assurer qu’il n’existe pas de problème plus grave. Un second entretien, en présence du seul jeune, permet un dialogue sur l’acte commis et les moyens d’opérer une réparation, qui peut être directe ou indirecte. La victime est naturellement associée à la procédure à chaque fois que cela est possible.
La durée des activités qui peuvent être accomplies dans ce cadre est comprise entre quatre et vingt heures. La non-exécution de la mesure se traduit d’abord par un avertissement puis par un renvoi devant la justice.
Chaque collectivité de base est tenue par la loi de disposer d’un bureau Halt et il en existe 64 aux Pays-Bas, qui accueillent 23.000 mineurs chaque année. L’administration nationale et les municipalités participent conjointement aux coûts des bureaux Halt, le ministère de la justice finançant la réalisation des mesures.
D’ores et déjà, en France, de nombreuses associations ont été habilitées pour mettre en oeuvre des mesures de réparation, qui peuvent également être prises en charge par la protection judiciaire de la jeunesse.
Ainsi, à Marseille, la commission d’enquête a rencontré les responsables de l’association pour la réadaptation sociale, qui pratique des mesures de réparation. Son directeur a fortement insisté sur la valeur de cette mesure qui, plus que toute autre, prend en compte la faculté d’amendement, de rachat du mineur. Il a ainsi cité l’exemple d’un adolescent ayant agressé une personne âgée, que l’association a envoyé quelques heures dans une maison de retraite accompagner les personnes âgées et qui a souhaité poursuivre l’activité par la suite. Il a toutefois noté la difficulté de trouver des partenariats avec des institutions susceptibles d’accueillir les mineurs pour une réparation ayant un lien avec l’acte qu’ils ont commis.
Il apparaît donc indispensable que la France se dote à grande échelle de maisons de la réparation gérées par des associations ou la protection judiciaire de la jeunesse en association avec les maires, afin que la mesure de réparation puisse être mise en oeuvre dans toute l’étendue des situations où elle peut constituer une réponse adéquate à des actes de délinquance.
Néanmoins, un tel développement ne saurait se faire au détriment de la qualité de la mesure. La réparation, pour fonctionner, ne peut être une mesure stéréotypée. Elle doit être individualisée en fonction de l’acte, du mineur, de la victime. En outre, elle ne peut avoir un sens que si elle est conduite jusqu’à son terme et que son achèvement est marqué par un entretien avec le magistrat qui l’a ordonnée. Comme l’a indiqué M. Louis Dubouchet, directeur d’un cabinet de consultants, devant la commission d’enquête, il arrive trop souvent que, « la sanction n’étant pas administrée correctement, avec un début et une fin, la société inflige surtout une flétrissure aux jeunes. Ceux-ci supportent toute leur vie l’humiliation de n’avoir jamais pu obtenir le pardon. La rédemption est impossible, il n’arrive jamais de moment où ils peuvent reprendre une existence normale ».
Il semble que des mesures très différentes soient actuellement mises en oeuvre sous l’appellation « réparation », certaines s’apparentant plus à un stage d’instruction civique qu’à une véritable mesure de réparation. Il serait préférable de créer une mesure distincte de « stage d’instruction civique » plutôt que de laisser se développer une certaine confusion.
Le parquet dispose donc d’une gamme de possibilités pour répondre à la délinquance des mineurs, qui en font un acteur essentiel de la justice.
4. Les autres missions du Parquet
Si le parquet joue un rôle de plus en plus important en amont de la saisine de la juridiction, son rôle dans la suite de la procédure paraît aujourd’hui plus réduit qu’en matière de justice des majeurs.
Ainsi son rôle dans l’audiencement des affaires est particulièrement modeste si on le compare à celui qu’il joue à l’égard des majeurs.
Le juge des enfants décide en effet seul si un mineur sera jugé en audience de cabinet ou par le tribunal pour enfants. M. Philippe Chaillou, président de la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel de Paris, s’est interrogé devant la commission d’enquête sur cette prérogative :
« C’est le juge des enfants qui décide seul de l’orientation d’une affaire, soit en cabinet, soit devant le tribunal. A la place que j’occupe à la cour d’appel, j’ai parfois eu le sentiment que des « erreurs d’aiguillage » avaient été commises. Je n’aurais pas envoyé certaines affaires, qui avaient notamment trait à la violence, en cabinet. Elles auraient pu être justiciables du cérémonial du tribunal pour enfants et de son arsenal de peines. Je m’en ouvrai voilà peu de temps à une collègue, juge des enfants ; elle m’a rétorqué que l’audience en cabinet « dégonfle » les choses. La justice des mineurs doit être capable de surprendre et de ne pas faire endosser à un gamin les oripeaux de délinquant qu’il veut revêtir à tout prix afin de se faire passer pour un dur. J’ai trouvé cette observation assez pertinente.
« Une possibilité serait de se tourner vers le parquet, qui représente l’accusation et la poursuite dans la justice classique. Certes, il connaît moins le jeune en question, notamment en cas de récidive. Il aura moins de finesse dans l’analyse que le juge des enfants car il ne voit que des procédures. Pour bien faire, il faudrait une entente entre le siège et le parquet (...) ».
De fait, il conviendrait qu’à tout le moins, le parquet des mineurs soit consulté sur l’orientation des affaires, ce qui n’est jamais le cas actuellement. On pourrait également concevoir que certaines affaires graves soient obligatoirement renvoyées devant le tribunal pour enfants.
En ce qui concerne le déroulement des audiences, il convient de noter que le parquet n’est jamais présent lors des audiences de cabinet, faute de moyens, ce qui est particulièrement regrettable. En revanche, le parquet prend naturellement des réquisitions lors des audiences du tribunal pour enfants.
Le parquet est en outre chargé de l’exécution des condamnations pénales. En règle générale, cette mission est assurée au sein des tribunaux par le service de l’exécution des peines et non par les magistrats du parquet spécialisés dans les affaires de mineurs.
Enfin, le parquet est un partenaire très actif de certaines structures telles que les conseils communaux de prévention de la délinquance et les contrats locaux de sécurité.
5. Les limites du « tout-parquet »
Le parquet est devenu un acteur essentiel de la justice des mineurs. Le développement des alternatives aux poursuites a incontestablement permis de limiter l’engorgement des juridictions pour enfants.
Cette montée en puissance du parquet trouve cependant ses limites.
a) Des moyens insuffisants
Les moyens matériels et humains des parquets des mineurs sont aujourd’hui insuffisants pour faire face aux multiples tâches qui leur incombent. Rappelons que les parquets des mineurs sont compétents non seulement à l’égard des mineurs délinquants mais également à l’égard des mineurs victimes. Selon les informations transmises par le ministère de la justice, 301 magistrats du parquet sont spécialement chargés des affaires de mineurs, mais dans de nombreux cas, ces magistrats ne sont pas chargés seulement des affaires de mineurs.
Par ailleurs, dans certains tribunaux, même parmi les plus importants, il n’existe pas de parquet spécialisé à l’égard des mineurs. Or, une telle spécialisation apparaît utile au regard des spécificités tant de la délinquance des mineurs que des procédures qui leur sont applicables.
Le rôle essentiel désormais joué par les parquets implique un renforcement de leurs moyens afin que leurs choix en matière de poursuites ou d’alternatives aux poursuites soient suffisamment pesés.
Il ne suffit pas en effet d’afficher des « taux de réponse » -selon l’expression convenue- à la délinquance des mineurs pour que celle-ci diminue. Il faut encore que ces réponses soient adaptées à la situation et au mineur concernés.
A cet égard, les mesures de rappel à la loi ou d’avertissement devraient être exclusivement réservées aux mineurs mis en cause pour la première fois. Si une telle mesure n’est pas efficace la première fois, il y a peu de chances qu’elle le devienne par la suite.
b) Un risque de déresponsabilisation
Au cours des travaux de la commission d’enquête, plusieurs personnes, dont M. Thierry Baranger, président de l’association des magistrats de la jeunesse et de la famille, ont souligné que le développement considérable du rôle du parquet peut entraîner quelques effets pervers :
« S’agissant du parquet, après des débuts prometteurs, la politique dont je viens de parler a atteint ses limites. En effet, le parquet ne peut pas être l’organe de prévention de faits qui pouvaient être traités en amont. Cette décision est partie d’une bonne intention, mais elle a conduit les institutions à se défausser sur la justice. Je pense notamment à certains accords qui ont pu être passés pour des faits mineurs, entre l’Education nationale et le parquet. Si l’on a pu régler rapidement des problèmes plus graves au sein de l’Education nationale, cette situation a également entraîné le signalement de faits mineurs à l’école que l’on appelle « rackets » et qui n’en étaient pas forcément, notamment pour des petits enfants. Ce surcroît de travail a donc pénalisé le travail du parquet ».
De fait, la commission d’enquête a pu constater que des faits relativement anodins étaient parfois signalés au parquet. Il est indispensable qu’un dialogue permanent permette d’éviter des signalements qui encombrent inutilement les parquets.
La discipline et la sanction devraient être revalorisées dans toutes les institutions, afin d’éviter de recourir systématiquement à une justice à bout de souffle.
C. DES JURIDICTIONS POUR MINEURS SATURÉES
Si l’accroissement très fort du rôle du parquet a été une évolution majeure de la justice des mineurs, il reste que le juge des enfants et le tribunal pour enfants demeurent les acteurs principaux de la procédure judiciaire.
Les visites de la commission d’enquête et ses auditions permettent aujourd’hui d’affirmer que ces juridictions connaissent des difficultés d’organisation, de moyens, de pratiques.
Le juge des enfants est compétent à la fois à l’égard des mineurs en danger et des mineurs délinquants. Les magistrats de la jeunesse sont très attachés à cette double compétence.
1. Les attributions étendues du juge pour enfants
a) L’assistance éducative
Depuis l’ordonnance de 1958, le juge pour enfants est compétent en matière d’assistance éducative et en matière de délinquance des mineurs.
L’article 375 du code civil dispose en effet que « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ».
L’article 375-1 du même code précise que « le juge des enfants est compétent, à charge d’appel, pour tout ce qui concerne l’assistance éducative ».
L’évolution de l’activité des juges des enfants en matière d’assistance éducative n’est pas facile à mesurer. Jusqu’il y a peu, cette évolution était menée grâce au nombre de dossiers ouverts chaque année mais cette statistique a cessé d’être mesurée depuis 1999. En 2000, les juges des enfants étaient saisis de 109.146 mineurs au titre de l’assistance éducative contre 125.649 en 1998.
Dans le cadre de l’assistance éducative, le juge des enfants peut ordonner à l’égard des mineurs des mesures d’investigation, des mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) ainsi que les mesures de placement.
b) La délinquance des mineurs
La compétence du juge des enfants en matière de délinquance des mineurs est plus ancienne puisqu’elle date de l’ordonnance du 2 février1945 relative à l’enfance délinquante. L’activité des juges des enfants en cette matière n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Le nombre d’affaires transmises aux juges des enfants par les parquets est passé de 45.276 en 1996 à 54.651 en 2000. Les juridictions pour mineurs se sont adaptées à cette évolution et le nombre de jugements rendus par ces juridictions a connu une augmentation très spectaculaire au cours des dernières années.
Activité pénale des juges et tribunaux pour enfants
[voir tableau : site Sénat]
c) Les autres attributions
Le juge des enfants est également compétent à l’égard des jeunes majeurs (18-21 ans) faisant l’objet d’une mesure de protection, ainsi qu’en matière de tutelle aux prestations familiales.
d) La double compétence en question
Les juges des enfants sont très attachés à leur double compétence en matière d’assistance éducative et de délinquance des mineurs et soulignent régulièrement que si tous les mineurs en danger ne sont pas délinquants, les mineurs délinquants sont le plus souvent aussi en danger.
Cette approche n’est pas contestable.
Ce qui l’est beaucoup plus est la manière dont certains magistrats usent de l’un ou l’autre cadre procédural en fonction de critères opaques. Au cours de ses visites, la commission d’enquête a rencontré des magistrats soulignant qu’ils ne plaçaient jamais un mineur au titre de l’ordonnance de 1945, mais toujours au titre des dispositions sur l’enfance en danger. Il semble même que certains mineurs délinquants soient confiés à des établissements sur le fondement des textes relatifs à l’enfance en danger, afin de contourner la réticence de ces établissements à accueillir des mineurs délinquants.
En 2000, le tribunal pour enfants de Bobigny a prononcé 15 mesures de placement au titre de l’ordonnance de 1945. Est-ce à dire que 15 mineurs délinquants seulement sont placés en Seine-Saint-Denis ? Non. Cela signifie simplement qu’un très grand nombre de mineurs délinquants sont placés au titre de l’assistance éducative.
Comment s’étonner dès lors que certains proposent régulièrement de priver le juge des enfants de ses compétences en matière d’assistance éducative, afin qu’il se consacre au traitement de la délinquance ?
Outre que les mesures prononcées au titre de l’assistance éducative et au titre de l’ordonnance de 1945 ne sont pas financées par les mêmes autorités (les premières sont majoritairement financées par le Conseil général, les autres par le ministère de la justice), il y a dans de telles pratiques une perte de sens de la mesure prononcée qu’avaient déjà souligné Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck dans leur rapport de 1998.
Comment entreprendre un travail éducatif autour du comportement délinquant si celui-ci est totalement évacué de la décision prise à l’égard du mineur ?
Il est vrai que les règles relatives à la révision des mesures de placement sont plus contraignantes dans le cadre de l’ordonnance de 1945 que dans le cadre de la procédure d’assistance éducative. La commission d’enquête est favorable à un assouplissement de l’ordonnance sur ce point, mais estime nécessaire que les cadres définis par la loi soient pleinement respectés.
Sous cette réserve, il apparaît souhaitable que le juge des enfants demeure compétent en matière d’assistance éducative et de délinquance.
2. Des moyens insuffisants, une organisation peu cohérente
Malgré l’extension du rôle du parquet, l’activité des juges des enfants n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Et malgré les recrutements effectués, le nombre de juges demeure insuffisant dans notre pays. Selon les informations transmises par le ministère de la justice, 405 postes de juges des enfants existent, l’effectif réel n’étant cependant que de 358 magistrats, soit un taux de vacance de 11,6 %.
Dans ces conditions, la commission a pu constater un malaise de ces juges qui souhaiteraient accomplir un travail plus approfondi.
M. Alain Bruel, ancien président du tribunal pour enfants de Paris, s’est exprimé en ces termes : « La réponse en temps réel, quand elle ne se limite pas à lutter contre des lenteurs injustifiables, devient le seul critère de l’efficacité, se retourne contre sa propre justification d’intelligibilité de la décision et devient un obstacle à l’intervention en profondeur. Elle génère une véritable thrombose institutionnelle (...). »
M. Thierry Baranger, président de l’association des magistrats de la jeunesse et de la famille, a pour sa part pu estimer : « (...) j’ai de plus en plus souvent l’impression d’évacuer des stocks de dossiers plutôt que de faire le travail pour lequel je suis devenu juge des enfants. J’ai vraiment le sentiment de procéder parfois -pardonnez-moi ce terme un peu dur- à un « abattage », une notion que je ne connaissais pas, je vous l’assure, il y a une dizaine d’années. ».
A cette insuffisance de moyens s’ajoute une organisation peu cohérente de la justice des mineurs sur le territoire.
Il n’existe pas un tribunal pour enfants dans chaque tribunal de grande instance. Mais il existe en revanche plus d’un tribunal pour enfants dans de nombreux départements, ce qui rend complexe l’organisation des relations avec certains partenaires organisés au niveau du département, tels que l’aide sociale à l’enfance ou la protection judiciaire de la jeunesse.
Au cours des dernières années, la question de la réforme de la carte judiciaire n’a guère progressé ; en matière de justice des mineurs, la confusion s’est plutôt accrue.
En 1998, dans leur rapport sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck écrivaient :
« 74 départements ne comptent qu’un seul tribunal pour enfants, tandis que d’autres départements en dénombrent plusieurs. Ainsi, il y a cinq tribunaux pour enfants dans le Nord, quatre dans le Pas-de-Calais, trois en Moselle, en Seine-Maritime et dans les Bouches-du-Rhône et deux dans 21 autres départements. Ce véritable émiettement des juridictions pour mineurs dans 27 départements contribue au manque de lisibilité, pour les partenaires extérieurs, des décisions des juges. Par ailleurs, le fait que les juges soient rassemblés dans une même juridiction est de nature, sans attenter en rien à leur indépendance juridictionnelle, à favoriser leur concertation et donc le rapprochement de leurs pratiques.
« La mission propose donc le réexamen de la carte des tribunaux pour enfants pour qu’un certain nombre d’entre eux puissent être regroupés. ».
Tout au contraire, un décret du 25 avril 2002 vient de créer 15 nouveaux tribunaux pour enfants à Bourgoin-Jallieu, Cambrai, Carpentras, Castres, Châlons-en-Champagne, Compiègne, Dax, Guingamp, La Rochelle, Libourne, Montargis, Narbonne, Saint-Malo, Saint-Quentin et Thonon-les-Bains. Ces tribunaux entreront en activité le 1er janvier 2003.
La question de la carte judiciaire dans son ensemble doit désormais être prioritaire afin que la France se dote d’un cadre cohérent. S’agissant des mineurs, chaque solution a ses avantages et ses inconvénients. L’existence d’un tribunal pour enfants par département serait de nature à faciliter l’exercice d’une certaine coordination entre juges des enfants et rendrait plus aisées les relations avec les partenaires des magistrats.
En revanche, il convient de garder à l’esprit que l’éloignement géographique entre les services de police judiciaire et les tribunaux pour enfants ne facilite pas les défèrements lorsqu’ils sont nécessaires. Quoi qu’il en soit, cette réflexion doit être globale et dépasse largement la question de l’implantation des juridictions pour mineurs.
3. Une justice trop lente
a) Des délais de jugement excessifs
L’un des reproches récurrents adressés à la justice des mineurs est l’absence de réponse visible dans un délai bref. Il est très difficile de connaître précisément les délais de jugement ayant cours dans les juridictions pour enfants.
Si l’on en croit les réponses des tribunaux pour enfants au questionnaire qui leur a été adressé par la commission d’enquête, ces délais seraient compris entre deux et dix-huit mois pour les audiences de cabinet et entre six mois et trois ans pour les audiences du tribunal pour enfants.
Pour une part, ces délais de jugement sont subis et tiennent à l’encombrement des tribunaux. Visitant le tribunal pour enfants de Paris le 26 mars 2002, les membres de la commission d’enquête ont appris que les audiences du tribunal pour enfants pour le XVIIIème arrondissement étaient pleines jusqu’en mars 2003 ! Mais pour une part également, ces délais sont souhaités par les juges des enfants. En fait, deux exigences parfaitement contradictoires et aussi essentielles l’une que l’autre s’affrontent :
- d’une part, le jugement d’un mineur implique de prendre un temps d’observation de sa personnalité et de son comportement. Ainsi, les juges pour enfants sont fréquemment conduits à ordonner d’abord des mesures provisoires avant d’envisager une audience de jugement ;
- d’autre part, il est absolument nécessaire de garder à l’esprit que la perception qu’a un enfant ou un adolescent de l’écoulement du temps est très différente de celle d’un adulte. Tout le temps qui s’écoule entre l’acte et le jugement réduit l’impact de ce dernier. Le mineur, dont l’acte n’est suivi que par une visite de la part d’un éducateur dans le cadre d’une mesure de liberté surveillée, peut avoir le sentiment que cette affaire est oubliée. C’est ainsi qu’il est très fréquent de voir des mineurs comparaître pour certains faits alors qu’ils en ont commis plusieurs autres après et avoir des difficultés à distinguer entre les différentes infractions qui leur sont reprochées.
Pour augmenter la difficulté, il n’est pas rare que les divers dossiers soient alors regroupés au cours d’une même audience et que trois, quatre, cinq affaires se terminent par une peine unique... La pédagogie y trouve rarement son compte !
Cette question est fondamentale car la justice des mineurs ne peut être éducative si les mineurs n’en comprennent même pas le fonctionnement. Il est donc indispensable de trouver un équilibre entre les deux exigences qui viennent d’être évoquées.
b) Des tentatives d’accélération aux résultats contrastés
Les lois du 8 février 1995 et du 1er juillet 1996 ont notamment eu pour objectif d’accélérer les procédures applicables aux mineurs. La loi du 8 février 1995 a créé la COPJ (convocation par officier de police judiciaire) aux fins de mise en examen : décidée sur instruction du procureur de la République, elle permet un rendez-vous rapide devant le juge des enfants pour la mise en examen du mineur.
La loi du 1er juillet 1996 a généralisé le champ d’application de la COPJ, qui peut désormais également intervenir pour le jugement du mineur en audience de cabinet.
La même loi a en outre créé une procédure de comparution à délai rapproché devant le tribunal pour enfants dans un délai de un à trois mois (article 8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945). La mise en oeuvre de cette procédure implique que l’affaire soit de nature délictuelle, que la personnalité du mineur soit déjà connue et que des investigations sur les faits ne soient pas nécessaires.
Si ces conditions sont réunies, le procureur de la République peut requérir du juge des enfants la comparution à délai rapproché devant la juridiction de jugement dans un délai d’un à trois mois. Le mineur est alors présenté au juge des enfants qui décide s’il fait ou ne fait pas droit aux réquisitions du parquet. La mise en oeuvre de cette procédure présente une complexité certaine.
Les réponses des tribunaux pour enfants au questionnaire de la commission d’enquête apportent quelques éléments intéressants sur la fréquence de l’utilisation de ces nouvelles procédures.
Les procédures « rapides » dans quelques tribunaux pour enfants
[voir tableau : site Sénat]
Il apparaît ainsi que la COPJ aux fins de mise en examen est devenue un mode banal de saisine du juge des enfants. La COPJ aux fins de jugement est utilisée de manière beaucoup moins homogène sur le territoire.
Enfin, la comparution à délai rapproché n’est pour ainsi dire jamais utilisée. Lors des déplacements de la commission d’enquête, cette procédure a parfois été qualifiée par des magistrats -du siège comme du parquet- d’« usine à gaz ». Cette procédure a été un échec manifeste.
c) Une comparution immédiate pour les mineurs ?
Dans ces conditions, au cours des derniers mois, un débat s’est développé sur l’opportunité d’étendre aux mineurs la procédure dite de comparution immédiate. Cette procédure, prévue par l’article 395 du code de procédure pénale, permet de juger une personne majeure immédiatement après les faits (en pratique à l’issue de la garde à vue) lorsque l’affaire est en état d’être jugée.
La commission d’enquête a sollicité de nombreux avis sur l’application éventuelle de cette procédure aux mineurs. La comparution immédiate présenterait l’avantage important de donner une réponse claire et lisible à certains jeunes multirécidivistes auprès desquels de nombreuses mesures ont déjà échoué. De même, elle pourrait atténuer ce sentiment des victimes et de la société que les jeunes délinquants connaissent un régime d’impunité.
En revanche, une telle procédure interdit toute investigation, même rapide, sur la situation du mineur. Son application aux mineurs poserait des difficultés techniques considérables. Le tribunal pour enfants, composé d’un magistrat et de deux assesseurs non professionnels, devrait se réunir tous les jours afin de pouvoir juger les mineurs traduits devant lui en comparution immédiate. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. Une telle évolution serait peut-être possible dans quelques juridictions de très grande taille, mais à l’évidence pas partout. L’autre solution consisterait à confier ces affaires au tribunal correctionnel. Mais il s’agirait alors d’une atteinte profonde à la spécialisation des juridictions pour mineurs.
Il n’apparaît pas réaliste de proposer l’extension aux mineurs de la procédure de comparution immédiate.
d) Une solution pragmatique
Faut-il pour autant ne rien faire ?
La commission ne le croit pas. S’il est louable de vouloir prendre le temps d’observer l’évolution d’un mineur avant de le juger, certaines situations appellent à l’évidence une sanction claire et rapide qui, seule, permettra de reprendre le travail éducatif.
Aucune procédure ne permet aujourd’hui un jugement rapide par le tribunal pour enfants.
La commission d’enquête considère que le procureur de la République devrait pouvoir renvoyer un mineur déjà connu de la justice devant le tribunal pour enfants dans un délai qui pourrait être compris entre dix jours et un mois. Un tel délai permettrait, s’agissant d’un mineur à l’égard duquel des investigations ont déjà été effectuées dans le passé, une enquête rapide sur sa personnalité. Cette procédure pourrait remplacer la comparution à délai rapproché, procédure extrêmement complexe et très peu utilisée.
Un tel outil manque aujourd’hui dans les possibilités ouvertes par l’ordonnance de 1945. Tout se passe comme si le travail éducatif n’était possible qu’en l’absence de jugement. La commission croit profondément que, dans certains cas, au contraire, le jugement, la sanction, adaptée à l’âge et à la situation du mineur, pourrait jouer un rôle fondamental dans l’action éducative, qui ne devrait en aucun cas s’arrêter le jour du jugement.
4. Des décisions incohérentes
Tout au long de ses pérégrinations, la commission d’enquête a eu connaissance d’exemples nombreux qui démontrent l’inadaptation de la réponse judiciaire à la délinquance des mineurs. Il y a bien réponse, mais cette réponse ne fait pas sens, parce qu’elle n’est pas adaptée, progressive et proportionnelle.
M. Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé, fait ainsi observer : « Le système judiciaire de réponse à la délinquance est fondé sur ce principe, non explicité, mais tellement inscrit dans les pratiques, qui a peut-être sa légitimité du côté des adultes, mais qui, à mes yeux, s’avère désastreux d’un point de vue pédagogique : la première fois, ce n’est pas grave ; ce qui est grave, c’est de recommencer. Or, je suis de ceux qui pensent, comme bon nombre de parents, que si l’on n’apporte pas une réponse crédible à la première transgression, on se discrédite pour la suite ».
De fait, la commission a eu connaissance de situations dans lesquelles plusieurs admonestations ou remises à parents successives sont prononcées contre un même mineur. Or, ce mineur a parfois déjà fait l’objet d’un rappel à la loi par un délégué du procureur...
Une telle attitude est désastreuse car elle persuade le mineur qu’il n’y aura jamais de « vraie » réponse.
L’admonestation ou la remise à parents, si elles ne fonctionnent pas dès la première tentative, ne fonctionneront pas par la suite. Elles ne devraient pouvoir être prononcées qu’une fois pour un même type d’infraction. En outre, si un magistrat annonce à un mineur qu’il encourt des mesures plus sévères en cas de récidive et que ces paroles ne sont pas suivies d’effets, la justice perd toute crédibilité.
La même situation se renouvelle lorsque les juridictions prononcent des sanctions pénales proprement dites. Combien de mineurs accumulent des mesures de sursis avec mise à l’épreuve parce que les juridictions ne se résolvent pas à incarcérer ? A Marseille, la commission a entendu le cas d’un jeune majeur, condamné à trois peines de sursis avec mise à l’épreuve lorsqu’il était mineur, qui venait d’être condamné à trois années d’emprisonnement ferme pour un fait mineur, le tribunal correctionnel ayant révoqué l’ensemble des sursis...
D’une manière générale, les mesures probatoires, comme le contrôle judiciaire ou le sursis avec mise à l’épreuve sont très rarement révoquées lorsqu’elles ne sont pas respectées, alors qu’elles reposent sur l’idée d’un contrat entre le magistrat et le mineur.
Les mineurs comprennent très vite ce mode de fonctionnement et ceux qui n’ont pas été dissuadés de récidiver dès le premier passage en justice ne risquent guère de l’être par les suivants.
La commission d’enquête ne plaide pas ici en faveur d’un emprisonnement massif des mineurs, mais constate que l’accumulation pour un même mineur d’admonestations, de remises à parents, de sursis simples puis de sursis avec mise à l’épreuve constitue un moyen très sûr de consolider son ancrage dans la délinquance.
La commission a déjà marqué sa volonté de voir développées les mesures de réparation. Le travail d’intérêt général peut lui aussi présenter un grand intérêt. 2.554 mesures de ce type seulement ont été ordonnées en 2000, ce qui est fort peu comparé aux 10.402 peines d’emprisonnement avec sursis. Il est souhaitable de relancer cette mesure. Des contacts directs entre magistrats et maires pourraient permettre de prévoir très rapidement la mise en place de postes de travail d’intérêt général dans de nombreuses communes. Une aide spécifique pourrait être créée pour aider les collectivités locales et les organismes publics qui mettent en place des travaux d’intérêt général, afin de compenser les charges entraînées par l’encadrement des mineurs.
D. LE VRAI SCANDALE DE LA JUSTICE DES MINEURS : LA MISE EN oeUVRE DES PEINES ET MESURES
Au cours d’une visite de la commission d’enquête dans un tribunal pour enfants, le premier substitut chargé des mineurs a constaté, désabusé : « Ici, c’est Darty sans le service après-vente ».
De fait, le dysfonctionnement le plus criant de la justice des mineurs réside dans les conditions d’exécution des peines et mesures. Les juges des enfants, les tribunaux pour enfants prononcent des mesures éducatives ou des sanctions pénales qui ne sont pas mises en oeuvre ou mises en oeuvre avec un retard considérable.
Le sentiment d’impunité de certains mineurs s’enracine dans ce constat que la justice ne fait pas ce qu’elle dit.
1. Des retards considérables d’exécution
Les retards dans l’exécution des mesures s’expliquent tout d’abord par les grandes difficultés de fonctionnement des greffes des tribunaux pour enfants. L’insuffisance de moyens est telle aujourd’hui que les décisions de justice sont parfois notifiées au service chargé de les mettre en oeuvre plusieurs semaines après le jugement. A Strasbourg, les responsables de la protection judiciaire de la jeunesse ont indiqué à la commission que certaines mesures étaient notifiées au service chargé de les mettre en oeuvre plusieurs mois après l’audience...
Il convient par ailleurs de noter qu’un certain nombre de condamnations sont prononcées par défaut et que celles-ci sont très rarement exécutées.
Enfin et surtout, de nombreuses mesures sont confiées à des services éducatifs qui ne peuvent les mettre en oeuvre faute de moyens et constituent alors des listes d’attente.
Mme Sylvie Perdriolle, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse s’est ainsi exprimée à propos des délais de prise en charge : « Le délai moyen, qui est de 51 jours aujourd’hui est beaucoup trop long. Nous l’avons réduit de cinq jours entre 2000 et 2001, grâce à l’arrivée de personnels en poste. Le délai moyen est plus court pour les mesures de réparation et plus long pour les mesures de SME (...). Pour éviter que les services ne traitent eux-mêmes cette question du délai, j’ai adressé une directive à l’ensemble des directeurs départementaux en leur demandant d’organiser un dialogue avec les juridictions pour fixer des priorités. Je sais (...) que ce dialogue n’est pas réalisé ni bien conçu partout. D’une part, certains magistrats refusent de déterminer des priorités, considérant que tout doit être pris en charge immédiatement et, d’autre part, les directeurs doivent faire face à une pression très importante de la part des écoles et de différents services qui, lorsque les mesures sont prononcées, demandent que nous intervenions immédiatement ».
Les réponses des tribunaux pour enfants au questionnaire de la commission d’enquête insistent toutes sur le caractère catastrophique de la situation actuelle :
- « Les services de la PJJ du Vaucluse sont actuellement débordés. Une liste d’attente permanente de 50 à 60 mesures existe depuis de nombreux mois. Cette situation représente l’obstacle le plus important rencontré par le tribunal pour enfants dans le cadre du traitement pénal de la délinquance des mineurs » (Avignon) ;
- « Le tribunal pour enfants de Créteil est malheureusement confronté depuis plusieurs années à la non-exécution de nombreuses mesures éducatives prononcées tant au plan pénal qu’au plan civil (actuellement en assistance éducative, 150 mesures d’assistance éducative en milieu ouvert sont en attente d’attribution. Certaines de ces mesures arrivent à échéance sans avoir été prises en charge).
« Au niveau de la PJJ, qui peut seule prendre en charge les mesures de liberté surveillée, un retard conséquent est également observé.
« La non-exécution de ces mesures en milieu ouvert (pénal et civil) ou le retard conséquent apporté à leur mise en oeuvre ne permet pas la prévention de jouer son rôle » (Créteil) ;
- « Que signifie de déférer un mineur « en temps réel » après la commission de l’infraction devant un juge des enfants alors qu’il peut arriver que de nombreuses semaines, voire plusieurs mois, se passent avant que le jeune ne soit convoqué dans le cadre d’une mesure éducative ordonnée par le juge des enfants ? Les personnes sur le terrain ne peuvent qu’avoir l’impression à juste titre qu’il ne se passe rien et que la justice est inefficace. Les réticences de la part des jeunes se font plus fortes lorsque la mesure est mise en oeuvre longtemps après l’audience. Il en va de la crédibilité et de l’efficacité de la justice » (Nanterre).
La résorption de cette situation inacceptable devra être une priorité au cours des prochains mois. Elle passe par une augmentation des moyens, mais probablement aussi par une meilleure organisation.
2. Un suivi insuffisant
Même lorsqu’elles sont mises en oeuvre, les mesures éducatives, qu’elles soient préjudicielles ou après-jugement, font l’objet d’un suivi insuffisant.
Dans certains cas, les services chargés de l’exécution de la mesure ne rendent pas compte de l’évolution de celle-ci, des difficultés rencontrées, de sorte que le juge en ignore tout jusqu’au jugement. Mme Marie-France Ponelle, responsable de l’antenne des mineurs au barreau de Paris a évoqué cette situation : « S’agissant de jeunes en liberté surveillée préjudicielle, en sursis avec mise à l’épreuve, ou sous contrôle judiciaire, et bénéficiant de mesures d’assistance éducative, des rapports d’orientation éducative et d’investigation devraient être établis et figurer dans les dossiers : mais souvent, il n’y a rien ! Quand nous plaidons de tels dossiers, nous ne connaissons même pas la situation du jeune et nous ne savons même pas si on lui a donné des chances pour qu’il puisse s’insérer, pour qu’il puisse faire des progrès comme il l’avait promis ».
Il arrive à l’inverse que des éducateurs signalent des incidents sérieux au juge sans rencontrer aucune réponse. Peu de temps avant la visite de la commission d’enquête à Marseille, un éducateur du centre de placement immédiat s’est fait casser le nez par un mineur sans que cela suscite aucune réaction de la part du magistrat qui avait placé l’adolescent.
Toutes ces situations entretiennent un malaise dans les relations entre magistrats et éducateurs.
III. L’ENFERMEMENT DES MINEURS : EN PARLER QUAND MÊME !
Entre 500 et 1.000 mineurs sont en permanence incarcérés dans les établissements pénitentiaires.
Au terme de ses travaux, la commission d’enquête constate que cet enfermement est souvent pratiqué dans de mauvaises conditions et qu’il est synonyme de ruptures de prises en charge, de discontinuité.
Elle propose de repenser profondément les conditions de l’enfermement des mineurs lorsqu’il doit y être recouru.
A. L’INCARCÉRATION DES MINEURS : FIN DE PARCOURS ?
1. Les mineurs détenus sont des prévenus
En stock, le nombre de mineurs incarcérés a peu évolué au cours des dernières années, contrairement à une idée répandue.
Ces mineurs sont pour l’essentiel incarcérés au titre de la détention provisoire comme le montre le tableau suivant.
Évolution depuis 1990 de la structure de la population pénale selon la catégorie pénale et l’âge (au 1er janvier de chaque année)
[voir tabeau : site Sénat]
En flux, le nombre de mineurs incarcérés connaît des variations plus importantes d’une année à l’autre.
[voir tableau : site Sénat]
Enfin, les durées de détention sont en règle générale très brèves.
Évolution depuis 1993 de l’indicateur de durée moyenne de détention des mineurs
[voir tableau : site Sénat]
Ainsi, les mineurs incarcérés le sont dans 80 % des cas au titre de la détention provisoire et le plus souvent pour une durée très brève. La plupart sont âgés de seize à dix-huit ans (3.517 en 2000 contre 442 âgés de treize à seize ans).
2. Quelques progrès dans les conditions de détention
Au cours des dernières années, de nombreuses actions ont été conduites pour améliorer les conditions de détention des mineurs détenus.
a) Une prise en charge mieux adaptée
Les quartiers mineurs des établissements pénitentiaires ont vu leurs effectifs en personnels de surveillance substantiellement renforcés. De la même manière, des travailleurs sociaux (conseillers d’insertion et de probation) ont été affectés dans ces quartiers.
Par ailleurs, une formation spécifique a été mise en place pour les surveillants, élaborée conjointement par la protection judiciaire de la jeunesse et l’administration pénitentiaire. Cette formation s’articule autour de plusieurs axes : connaissance des publics, connaissance du dispositif législatif sur l’enfance délinquante, le traitement éducatif des mineurs, la communication, le travail d’équipe... Elle comprend un stage d’une semaine dans les différents services de la PJJ, notamment au service éducatif auprès du tribunal pour enfants, qui est aussi l’occasion d’appréhender le rôle du juge des enfants et du parquet des mineurs.
Un guide du travail auprès des mineurs en détention a été élaboré par le ministère de la justice et diffusé aux établissements pénitentiaires à la fin de l’année 2001.
b) Des pratiques innovantes
Certains établissements ont développé des parcours de détention allant de situations plus contraignantes à des situations moins contraignantes avec des aller-retours en fonction du comportement.
Ce système est en particulier pratiqué au centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, que la commission d’enquête a visité. Il existe dans cet établissement des unités « strictes », « d’encadrement », « normales » et « libérales ». L’équipe pluridisciplinaire se réunit chaque semaine pour décider du passage d’un mineur d’une unité à une autre.
Naturellement, un tel système est possible parce que le centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis est un espace assez vaste, comportant une réelle variété de lieux où peuvent se trouver les mineurs dans la journée.
Par ailleurs, le travail de partenariat s’est beaucoup développé entre les différents intervenants : surveillants, conseillers d’insertion et de probation, services de santé, protection judiciaire de la jeunesse, juge de l’application des peines, éducation nationale... Ce partenariat s’effectue notamment dans le cadre des commissions de suivi de l’incarcération des mineurs.
c) Le renforcement du rôle de l’Education nationale
La scolarisation des mineurs détenus est un objectif essentiel. La prison peut en effet être une occasion de renouer avec l’école, qu’ils ont parfois désertée depuis longtemps.
Le ministère de l’Education nationale et le ministère de la justice ont mis en place un partenariat destiné à assurer l’accès à l’enseignement des mineurs détenus. Cet enseignement est assuré pour l’essentiel par des personnels enseignants de l’Education nationale mis à la disposition de l’administration pénitentiaire.
L’action de ces enseignants se heurte à des difficultés importantes. Les jeunes détenus sont souvent dans une situation de grave dénuement scolaire. Selon les informations transmises par le ministère de l’Education nationale, 80 % d’entre eux sont sans diplôme et la moitié en échec au bilan « lecture » proposé pour le repérage systématique de l’illettrisme. Par ailleurs, le temps d’incarcération des mineurs détenus est souvent très bref, ce qui limite l’action possible.
En règle générale, un bilan est réalisé lors de l’incarcération du jeune, au vu duquel un projet de formation est élaboré, lequel doit s’inscrire dans le cadre du projet d’exécution de peine ou du projet de sortie. Des actions d’alphabétisation et de lutte contre l’illettrisme sont proposées aux mineurs illettrés.
Comme la commission d’enquête a pu le constater lors de ses visites, l’utilisation des outils informatiques est développée pour tenter de motiver davantage les jeunes détenus.
En 2000, 216 enseignants sont intervenus dans les quartiers mineurs contre 127 en 1999.
En 2001, sur 3.283 mineurs entrés en prison, 2.642 ont été scolarisés pour plus de trois semaines. 2.437 livrets d’attestation de parcours de formation ont été tenus.
Compte tenu du faible niveau scolaire des mineurs incarcérés, peu d’entre eux sont effectivement présentés à des diplômes.
[voir tableau : site Sénat]
Malgré les efforts accomplis par l’Education nationale et le ministère de la justice, le temps de scolarisation des mineurs incarcérés ne dépasse guère dix à douze heures par semaine.
3. Une détention qui reste peu éducative
a) Des décisions d’incarcération qui ne font pas sens
Les décisions d’incarcération des mineurs sont prises dans de telles conditions qu’elles manquent de sens pour ceux-ci.
Lorsqu’un mineur est placé en détention provisoire, il l’est rarement parce que les nécessités de l’instruction l’exigent, mais beaucoup plus parce que les magistrats estiment nécessaire de donner un coup d’arrêt au processus d’enracinement dans la délinquance. Ainsi, le mineur est incarcéré sans savoir pour combien de temps. Plus tard, intervient le jugement au cours duquel, en règle générale, la juridiction prononce une peine couvrant la durée de détention provisoire déjà effectuée.
Convenons qu’un tel système est peu compréhensible.
L’incarcération est parfois -rarement- ordonnée à la suite d’une condamnation pénale. L’emprisonnement est alors prononcé lorsque tout a échoué, et parfois après que des décisions judiciaires successives de sursis ou de sursis avec mise à l’épreuve ont laissé croire pendant des mois, sinon des années, qu’il n’y avait jamais de « vraie » sanction.
Par ailleurs, l’incarcération marque une évidente rupture dans le suivi des mineurs, qui montre la difficulté des magistrats et des éducateurs à se positionner à l’égard de la prison.
Ainsi, l’article D. 177 du code de procédure pénale prévoit que « Le juge des enfants procède à une visite de la maison d’arrêt au moins une fois par an pour y vérifier les conditions de la détention des mineurs. A cette occasion, il fait part de ses observations éventuelles aux autorités compétentes pour y donner suite ».
Il semble que ces visites annuelles soient loin d’être systématiques.
De la même manière, la protection judiciaire de la jeunesse a beaucoup de difficultés à appréhender son rôle pendant le temps d’incarcération d’un mineur. Des progrès ont certes été effectués, afin d’éviter que tout le suivi d’un mineur avant l’incarcération soit perdu. Il reste que le rôle de la PJJ pendant l’incarcération demeure très modeste.
b) Des conditions de détention précaires
Malgré les efforts accomplis par l’Administration pénitentiaire, les conditions dans lesquelles les mineurs sont aujourd’hui incarcérés demeurent peu satisfaisantes.
En règle générale, l’incarcération est faite dans des quartiers réservés aux mineurs au sein d’établissements accueillant des majeurs. L’incarcération se fait dans les maisons d’arrêt -établissements dont la vocation première est d’accueillir des prévenus.
Il existe actuellement 53 quartiers pour mineurs en France.
Toutefois, un révision de la carte pénitentiaire a été entamée, afin qu’à terme 59 établissements soient à même d’accueillir des mineurs. Il s’agirait de créer dans les zones urbaines des quartiers de 20 à 25 places maximum et dans les zones moins urbaines des quartiers mineurs à petit effectif de 8 à 12 places.
Il reste que ce concept même de « quartier mineurs » au sein d’établissements pénitentiaires accueillant des majeurs n’est pas sans poser des difficultés.
Bien souvent, les maisons d’arrêt n’ont pas été construites en prenant en compte cette nécessité de disposer de locaux spécifiques pour l’accueil des mineurs détenus. De telle sorte qu’il est fréquent que le « quartier mineurs » se limite à quelques cellules isolées du reste de la détention par une grille.
L’étanchéité entre ces quartiers de mineurs et les autres parties des maisons d’arrêt est loin d’être parfaite. Nombre d’installations sont communes, en particulier l’unité de soins ; les quartiers mineurs sont rarement pourvus d’un quartier disciplinaire spécifique, de sorte que le quartier disciplinaire des établissements est commun aux majeurs et aux mineurs...
D’une manière générale, les déplacements de détenus au sein des établissements permettent difficilement d’éviter les contacts entre majeurs et mineurs, comme a pu le constater la commission d’enquête lors de la visite du quartier des mineurs de la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, pourtant de construction très récente, ainsi qu’au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly en Guyane et au centre pénitentiaire de Baie-Mahault en Guadeloupe.
Par ailleurs, condamnés et prévenus mineurs étant mélangés, les condamnés ne bénéficient pas de tous les droits qui sont accordés aux condamnés majeurs notamment en ce qui concerne les communications avec l’extérieur.
Mais il y a plus grave.
La commission d’enquête a visité le quartier des mineurs des prisons de Lyon [69]. La situation qu’elle y a constaté est véritablement une « humiliation pour la République » (titre du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les prisons). Les locaux sont terriblement dégradés, le surpeuplement y est parfois tel que la commission a rencontré un mineur couchant sur une paillasse à même le sol. Toutes sortes de trafics y prospèrent, la séparation entre majeurs et mineurs étant virtuelle. Les efforts d’un personnel pénitentiaire très méritant ne peuvent suffire à compenser une telle situation.
Le quartier des mineurs des prisons de Lyon est plus digne d’un roman de Charles Dickens que de la France du vingt-et-unième siècle.
c) L’absence d’aménagements de peines
Le code de procédure pénale prévoit de nombreuses possibilités d’aménager les peines d’emprisonnement en cours d’exécution : semi-liberté, libération conditionnelle, chantiers extérieurs...
Ces aménagements sont définis de manière très générale et ont vocation à s’appliquer aux mineurs comme aux majeurs.
Pourtant, très peu d’aménagements de peine sont prononcés à l’égard des mineurs. Plusieurs personnes entendues par la commission d’enquête se sont étonnées de cette situation.
Ainsi, Mme Claire Brisset, défenseure des enfants, a estimé que « Dans le cas où la prison s’avère nécessaire, il faut redéfinir son rôle. Nous devons multiplier les formules de semi-liberté. Contrairement à d’autres pays, elles existent en France à titre absolument homéopathique : développons la prison de jour, la prison de week-end. Ces formules peuvent se concevoir et elles ont fait la preuve de leur efficacité ».
A vrai dire, l’absence de mesures d’aménagement de peine pour les mineurs ne saurait étonner, compte tenu des conditions dans lesquelles ils sont incarcérés :
- 80 % des mineurs détenus sont des prévenus ; par définition, il n’est pas possible d’aménager une mesure de détention provisoire, celle-ci ne pouvant être prononcée que lorsqu’aucune autre solution n’est envisageable ;
- le juge des enfants est compétent pour l’application des peines des mineurs en milieu ouvert, mais c’est le juge de l’application des peines qui est compétent en cas d’incarcération ; une coordination est donc indispensable ;
- les quartiers des mineurs des maisons d’arrêt se prêtent mal à la mise en oeuvre de mesures de semi-liberté impliquant par exemple une sortie du détenu chaque matin et un retour le soir.
La commission est consciente que des mesures d’aménagement de peines peuvent avoir un effet positif pour certains mineurs. Elle constate cependant qu’il ne suffit pas de le dire pour que cela devienne possible...
L’enfermement des mineurs doit être totalement repensé.
B. REPENSER L’ENFERMEMENT DES MINEURS
L’enfermement des mineurs délinquants est parfois une nécessité. Il peut être une nécessité à l’égard de la société qui demande une protection vis-à-vis de jeunes particulièrement violents.
Il peut être une nécessité à l’égard du mineur ancré dans un parcours d’auto-destruction.
Aujourd’hui, l’incarcération demeure trop souvent le dernier recours, la fin de toute tentative éducative.
L’enfermement des mineurs doit être repensé afin de revêtir une véritable dimension éducative et de s’inscrire dans un parcours dynamique vers la réinsertion.
1. Créer des établissements spécialisés pour les mineurs
Au terme de ses travaux, la commission ne croit pas que tout travail éducatif soit impossible en milieu fermé comme le lui ont affirmé certains de ses interlocuteurs. Si tel était le cas, à quoi servirait-il de proclamer sans cesse que tout doit être fait pour que la prison facilite la réinsertion des condamnés ?
La commission considère au contraire que, dans certaines situations, la contrainte peut faciliter l’éducation. Elle constate cependant qu’aujourd’hui, le système français de traitement de la délinquance des mineurs est tel qu’il faut choisir entre la contrainte et l’éducation. C’est cette logique qu’il convient de briser pour avancer.
A cet égard, la commission partage le diagnostic de l’Association française des professionnels de l’éducation en lien avec la justice pour qui « Il faut construire un système nouveau où il puisse y avoir de la contention dans l’éducatif et de l’éducation dans l’enfermement. Il faut en finir avec la prison pour les mineurs telle qu’elle existe aujourd’hui et créer des structures entièrement spécialisées où la privation de liberté ne sera pas synonyme d’interruption brutale du suivi éducatif » [70].
Pourquoi un travail éducatif serait-il possible en milieu fermé chez nos voisins européens et pas en France ? Dans de nombreux pays, les mineurs ne vont pas dans les prisons classiques mais dans des établissements spécialisés où une prise en charge intensive et totalement personnalisée est possible. Dans ces pays, le débat français sur l’impossible travail éducatif en milieu fermé n’existe pas.
La France doit être capable d’imaginer de nouvelles solutions de prise en charge pour les mineurs qui, à un moment, ont besoin d’une contention forte. Les quartiers de mineurs actuels ne sont, sauf exception, pas adaptés à une prise en charge intensive. La prison demeure beaucoup trop souvent un temps mort dans le parcours du mineur malgré les efforts de coordination qui sont désormais faits entre les intervenants du milieu ouvert et ceux du milieu fermé.
L’emprisonnement des mineurs doit aujourd’hui être totalement repensé. Il ne doit plus être conçu séparément de toutes les autres actions mises en oeuvre pour un mineur, mais dans le cadre d’un parcours qui doit permettre une réinsertion complète.
Une telle mutation implique des transformations profondes :
- des établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs devraient être créés, conçus spécifiquement pour permettre une prise en charge intensive en vue de la réinsertion de ces mineurs. Ces établissements devraient permettre une véritable scolarisation, l’organisation d’activités multiples. Les mineurs accueillis ne devraient plus pouvoir passer des journées entières à regarder la télévision en cellule comme cela arrive encore dans les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt. Ils devraient au contraire être occupés et encadrés tout au long de la journée.
Les nouveaux établissements ne devraient être ni trop grands, la concentration dans un même lieu d’un nombre important de mineurs en grande difficulté pouvant être explosive, ni trop petits, afin que des moyens massifs en personnels de surveillance, d’éducation, de santé, de psychiatrie puissent y être affectés. Ces établissements devraient progressivement remplacer les quartiers des mineurs actuellement intégrés dans les maisons d’arrêt ;
- même si ces établissements devraient logiquement relever de l’administration pénitentiaire, il conviendrait d’y introduire une véritable mixité dans ces établissements entre l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse, comme l’a suggéré M. Jean-Louis Daumas [71], directeur du centre pénitentiaire de Caen, devant la commission d’enquête : « Je suis intimement convaincu qu’il reste une grande place pour effectuer un travail en milieu fermé, sans le faire au détriment du milieu ouvert. Mais, pour les jeunes les plus difficiles, les plus violents, les plus abîmés, en plus grande souffrance, il faut introduire la mixité culturelle dans les établissements, accompagner l’action pénitentiaire de celle de la protection judiciaire de la jeunesse, avec l’intervention de deux types de personnels, des surveillants et des éducateurs. Les surveillants n’ont pas à faire le travail de l’éducateur. Les éducateurs n’ont pas à faire le travail des surveillants. Il y a de la place pour les deux métiers (...). »
2. Développer la notion de parcours éducatif
Créer des établissements spécialisés pour l’accueil des mineurs doit permettre de faire en sorte que l’enfermement ne soit plus une fin de parcours éducatif raté, mais une étape dans un parcours de rééducation allant du tout fermé au tout ouvert.
Ce système est notamment développé aux Pays-Bas où la commission s’est rendue en avril dernier.
Le centre de détention et de traitement Rentray (Pays-Bas)
Le centre de détention et de traitement Rentray a été créé en 1851 après la visite de la colonie pénitentiaire de Mettray près de Tours par le père Suringar.
Rentray est une institution du secteur associatif pour jeunes âgés de douze à dix-huit ans venant de l’ensemble des Pays-Bas et souffrant de sérieux problèmes comportementaux. Il fonctionne grâce à des subventions du ministère de la justice, du ministère de l’enseignement, des institutions communautaires et de fondations privées. Avec un effectif de 425 personnes, il gère des centres de traitement ouverts et semi-fermés dans les villes de Eefde, Rekken et Apeldoorn. L’unité de Rekken comporte également un centre de détention fermé. En 2003, un nouveau centre sera ouvert à Lelystad qui accueillera 120 à 144 jeunes.
A l’heure actuelle, Rentray dispose de 180 places de traitement en centre ouvert, 42 places en centre fermé, une école d’enseignement spécialisé comptant 360 élèves, dont 220 sont en internat.
Les jeunes qui arrivent au centre n’ont connu que des échecs. Ils souffrent souvent de troubles psychiques, sont déscolarisés et souvent délinquants. Ils sont donc démotivés et peu réceptifs. Les objectifs poursuivis doivent donc être réalistes et forcément limités.
La durée moyenne de placement s’élève à un an et demi. Le type de placement (détention ou traitement) est décidé par le juge des enfants en collaboration avec les institutions de tutelle. Deux catégories de jeunes sont présents : ceux qui ont commis des faits punissables et ceux qui ont été mis sous protection de la justice.
Lorsqu’ils deviennent majeurs, les organismes de prévention des jeunes adultes prennent le relais.
Au cours d’un séjour, les jeunes peuvent aller successivement dans le centre fermé, le centre semi-fermé ou le centre ouvert en fonction de leur comportement. Des allers-retours entre ces centres sont possibles. Les centres semi-fermés ne sont pas mixtes. Ils comportent une vingtaine de jeunes qui vont à l’école le matin et l’après-midi, mais qui ne peuvent sortir seuls du pavillon. Les fenêtres ne s’ouvrent pas et les portes sont toujours verrouillées.
Cinq principes guident l’action des différents intervenants :
- la volonté de diminuer les risques auxquels sont confrontés les jeunes, notamment en matière de toxicomanie. Ainsi, la drogue n’est pas tolérée dans les centres et les contacts des jeunes avec l’extérieur sont surveillés pour éviter tout trafic ;
- la nécessité de les couper de leur environnement lorsque celui-ci les conforte dans la délinquance ;
- le souci de revaloriser les jeunes : en arrivant à Rentray, ils ont une très mauvaise opinion d’eux. Il s’agit donc de leur redonner confiance, notamment en augmentant leur niveau de compétence ;
- la préparation des jeunes à de nouvelles opportunités, notamment en matière d’emploi afin d’éviter la récidive. Leur insertion dans le monde du travail est réalisée en collaboration avec des PME et des sociétés d’intérim et s’organise en trois phases : une phase d’orientation, une phase de stage et de formation (hôtellerie-restauration, menuiserie, accueil d’enfants, jardinage, travail administratif...) et une phase d’accompagnement sur le marché du travail ; l’encadrement continue pendant six mois à un an après le départ du centre ;
- l’incitation des jeunes à avoir de nouvelles relations sociales.
Rentray fonctionne sur la base du partenariat : tous les intervenants sont associés pour lutter contre la délinquance dans les quartiers : l’école, la justice, la police, les parents, les associations de quartiers etc.
L’évaluation du travail de Rentray est systématique et est réalisée par les jeunes, par les institutions de tutelle ainsi que par ses collaborateurs à travers des enquêtes de satisfaction.
67 % des jeunes sortant de l’établissement ne récidivent pas pendant l’année qui suit (les adolescents non retrouvés étant comptabilisés comme récidivistes).
Devant la commission, M. Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé, a pour sa part développé l’idée de centres semi-fermés au sein desquels un comportement négatif des jeunes pourrait être sanctionné par un temps bref d’enfermement, en insistant sur la notion de contrat éducatif. Il a également mentionné l’exemple de la prison de Turin :
« Le jeune peut être chez lui la nuit, peut être au travail le jour s’il respecte le contrat ; mais dès qu’il y a non-respect du contrat, il y a réponse, le temps de réfléchir avec le jeune au contrat qu’il sera capable de respecter. Cela me semblerait plus intéressant que de l’enfermer pendant trois mois, puis de le laisser ressortir... Nous aurons les mêmes problèmes ! Il nous faut nous servir de cette bonne idée. Parce que je ne suis pas un idéaliste grand rêveur, et je connais un peu ces jeunes ; car si le jeune ne respecte rien et se retrouve dehors, c’est tout qui dysfonctionne ! ».
Ces exemples pourraient inspirer utilement notre pays dans les années à venir. Les établissements spécialisés réservés aux mineurs pourraient être l’occasion de faire un point complet de leur situation et de nouer un contrat éducatif permettant une progression vers une réinsertion complète. Il conviendrait que les passages des établissements pénitentiaires spécialisés vers des structures ouvertes et réciproquement puissent s’effectuer avec une certaine souplesse en fonction du comportement du jeune.
Une telle conception implique des évolutions importantes :
- il paraît essentiel que les mineurs soient jugés plus rapidement ; les aménagements de peines ne peuvent en effet être envisagés qu’à l’égard de condamnés et non à l’égard de prévenus ;
- il conviendrait probablement que le juge des enfants, qui connaît le parcours du mineur, devienne pleinement juge de l’application des peines, y compris lorsqu’une décision d’incarcération est prise ; il pourrait ainsi continuer à suivre le mineur et envisager son orientation vers une structure plus ouverte, une formation...
Évidemment, une telle orientation n’est possible que si des moyens suffisants permettent aux juges des enfants d’exercer cette nouvelle tâche ;
- il faudrait enfin que les passages des structures fermées vers des structures ouvertes et réciproquement puissent être effectués avec une certaine souplesse et que le juge des enfants puisse continuer à effectuer un suivi après le jugement lui permettant d’exercer une certaine contrainte. Le sursis avec mise à l’épreuve pourrait permettre un tel suivi ; il conviendrait alors qu’il puisse être révoqué par le juge des enfants lui-même sans qu’il soit obligé de saisir le tribunal pour enfants, comme c’est le cas actuellement.
Peut-être faudrait-il envisager la création d’une nouvelle mesure de suivi intensif d’un mineur après un jugement. Un « tutorat judiciaire et éducatif », applicable aux jeunes condamnés à une peine d’emprisonnement, pourrait permettre la désignation d’un éducateur référent suivant le mineur durant tout son parcours et pouvant saisir le juge soit en cas de non-respect des obligations fixées, soit au contraire en cas d’évolution positive impliquant un changement de structure d’accueil.
CHAPITRE 5 PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE : TOUT CHANGE ET POURTANT RIEN NE CHANGE
« La question sociale qui est posée est la suivante : qui se « coltine » ces gamins ? Il n’y a pas beaucoup de candidats, il faut bien dire ce qui est »
Philippe Chaillou [72]
Lors de chacun de ses déplacements, la commission d’enquête a pu constater la richesse humaine, la motivation et l’engagement sincère dans l’action éducative existant au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Ella a dû aussi constater les difficultés d’une petite administration à mener les multiples tâches qui lui sont assignées et les pesanteurs d’une gestion terriblement bureaucratique. Perpétuellement en réforme, l’administration de la PJJ semble néanmoins victime d’une inertie persistante, d’une crise de vocations, en définitive d’une véritable crise d’identité.
I. LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE : TROP DE MISSIONS POUR UNE TOUTE PETITE ADMINISTRATION ?
A. HISTORIQUE : DE L’ÉDUCATION SURVEILLÉE À LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE
L’histoire de l’administration chargée de l’éducation des mineurs ayant commis des délits ou des crimes est intimement liée à l’histoire du droit pénal des mineurs et à sa spécialisation progressive.
Dès le XIXème siècle, des établissements spécifiques pour mineurs sont créés (« prisons d’amendement ») par les ordonnances des 18 avril et 29 septembre 1814. Les années 1820 et 1830 sont marquées par la création de quartiers de mineurs dans les prisons et par les théories préconisant l’éloignement des enfants des villes et leur soumission à un régime d’éducation stricte.
Les lois des 5 et 12 août 1850 sur l’éducation et le patronage des jeunes détenus consacrent trois types d’établissements :
- les établissements pénitentiaires accueillent les mineurs enfermés au titre de la correction paternelle et ceux condamnés à une peine inférieure à six mois d’emprisonnement ;
- les colonies pénitentiaires [73] sont destinées aux mineurs acquittés pour manque de discernement et aux jeunes condamnés à une peine comprise entre six mois et deux ans d’emprisonnement ;
- les colonies correctionnelles sont destinées aux jeunes condamnés à plus de deux ans d’emprisonnement et aux « insoumis » ou « rebelles » des colonies pénitentiaires.
Ces établissements sont dénoncés pour leur pratique de répression, de soumission et de dressage, pour la promiscuité [74] qui y règne et les évasions, mutineries et révoltes : ce sont des « bagnes d’enfants ».
La loi du 12 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et sur la liberté surveillée fonde les premières missions de la future PJJ : mener les enquêtes sur la situation matérielle et morale du mineur et de sa famille, en amont de la décision judiciaire. Un délégué à la liberté surveillée rend compte au juge : en cas de mauvaise conduite, le magistrat pourra décider du placement en établissement ou en maison d’arrêt.
En 1927, les colonies correctionnelles et pénitentiaires sont rebaptisées « maisons d’éducation surveillée », plus communément connues sous les appellations « maisons de redressement » ou « maisons de correction ». Les révoltes de colons attirent l’attention de la presse, le personnel de l’administration pénitentiaire est mis en cause. Des tentatives de réforme, trop tardives, sont entreprises. Le corps professionnel des moniteurs-éducateurs, chargés de la formation professionnelle comme de la discipline, est créé en 1937.
L’ordonnance du 1er septembre 1945 créée la direction de l’Education surveillée, détachée de l’administration pénitentiaire, qui dispense une formation professionnelle aux mineurs et met en place un système progressif fondé sur le franchissement ou non d’étapes par le jeune. Les directeurs des institutions publiques (ou internats publics) d’éducation surveillée (IPES) ont un poids considérable dans l’élaboration des orientations pédagogiques.
Les délégués permanents à la liberté surveillée sont placés sous l’autorité du directeur de l’Education surveillée et non sous l’autorité du juge et deviennent les éducateurs de l’éducation surveillée en 1956.
Dans les années 1970, apparaissent les foyers d’action éducative, tandis que les services d’orientation éducative sont implantés dans les tribunaux [75]. En 1972, les internats professionnels sont transformés en institutions spéciales de l’éducation surveillée (ISES) et de petits établissements sont créés : les centres d’orientation et d’action éducative (COAE). Quatre centres fermés se créent (Juvisy [76], Epernay, Nantes-Bouguenais, Toulouse) mais sont vite transformés en ISES.
En 1990, l’Education surveillée devient la Protection judiciaire de la jeunesse.
B. DES MISSIONS DIVERSES
1. Les missions : protection et éducation sur mandat judiciaire
Aux côtés des services de l’aide sociale à l’enfance des départements, la PJJ prend en charge les mineurs en danger au titre de l’assistance éducative.
Les jeunes majeurs sont pris en charge, avec leur accord, dans le cadre du décret du 18 février 1975 qui tempère certains effets de la loi du 5 juillet 1974 abaissant l’âge de la majorité de vingt-et-un à dix-huit ans.
Dans le cadre pénal, la PJJ assure le suivi des mesures éducatives ou des sanctions pénales décidées par le juge ou le tribunal pour enfants à l’égard des mineurs.
2. Les structures
Pour remplir ces différentes missions, la PJJ dispose de structures diversifiées :
- 98 services éducatifs auprès du tribunal (SEAT), chargés de recueillir des renseignements socio-éducatifs sur les mineurs et leur famille à la demande du magistrat avant de prendre une décision civile ou pénale. Ils remplissent également une mission d’accueil et d’orientation des mineurs et de leur famille qui se présentent au tribunal pour enfants. Ils suivent les mineurs détenus et exercent des mesures éducatives et des peines. Leurs missions sont remplies par les CAE lorsqu’il n’y a pas de SEAT ;
- 35 foyers d’action éducative (FAE), hébergeant des jeunes délinquants ou en danger, ont une capacité d’une douzaine de places et sont implantés en milieu urbain ; par ailleurs, des unités d’hébergement diversifié permettent d’apporter d’autres réponses (famille d’accueil, studio, foyer de jeunes travailleurs, etc.), notamment lorsque l’hébergement de type collectif n’est pas adapté au jeune ou lorsque le jeune engage une démarche d’autonomisation liée à l’approche de sa majorité civile ;
- 47 centres éducatifs renforcés (CER) prennent en charge des mineurs délinquants pour des séjours de rupture ;
- 37 centres de placement immédiat (CPI) ont vocation à accueillir à tout moment des mineurs en grande difficulté, en vue de leur orientation et de leur inscription dans un projet d’éducation à long terme ;
- 234 centres d’action éducative (CAE) [77] sont chargés, d’une part, d’une fonction d’investigation en vue d’apporter une aide à la décision du magistrat [78] et, d’autre part, de la prise en charge éducative des mineurs maintenus dans leur famille (« milieu ouvert »). Ils mettent en oeuvre les mesures de réparation prononcées à l’égard des mineurs délinquants ;
- les centres de jour, rattachés soit aux foyers soit aux centres d’action éducative, proposent aux jeunes confiés à ces services des activités d’insertion et de formation professionnelle.
Par ailleurs, 100 directions départementales et 15 directions régionales forment l’appareil déconcentré de la PJJ.
3. Deux secteurs distincts
La protection judiciaire de la jeunesse comprend un secteur public et un secteur associatif habilité.
Le secteur public prend en charge toutes les mesures, tant au pénal qu’au civil, pour les mineurs et les jeunes majeurs (dix-huit-vingt-et-un ans). Pour sa part, le secteur habilité prend en charge toutes les mesures au civil (mineurs et jeunes majeurs) mais n’effectue au pénal que les placements et les réparations, à l’exclusion des investigations et des peines.
La multitude des établissements caractérise ainsi la PJJ. Aux 470 établissements du secteur public, il convient d’ajouter les 1.100 établissements et services habilités Justice, gérés par près de 500 associations. Le danger est grand de juger la PJJ à partir de constats anecdotiques ; il convient au contraire de tenir compte de l’extrême diversité des structures existantes et des réponses apportées tant à la souffrance des jeunes qu’à leur délinquance.
C. DES MOYENS FINANCIERS MAL RÉPARTIS ET PARFOIS MAL UTILISÉS
1. Un rattrapage récent fait suite à des moyens financiers longtemps insuffisants
Après de nombreuses années de stagnation, le budget des services de la PJJ a connu une augmentation de 31 % sur les quatre derniers exercices budgétaires.
Toutefois, les crédits consacrés à la PJJ pour 2002, d’un montant de 540 millions d’euros (soit 3,54 milliards de francs), n’augmentent que de 0,99 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2001, marquant un coup d’arrêt aux progressions budgétaires enregistrées en 2001 (+ 7,3 %), en 2000 (+ 14,7 %) et en 1999 (+ 6,4 %). La part du budget de la PJJ dans le budget total du ministère de la Justice a même diminué : 11,5 % contre 12,1 % en loi de finances initiale pour 2001.
Ces moyens sont répartis de façon à favoriser les départements où la délinquance et les handicaps sociaux sont les plus importants [79]. Le conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998 a défini 26 départements prioritaires dits « très sensibles » [80]. En 1999, 55 % des moyens de fonctionnement de la PJJ étaient affectés aux 26 départements prioritaires, la proportion étant des deux tiers s’agissant des moyens nouveaux. En 2000, 75 % des moyens nouveaux de la PJJ ont été affectés aux départements prioritaires.
La géographie prioritaire peut avoir des effets pervers, en raison de critères sans doute trop restrictifs. Ainsi, Paris n’est pas classé en département prioritaire. Or, la commission d’enquête a pu constater sur place le dramatique sous-dimensionnement de la direction départementale de la PJJ de Paris, tant en places d’hébergement (39 dans le secteur public et 367 dans le secteur associatif habilité... soit 24 % de plus que le département de l’Ardèche et autant que le département de la Charente) qu’en milieu ouvert.
De même, les départements d’outre-mer souffrent particulièrement de l’absence de rééquilibrage ; leur sous-équipement est pourtant manifeste dans tous les domaines (logement des jeunes, absence de foyer public de la PJJ en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique). Certes, les DOM connaissent un taux de délinquance des mineurs inférieur à la moyenne nationale, mais la prédominance de ce critère risque de faire oublier qu’en l’absence de structures adaptées, ces mineurs délinquants, si peu nombreux soient-ils, risquent de se retrouver (à nouveau) à la rue.
Les critères de la géographie prioritaire devraient donc être évalués, afin de savoir s’ils sont pertinents pour opérer un véritable rattrapage en faveur des départements qui n’ont pas les moyens aujourd’hui de répondre à la commande judiciaire, notamment en termes d’hébergement et d’activités de jour.
2. Des crédits sous-consommés ou mal utilisés
Non seulement les dotations budgétaires de la PJJ ont longtemps été faibles, mais la PJJ était durement touchée par la régulation budgétaire en cours d’exercice. Paradoxalement, l’afflux de moyens nouveaux a donc été difficile à absorber par une si petite administration : la consommation des crédits s’en est ressentie.
En 1997, 2,2 % des crédits ouverts en faveur du personnel de la PJJ ont été annulés. En octobre 1999, 10 millions de francs de crédits de paiement, sur les 97 ouverts en loi de finances initiale, ont fait l’objet d’un gel de crédits. En juillet 2000, les gels de crédits ont porté sur 8,5 % des crédits ouverts au chapitre des subventions aux associations habilitées. En 2001, 11 % des crédits d’investissement ouverts en loi de finances initiale ont fait l’objet d’un « blocage en gestion ».
S’agissant des crédits d’investissement (titre V), les reports sont de plus en plus importants, puisque le taux d’utilisation des autorisations de programme est passé de 94 % en 1996 à 78 % en 1999. En ce qui concerne les crédits de paiement, le taux d’utilisation est passé de 57 % en 1996 à 48 % en 1999.
Si la PJJ bénéficie des crédits communautaires pour mettre en oeuvre des actions de formation et d’insertion sociale et professionnelle depuis 1986, force est de constater que 45 millions de francs de crédits sur les 135 alloués au titre du FSE n’ont pas été consommés sur les quatre dernières années [81].
Quelques progrès sont attendus de la procédure de conférence unique de programmation ainsi que de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui privilégient une logique d’objectifs et d’évaluation des réalisations.
La commission estime qu’une réflexion doit être menée sur la répartition des crédits de paiement dans le temps. Ceux-ci sont délégués à hauteur de 50 % la première année, de 30 % la deuxième année et de 20 % la troisième année, alors que, manifestement, il faut plus de trois ans à la direction de la PJJ pour mettre en oeuvre un programme, qu’il s’agisse de la création d’un centre de placement immédiat ou de celle d’un centre d’éducation renforcée.
L’utilisation des crédits est grevée par d’importantes charges structurelles. En 1999, sur 100 francs de dépenses de fonctionnement du secteur public de la PJJ, les charges structurelles, en particulier les dépenses immobilières et de matériel, représentaient environ 40 francs, ce qui traduit l’éparpillement des structures d’accueil [82] ; les dépenses liées aux moyens de travail atteignaient 31 francs ; enfin, les dépenses directes en faveur des jeunes se montaient à 29 francs.
Au niveau déconcentré, les directions départementales de la PJJ font état de difficultés dans l’utilisation des crédits. A titre d’exemple, de trop grandes disparités sont constatées dans le remboursement des frais de déplacement professionnel, entraînant soit des abus, soit de la colère là où le remboursement est inférieur aux dépenses réelles.
3. Un patrimoine immobilier coûteux et mal géré
La PJJ « traîne » un très important domaine immobilier, qu’elle entretient mal et qui consomme des moyens [83]. Ainsi, la commission, lors de son déplacement dans les Bouches-du-Rhône, a visité le complexe des Chutes-Lavie, domaine de 8 hectares dans Marseille accueillant un centre de placement immédiat, un service de milieu ouvert, un centre régional de formation, un centre d’insertion professionnelle, une école d’application et trois associations qui organisent des modules d’insertion. Le site doit être restructuré depuis dix ans, mais seul le CPI a été créé. Au départ, le bâtiment devait accueillir non un CPI, mais un foyer traditionnel ; la commande a changé pendant les travaux...
Il conviendrait au minimum que la PJJ engage une réflexion sur la carte nationale et établisse un schéma directeur immobilier.
Un des enjeux d’un tel schéma pourrait être le rééquilibrage de la présence du service public sur l’ensemble du territoire. La répartition des structures de la protection judiciaire de la jeunesse sur le territoire national est en effet très inégale. 4 départements n’ont que des SEAT et dans 38 départements, il n’existe qu’un seul autre service du secteur public en plus du SEAT. En revanche, plus de 40 % des structures se concentrent dans 10 départements, dont 7 en Ile-de-France.
La commission souhaite qu’une réflexion soit engagée sur le transfert éventuel aux départements de la compétence en matière de construction, reconstruction, extension, grosses réparations, équipement et fonctionnement (hors dépenses éducatives et de personnel) des établissements d’hébergement du secteur public de la PJJ, à l’image de la décentralisation du bâti des collèges [84], qui a fait la preuve de son efficacité.
Naturellement, une telle évolution devrait s’accompagner d’un transfert des moyens nécessaires.
D. UN CONTRÔLE INSUFFISANT DU SECTEUR ASSOCIATIF HABILITÉ
Il semblerait qu’aucun contrôle digne de ce nom sur les établissements du secteur associatif habilité soit réalisé par les directions régionales et départementales de la PJJ, qui n’en ont pas les moyens, en raison de la faiblesse de l’encadrement administratif. Selon la directrice de la PJJ, Mme Sylvie Perdriolle, certaines directions régionales ont mis en place un contrôle annuel obligatoire de quatre à cinq établissements par an, mais elles sont très minoritaires.
La plupart des établissements associatifs habilités Justice étant également habilités par les Conseils généraux au titre de l’Aide sociale à l’enfance, la PJJ se décharge sur les départements de la mission de contrôle de ces établissements [85]. Dès lors, le seul contrôle exercé l’est au moment de l’habilitation des services et de son renouvellement tous les cinq ans [86] et, chaque année, à l’occasion de la tarification (fixation du prix de journée). L’insuffisance du contrôle est aggravée en ce qui concerne les « lieux de vie » dans lesquels les magistrats placent des enfants, alors même que, n’étant pas habilités, ils ne sont quasiment pas encadrés [87].
La commission d’enquête estime indispensable de développer un contrôle pédagogique effectif du secteur associatif habilité. La loi du 2 janvier 2002 modifiant la loi de 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales constitue un premier pas en ce sens.
E. QUI PILOTE LA PJJ ?
1. L’administration centrale : organisation inadaptée et trop faible déconcentration
Comme l’a résumé un représentant du syndicat UNSA-SPJJ devant la commission : « Nous avons l’impression que nulle part dans l’administration il n’y a de pilote. »
L’organisation gestionnaire de la PJJ paraît faible et inadaptée : les secteurs public et privé relèvent de deux sous-directions différentes, lesquelles ont tendance à travailler chacune à sa façon. Par ailleurs, les relations avec les collectivités locales sont éclatées entre une série de bureaux. En outre, il n’existe pas de sous-direction des ressources humaines. Il serait souhaitable que l’administration centrale se réoriente vers ses fonctions primordiales, celles de pilotage et de coordination.
Une réorganisation profonde de l’administration centrale de la PJJ s’impose aujourd’hui, notamment en renforçant l’encadrement et en privilégiant les personnes ayant de réelles compétences de gestion. Les postes administratifs à responsabilité semblent en effet constituer une voie de promotion interne pour les anciens éducateurs, qui n’ont pas toujours reçu une formation adéquate, au lieu d’être pourvus par des spécialistes de la gestion. La PJJ manque de personnels administratifs : sur 6.500 fonctionnaires environ, on dénombre 1.000 personnels administratifs, mais seulement 100 attachés. Or, le métier de gestionnaire ne s’improvise pas.
2. Un sous-encadrement aggravé par la réticence envers l’autorité hiérarchique
La PJJ souffre d’un sous-encadrement manifeste. 48 % des directions départementales comportent moins de six agents et 30 % en comportent moins de quatre. Alors que 35 directions départementales ne disposent d’aucun attaché, la création de 8 postes seulement a été budgétée pour 2002.
Ce sous-encadrement est aggravé par le fait que les éducateurs font preuve d’une réticence à s’inscrire dans la hiérarchie même de leur administration. Selon l’Inspection des services de la PJJ, les directeurs n’exercent qu’un contrôle « diffus, indirect, sans outil spécifique » sur leurs propres services !
Comme le souligne M. Hubert Haenel, rapporteur spécial des crédits de la Justice pour la commission des Finances du Sénat, les personnels de la PJJ « disposent d’une très grande autonomie dans l’organisation et la définition de leur travail, ce qui n’est pas sans provoquer des tensions au sein de cette administration et la rendre parfois difficilement contrôlable. Les relations hiérarchiques sont affaiblies par un fort esprit d’indépendance de la part des agents de la PJJ. »
En matière d’organisation du travail, la PJJ se caractérise par son extrême diversité. Selon l’Inspection des services de la PJJ : « l’absence de cadre et de référentiel national laisse place à l’initiative, aux pressions éventuelles diverses, à la fois créatives et déstructurantes. [...] La diversité confirmée tendrait à valider une organisation plutôt individuelle du travail, plus ou moins amodiée par des règles de service qui ne sont cependant pas déterminantes ».
A titre d’exemple, avant même la mise en oeuvre des « 35 heures », certains services de la PJJ les pratiquaient déjà, à la suite d’un mot d’ordre syndical. Selon l’Inspection, il semblerait que ces situations aient reçu l’aval des directions départementales. Un CAE est même signalé pour son autonomie : le tableau des emplois du temps détenu par le secrétariat n’y est pas communicable au directeur !
3. La PJJ entre immobilisme et agitation permanente ?
Comme ont pu le constater des personnalités entendues par la commission, la PJJ est caractérisée par une forme d’inertie globale, qui n’est d’ailleurs pas contradictoire avec l’existence d’une forte agitation interne.
Cette analyse semble confirmée par le syndicat UNSA-SPJJ : « Nous sommes sans arrêt abreuvés de circulaires définissant des mesures nouvelles sans que jamais le point soit fait sur les mesures anciennes, si bien que ceux qui travaillent sur le terrain ont beaucoup de mal à s’y retrouver. Nous connaissons très peu de bilans, d’évaluations, nous connaissons très peu de mesures qui soient suivies jusqu’à leur terme, avec tout ce que cela comporte de mise à plat, d’évaluation en fin de mesure. L’administration a ouvert quantité de chantiers qui n’ont jamais été menés à leur terme » [88].
Pour les inspections générales chargées du rapport sur les unités à encadrement éducatif renforcé (UEER) en 1998, il y a lieu de s’interroger sur « la possibilité de l’administration de la PJJ, quelles que soient les circonstances, de conduire une politique volontariste ».
II. UNE EXÉCUTION TRÈS IMPARFAITE DES DÉCISIONS DE JUSTICE
A. LA MAUVAISE INSERTION DE LA PJJ DANS LE SYSTÈME JUDICIAIRE
1. La dégradation des relations avec les magistrats
Dans les réponses au questionnaire envoyé par la commission d’enquête aux directions départementales de la PJJ, deux tiers d’entre elles déclarent avoir des relations bonnes et régulières avec le parquet (la périodicité des réunions communes variant toutefois considérablement) et un sixième déclarent avoir de bonnes relations mais sans réunions régulières avec le parquet.
S’agissant des juges pour enfants, les trois quarts des directions départementales de la PJJ déclarent entretenir des relations régulières voire quotidiennes avec eux et un sixième déclarent avoir de bonnes relations sans réunions régulières.
En revanche, la commission s’inquiète qu’un sixième des directions départementales de la PJJ déclarent avoir des relations distantes, inexistantes ou mauvaises avec les magistrats du parquet chargés des affaires de mineurs, les proportions étant identiques s’agissant des relations avec les juges des enfants, sans que les mêmes directions départementales soient forcément concernées dans les deux cas.
Selon l’Inspection des services de la PJJ, les relations entre les services du secteur public de la PJJ et les magistrats se sont dégradées ces dernières années.
La crédibilité technique de la PJJ est sérieusement mise en cause par les magistrats qui lui reprochent des refus de prise en charge, des établissements en sous-effectifs ou en crise régulière, des listes d’attente et des délais de prise en charge trop longs ; la capacité à prendre en charge les mineurs délinquants est mise en doute.
En retour, les services de la PJJ reprochent aux juges que des mineurs soient confiés sans audience préalable, un retard dans la notification des décisions judiciaires, qui n’est pas contradictoire avec un fonctionnement dans l’urgence, et un refus de réponse en matière de violation des obligations des contrôles judiciaires ou des sursis avec mise à l’épreuve, rendant incohérentes les positions des éducateurs envers les mineurs.
Il est déplorable que la présence des éducateurs aux audiences ne soit pas systématique. Une des raisons avancées est la convocation pour des audiences pénales à heure fixe, générant de longues attentes et une perte de temps pour les éducateurs. Les magistrats doivent eux aussi endosser leur part de responsabilité : certains d’entre eux refusent purement et simplement la présence de la PJJ à l’audience ou l’accès des éducateurs aux dossiers.
Toutefois, il convient de distinguer, d’une part, les relations entre les services et les magistrats, d’autre part, les relations entre les directions territoriales et les magistrats, les premières étant sans doute plus tendues que les secondes.
2. La réforme annoncée des SEAT : une fausse solution
Les missions du service éducatif auprès du tribunal sont :
- d’établir, à la demande du procureur de la République, du juge des enfants ou de la juridiction d’instruction, un rapport écrit contenant tous les renseignements utiles sur la situation du mineur ainsi qu’une proposition éducative ;
- d’apporter au magistrat toutes indications utiles sur les possibilités d’accueil et de placement des équipements publics et privés ;
- de suivre les mineurs incarcérés ;
- d’accueillir les mineurs et les familles qui se présentent au tribunal ;
- d’exécuter les mesures de liberté surveillée, le contrôle judiciaire, les travaux d’intérêt général, ainsi que les mesures d’assistance éducative qui lui sont confiées. Les SEAT n’ont toutefois pas l’exclusivité du traitement des mesures pénales, auquel les centres d’action éducative (CAE) participent activement.
Bien que l’arrêté du 30 juillet 1987 portant création des SEAT prévoie que chaque tribunal pour enfants soit doté d’un tel service, on ne compte que 98 SEAT pour 134 tribunaux pour enfants.
Les SEAT sont critiqués sur deux terrains : leurs missions et leur organisation. L’exercice des mesures éducatives et des peines à partir du tribunal serait entravé par l’absence de moyens pluridisciplinaires des SEAT. De plus, l’intervention possible de deux services (CAE et SEAT) sur un même secteur géographique pour des fonctions identiques et la faiblesse des effectifs dans certains SEAT interdirait tout travail collectif. Il leur est reproché une culture professionnelle jugée individualiste.
Par ailleurs, la proximité avec les magistrats est critiquée dans le document d’orientation du comité technique paritaire national du 20 février 2001, au motif qu’elle aurait eu « pour contrecoup d’éloigner ou de couper les éducateurs du SEAT des autres services éducatifs (...). L’accès privilégié aux magistrats et la qualité des relations avec eux dont ont bénéficié les SEAT ont rarement rejailli sur l’ensemble des services ».
Pour justifier la réforme, la directrice de la PJJ avance la nécessaire territorialisation des services et l’inscription de la PJJ dans les politiques publiques (contrats locaux de sécurité, contrats de ville, etc.).
La réforme des SEAT
La circulaire du 15 mai 2002 vise un triple objectif :
- assurer dans tous les tribunaux pour enfants une permanence pénale, la fonction d’orientation en urgence et l’accueil des mineurs et de leur famille ;
- garantir la mise en oeuvre territorialisée et pluridisciplinaire des mesures et des peines, en les confiant aux CAE ;
- garantir un fonctionnement de service, notamment en plaçant les éducateurs exerçant leur activité au tribunal sous l’autorité d’un directeur chargé d’organiser leur travail en équipe et d’inscrire l’action du service dans le cadre du projet départemental (en février 2001, seuls 12 SEAT étaient dotés d’un directeur).
Les SEAT seront organisés selon trois modalités différentes, en fonction du nombre de juges des enfants dans le ressort du tribunal.
L’Association française des magistrats de la jeunesse de la famille s’est opposée à la réforme des SEAT : « Si les services éducatifs ne sont plus localisés au sein des tribunaux, il n’y aura plus de contact entre les juges et les éducateurs. La justice sans l’éducatif, c’est la violence. L’éducatif humanise le travail du juge, et c’est fondamental. »
Cette réforme est également jugée négativement par trois des quatre syndicats représentatifs de la PJJ [89]. En revanche, le SNPES-PJJ-FSU, après avoir rappelé que la réforme des SEAT s’inscrivait dans une réorganisation plus globale des services de la PJJ [90], a déclaré avoir toujours été opposé à la création de services au sein des tribunaux, ajoutant que les SEAT avaient souvent enclenché les mêmes dynamiques que les anciens services de liberté surveillée.
La commission estime au contraire regrettable de priver les magistrats d’une présence éducative réelle au tribunal, et non limitée à une simple fonction de permanence, exercée par l’ensemble des éducateurs à tour de rôle. Il faut éviter qu’à terme, les SEAT ne reçoivent plus de mesures à exercer, comme la réforme en cours peut le laisser craindre.
Il paraît douteux que le démantèlement de la plupart des SEAT (à l’exclusion des dix plus gros) contribue à rapprocher les CAE des tribunaux [91]. Ce n’est pas en éloignant les éducateurs des magistrats que la PJJ pourra exercer ses missions.
S’agissant de la pluridisciplinarité, la commission d’enquête s’étonne que l’utilisation, par les SEAT, de personnels des CAE, qui se pratique déjà dans certains départements, ait été écartée au motif que « ce recours à d’autres professionnels, sur décision ou appréciation d’un seul [92], permet l’utilisation de moyens pluridisciplinaires mais pas un réel fonctionnement pluridisciplinaire », les psychologues parlant d’instrumentalisation de leurs compétences...
La commission souhaite que tout soit entrepris pour éviter que les liens entre magistrats et éducateurs, déjà insuffisants, soient encore distendus dans les prochains mois.
B. LE TRI DES MESURES EN MILIEU OUVERT
1. Priorité à l’assistance éducative au détriment du pénal
En milieu ouvert, l’ordre de priorité de traitement des mesures en attente varie selon les services. Il peut être défini par le juge ou correspondre strictement à l’ordre d’arrivée des mesures. Mais le plus souvent, les priorités sont établies en fonction de la problématique. Selon l’Inspection des services de la PJJ, priorité est donnée aux cas de maltraitance et aux victimes d’abus sexuels. Viennent ensuite les mineurs récidivistes, et en dernier lieu les autres interventions au pénal. La nature des mesures influe aussi sur les listes d’attente, notamment s’il s’agit de mesures pénales comme les travaux d’intérêt général (TIG) et les sursis avec mise à l’épreuve (SME) [93].
2. Des normes de prise en charge arbitraires
Il convient de rappeler qu’il n’existe aucune norme officielle nationale fixant le nombre de mesures ou de mineurs par éducateur [94]. Pourtant, en pratique, tous les services rencontrés déterminent leur capacité théorique et leur capacité installée en fonction d’un quota d’interventions par éducateur : le plus souvent de 30 mesures par éducateur ou 25 jeunes par éducateur. Ces chiffres sont très variables selon les services et selon les départements.
Les statistiques effectuées en 1994, faisant état d’une base de 20 familles pour 25 jeunes, pour 30 mesures, ne sont pas significatives, tant sont importantes les différences entre les mesures (une AEMO de six mois ne demande pas le même travail qu’une mesure de liberté surveillée par exemple) et dans les caractéristiques de la population (intervention en milieu rural ou dans les grands ensembles urbains dégradés). Il paraît pour le moins arbitraire d’en déduire une norme de prise en charge, applicable en toutes circonstances.
La répartition de la charge de travail entre les éducateurs ne semble pas toujours rationnelle. Les critères sont multiples et parfois contradictoires [95] :
- des critères pédagogiques : la personnalité et la compétence des éducateurs ; la nature des mesures ; l’équilibre entre mesures éducatives et mesures d’investigation ; l’importance de la mesure (qui peut être attribuée à deux professionnels) ; le besoin ou non d’une prise en charge pluridisciplinaire ;
- des critères de temps : l’ordre chronologique d’arrivée des mesures ; le caractère prioritaire des investigations ; l’urgence ;
- des critères liés à l’organisation des services : le secteur géographique ; la charge de travail de chaque éducateur au regard de la « norme » du service ; dans certains services le même éducateur prend toutes les mesures pour le même adolescent ; le statut des personnels (dans un service, le directeur assure tous les contrôles judiciaires) ; le souhait des professionnels ; le fait de disposer ou non d’un véhicule personnel ; certains services évitent la spécialisation ; enfin il est tenu compte de certaines incompatibilités personnelles.
Les risques de cette distribution des mesures sont l’appropriation personnelle des mesures, pouvant aboutir à la mise en cause de la continuité de l’action éducative.
La rigidité des services entre eux empêche que les mesures en attente soient redistribuées dans un autre service moins chargé. A été ainsi évoqué devant la commission d’enquête l’exemple du SEAT de Lyon, qui compte une centaine de mesures en attente, alors que le CAE, qui se trouve à l’étage supérieur du même bâtiment, n’en compte aucune.
L’absence de protocole d’exercice des mesures éducatives selon leur nature est préjudiciable ; cet outil permettrait de bâtir des références collectives au sein d’un même service. En effet, selon un directeur de service cité par l’Inspection des services de la PJJ : « lorsque le protocole n’est pas écrit, les us et coutumes, l’expérience et la culture du relationnel entre le CAE et les familles l’emportent sur la mise en oeuvre des mesures et le respect des procédures ».
La commission souhaite qu’un référentiel soit établi, comme c’est le cas en matière d’IOE (investigation et orientation éducative).
3. Retard dans l’exécution des mesures et des peines
Est considérée comme une mesure en attente d’exécution toute mesure qui n’a pas reçu de début d’application plus de deux semaines après la décision du juge.
En 1998, 5.400 mesures de suivi en milieu ouvert étaient en attente d’exécution dont 48 % dans le secteur public. La durée d’attente avant le début d’exécution atteignait trois à six mois pour un tiers des mesures. Dans le secteur public, 7,7 % des mesures de suivi en milieu ouvert attribuées aux services étaient en attente d’exécution. Au 1er janvier 2000, 7.500 mesures étaient en attente.
En analysant les réponses au questionnaire envoyé aux directions départementales de la PJJ, la commission a constaté que, sur les 85 % d’entre elles ayant fait connaître le nombre de mesures en attente d’exécution, près de deux sur cinq n’ont aucune mesure en attente d’exécution, tandis que les difficultés se concentrent sur une dizaine au moins des directions départementales pour lesquelles le rapport entre le nombre de mesures en attente et le nombre de jeunes suivis par la PJJ excède 10 % [96].
Une étude serait en cours sur le délai moyen de prise en charge des mesures, comme l’a souligné Mme Sylvie Perdriolle, directrice de la PJJ, qui ajoutait que le délai moyen actuel était de 51 jours [97], en baisse de 5 jours entre 2000 et 2001 grâce à l’arrivée de personnels en poste.
Par le jeu des délais, certaines mesures ne sont jamais exécutées. La responsabilité en revient en partie à la PJJ, en partie aux magistrats prescripteurs :
- d’une part, les syndicats mettent en cause les magistrats [98] ;
- d’autre part, le tri des mesures correspond en réalité à des classements administratifs.
En effet, une mesure comme un SME (sursis avec mise à l’épreuve) est limitée dans le temps ; si elle n’a toujours pas été exécutée lorsque la durée de la peine est écoulée, le mineur délinquant est resté libre sans avoir fait l’objet d’un suivi de la part d’un éducateur. La peine perd donc tout son sens. M. Philippe Chaillou, président de la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel de Paris : « Certains SME prononcés pour une durée de dix-huit mois ne sont pris en charge que durant les six derniers mois. Certaines peines de TIG ne sont pas exécutées à l’expiration du délai de dix-huit mois. Des mesures de réparation ordonnées pour une durée de quatre mois sont prorogées à deux reprises et exécutées un an après leur prononcé. »
Pour le SN-FO-PJJ, la mise en attente de mesures prises au nom du peuple français est un déni de justice, une ingérence de l’exécutif dans le judiciaire, symptomatique de la volonté de la PJJ de « devenir un contre-pouvoir à ce qu’elle appelle le pouvoir judiciaire ».
Comme le souligne l’Inspection des services de la PJJ : « Pour certains directeurs, la mise en attente de mesures représente un moyen de reconnaissance et la prise en compte de l’activité de ceux-ci, un indicateur, une stratégie pour obtenir des moyens supplémentaires [...]. Dans un certain contexte, si un service n’a pas de mesure en attente par rapport à un environnement où cette pratique est largement répandue, il risque d’être pénalisé en n’étant plus prioritaire pour le remplacement ou la création de postes d’éducateurs par exemple... ».
L’inexécution des décisions de Justice par la PJJ est un des plus graves griefs qui puissent être formulés à son encontre. Pour M. Philippe Chaillou : « L’action éducative posée en principe de l’ordonnance du 2 février 1945 n’est pas exercée et conduit tout droit à la récidive certains mineurs qui, s’ils avaient été pris en charge à temps par un service éducatif, auraient pu mettre un terme à un parcours délinquant ».
C. L’« ALLERGIE » À L’ÉVALUATION DU TRAVAIL ÉDUCATIF
La difficulté à rendre compte aux magistrats semble caractériser les travailleurs de la PJJ.
1. L’obsession de l’autonomie de l’acte éducatif
Un des principaux reproches adressés à la PJJ est sans doute de ne pas respecter complètement l’autorité de la chose jugée, au nom de « l’autonomie de l’acte éducatif ».
Les propos suivants, émanant d’un éducateur de SEAT [99], illustrent cette propension à revendiquer une légitimité égale voire supérieure à celle du magistrat : « Depuis 1987, [l’éducateur au tribunal pour enfants] est l’aiguillon. Le juge lui demande son avis sur les mesures à prendre, mais aussi sur l’opportunité des poursuites : « Dites-mois ce que je dois faire ! ». Il est devenu un conseiller technique en éducation chargé d’artisanat judiciaire et d’aide à la décision. [ ...] La disparition des services de liberté surveillée en 1987 a trouvé son fondement dans l’accusation portée sur les délégués permanents à la liberté surveillée, irréductibles du pénal, d’être soit à la botte des juges des enfants soit des quasi-juges. A ce jour, nous sommes encore mieux que cela. Nous mettons le nez partout, avant le parquet, après le parquet, avant, après, pendant les juges. On pourrait presque se passer des juges ! Le pouvoir éducatif par des voies inattendues s’est substitué à l’autorité judiciaire. »
Les propos du syndicat majoritaire de la PJJ, le SNPES-PJJ-FSU, sont significatifs à cet égard : la PJJ « doit retrouver son autonomie dans la mise en oeuvre des mesures éducatives. Il est indispensable de repenser et de définir l’articulation entre le judiciaire et l’éducatif. On ne peut pas continuer à instrumentaliser cette institution, ses services et ses professionnels. »
Le Conseil économique et social [100], citant le rapport conjoint de mars 1995 de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des services judiciaires sur le dispositif de protection de l’enfance, dénonce les rigidités de fonctionnement de la PJJ, notamment la culture spécifique à ce milieu : « Celle-ci s’illustre dans une conception de l’éducateur considérant qu’il exerce une sorte de profession libérale et donc rétif à toute hiérarchie ou projet de service ». Selon M. André-Michel Ventre, secrétaire général du syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police, la PJJ se comporte « comme si [elle] était propriétaire de la mission confiée ».
2. Une Inspection des services ni indépendante ni dotée des moyens suffisants
Directement rattachée à la directrice de la PJJ dont elle reçoit ses instructions, l’Inspection des services de la PJJ, dont les effectifs sont réduits (3 inspecteurs en septembre 1999 et 8 pour septembre 2002) ne dispose d’aucune indépendance institutionnelle, mais d’une relative autonomie de travail, dans le cadre fixé par la directrice. Elle estime que sa place a longtemps été mal repérée et ses procédures non connues (missions personnalisées, secret, rapports peu communiqués, suites confidentielles).
Ses missions sont très étendues puisqu’elle contrôle les établissements et services de la PJJ du secteur public et du secteur associatif habilité dans les domaines administratif, pédagogique et financier.
Elle regrette que plusieurs de ses propositions se soient heurtées à une certaine lenteur administrative dans leur application, alors qu’elles lui paraissaient prioritaires (par exemple la formation des cadres sur les questions de gestion) et qu’il manque une procédure de suivi des effets des inspections sur le modèle de ce que pratique l’IGAS, à savoir un bilan à l’issue d’une période d’un an. Elle souhaite que soit réformé en profondeur le système actuel des Inspections du ministère de la Justice, afin de bien distinguer, d’une part, ce qui relèverait d’une inspection générale du ministère, d’autre part les missions d’un service d’évaluation interne de la PJJ qui constituerait un outil de conduite d’une politique.
3. Les difficultés de l’évaluation du travail éducatif
L’évaluation pose des problèmes de méthode qui ne doivent pas être sous-estimés : Comment évaluer le résultat d’une prise en charge d’un mineur ? Doit-on l’évaluer à la sortie d’un séjour de trois mois ? Ou bien se demander ce que sont devenus ces jeunes à vingt-et-un ou à vingt-cinq ans ? Cette évaluation nécessiterait des moyens d’étude très importants. Il n’est pas sûr que la Direction de la PJJ en dispose aujourd’hui ni qu’elle ait les moyens juridiques nécessaires pour suivre ces jeunes devenus adultes, qui auront le droit de mener leur propre vie. A ce jour, il n’existe pas d’évaluation scientifique du succès ou de l’absence de succès du suivi individualisé des jeunes qui ont été pris en charge par la PJJ. En effet, pour qu’il y ait évaluation, il faut qu’il y ait des objectifs mesurables.
La direction de la PJJ mène depuis juin 2001 une évaluation des publics accueillis dans les CER : « Les jeunes : que sont-ils devenus ? » et une étude en est cours sur la récidive à partir des casiers judiciaires des mineurs. Devant la commission, Mme Sylvie Perdriolle, directrice de la PJJ, affirmait : « J’ai obtenu, non sans difficulté, que soit mis en place, à partir des statistiques judiciaires, un panel des mineurs ». A partir de septembre 2002, la PJJ va ainsi procéder à une étude concernant tous les mineurs nés entre le 1er et le 15 octobre, pendant quinze ans, en s’attachant aux données familiales, médicales et scolaires et à la récidive.
La commission se félicite de ces initiatives, mais ne peut que constater que, jusqu’à présent, la direction de la PJJ souffre d’une incapacité à donner des suites aux nombreux rapports qu’elle produit ou commande et à diffuser les résultats des recherches. A titre d’exemple, il ne semble pas que le rapport de Mme Marie Choquet (INSERM), accablant pour la PJJ, ait été suivi d’une réelle amélioration de la prise en charge sanitaire des jeunes suivis par la PJJ.
4. Une méconnaissance alarmante de la prise en charge effective
Selon le rapport de l’Inspection des services de la PJJ sur 20 services de milieu ouvert du secteur public, « aucun service ne semble en mesure de contrôler le travail effectué par les personnels en charge de mesures ».
Le logiciel de gestion de l’activité et des mesures éducatives, dit GAME, mis en place en 1994, comportait un certain nombre de failles. Il ne permettait pas de mesurer précisément l’activité des services [101]. Selon la Cour des comptes, citée par un grand quotidien, la PJJ n’est pas capable de connaître le nombre de jeunes qu’elle a en charge et le temps consacré à chaque mesure est souvent purement théorique et surévalué. De plus, le renseignement des statistiques à la base fausse complètement les résultats. Par exemple, les absences des jeunes étaient très inégalement enregistrées selon les services. La mise en place de la nouvelle version GAME 2000 est trop récente pour pouvoir en tirer des conclusions.
III. UNE PRISE EN CHARGE DES MINEURS DÉLINQUANTS PEU ADAPTÉE AUX BESOINS
A. DEPUIS 10 ANS, LE SECTEUR PUBLIC DE LA PJJ SE RECENTRE SUR SON PUBLIC PRIORITAIRE, AU PRIX DE DOULOUREUSES ADAPTATIONS
Près de 150.000 jeunes sont pris en charge sur une année dans le cadre de la PJJ [102] (secteur public et secteur habilité).
Le secteur public réalise 95 % des mesures de milieu ouvert au pénal, tandis que le secteur associatif habilité réalise 90 % des mesures de milieu ouvert au civil. Plus de 90 % des jeunes pris en charge par le secteur public ont plus de 13 ans, contre 42 % dans le secteur habilité.
Le secteur habilité assure près des trois quarts des prises en charge et près de 95 % des mesures de placement ; il réalise l’essentiel de son intervention en assistance éducative.
En 1992, 34 % de l’activité du secteur public de la PJJ était consacrée aux mineurs délinquants. Cette proportion était de 50 % en 1995, 65 % en 1998 et 70 % en 2000 [103]. Au 31 décembre 2000, hors investigation, le secteur public prenait en charge 25.682 mineurs au titre de l’ordonnance de 1945 (70 %), 9.966 mineurs en danger (27 %) et 980 jeunes majeurs (3 %).
La prédominance du milieu ouvert dans le secteur public et la spécialisation progressive du secteur public en matière pénale s’expliquent par le fait que la mise en oeuvre de la plupart des mesures pénales et des peines relève de la compétence exclusive du secteur public.
En 2000, 71.562 mesures ont été suivies par les services de milieu ouvert du secteur public, dont 51.536 mesures concernant des mineurs délinquants (72 %), 18.497 mesures concernant des mineurs en danger (26 %) et 1.531 mesures concernant des jeunes majeurs (2 %).
En matière d’investigation, le secteur public a effectué 33.508 mesures pénales (57 %) et 25.454 mesures en matière civile, dont 135 à l’égard des jeunes majeurs.
En matière d’hébergement, 1.990 jeunes (35 %) ayant commis des actes de délinquance ont été confiés aux établissements du secteur public, ainsi que 3.639 mineurs en danger et jeunes majeurs soit un total de 5.629 jeunes.
Le rééquilibrage entre assistance éducative et pénal a débuté précisément à un moment où la délinquance des mineurs a fortement augmenté, sans que les moyens ne suivent, plaçant la PJJ en difficulté.
Lors des conseils de sécurité intérieure du 8 juin 1998 et du 27 janvier 1999, le Gouvernement a indiqué que la PJJ devait se charger en priorité des mineurs les plus délinquants, les plus réitérants et des adolescents difficiles. Les missions de la PJJ ont été ainsi redéfinies afin de spécialiser l’intervention des services du secteur public dans le diagnostic, l’orientation auprès des tribunaux pour enfants, l’exécution des mesures et des peines prononcées à l’égard des mineurs délinquants et la prise en charge des pré-adolescents et adolescents les plus difficiles.
La commission d’enquête estime pour sa part qu’il faut aller plus loin, et propose que le secteur public de la PJJ se consacre exclusivement à la prise en charge des mineurs au titre de l’ordonnance de 1945. Il cesserait ainsi de consacrer 30 % de son activité à l’assistance éducative et aux jeunes majeurs [104].
Le secteur associatif habilité continuerait à exercer la double compétence assistance éducative/pénal, mais serait incité à s’investir davantage au pénal.
Cette proposition ne modifiera pas fondamentalement la répartition du financement des mesures judiciaires entre les conseils généraux et l’Etat : les départements devront financer les mesures aujourd’hui confiées au secteur public de la PJJ concernant les jeunes majeurs et l’assistance éducative. Selon les règles fondatrices de la décentralisation, ce transfert de compétences devra s’accompagner des transferts de moyens correspondants.
Cette proposition ne saurait être mise en oeuvre qu’en modifiant profondément les pratiques des magistrats : elle exclut que des mineurs ayant commis des actes de délinquance ou des crimes soient placés en hébergement au titre de l’assistance éducative, comme certains magistrats le pratiquent aujourd’hui.
Le recentrage sur un public délinquant ou très violent nécessite d’élaborer de nouvelles pédagogies. Or, mis à part le développement de l’éducation renforcée, les méthodes d’action de la PJJ semblent en crise.
B. L’HÉBERGEMENT TRADITIONNEL FAIT DÉFAUT
1. Un manque de places en hébergement paradoxalement conjugué à une sous-utilisation des structures
La PJJ a progressivement abandonné le créneau de l’hébergement en foyer, qui constituait pourtant une de ses missions prioritaires [105]. En 1996, seulement un agent sur trois (846 éducateurs sur près de 3.000) travaillait dans les 34 foyers d’action éducative du secteur public encore existant. Les capacités d’hébergement du secteur public, qui étaient de 3.190 places en 1977, sont tombées à 1.392 en 1995, soit une baisse de 56 %.
Le postulat selon lequel le mineur devrait prioritairement être pris en charge dans son milieu naturel, et placé en hébergement uniquement en dernier ressort, a sans doute conduit la PJJ à un déséquilibre trop important des prises en charge au détriment de l’hébergement. Dans 28 départements, la fonction hébergement (tous types d’hébergement confondus) n’est pas assurée au sein du secteur public.
Afin de combler ce retard d’équipement, une politique volontariste d’acquisition paraît nécessaire. Or, force est de constater la modestie du bilan de la politique d’équipement de la PJJ. De 1995 à 1997, la PJJ n’a créé que 31 places d’hébergement collectif, et 60 de 1998 à 2000. De nombreuses opérations programmées sont en sommeil en raison de difficultés dans la recherche de sites appropriés.
Dans le même temps, il faut constater que les structures d’hébergement traditionnel de la PJJ sont sous-utilisées, le taux d’occupation moyen atteignant 66 % [106]. Des personnels d’accompagnement se trouvent donc en surnombre, faisant défaut en revanche là où existent des besoins.
La commission d’enquête souhaite que soient facilités les échanges entre les différents services de la PJJ, notamment d’un département à l’autre, afin que les foyers trop sollicités puissent orienter des jeunes vers des structures sous-occupées. Actuellement, de tels échanges se pratiquent ; ils ont notamment pour avantage d’éloigner un mineur difficile qui aura mis en échec plusieurs foyers sur le département. Mais ils reposent sur les relations informelles entre les directeurs départementaux, et non sur une pratique institutionnalisée. La commission estime souhaitable de développer ces échanges entre départements, en garantissant que le magistrat sera régulièrement informé de l’évolution de la situation du mineur, comme il doit l’être pour tous les mineurs placés dans le ressort du tribunal pour enfants où il exerce.
Comme le soulignait M. Alain Bruel, ancien président du tribunal pour enfants de Paris : « L’accroissement des moyens éducatifs ne doit pas être exclusivement consacré aux structures d’accueil à court terme. L’effort accompli par la PJJ depuis quelques années pour faire face aux prises en charge les plus urgentes par le moyen des centres de placement immédiat et des unités à encadrement éducatif renforcé s’est traduit par une désorganisation administrative. Il devrait maintenant se concentrer sur les prises en charge à moyen et long terme, moins spectaculaires mais plus sérieuses, sous peine de voir des résultats péniblement acquis en quelques semaines invalidés par l’absence de prise en charge ultérieure, comme c’est le cas actuellement. »
La commission d’enquête souhaite le développement des capacités d’accueil dans les structures d’hébergement du secteur public, c’est-à-dire en direction des mineurs délinquants. S’il est nécessaire de diversifier au maximum les solutions d’hébergement, les lieux de vie doivent néanmoins être habilités et contrôlés.
2. Le refus de certains établissements d’hébergement habilités d’assumer leur mission au pénal
L’inadaptation des institutions de prise en charge des mineurs délinquants provient en grande partie d’une dérive institutionnelle : les établissements semblent davantage adaptés aux besoins -légitimes- des personnels, qu’à ceux des adolescents accueillis.
Les jeunes sont acceptés au regard de leur capacité à s’adapter à l’institution. D’une part, l’admission en foyer donne lieu à un tri arbitraire de la part des directeurs : trop de foyers sélectionnent le type de mineurs accueillis. D’autre part, de nombreux foyers recherchent l’adhésion du mineur à son placement, au mépris de la notion même de décision judiciaire. La signature d’un contrat par le jeune à son arrivée est monnaie courante, alors même qu’une telle pratique n’a aucun fondement légal.
La commission juge tout à fait anormal qu’à Paris, en 2001, le secteur associatif habilité n’ait pris en charge en hébergement qu’un seul mineur au titre de l’ordonnance de 1945.
La réticence des foyers associatifs à prendre des mineurs délinquants est aggravée par la pratique des magistrats, qui, n’ayant à leur disposition que très peu de structures disponibles pour placer ces jeunes, sont tentés de placer des mineurs délinquants au titre de l’assistance éducative [107] ou de solliciter excessivement les foyers qui acceptent ces mineurs. Comme l’a indiqué M. Claude Fonrojet, président de l’Union nationale des associations de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence : « Je parlais récemment d’une association à laquelle le juge envoyait des jeunes en urgence. Dans un premier temps, l’habilitation lui a été refusée. On lui a même dit qu’elle était en marge de la loi et qu’on allait peut-être lui interdire de poursuivre son action. Dans un deuxième temps, l’association a été reconnue parce que les juges étaient contents de trouver un concours dans les situations d’urgence. A ce moment là, le doublement des moyens de l’association a été imposé par l’autorité publique ! »
La commission estime que, si les associations doivent participer pleinement au service public de la Justice, et à ce titre prendre en charge les mineurs délinquants ou les mineurs déstructurés, il convient toutefois de respecter leur projet de service, afin qu’elles soient en mesure de remplir leur mission dans les meilleures conditions.
Afin que le secteur associatif habilité se réinvestisse au pénal, la commission d’enquête propose la création d’une incitation financière versée pour chaque place effectivement occupée par un mineur placé au titre de l’ordonnance de 1945.
3. Une prise en charge minimaliste ?
Non seulement, les structures d’hébergement traditionnel sont moins nombreuses mais la prise en charge y semble insuffisante. Les principales critiques à l’encontre des foyers sont les suivantes :
- La réduction de la durée moyenne de prise en charge, due à la récente hausse des placements. En 2001, une hausse de 8 % de l’activité en hébergement a été enregistrée, soit 1.351 mineurs pris en charge au 31 décembre 2001 ;
- La cohabitation entre mineurs victimes et mineurs délinquants ;
- La faiblesse de la présence éducative liée au refus croissant des éducateurs de la PJJ de travailler en foyer. Il est vrai que les horaires décalés, la disponibilité requise et la confrontation permanente avec des mineurs difficiles ne rendent pas ces postes attractifs.
Les Inspections générales chargées du contrôle des UEER en 1998 ont dressé un constat sévère des foyers : « L’hébergement classique souffre de handicaps liés à son mode de gestion : la prise en charge continue y est rendue impossible par l’organisation du travail et des horaires. Trop souvent, on y trouve à certaines heures de la journée des jeunes livrés à eux-mêmes, désoeuvrés, sans activité susceptible de les intéresser et parfois même sans un éducateur à qui parler. Le foyer a cessé d’être le lieu éducatif par excellence. (...) La fuite des professionnels de l’hébergement vers le milieu ouvert et l’arrivée en hébergement de jeunes éducateurs à peine sortis de formation aboutissent progressivement à une déperdition accélérée des savoir-faire élémentaires. Il n’est plus rare, aujourd’hui, de trouver dans les foyers des équipes dont certains membres ne maîtrisent plus toutes les techniques-clés de l’hébergement comme celle, par exemple, d’organiser un coucher ».
La décision prise de généraliser un troisième poste d’agent technique d’éducation (veilleur de nuit) dans l’ensemble des structures d’hébergement classiques est très positive. 60 postes budgétaires d’ATE ont été créés entre 2000 et 2002, mais il faut tenir compte des vacances de postes constatées (6 postes au 1er septembre 2001), de la pyramide des âges de ce corps (22 ATE ont 55 ans et plus au 31 décembre 2001) et de la mise en oeuvre des 35 heures ;
- l’augmentation du nombre de postes vacants et l’affectation de jeunes éducateurs inexpérimentés ;
- une dérive qui fait des foyers des structures-dortoirs plus que des lieux de vie et de rééducation. Pour M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, il s’agit « d’un simple accueil hôtelier à un prix de revient somme toute plus élevé qu’un Formule 1 ».
Le cabinet CIRESE, entendu par la commission d’enquête, confirme cette analyse, selon laquelle l’action en direction des mineurs délinquants, qui devrait être éducative, se révèle purement et simplement occupationnelle : « A chaque fois que nous visitions un lieu d’hébergement, nous nous demandions ce qui pouvait donner envie à un jeune d’y rester. Neuf fois sur dix, nous avons eu le sentiment que, du fait du manque d’organisation ou de chaleur et de la stratégie d’évitement souvent adoptée par les personnels, rien ne pouvait inciter les jeunes à demeurer dans ces établissements. ». Il propose en ce sens que les établissements ne se contentent plus « d’habiter des bâtiments, mais de redonner une structuration forte à la fonction éducative au sein de l’hébergement. Il faut passer d’une obligation de résider à une obligation de faire » ;
- L’absence de continuité du service public lorsque, pour des raisons tenant aux conditions de travail des personnels, les mineurs ne sont plus effectivement pris en charge par le foyer le week-end ou les vacances [108].
La commission d’enquête souhaite que certaines des caractéristiques des CER soient étendues aux foyers traditionnels : le fonctionnement sur projet, laissant une initiative de proposition aux professionnels ; le comité de pilotage, qui valide ou non ces projets ; le « faire avec » et le compagnonnage.
C. QUELLE CONTINUITÉ DE L’ACTION ÉDUCATIVE ?
La circulaire d’orientation du 24 février 1999 a fixé un triple objectif : renouveler les méthodes de l’action éducative, en vue, notamment, d’assurer par la présence plus affirmée des professionnels un accompagnement éducatif soutenu ; mieux prendre en charge les mineurs délinquants ; territorialiser l’action éducative.
1. L’absence de complémentarité entre hébergement et milieu ouvert, activités de jour, formation professionnelle
Un des objectifs assignés aux services est l’organisation de la continuité des parcours éducatifs des mineurs : « Toute interruption dans le parcours éducatif favorise le risque de récidive. Le rôle de fil rouge de l’action éducative tenu par les services de milieu ouvert est déterminant pour que le passage dans les différentes structures de prise en charge correspondent à une évolution et non à une juxtaposition d’échecs ».
Or, l’activité de « fil rouge » du secteur public de la PJJ, qui devrait être prioritaire, fait parfois défaut.
Comme l’explique M. Alain Bruel, ancien président du tribunal pour enfants de Paris : « Il nous faudrait inventer, pour être plus pertinents dans la prise en charge de ces jeunes posant des actes de délinquance, une prise en charge dans la durée alternant des phases de proximité et des phases de mise à distance, avec une référence éducative stable. J’insiste sur la référence éducative stable, car nous nous apercevons que, dans notre système, les jeunes les plus en difficulté sont aussi ceux dont les parcours éducatifs sont marqués par le plus grand nombre de ruptures : la politique de la patate chaude, dans laquelle les institutions se les refilent. »
La préparation à la sortie de l’hébergement ou de l’incarcération ou la préparation à la fin de la mesure en milieu ouvert sont très inégales. En particulier, le travail en direction des familles paraît insuffisant, alors même que celles-ci, malgré les carences éducatives qui leur sont reprochées, doivent rester l’objet d’une préoccupation particulière.
Comme le soulignait M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis des crédits de la PJJ au nom de la commission des Lois du Sénat : « Sachant qu’un éducateur prend en charge en moyenne 35 mesures, et qu’il doit partager son temps entre le travail dans les familles, les déplacements et les travaux administratifs, on ne peut que s’interroger sur la possibilité de faire évoluer une situation familiale en intervenant aussi peu de temps auprès des parents et des enfants ».
Ces difficultés ne touchent pas que les éducateurs. En raison des vacances de postes ou de faibles allocations budgétaires, la PJJ souffre d’un manque de pluridisciplinarité. Selon l’étude de l’Inspection des services de la PJJ sur 20 services de milieu ouvert du secteur public, tous les centres d’action éducative (CAE) disposent de psychologues. Pourtant, derrière cette réalité se cachent des disparités notables. En particulier, de nombreux services ne disposent que de vacations de psychologues. Quelle action éducative globale est envisageable dans un CAE qui ne dispose que de 25 heures par mois de vacations de psychologue sur 10 mois dans l’année ? De même, 7 services sur les 20 n’avaient pas de psychiatre, les autres ayant entre 2 et 28 heures de vacation par mois.
Enfin, le suivi des mineurs incarcérés est trop peu investi par la PJJ. Cette fonction est double : d’une part, le suivi individuel, d’autre part, une fonction institutionnelle de coordination avec les services de l’administration pénitentiaire.
L’analyse des réponses au questionnaire envoyé aux directions départementales de la PJJ montre que la moitié d’entre elles sont en mesure d’exercer correctement le suivi individuel des mineurs, tandis que l’autre moitié rencontre des difficultés, liées principalement à l’éloignement géographique du quartier des mineurs. Bien souvent, lorsqu’il n’existe pas de quartier des mineurs sur le département, une partie ou la totalité du suivi du mineur incarcéré revient au SEAT du département où a lieu l’incarcération. Aucun suivi digne de ce nom n’est alors possible de la part des services de la PJJ qui avaient auparavant la charge du jeune.
2. L’abandon des grandes structures s’est accompagné d’un déclin des activités de formation professionnelle [109]
La mission d’insertion de la PJJ semble avoir particulièrement souffert du désengagement du secteur public à la suite de la fermeture des maisons de l’Education surveillée. Ainsi, dans 33 départements, la fonction insertion scolaire et professionnelle n’est pas assurée au sein d’une structure du secteur public.
Actuellement, les activités de jour sont proposées dans 155 centres d’action éducative et leurs annexes, dont 82 bénéficient d’un agrément de la direction générale de l’emploi et de la formation professionnelles. La capacité d’accueil est de 2054 places. En 1999, une douzaine d’entreprises d’insertion et une soixantaine d’associations ont proposé des projets d’insertion par l’économique (restaurants d’application, ateliers de production-formation) à 4.470 jeunes de plus de seize ans suivis par la PJJ.
L’insertion professionnelle a baissé de 44 % en quatre ans, au profit d’activités plus « occupationnelles », à savoir la préqualification, ou la réadaptation, au sujet desquels on peut s’interroger : faut-il des professeurs techniques pour ce type d’insertion ?
Mobiliser les jeunes pour des activités de formation professionnelle devient de plus en plus difficile. Certains avancent que les spécialités des professeurs techniques de la PJJ, définies il y a plusieurs décennies, ne correspondent plus aux besoins du marché du travail actuel. D’autres insistent sur le décalage entre les gains apparents de la délinquance, des trafics, de l’économie parallèle, et les modestes rétributions des jeunes en stage ou en contrat d’apprentissage.
Enfin le cas particulier des jeunes en situation irrégulière doit être pris en compte : actuellement, tout accès à la formation professionnelle ou aux travaux d’intérêt général leur est interdit, ce qui complique singulièrement la tâche de la PJJ, comme la commission a pu le constater lors de ses déplacements.
Les syndicats de la PJJ regrettent la disparition progressive des ateliers, implantés sur tout le territoire et permettant aux jeunes de passer des CAP, au profit de stages d’insertion qui ne débouchent sur rien. Ils souhaitent la reconstruction de véritables centres de formation professionnelle, débouchant sur l’apprentissage de vrais métiers, et soulignent que la PJJ a un rôle spécifique à jouer en matière d’insertion, dans la mesure où le droit commun de la formation professionnelle n’est pas adapté aux mineurs délinquants en grandes difficultés [110].
La commission juge prioritaire le développement des centres de jour et des activités d’insertion professionnelle en direction des jeunes suivis par la PJJ. A ce titre, la mesure de placement doit systématiquement être accompagnée d’une activité obligatoire.
Un exemple à méditer : l’association « Devenir » en Eure-et-Loir
La direction départementale de la PJJ d’Eure-et-Loir et l’association « Devenir » ont mis en place une prise en charge globale des jeunes confiés au titre de l’ordonnance de 1945 : les jeunes sont hébergés chez les professionnels qui les encadrent dans la journée au cours des activités organisées : création musicale, expression théâtrale, activités de plein air, stages auprès des artisans...
La réussite de ce lieu de vie tient autant au caractère structurant des activités proposées et au partage du quotidien avec les jeunes qu’à l’ouverture du projet sur l’extérieur. A ce titre, l’accueil favorable de la population a dû être recherché. Les jeunes qui suivent les activités de jour prennent leurs repas dans l’hôtel-restaurant du village, dont le patron propose une chambre pour un jeune en voie d’autonomisation. Le collège dispose également d’une place pour un jeune qui souhaiterait reprendre un cursus scolaire.
A condition que les professionnels qui font vivre ce projet soient aidés (par exemple pour tenir la comptabilité et établir le prix de journée), soutenus et contrôlés, de tels lieux de vie peuvent constituer des compléments indispensables aux structures d’hébergement classique (FAE) ou de court terme (CPI et CER).
3. Des partenariats multiformes
La PJJ participe à de nombreuses politiques publiques [111]. Elle mène des partenariats avec les forces de police et de gendarmerie et les collectivités locales dans les contrats locaux de sécurité, conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) et conseils départementaux (CDPD) ; avec l’Education nationale pour les classes relais ; avec les services de l’aide sociale à l’enfance des Conseils généraux ; avec les missions locales d’insertion, etc. 140 personnels de la PJJ participent aux maisons de justice et du droit et les antennes de justice.
Mais la représentation des CAE dans ce type d’instance est assurée de manière très diverse [112]. Selon l’Inspection des services de la PJJ, il n’est « pas possible de savoir si les professionnels intervenaient sur la base d’objectifs définis par la direction départementale ou le service, s’ils étaient détenteurs d’un mandat ou agissaient de leur propre initiative ».
Si ces partenariats sont d’autant plus nécessaires que tous les intervenants et administrations concernés ne partagent pas les mêmes grilles d’analyses, indicateurs et critères d’intervention, nécessitant d’élaborer un langage commun et de coordonner les actions, la question de l’implication des personnels en dehors du mandat judiciaire est toutefois posée, la PJJ risquant d’être noyée sous les sollicitations, alors qu’elle n’a déjà pas les moyens de faire face à ses missions prioritaires.
D. L’ÉDUCATION RENFORCÉE : L’AVENIR DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE ?
Deux dispositifs distincts ont marqué la PJJ dans les dernières années, bouleversant la culture professionnelle de certains de ses personnels. Il s’agit des centres éducatifs renforcés (CER) et des centres de placement immédiat (CPI).
Après des difficultés d’installation, il semble que les CER aient trouvé un « rythme de croisière » et un positionnement reconnu.
1. Historique des UEER
La loi du 14 novembre 1996 dite « Pacte de relance pour la Ville » a créé, à titre expérimental, et pour les mineurs délinquants les plus difficiles, des unités à encadrement éducatif renforcé (UEER) présentées comme le chaînon manquant entre le foyer d’hébergement classique et la prison.
Les UEER offrent une prise en charge éducative individualisée, continue, en rupture avec le mode de vie habituel des mineurs accueillis, dans une structure de cinq mineurs pour cinq éducateurs.
Le cabinet d’ingénierie sociale CIRESE, chargé d’une évaluation des premières UEER en 1997, a distingué trois modèles de projets éducatifs :
- les « lieux de vie » visant à reconstruire affectivement et à restaurer physiquement des jeunes très mal en point dans un environnement éducatif proche du cadre familial ;
- l’immersion dans des conditions de vie difficiles (en mer, en haute montagne, dans le désert...) qui mobilise l’énergie des jeunes ;
- la confrontation à des défis sportifs qui visent à développer une pratique du risque maîtrisé, mais susceptibles de verser dans la surenchère et de réactiver la problématique de « la loi du plus fort ».
De septembre 1996 à septembre 1997, 17 UEER ont été ouvertes (dont 7 dans le secteur public) et ont accueilli 167 jeunes, mais quatre unités avaient suspendu leur activité en 1998.
Un rapport des Inspections générales de l’administration, des Affaires sociales et des services judiciaires sur les UEER, remis en 1998, a mis en évidence les difficultés d’installation de ces unités contestées et leur coût assez élevé [113].
Les inspections observaient que le nombre de mineurs accueillis était dérisoire au regard des besoins supposés : la capacité d’accueil fin décembre 1997 était de 20 places dans le secteur public et 45 dans le secteur habilité.
Or, non seulement les UEER n’étaient pas débordées de demandes de placement, mais encore elles peinaient à faire le plein de leurs places. La principale cause avancée était la réticence de certains magistrats à utiliser les UEER : « c’est la définition même d’une politique publique qui est en cause et c’est l’articulation de cette politique publique avec les décisions d’une juridiction indépendante qui est ici en question [114] ».
En revanche, les inspections constataient que le profil des jeunes accueillis correspondait bien à la vocation affichée des UEER : particulièrement déstructurés, cumulant les carences de toutes sortes, pour la plupart récidivistes notoires, et parfois estimés violents ou dangereux, ces jeunes avaient antérieurement mis à mal les foyers où ils n’avaient fait que passer. La réflexion sur la nature des profils des jeunes accueillis simultanément (mixité, âge, compatibilité des profils, cas des jeunes délinquants toxicomanes...) était jugée prioritaire.
2. La faible réalisation du programme des CER
En 1998, le Gouvernement décidait la poursuite de l’expérience des UEER sous le nouveau nom de centres d’éducation renforcée et fixait l’objectif de 20 CER ouverts à la fin de 1999. Le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999 décidait de porter à 100 le nombre de CER d’ici 2001.
Au 1er juillet 1999, 16 centres étaient en service. Au 20 juillet 2001, 47 CER étaient en activité. De septembre 1996 à mai 2001, 750 jeunes ont été accueillis en CER. 520 mineurs ont été accueillis en CER en 2001.
Entendue par la commission, Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, ministre de la Justice, affirmait que 51 centres d’éducation renforcée étaient ouverts en mars 2002 et que 87 devaient l’être à la fin du premier semestre 2002.
Sachant qu’en moyenne, le coût de la création d’un centre de placement immédiat (CPI) ou d’un CER entre 1997 et 2001 est estimé à 10,2 millions de francs, la commission d’enquête se demande comment pourront être réalisés les 36 CER manquants d’ici fin 2002, alors que seulement 20 millions de francs de crédits de paiement en investissement ont été inscrits en loi de finances initiale pour 2002.
3. En 2002, les défauts repérés en 1997 n’ont pas tous disparu
Le cahier des charges des CER
Le CER a vocation à accueillir 6 mineurs délinquants multiréitérants ou multirécidivistes, sur décision judiciaire (juges des enfants et juges d’instruction), pour une session de trois mois, pendant laquelle la prise en charge éducative est renforcée : l’affectation de 6 éducateurs au CER doit permettre la présence de deux éducateurs en permanence auprès des jeunes pendant la journée.
Le séjour est caractérisé par l’éloignement du mineur de son milieu naturel et la rupture avec son mode de vie habituel, notamment au moyen d’activités « dépaysantes ». Les adultes « font avec » les jeunes, tant dans la vie quotidienne que lors de ces activités.
Une récente étude du cabinet CIRESE sur les différents dispositifs d’accueil de la PJJ montre que tous les défauts des anciennes UEER devenues CER n’ont pas encore disparu. L’efficacité de ces structures reste limitée par la brièveté de la prise en charge et l’absence de toute solution crédible à la sortie.
Lors du lancement des UEER, ce concept s’est heurté à une grande hostilité des personnels de la PJJ qui a handicapé le développement de ces structures. Aujourd’hui, cette hostilité semble moins forte malgré les propos tenus devant la commission d’enquête par le syndicat FO-PJJ : « nous sommes opposés aux CER en raison de l’éclatement des normes horaires. Les personnels travaillent trois mois d’affilée sous le prétexte de continuité éducative. Or, ces cycles de trois mois de travail, trois mois de congé, ne correspondent pas aux attentes d’un salarié de la fonction publique. Les anciens ne veulent pas travailler ainsi. »
Il n’est pas anodin que la grande majorité des centres éducatifs renforcés soient gérés par le secteur associatif habilité et non par le secteur public (37 sur les 46 existant en septembre 2001).
La brièveté des séjours dans les CER suscite toujours des interrogations. Un assouplissement est d’ailleurs en cours, de telle sorte que les sessions durent entre trois et six mois.
Une autre difficulté tient à la rigidité des règles de placement en CER. Le fonctionnement par session impose une préparation à l’avance du placement. Sauf exception, les CER n’accueillent pas de jeunes en cours de placement. Le taux d’occupation est ainsi de 90 % en moyenne, alors que les magistrats cherchent désespérément des places en CER pour les mineurs déférés.
En revanche, le concept des CER semble très efficace en ce qu’il privilégie le projet sur la structure. La commission a visité le CER de Bolbec, qui a mené des partenariats avec des entreprises afin de permettre aux jeunes accueillis de faire des stages pendant la durée de leur session.
A Grans, dans les Bouches-du-Rhône, la commission a visité un CER proposant d’une part une activité dans le cadre d’un restaurant d’application, d’autre part une activité dans le cadre de deux cirques itinérants. Les éducateurs font avec les jeunes l’ensemble des activités.
La vraie difficulté persistante des CER réside dans la sortie du dispositif. Bien souvent, cette prise en charge extrêmement intensive est suivie d’un retour en famille assorti de suivis insuffisants.
Il paraît essentiel que des dispositifs plus progressifs inscrits dans la durée soient mis en place afin d’éviter un retour trop brutal du mineur dans son milieu. Faute de quoi, les CER risquent de n’être qu’une pause dans le parcours délinquant de certains jeunes.
Selon Mme Marylise Lebranchu, le taux de récidive à la sortie des CER serait de 10 % contre 60 % pour les mineurs sortant de prison. La commission d’enquête craint que cette évaluation ne repose davantage sur un sentiment que sur des données scientifiques.
La commission d’enquête est favorable à l’assouplissement du cahier des charges des CER, notamment l’allongement de la durée des sessions et, à titre exceptionnel, la possibilité d’entrée de jeunes en cours de session si le CER est sous-occupé ; tel est le cas notamment en Guyane où le projet de création d’un « CER à entrée permanente » fait actuellement l’objet de négociations ; une réflexion doit être menée pour ne pas perturber le fonctionnement du centre.
E. OÙ SONT LES CPI ?
1. Les CPI réalisés dans la précipitation et au détriment des foyers existants
Le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999 a décidé la création de 50 centres de placement immédiat d’ici 2001 (soit une capacité d’accueil totale de 900 places), dont 15 avant la fin 1999. Il s’agissait d’assurer un accueil en urgence de mineurs afin qu’une observation permette par la suite une orientation vers une autre structure d’accueil.
Or, sur les 14 centres effectivement créés en 1999, la plupart résultaient de la transformation de structures existantes, seuls 3 étant des créations nettes. 19 nouveaux CPI ont ouvert en 2000. Au 20 juillet 2001, 37 CPI étaient en activité. De septembre 1999 à mai 2001, 1.041 jeunes ont été accueillis en CPI. Au 31 mai 2001, 251 jeunes étaient pris en charge en CPI pour une capacité totale de 277 places.
Sur les 47 CPI effectivement créés, en sommeil ou en cours de création recensés par la DPJJ en 2002, 26 résultent de la transformation de structures existantes [115].
2. Un personnel peu motivé pour exercer dans les CPI
Une triple hostilité se conjugue : celle des riverains, celle de certaines collectivités locales et celle des professionnels de la PJJ.
Hostiles aux CER, les personnels de la PJJ n’ont pas été davantage favorables au concept de CPI. Ainsi, le syndicat SNPES-PJJ-FSU dénonce la généralisation de l’éloignement et de la rupture prévue par le cahier des charges des CER et des CPI, la stigmatisation des jeunes qui y sont accueillis et la brièveté de la prise en charge.
Dans ces conditions, il semble très difficile de convaincre les personnels de travailler dans ces structures, dont le fonctionnement repose sur les éducateurs les moins expérimentés, souvent issus des derniers concours et qui s’absentent régulièrement pour poursuivre leur formation.
Entendu par la commission d’enquête, M. Alain Vogelweith, magistrat, conseiller de la défenseure des enfants, a donné un exemple de cette situation : « Je connais dans le Val-de-Marne un foyer d’action éducative qui a été transformé en CPI. Cela s’est traduit par une demande de mutation de la quasi-intégralité des personnels qui géraient cet établissement. »
Dans ce contexte, en juillet 2001, au centre de placement immédiat de Mulhouse, les effectifs étaient encore très incomplets alors que l’ouverture officielle, qui avait fait l’objet d’une large publicité, datait du mois de février. Ainsi, seuls 5 éducateurs sur les 9 théoriques occupaient réellement leurs postes tandis que les deux cuisiniers n’étaient toujours pas recrutés [116]. Alors que le CPI de Mulhouse est censé accueillir 12 mineurs, seuls 3 étaient hébergés à cette date.
La question des personnels est déterminante pour la réussite des CPI, comme l’a indiqué devant la commission M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny : « On ne trouve pas les adultes capables de vivre avec eux. Ce n’est pas la loi qui changera cet état de fait. Il faut envisager un nouveau statut de « hussard de la République ». Il nous faut trouver 2.000 ou 3.000 personnes qui acceptent de remplir cette mission. Vous mettriez aujourd’hui sur la table un chèque d’un milliard d’euros que cela ne nous donnerait pas les hommes. »
3. Les CPI utilisés à contre-emploi ?
Selon la directrice de la PJJ, « bien que le cahier des charges des CPI ait prévu que ces centres devaient s’adresser à un public qui n’était pas nécessairement trop connu, en vue d’établir un bilan-orientation, ils ont en fait accueilli 90 % des mineurs très connus, très réitérants, qui sortaient de prison ou pour lesquels les magistrats hésitaient entre prison et CPI ».
Un usage trop souvent instrumental des CPI a été fait, à contre sens du cahier des charges (l’alternative à l’incarcération l’a emporté sur la fonction d’évaluation et d’orientation). En conséquence, les jeunes placés en CER et CPI sont trop souvent stigmatisés.
Cette ambiguïté a été soulignée par le cabinet CIRESE : « On veut engager dans l’urgence une évaluation et une orientation du jeune, alors que celui-ci se trouve dans une situation de crise et ne peut élaborer aucun projet. Les CPI tendent à jouer un rôle de contention, à assurer une sorte d’incarcération provisoire, mais on ne veut pas le reconnaître et on continue d’entretenir une ambiguïté avec ce qui relève d’une volonté d’orienter, voire d’insérer. »
4. De trop nombreux échecs
Utilisés parfois à l’encontre de leurs cahiers des charges, désertés par les personnels les plus expérimentés, créés dans la précipitation par une simple transformation de foyers existants, les centres de placement immédiat ont bien du mal à trouver leur place parmi les dispositifs d’accueil alors qu’ils répondent à un véritable besoin.
Dans ces conditions, plusieurs d’entre eux ont dû interrompre leur fonctionnement pendant quelques mois, soit pour insuffisance de personnel, soit après une explosion de violence. Interrogée par la commission d’enquête, Mme Marylise Lebranchu, alors garde des sceaux, a cité le cas du CPI de Montpellier. Pour sa part, la commission d’enquête, lors de sa visite au Havre, a souhaité visiter le CPI de Saint-Eustache-la-Forêt et a appris que celui-ci avait été fermé pour quelques mois par manque de personnel. Un rapport de la vice-présidente du tribunal de grande instance du Havre chargée du tribunal pour enfants avait constaté l’absence de tenue matérielle de la maison et constaté que, la fonction de secrétariat n’étant pas assumée, aucun accueil n’était mis en place pour les appels des familles, les personnes extérieures, le suivi des dossiers individuels des jeunes, et la rédaction des rapports de situation pour les magistrats ayant ordonné les placements [117].
Compte tenu de la difficulté de contenir ces jeunes parfois très violents, il n’est pas rare que la discipline se relâche.
Lors de ses visites dans les CPI, la commission a, par exemple, constaté que les lits des jeunes étaient rarement faits, les chambres rarement rangées [118].
M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, a effectué le même constat lors de son audition par la commission d’enquête : « dans un CPI de la région parisienne que je ne désignerai pas, on a lâché du lest et on laisse les gamins rentrer à vingt-et-une heures trente le soir, voire ne pas rentrer du tout : cela ne correspond pas à la mission confiée à un tel établissement ! ».
De plus, si les fugues ne constituent pas en elles-mêmes un échec du CPI, leur multiplication et l’absence de réponse adaptée de la part de l’équipe éducative peuvent constituer un réel dysfonctionnement.
En pratique, pour que les CPI puissent fonctionner dans de meilleures conditions, il conviendrait qu’ils disposent de plateaux éducatifs complets incluant activités de jour, séjours de rupture et activités d’insertion. L’organisation d’activités très structurées pour les jeunes, durant toute la semaine, en lien avec les centres de jour, est une nécessité absolue pour éviter les explosions de violence.
Par ailleurs, le bon fonctionnement des CPI, qui accueillent des jeunes dans l’urgence, implique la mise en place d’une régulation de cet accueil d’urgence à l’échelle départementale, impliquant les magistrats, le secteur public et le secteur associatif de la PJJ, le Conseil général.
En juillet 1998, la PJJ a été chargée de mettre en place, dans les départements prioritaires, une cellule de coordination de l’accueil d’urgence associant les juridictions, le secteur public, le secteur associatif habilité et l’aide sociale à l’enfance. Un an plus tard, seuls 9 départements disposaient d’une telle cellule. La circulaire d’orientation du 24 février 1999 préconise l’organisation d’un dispositif d’accueil associant le secteur public, le secteur associatif et l’aide sociale à l’enfance dans chaque département. En mars 2002, 31 départements ont une cellule opérationnelle, 38 ont signé un protocole, et un dispositif d’accueil d’urgence fonctionne dans 6 départements en l’absence de toute formalisation [119].
Au cours de ses visites, la commission a constaté que le choix des jeunes à placer dans les CPI pouvait susciter des conflits, notamment en ce qui concerne les jeunes étrangers isolés. Lors de sa visite au CPI de Collonges-sur-Mont d’Or, il a été rapporté à la commission que le parquet ordonnait parfois le placement de jeunes errants avant que cette décision soit contredite par le parquet des mineurs, qui considère que l’accueil de ces mineurs n’est pas la vocation du CPI. Les personnels du centre sont alors censés remettre le jeune à la rue...
Si les centres éducatifs renforcés semblent désormais à même de répondre aux objectifs qui leur sont fixés, sous réserve de l’insuffisante préparation de la sortie des jeunes, les CPI devraient évoluer pour remédier aux carences aujourd’hui constatés. A cet égard, la simple transformation de foyers en CPI, préférée pour des raisons d’urgence à l’ouverture de nouveaux établissements, n’était peut-être pas le meilleur moyen de faire émerger de nouveaux modes de prise en charge.
IV. QUELS ÉDUCATEURS POUR DEMAIN ?
La crise du recrutement, de la gestion des carrières et de la motivation des personnels n’est pas propre à la PJJ, mais souvent liée aux règles générales de la fonction publique. Cette situation est cependant aggravée par les caractéristiques propres de la PJJ, notamment la faiblesse de ses effectifs, répartis en une vingtaine de corps différents et très spécifiques.
A. UNE ÉVOLUTION DU RECRUTEMENT PROBLÉMATIQUE
1. Un recrutement massif faisant suite à dix années sans recrutement déstabilise l’institution
La PJJ comptait 5.782 emplois (hors corps communs) en 1982, 5.713 en 1995 et 5.820 en 1996, soit une stagnation des effectifs pendant une quinzaine d’années, par absence de créations de postes [120]. La pyramide des âges s’en trouve aujourd’hui déséquilibrée.
Les récentes créations d’emplois sont exceptionnelles au regard de l’effectif global des services : 150 créations ont été budgétées pour 1999, 380 pour 2000 (dont 258 éducateurs), à nouveau 380 en 2001 (dont 210 éducateurs) et 300 en 2002.
Si les difficultés de recrutement ne concernent pas que les éducateurs [121], elles sont toutefois d’une importance capitale pour ce corps directement confronté à l’augmentation de la délinquance des mineurs.
2. Des lauréats surdiplômés et manquant d’expérience, une féminisation accrue
Pour le cabinet CIRESE, les mille éducateurs recrutés sur deux ans sont « des personnes sortant de l’université, disposant d’une bonne formation intellectuelle pour aborder les phénomènes de la délinquance et réfléchir aux modes de prise en charge éducative, mais manquant souvent de maturité humaine pour évoluer parmi des jeunes en situation de profonde rupture psychologique et sociale. »
Les inspections générales s’inquiètent de « l’élévation du niveau d’études des candidats, dont on craint (qu’elle) ne traduise un phénomène massif de choix d’un statut et non d’un métier, une sorte de choix professionnel par défaut, dans un domaine où la motivation est essentielle » [122].
Le taux de féminisation est de 53 % pour les éducateurs et de 55 % pour l’ensemble des personnels de la PJJ. Ces chiffres ne sont toutefois pas significatifs, car il convient de tenir compte de la pyramide des âges : la majorité des départs à la retraite qui vont intervenir dans les dix années à venir concerneront des hommes.
Source : direction de la PJJ
Comme le soulignait Mme Sophie Body-Gendrot, politologue, devant la commission : « En matière de délinquance juvénile, il n’y a que 10 % de multirécidivistes dont personne ne veut se charger. C’est en effet le sale boulot par excellence. Sait-on bien ce que l’on fait lorsqu’on demande à des jeunes femmes de vingt-deux ans qui sortent de l’école de prendre en charge des caïds qui ont presque le même âge qu’elles ? »
3. De nouveaux modes de recrutement : concours exceptionnels et troisième voie
Pour les inspections générales chargées du contrôle des UEER en janvier 1998, « le statut particulier du corps des éducateurs de la PJJ ne facilite ni la mobilité des personnels de la PJJ vers le secteur habilité ou vers celui dépendant des collectivités locales, ni celle des titulaires du diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé vers le secteur de la PJJ. Le décret du 27 mars 1992 définissant la formation et les diplômes délivrés par la DPJJ consacre un choix politique. Ce choix est celui d’un repli sur soi professionnel ».
Pour le cabinet CIRESE : « La PJJ a entrepris de former 1.000 éducateurs en vue d’un diplôme maison qui n’a aucune valeur marchande et qui n’offre d’autre débouché que son propre marché du travail captif. Comment échapper à cet enfermement statutaire générateur de consanguinité dont on connaît trop les impasses programmées ? Il faudrait affecter des fonctionnaires PJJ dans des structures associatives et employer des contractuels à la PJJ ; composer des équipes hétérogènes qui puissent faire appel à des professionnels diplômés autant qu’à des contractuels expérimentés venant d’horizons divers ; permettre à la PJJ d’expérimenter des pratiques dérogatoires au droit de la fonction publique en matière de recrutement, affectation, mutation, parité hommes-femmes, etc. ».
Le rapport Lazerges-Balduyck sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs préconisait quant à lui de réserver le recrutement des personnels éducatifs de la protection judiciaire de la jeunesse aux détenteurs d’un diplôme de travail social [123].
Toutefois, le récent assouplissement des conditions de recrutement dans la fonction publique peut constituer une chance à saisir pour la PJJ.
La loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique a généralisé les concours de troisième voie et la validation des acquis professionnels. Le 15 novembre 2001, le Comité interministériel à la réforme de l’Etat étendait à la PJJ le bénéfice de ces dispositions, afin qu’elle diversifie son recrutement.
Le rééquilibrage de la pyramide des âges et de la répartition entre les sexes s’effectuera par le concours exceptionnel et par le recrutement de contractuels qui sont en priorité des hommes âgés de trente à trente-cinq ans.
Les concours exceptionnels, permettant de recruter des personnes ayant déjà travaillé au moins trois ans, sont fondés sur trois critères : la parité entre hommes et femmes, l’âge, la connaissance des publics difficiles. Les promotions d’éducateurs des dernières années [124] illustrent cette tendance, mais le rééquilibrage risque de se révéler très lent.
Quant au recrutement de contractuels, il devrait permettre de pallier les vacances de postes sans aggraver pour autant la précarité des personnels, dans la mesure où ils pourront se présenter aux concours réservés prévus par la loi du 3 janvier 2001 et qui devraient être organisés en 2003. L’autorisation de recruter 150 contractuels a été obtenue par la PJJ. 70 éducateurs contractuels ont été recrutés en 1999 et 2000.
La commission d’enquête souhaite que ces nouveaux modes de recrutement soient développés et privilégient le recrutement de personnes ayant une solide expérience auprès de publics mineurs difficiles.
B. LA FORMATION DES PERSONNELS DE LA PJJ TARDE À S’ADAPTER À L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
La formation des personnels de la PJJ semble largement insuffisante pour exercer auprès d’un public de plus en plus difficile. Une évaluation nationale de la formation initiale des éducateurs ayant été décidée lors du comité technique paritaire national du 14 septembre 2000, le cabinet Arcône a rendu son rapport en février 2002.
Il apparaît que la méthode de formation employée, son contenu et son articulation avec la procédure d’affectation des personnels sont autant d’obstacles à une formation efficace et de qualité ; de plus, l’existence de deux dispositifs de formation avec des différences importantes d’orientation pédagogique n’est pas positive.
1. Le centre de formation [125] est dépassé par l’ampleur des besoins
La décision prise en 1999 de recruter 1.000 personnels supplémentaires au sein de la PJJ qui, à l’époque, ne comptait que 6.500 agents, a entraîné une augmentation très conséquente de l’activité du CNFE-PJJ [126]. En moyenne, un agent reçoit 2,75 jours de formation par an (toutes catégories confondues).
L’inadéquation des locaux, en particulier l’éclatement des formations des différents corps de la PJJ sur de nombreux sites, ne facilite pas l’établissement d’une culture commune. La délocalisation à Roubaix a été décidée il y a dix ans mais repoussée à septembre 2004.
Selon le directeur général du CNFE-PJJ, M. Pierre Berton, « La mise en place des formations dans l’urgence, en l’absence de conseil scientifique et d’instance de réflexion pédagogique, ainsi que la suppression de la formation initiale des formateurs ont placé ces derniers dans des positions de résistance aux changements imposés ».
2. La difficulté à former les nouveaux éducateurs
Le recrutement massif d’éducateurs soulève des problèmes d’intégration, de transmission des expériences et d’organisation dans les différentes structures de la PJJ.
a) Le cas particulier des éducateurs des concours exceptionnels
Les promotions, qui comptaient auparavant 80 à 100 éducateurs, sont de 170 pour les promotions classiques dont la formation dure deux ans ainsi que pour les promotions exceptionnelles dont la formation dure un an.
L’arrivée massive d’éducateurs stagiaires a d’autant plus déstabilisé l’institution que le statut particulier des éducateurs recrutés dans le cadre du concours exceptionnel n’a pas toujours été compris. Le comité technique paritaire national consacré à la formation le 9 juillet 2001 a relevé plusieurs écueils :
« - certains éducateurs ont eu plus de mal que d’autres dans leur prise de fonction. En effet, les fonctions occupées précédemment en tant qu’animateur ou maître auxiliaire et pour certains pendant plusieurs années, ne leur ont pas permis de trouver d’emblée le bon positionnement dans la relation éducative ;
« - les formateurs, les accompagnateurs de terrain et les personnels des services extérieurs ont émis quelques résistances à s’adapter au nouveau dispositif de formation ;
« - les éducateurs de la promotion 1999 [concours exceptionnel] ont confirmé l’ambiguïté de leur statut : en formation et/ou en prise de fonction. Ils ont dénoncé l’accueil qui leur a été réservé par l’institution [...]. ».
b) Une formation morcelée dont les contenus sont à revoir
Les formations apparaissent comme une succession de temps morcelés, sans liens entre eux [127] ; l’idée de progression n’est pas suffisamment développée. La formation en alternance est un bon principe, mais la mise en oeuvre pratique des stages en situation professionnelle soulève des difficultés. Selon le cabinet Arcône, il conviendrait que le stage dure au minimum trois mois, et que l’éducateur soit considéré comme étant en formation, alors que, dans le cadre de la formation en un an, il est considéré comme opérationnel.
Selon le cabinet Arcône, le travail en équipe, ainsi que la capacité à conduire des projets, prendre des décisions, s’investir dans les études de cas, qui sont des compétences essentielles au métier d’éducateur, doivent être développés. De même, il est grand temps que la direction de la PJJ définisse enfin les compétences spécifiques qu’elle attend de ses éducateurs, afin d’adapter en ce sens le recrutement, la gestion des carrières, la validation des acquis et la formation initiale, continuée et continue. En particulier, la PJJ doit définir ce qu’elle entend par « relation éducative auprès des mineurs délinquants ».
En ce qui concerne la formation continue, il conviendrait de renforcer, au travers de la formation, les relations entre magistrats et personnels de la PJJ. Certes, l’Ecole nationale de la magistrature et le CNFE-PJJ organisent des sessions de formation continue communes aux magistrats et aux personnels de la PJJ. Mais ces initiatives ne permettent pas, du fait de leur modestie (formation sur des thématiques et non échange sur les pratiques professionnelles), de bâtir une culture commune, susceptible d’améliorer les relations entre les magistrats et la PJJ.
Il convient néanmoins de souligner les efforts récents de la PJJ pour améliorer les formations. Une circulaire en date du 9 octobre 2000, qui définit les orientations de la PJJ en matière de formation, montre que celle-ci est consciente de la nécessité de renforcer la formation des directeurs de la PJJ dans le domaine de la gestion de l’administration, afin de tenir compte des perspectives de déconcentration, et d’intensifier la formation des éducateurs à l’action éducative dans un cadre pénal.
c) Mauvaise articulation entre formation et affectation dans un poste
Dans le cadre de la formation initiale en deux ans, les éducateurs ayant obtenu les meilleures notes choisissent leur poste d’affectation. Ce système génère des contradictions car les postes les plus difficiles sont tenus par les éducateurs les plus mal notés de la PJJ : « Si l’institution considère que les éducateurs ayant obtenu les meilleures notes sont les éducateurs qui seront les plus efficaces sur le plan professionnel, on peut se demander pourquoi ces éducateurs n’occupent pas les postes les plus difficiles [128] ».
Pour les éducateurs du concours exceptionnel, il convient de mettre en place les séquences de formation avant la prise de fonction, pour éviter que les personnels s’y soustraient ou soient empêchés d’en bénéficier. En effet, un absentéisme des personnels aux sessions de formation est aujourd’hui constaté [129].
*
La formation des personnels n’est donc pas pleinement adaptée aux difficultés du métier d’éducateur. Cette situation n’est pas propre aux éducateurs de la PJJ.
Les diplômes d’éducateurs mériteraient ainsi d’être repensés comme l’a noté M. Louis Dubouchet, responsable d’un cabinet de consultants, devant la commission d’enquête : « une même qualification, un même programme de formation initiale et continue permet de prendre en charge aussi bien un petit mongolien auquel il faut apprendre les formes et les couleurs qu’un mineur réitérant qui rejette la société ».
C. GESTION DES PERSONNELS ET AFFECTATION DANS LES DIFFÉRENTS POSTES
L’administration de la PJJ ne sait pas localiser précisément ses personnels par service et par fonction. Elle ne peut les localiser que par département. Des pistes d’amélioration existent, puisque la direction de la PJJ doit constituer une sous-direction des ressources humaines en 2003 et développer l’outil de gestion informatique GEREMI en 2004.
1. Absence de déconcentration et faible mobilité
La mobilité des personnels est limitée par le fait que ceux-ci sont affectés aux structures, aux établissements, et non dans une zone donnée ou un département. En conséquence, il est statutairement impossible de déplacer les personnels en fonction de la charge de travail constatée dans les établissements.
La déconcentration de la gestion des personnels, qui donne lieu à de nombreux groupes de travail depuis 1998, n’est pas actuellement effective : seul le service de la paie est déconcentré. Toutes les questions relatives aux dossiers individuels sont traitées par l’administration centrale, de même que les congés individuels.
Cet état des lieux a été ainsi résumé par le cabinet CIRESE : « La gestion des ressources humaines reste extrêmement centralisée. A l’heure actuelle, ni les régions ni les départements n’ont la faculté de composer les équipes animant les diverses structures. Les nominations, régies par les conventions collectives, sont décidées d’en haut, sans que les directeurs d’établissement ou les directeurs départementaux de la PJJ puissent évaluer les potentialités nécessaires au fonctionnement des différents dispositifs. Les équipes connaissent un turnover très rapide, ce qui nuit à la bonne collaboration des personnels et fragilise la mise en oeuvre des projets au sein des établissements. Il serait souhaitable de repenser les modes d’affectation, sans doute en s’orientant vers une départementalisation. »
Le rapport de la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, remis au Premier ministre en avril 1998 par Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck, propose également l’affectation des agents aux directions départementales plutôt qu’aux établissements et services. La commission d’enquête est favorable à cette proposition qui n’a pas été mise en oeuvre à ce jour.
2. De trop nombreuses vacances de postes et un fort absentéisme
Lors de son audition, Mme Marylise Lebranchu, alors ministre de la Justice, a indiqué que le taux de vacance budgétaire officiel n’était que de 2 % environ. Autant dire que ce chiffre ne reflète ni les difficultés réellement rencontrées sur le terrain, ni les calculs que la commission d’enquête a pu effectuer par elle-même, à partir des données fournies par la Chancellerie.
Après la mobilité du 1er septembre 2001, les vacances de postes suivantes étaient constatées : 23 directeurs (4,2 % de l’effectif budgétaire), 22 chefs de service éducatif (3,8 %), 178 éducateurs (6 %), 8 attachés (6,6 %), 27 secrétaires administratifs (10,1 %), 24 psychologues (9,6 %), 28 professeurs techniques (8,6 %), 87 ouvriers professionnels (23,6 %), 6 agents techniques d’éducation (1,6 %), 11 conducteurs d’automobile (24,4 %), 8 agents spécialisés (5,9 %), 24 conseillers techniques et assistants de service social (10,6 %), 13 infirmiers (22,4 %). Cette liste n’est pas exhaustive.
Pour les éducateurs, un effort est récemment mené pour remplacer les congés de maternité et de maladie par des éducateurs contractuels.
De plus, certaines directions régionales peuvent utiliser des éducateurs remplaçants. Mais, alors que 178 postes d’éducateurs sont vacants, seuls 39 éducateurs remplaçants sont actuellement employés dans les directions régionales ! Sur les 150 créations d’emplois budgétaires d’éducateurs inscrites en loi de finances initiale pour 2002, un tiers sera consacré aux remplaçants. La commission estime que ce n’est suffisant ni quantitativement, ni qualitativement car, pour l’intégralité des éducateurs remplaçants, il s’agit de leur premier poste.
Aux vacances de postes s’ajoute un absentéisme important, sans doute lié en partie à la démotivation du personnel. Le turn over est lui aussi inquiétant. Lors de son déplacement à Beauvais (Oise), la commission a constaté la désorganisation résultant du renouvellement partiel de l’équipe des éducateurs deux fois par an.
D. CONDITIONS DE TRAVAIL : PEUT-ON ÊTRE FONCTIONNAIRE ET ÉDUCATEUR ?
Entendu par la commission d’enquête, M. Philippe Chaillou, président de la chambre spéciale des mineurs de la Cour d’appel de Paris s’est ainsi interrogé : « je vais (...) poser des questions peut-être un peu iconoclastes : peut-on être éducateur et fonctionnaire ? Un fonctionnement administratif n’est-il pas absolument contradictoire avec cette implication qu’il faut avoir au quotidien ? »
M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, a pour sa part répondu très clairement qu’« on ne peut pas respecter le statut du personnel tout en gérant la mission de service public. » Le Père Guy Gilbert a été plus direct : « Un jour, une inspectrice de la DDASS me disait : « Monsieur l’abbé, et les 35 heures ? » Je lui ai répondu : « Vous me parlez des 35 heures. Tous les jeunes que vous me donnez ont connu des éducateurs qui font les 35 heures. Ils passent (...) Le dernier môme que j’ai eu a vu quatre éducateurs ; il ne les connaît plus (...) Un jeune a dit ceci : « Tu fermes ta gueule, l’éducateur. On te voit trois heures par jour dans ton bureau. L’éducateur, ici, c’est le curé, parce qu’il est là et qu’on peut sonner à sa porte même la nuit. » »
1. La PJJ traverse une véritable crise d’identité.
Selon Mme Claire Brisset, Défenseure des enfants : « J’ai rencontré des personnes qui ne savent plus vraiment pourquoi elles sont là [130]. Sont-elles là pour aider à punir un adolescent qui a commis un acte que la société ne peut pas accepter, et aider à le remettre sur le droit chemin, ou sont-elles là pour ne pas punir ? Certaines personnes au sein même de la PJJ n’ont pas intégré la dimension psychologique de la sanction. [...] Cela témoigne d’un profond malaise [...] et d’un sentiment de perte d’identité de ce service. »
Selon le cabinet CIRESE : « par manque de moyens, un certain nombre de forces éducatives, dont la PJJ, adoptent une stratégie d’évitement du risque de confrontation avec les jeunes. On s’adresse alors aux sujets les moins difficiles, en laissant de côté le noyau le plus dur. Dès que les mesures sont trop nombreuses, il y a un effet mécanique et l’on se contente de remplir son temps de travail en s’occupant des cas les moins lourds. »
Face à cette démotivation, existe depuis 1992 un « accompagnement d’équipe », qui consiste en une intervention auprès des équipes en place, soit pour résoudre une difficulté de fonctionnement ou une situation de crise, soit pour accompagner des changements importants dans les pratiques des services. 26 services en ont bénéficié en 2000. C’est encore insuffisant pour pallier « l’absence d’un temps de parole, régulier et intégré au projet de service », dénoncée par le comité technique paritaire national.
La commission juge indispensable d’assurer un accompagnement obligatoire des professionnels qui évoluent dans un contexte émotionnel fort et parfois violent.
Comme le cabinet CIRESE, la commission souhaite que soit prévue une vraie gradation pour les professionnels, que les enjeux soient réels pour donner envie à des personnels d’aller au contact de jeunes qui les rejettent : « une gratification est nécessaire pour inciter des éducateurs à se consacrer à ce public. Cette dernière peut être financière, mais cela ne va pas très loin [131] ; elle doit surtout être morale, et donner aux intéressés le sentiment d’appartenir à un corps professionnel de valeur et d’être reconnus au titre de leur spécialisation ».
2. Une ARTT menée dans l’urgence sans prendre en compte les besoins
La mise en oeuvre de l’aménagement et de la réduction du temps de travail [132] à la PJJ a donné lieu à une certaine précipitation.
Elle a entraîné l’opposition majoritaire des syndicats en l’absence de créations d’emplois suffisantes, mais aussi en raison de la remise en cause des acquis (congés spécifiques, distincts des congés annuels), du « contrôle pointilliste » des faits et gestes de chaque agent, de l’absence de diminution de la charge de travail, qui risque de réduire le temps consacré à chaque mineur, et de la logique purement comptable de la réduction du temps de travail.
L’UNSA-SPJJ, qui est la seule organisation syndicale à avoir signé l’accord-cadre, regrette que les commissions de suivi ne se réunissent pas au rythme prévu, et que l’objectif de traitement équitable des personnels sur l’ensemble du territoire ait été perdu de vue.
Comme l’Inspection des services de la PJJ, la commission d’enquête estime prioritaire d’adapter le temps de travail des professionnels de la PJJ aux besoins de prise en charge des adolescents, dans le secteur public comme dans le secteur associatif habilité.
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Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, de l’Inspection générale des services judiciaires et de l’Inspection générale de l’administration de janvier 1998, relatif aux Unités à encadrement éducatif renforcé, jugeait que « la direction de la PJJ se trouve ainsi confrontée à une triple crise, d’identité, culturelle et professionnelle. Disposant d’une force d’intervention d’autant plus limitée qu’elle cultive ses spécificités et qu’elle reste freinée par ses rigidités internes, mais continuant à gérer en direct des structures et des services couvrant l’ensemble du champ de l’action éducative en direction de la jeunesse en danger, elle peine à remplir toutes les missions, toujours plus complexes et plus ambitieuses, qu’on lui assigne. Elle est à un tournant décisif où, pour continuer à jouer son rôle essentiel, elle doit à la fois réviser sa stratégie d’intervention et refondre ses pratiques internes ».
Tout est dit.
Le constat dressé en 1998 demeure largement valable aujourd’hui.
CHAPITRE 6 LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE : ÉDUQUER EN SANCTIONNANT, SANCTIONNER EN ÉDUQUANT
« Si on refuse d’entrer dans un conflit, on a peu de chances d’en sortir. »
Louis Dubouchet [133]
A l’issue de ses travaux, la commission d’enquête considère qu’une action globale conciliant l’éthique et la réalité doit être entreprise pour limiter la délinquance des mineurs. Une telle action ne peut passer que par la conjugaison de l’éducation et de la sanction. Elle propose un certain nombre d’évolutions, de pistes d’action, autour de dix principes essentiels :
1 - on n’agit bien que si l’on connaît bien ;
2 - responsabiliser et soutenir la famille ;
3 - diversifiez l’école, vous fermerez une prison ;
4 - des quartiers à reconquérir ;
5 - être impitoyable à l’égard des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions ;
6 - justice : redécouvrir la dimension éducative de la sanction ;
7 - inventer des parcours éducatifs : mettre de la contrainte dans l’éducation, de l’éducation dans la contrainte ;
8 - PJJ : l’humain contre la bureaucratie ;
9 - des partenariats responsables ;
10 - évaluation à tous les étages.
1 - On n’agit bien que si l’on connaît bien
La délinquance des mineurs fait partie de ces sujets sur lesquels chacun a son analyse et ses préconisations. Mais l’intuition ne saurait remplacer en la matière une connaissance approfondie...
Cette connaissance reste aujourd’hui trop limitée. Les statistiques de police et de gendarmerie demeurent un instrument trop exclusif de la mesure de la délinquance. Il apparaît aujourd’hui que la plus grande partie de la délinquance des mineurs reste ignorée des services de police (80 % selon une enquête de délinquance auto-rapportée). Le développement des nouvelles sources d’information que constituent les enquêtes de victimation et les enquêtes de délinquance auto-rapportée doit être encouragé par les pouvoirs publics. Toutes les sources d’information disponibles doivent être confrontées.
2 - Responsabiliser et soutenir la famille
La famille a un rôle déterminant dans l’éducation, auquel on ne saurait renoncer sous prétexte que les familles sont dépassées ou démissionnaires. Les familles doivent être aidées -sous contrainte lorsque cela est nécessaire- dans leur rôle d’éducation :
· Renforcer l’autorité parentale : les parents doivent être revalorisés dans leur rôle d’adultes responsables de leurs enfants ; cela implique une meilleure distinction entre les adultes et les enfants en ce qui concerne leurs places respectives dans la société. Les principes de l’ordonnance de 1945 reposent sur l’idée que l’enfant n’est pas un adulte en miniature mais un être en devenir. Cette idée doit s’appliquer en toutes matières et non seulement à la justice des mineurs.
· Développer les dispositifs d’aide aux parents : les dispositifs d’aide aux parents en difficulté dans l’éducation de leurs enfants doivent être développés : lieux d’accueil parents/enfants, école des parents, réseaux d’écoute, d’assistance et d’appui à la parentalité...
· Renforcer le rôle de la PMI : le repérage précoce des enfants violents ou en souffrance doit devenir une priorité nationale : à cet égard, la commission préconise que les services de la protection maternelle et infantile (PMI) deviennent l’instrument essentiel de prévention psychosociale et médicale précoce. En outre, afin de favoriser la cohérence des interventions, une extension de l’action de la PMI à l’ensemble des enfants de moins de onze ans pourrait être expérimentée dans quelques départements ;
· Clarifier le rôle du service de l’aide sociale à l’enfance : le rôle de l’ASE et ses relations avec l’autorité judiciaire doivent être clarifiés afin d’éviter des confusions dans les missions de chacun.
· Mettre en place une politique d’éducation aux médias : vouloir empêcher tout accès des enfants aux images de violence paraît largement irréaliste. Il faut donc en priorité conduire une action ambitieuse d’éducation aux médias, afin d’apprendre aux jeunes à être autonomes, critiques et responsables dans leur rapport à l’image.
· Renouveler la tutelle aux prestations sociales : le dispositif de tutelle aux prestations sociales, qui permet de confier la gestion des prestations sociales à un tuteur lorsqu’elles ne sont pas utilisées dans l’intérêt de l’enfant, fonctionne mal et le nombre de mises sous tutelle diminue ; il faut rappeler que la tutelle implique une action éducative en vue de la réadaptation de la famille. Elle s’apparente donc davantage à une aide sous contrainte qu’à une sanction. Or, il semble que la tutelle se soit largement bureaucratisée. La commission souhaite que la tutelle aux prestations sociales soit rénovée afin de retrouver sa vocation première. La tutelle ainsi conçue pourrait être élargie aux parents d’enfants condamnés pour actes de délinquance.
3 - Diversifiez l’école, vous fermerez une prison
Victor Hugo pouvait proclamer : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison. »
Le défi est aujourd’hui tout autre. A force d’intégrer, l’école a fini par exclure. Son rôle est essentiel dans la prévention de la délinquance.
· Améliorer le repérage des enfants en difficulté : l’école voit passer tous les enfants : elle peut donc jouer un rôle considérable dans le repérage précoce des difficultés et comportements violents des enfants. Pour ce faire, la commission préconise un renforcement du nombre des personnels médico-sociaux (psychologues, infirmières, assistantes sociales) et des personnels ATOS.
· Renforcer la lutte contre l’absentéisme scolaire : les travaux de la commission montrent que la menace d’une suspension des prestations familiales prévue par le code de la sécurité sociale est très efficace, mais la loi paraît appliquée de manière très diverse. La commission estime que le chef d’établissement devrait adresser aux parents un courrier leur rappelant leurs obligations et les sanctions encourues en cas d’absentéisme scolaire. Peut-être le signalement à la caisse d’allocations familiales devrait-il également relever du chef d’établissement et non plus de l’Inspecteur d’académie.
· Parfaire la formation des maîtres pour leur permettre d’affronter les situations conflictuelles ; assurer le caractère formateur du stage - qui donne lieu à tutorat - en plaçant les stagiaires dans un établissement aux conditions d’exercice représentatives de leur première affectation.
· L’école ouverte contre l’école de la rue : l’encadrement extra-scolaire des élèves, notamment pendant les petites vacances, peut être très efficace pour prévenir certains comportements délinquants. Les actions d’école ouverte sont encore très insuffisamment développées. Il est en outre indispensable d’appuyer dans ce cadre les initiatives qui restaurent par l’école un lien social aujourd’hui distendu : il faut développer les expériences permettant à des adultes, notamment nos seniors, les « grands-parents », de dialoguer avec les enfants à l’école et de transmettre à ces derniers leur savoir, leur savoir-faire, leur savoir-être.
· Renforcer les actions de sensibilisation aux dangers des drogues et notamment du cannabis dont la consommation a explosé dans notre pays au cours des dernières années et dont les conséquences sur la santé physique et mentale sont extrêmement graves.
· Doter chaque établissement d’un système de sanctions disciplinaires adapté : chaque établissement doit se doter d’un système de sanctions disciplinaires adapté, permettant le maintien de l’élève sanctionné dans l’établissement ou une prise en charge contraignante hors de l’établissement, en évitant que des faits bénins soient signalés au parquet ; le maire ou son représentant ainsi qu’un conseiller général ou régional devraient pouvoir assister aux conseils de discipline comme c’était le cas jusqu’il y a quelques mois.
· Renforcer la progressivité des dispositifs de soutien scolaire : les tutorats et classes SAS, qui permettent une prise en charge adaptée pour une partie, et une partie seulement de la scolarité devraient être développés ; le nombre de classes relais doit être augmenté et les conditions du retour dans les classes normales repensées afin de limiter les risques de nouveau décrochage.
· Développer les internats dès le collège : l’offre éducative devrait être diversifiée par l’augmentation substantielle du nombre d’internats ; l’éloignement de la famille est parfois une chance plus qu’un handicap, contrairement à l’idée qui a prévalu au cours des dernières décennies.
· Permettre aux jeunes étrangers isolés d’accéder à l’apprentissage et à des formations professionnelles : les mineurs étrangers en situation irrégulière ne sont pas expulsables mais ne peuvent avoir accès à aucune activité ou formation ; il convient de modifier cette situation afin d’éviter le basculement dans la délinquance de certains de ces mineurs tout en luttant sans relâche contre les filières qui les conduisent sur notre sol.
· Briser l’humiliation ressentie par ceux qui ne parviennent pas à trouver leur place dans le moule du collège actuel : le collège unique ne peut plus être un collège uniforme et doit offrir à chaque enfant une vraie chance et des espaces de liberté. La valorisation actuelle des disciplines artistiques et sportives ne saurait être qu’une étape dans l’amendement d’un système qui amplifie les inégalités culturelles et dresse contre certains élèves des barrières invisibles. Par des partenariats, il faut dès aujourd’hui, sans remettre en cause l’obligation scolaire jusqu’à seize ans, proposer un enseignement à option qui encourage et valorise les gestes et les techniques, et qui, par ses aspects concrets, matérialise les métiers dans l’esprit des élèves et favorise une découverte précoce, mais non prématurée, du monde du travail.
4 - Des quartiers à reconquérir
« Le problème reste de savoir ce que c’est qu’un quartier, dans une République, où les habitants ne sont que des passants et s’expriment en tant que passants. » [134] Les quartiers désertés par les adultes doivent être reconquis.
· Assurer la présence d’adultes référents : il conviendrait de développer une logique de « garant des lieux » [135] en assurant la présence d’adultes référents dans tous les lieux publics des quartiers : gardiens d’immeubles, gardiens de square, contrôleurs des transports...
· Accepter le conflit éducatif : il faut également réapprendre aux adultes quels qu’ils soient à accepter le conflit éducatif avec les enfants et les adolescents. Rien ne servirait de prévoir la présence d’adultes si ceux-ci esquivaient le conflit éducatif. La fonction de représentant de l’autorité des professionnels qui travaillent dans l’espace public doit être revalorisée et la sanction au quotidien réhabilitée.
· Améliorer le fonctionnement de la prévention spécialisée, qui doit faire l’objet d’une coordination renforcée entre les départements, compétents en cette matière, et les communes plus à même de cerner les besoins des différents quartiers.
· Réformer la politique de la ville : pour être efficace, la politique de la ville devra être réformée dans le sens d’une simplification des objectifs, des méthodes et des programmes. Les procédures contractuelles devraient être allégées.
· Renforcer la présence policière : la présence policière dans les quartiers doit être renforcée, en particulier la nuit, un équilibre devant être trouvé entre les nécessaires patrouilles et les implantations permanentes, qui favorisent l’établissement de relations de confiance entre la police et la population ; les actions préventives conduites par la police et la gendarmerie méritent d’être soutenues et développées.
· Renforcer la lutte contre les trafics : la lutte contre les trafics qui minent certains quartiers devra être conduite sans relâche car elle est la condition de la reconquête de ces quartiers. A cet égard, la commission se réjouit de la mise en place des groupements d’intervention régionaux permettant une conjugaison de compétences dans la lutte contre la criminalité.
5 - Être impitoyable à l’égard des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions
Dans bien des cas, des mineurs sont utilisés par des adultes pour commettre des infractions, notamment parce que le régime pénal qui leur est applicable est plus favorable. La commission d’enquête estime qu’un tel comportement impose une rigueur extrême.
· L’article 227-21 du code pénal punit le fait de provoquer directement un mineur à commettre habituellement des crimes ou des délits. La commission souhaite la suppression de cette condition d’habitude et estime que des poursuites devraient être systématiquement exercées face à de tels comportements, notamment lorsque des parents, loin d’être dépassés dans l’éducation de leurs enfants, utilisent ceux-ci pour commettre des infractions.
· La commission recommande également que les peines encourues par un majeur en cas de vol ou de violences soient aggravées en cas de participation d’un mineur agissant en qualité d’auteur ou de complice.
· Enfin, les filières d’immigration clandestine qui conduisent sur notre sol nombre d’enfants et d’adolescents étrangers, qui sont parfois exploités par des réseaux pour commettre des infractions ou se prostituer, doivent être combattues, notamment dans le cadre de l’Union européenne et des relations bilatérales avec les pays d’origine.
6 - Justice : redécouvrir la dimension éducative de la sanction
L’opposition entre éducation et sanction mine la justice des mineurs. La primauté de l’éducation sur la répression prévue par l’ordonnance de 1945 ne doit pas signifier dissociation complète de l’éducation et de la sanction. La commission d’enquête, au terme de ses travaux, souhaite que tout acte de délinquance donne lieu à une sanction adaptée, proportionnelle, progressive et... mise en oeuvre. Ses propositions s’articulent autour de cinq termes essentiels : prévention, éducation, sanction, réparation, réinsertion.
· Aménager l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante :
- élargissement des mesures pouvant être prononcées contre les mineurs de moins de treize ans en prévoyant en plus de la remise à parents et du placement, une mesure de réparation, une mesure d’éloignement de très brève durée pour marquer les conséquences de l’acte, enfin la confiscation des objets ayant servi à commettre l’infraction ;
- création d’une mesure de stage d’instruction civique distincte de la réparation, qui pourrait être ordonnée par le parquet pour certaines infractions peu graves ;
- possibilité de placer en détention provisoire les mineurs de treize à seize ans en matière correctionnelle dans le seul cas où un contrôle judiciaire a été prononcé et n’a pas été respecté par le mineur ; cette mesure doit permettre de sanctionner les adolescents qui ne respectent pas les mesures de placement en foyer ou en centres éducatifs renforcés prononcées par le juge ;
- limitation à une du nombre de mesures d’admonestation ou de remise à parents pouvant être prononcées par le juge des enfants pour un même mineur et un même type d’infraction ;
- association plus étroite du parquet à la décision de renvoyer un mineur soit devant le juge des enfants soit devant le tribunal pour enfants ;
- assouplissement des conditions dans lesquelles peuvent être révisées les mesures de placement prononcées dans le cadre de l’ordonnance de 1945 ;
- possibilité de prononcer une amende civile à l’encontre des parents qui ne répondent pas aux convocations des magistrats.
· Accélérer les procédures : la commission d’enquête n’a pas estimé réaliste d’étendre aux mineurs la procédure de comparution immédiate. Elle estime néanmoins indispensable que des jugements plus rapides puissent intervenir à l’égard de mineurs réitérants et constate que la procédure de comparution à délai rapproché a été un échec. Elle propose que le procureur puisse renvoyer un mineur déjà connu devant le tribunal pour enfants dans un délai de dix jours à un mois aux fins de jugement ;
· Développer la réparation : la commission préconise un développement massif des mesures de réparation qui permettent à la fois la sanction et la réhabilitation du mineur ainsi que l’association de la victime. Elle souhaite que cette mesure soit utilisée le plus souvent possible à l’égard des primo-délinquants, notamment par le parquet, et préconise la création de lieux de réparation dans toutes les villes d’une certaine taille, qui pourraient être confiés à des associations ou au secteur public de la PJJ en lien avec les mairies ; le développement des mesures de réparation ordonnées par le parquet peut limiter l’engorgement des tribunaux pour enfants ;
· Développer les travaux d’intérêt général : une aide financière spécifique pourrait être créée pour aider les collectivités locales et les organismes publics qui mettent en place des travaux d’intérêt général, afin de compenser les charges entraînées par l’encadrement des mineurs ;
· Augmenter les moyens humains : la commission considère que rien ne sera possible sans un renforcement important des moyens humains et matériels de la justice des mineurs : il conviendra d’augmenter le nombre de juges des enfants et de substituts chargés des mineurs. Les greffes devront être fortement renforcés. De leur efficacité dépend souvent la bonne mise en oeuvre des mesures ordonnées par les juges des enfants.
7 - Inventer des parcours éducatifs : mettre de la contrainte dans l’éducation et de l’éducation dans la contrainte
Certains mineurs doivent être contenus et enfermés pendant un temps parce que la sécurité de la société l’impose, parce qu’ils sont ancrés dans un processus d’auto-destruction qu’il faut arrêter.
Aujourd’hui, cet enfermement est réalisé dans les quartiers des mineurs des maisons d’arrêt et marque une sorte de fin de parcours pour le mineur. Cependant que le juge des enfants n’est pas compétent pendant l’incarcération, la protection judiciaire de la jeunesse n’entre qu’avec réticence en prison. Dans ces conditions, l’enfermement marque un temps de contrainte sans éducation.
En outre, les mineurs ne font que rarement l’objet de mesures d’aménagement de peine parce qu’ils sont le plus souvent incarcérés en détention provisoire et que les quartiers des mineurs des maisons d’arrêt ne se prêtent guère à des mesures de semi-liberté.
A l’inverse, il est fréquent que la sortie de prison ne fasse l’objet d’aucun accompagnement, le mineur passant de la contention totale à la liberté totale.
La commission souhaite une évolution profonde dans ce domaine, afin que des parcours éducatifs puissent être mis en oeuvre pour les mineurs délinquants réitérants, permettant des passages dans des structures plus ou moins contenantes en fonction du comportement des mineurs.
· Créer des établissements pénitentiaires spécifiques : la commission préconise la création d’établissements spécialisés réservés aux mineurs et permettant une prise en charge éducative intensive pendant le temps d’incarcération. Ces établissements ne devraient être ni trop grands, pour éviter les phénomènes de violence, ni trop petits, afin que des moyens substantiels puissent y être affectés en éducateurs, enseignants, personnels de santé et de psychiatrie. Ces établissements, gérés par l’Administration pénitentiaire, devraient permettre une mixité entre personnels de l’administration pénitentiaire et personnels de la protection judiciaire de la jeunesse. Ces établissements devraient progressivement se substituer aux quartiers des mineurs actuellement intégrés dans les maisons d’arrêt.
· Permettre une sortie des établissements fermés, totale ou partielle dès que le comportement du mineur le permet : des formules d’enfermement de nuit ou de week-end devraient être possibles. Une telle évolution ne sera envisageable qu’à l’égard des mineurs ayant fait l’objet d’une décision définitive et non à l’égard des mineurs en détention provisoire, ce qui renforce la nécessité d’une accélération des procédures.
· Faire du juge des enfants le juge de l’application des peines : l’une des difficultés est actuellement que le juge des enfants n’est pas juge de l’application des peines lorsqu’un mineur est incarcéré, cette fonction revenant au juge de l’application des peines. La commission estime souhaitable que le juge des enfants devienne pleinement juge de l’application des peines pour les mineurs, en milieu fermé comme en milieu ouvert.
· Faciliter la sanction des comportements négatifs : les comportements négatifs des mineurs, notamment dans les structures de la PJJ devraient pouvoir susciter une réaction immédiate. La commission a trop souvent entendu des cas de violences contre les éducateurs entraînant au pire une absence de réaction du juge, au mieux une mainlevée de placement et un retour du mineur dans sa famille... Le passage du milieu ouvert au milieu fermé doit lui aussi être assoupli. La commission estime souhaitable que le juge des enfants puisse lui-même révoquer un sursis avec mise à l’épreuve sans avoir à saisir le tribunal pour enfants.
· Créer une mesure de tutorat judiciaire : afin de faciliter un suivi intensif des mineurs après leur jugement, une mesure de tutorat judiciaire et éducatif pourrait être créée permettant la désignation d’un éducateur référent de la PJJ suivant le mineur dans toutes les étapes de son parcours.
· Développer des structures psychiatriques spécialisées : parmi les structures d’accueil devant être développées, une attention toute particulière devrait être apportée à la question des structures psychiatriques. La création de lits réservés aux adolescents en hôpital pédiatrique ou psychiatrique paraît indispensable. Le développement des structures mixtes santé-justice, actuellement expérimentées, mériterait d’être étudié.
8 - PJJ : l’humain contre la bureaucratie
La PJJ comporte de grandes richesses humaines, un fort potentiel éducatif que la commission a apprécié lors de chacun de ses déplacements. Ce potentiel est toutefois mal utilisé, mal valorisé, mal évalué, du fait de pesanteurs considérables et d’une dispersion des actions préjudiciable à l’efficacité. Il est donc impératif de recentrer et de réorganiser la PJJ.
· Spécialiser le secteur public de la PJJ dans la prise en charge des mineurs délinquants : la commission considère que le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse devrait être spécialisé dans la prise en charge des mineurs délinquants. L’action éducative en matière pénale est tout à fait spécifique et implique un travail sur l’acte commis que les éducateurs de la PJJ ont une légitimité particulière à assumer.
· Inciter le secteur associatif à se réinvestir dans la prise en charge effective des mineurs délinquants : des moyens incitatifs devraient être trouvés pour limiter le « tri » parfois contestable qu’opèrent certaines structures lorsque des demandes d’accueil leur sont adressées.
· Renforcer la proximité entre la PJJ et les juges des enfants : la commission d’enquête estime nécessaire une remise en cause de la réforme en cours des services éducatifs auprès des tribunaux (SEAT), qui marque un éloignement entre éducateurs et magistrats.
· Renforcer le suivi des mesures et des peines : la commission estime indispensable que des instruments très précis de suivi des mesures et des peines soient élaborés afin d’améliorer les conditions de leur mise en oeuvre et permettre un véritable suivi par les magistrats.
· Augmenter les capacités d’accueil : les capacités d’accueil dans les structures d’hébergement collectif et diversifié doivent impérativement être augmentées. Les établissements d’hébergement devraient donner la priorité aux activités plutôt qu’aux murs ; il convient de développer les centres de jour et les activités d’insertion professionnelle, qui ont beaucoup décliné ces dernières années, afin que les foyers ne se résument pas à des dortoirs.
· Renforcer la fonction « fil rouge » : la fonction « fil rouge » de la PJJ, symbolisant la continuité de l’action éducative, ne doit pas être délaissée faute de moyens, mais formalisée et assortie de comptes rendus réguliers au magistrat.
· Assouplir les conditions de recrutement et d’affectation des personnels : il est nécessaire de développer le recrutement sur titres, la troisième voie et le recours à des contractuels ; il convient en outre d’assouplir les conditions d’affectation des personnels, afin de faire face aux pénuries là où elle se produisent ; à ce titre les personnels devraient être affectés à une direction régionale ou une direction départementale qui les enverrait dans les établissements en fonction des besoins.
· Valoriser l’activité en hébergement : il conviendrait peut-être de réfléchir à la création d’un corps spécifique d’éducateurs ayant une grande expérience de l’activité en hébergement, une activité professionnelle déjà ancienne et prêts à prendre en charge les mineurs les plus difficiles. En tout état de cause, il paraît nécessaire de trouver un moyen de valoriser l’activité en hébergement qui est au coeur des missions de la PJJ.
· Améliorer la gestion du patrimoine immobilier : la gestion actuelle du patrimoine immobilier de la PJJ paraît très défaillante. La commission souhaite que soit étudié et expérimenté le transfert aux départements de la compétence en matière de construction, entretien et réparation des établissements d’hébergement du secteur public de la PJJ, comme cela a été fait pour le bâti des collèges. Une telle évolution implique naturellement un transfert des moyens nécessaires.
9 - Des partenariats responsables
Tout au long de ses travaux, la commission a été très frappée par les ruptures de suivi qui marquent le parcours des jeunes en difficulté ou délinquants, l’absence souvent criante de continuité, qui peut conduire à la situation suivante décrite par M. Eric Debarbieux : « après avoir rencontré aussi bien le substitut du procureur que des adjoints de sécurité, des éducateurs de la PJJ ou des professeurs..., nous nous sommes rendu compte que l’un des problèmes, c’est que le seul à connaître tout le système, c’est le mineur délinquant : il est le seul à savoir ce que ne se disent pas les institutions ; le secret professionnel, le secret médical, le secret de l’instruction, tout ce qui cause tant de frustrations sur le terrain, chez les policiers, chez les enseignants, etc. Le secret ne tient pas pour le mineur, par principe, puisqu’il voit toute la chaîne » [136].
La commission d’enquête considère que ces discontinuités, ces ruptures de suivi nuisent gravement à la prévention et au traitement de la délinquance des mineurs. Certaines des propositions qu’elle formule, notamment le renforcement du rôle du département, le renforcement du rôle de suivi des mineurs de la protection judiciaire de la jeunesse (fonction « fil rouge ») doivent permettre d’améliorer la cohérence des dispositifs existants.
Il reste que tous les acteurs doivent davantage travailler en partenariat sans pour autant empiler des structures de coordination qui aggravent la situation. Il s’agit là de cultures à faire évoluer beaucoup plus que de lois à modifier...
10 - Évaluation à tous les étages
« Le problème est que, dans notre pays, on n’évalue pas, on inspecte » [137].
L’évaluation des actions conduites en matière de prévention et de traitement de la délinquance des mineurs doit être systématisée, banalisée. Dès lors que des objectifs clairs sont au préalable définis, toute action peut faire l’objet d’évaluations, y compris l’action éducative, même si la commission a pu constater que des réticences fortes subsistaient.
L’évaluation devrait même concerner les juridictions, qui ne peuvent plus se contenter d’affirmer intuitivement que 80 % des mineurs présentés pour la première fois ne récidivent pas... La commission souhaite qu’une véritable culture d’évaluation se développe, permettant de recueillir les bonnes pratiques mises en oeuvre et de les étendre lorsque cela est possible.
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On notera que la commission d’enquête ne propose la création d’aucune structure administrative nouvelle. Si « la France n’est pas assez riche d’enfants pour négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains » [138], elle est beaucoup trop riche de structures administratives pour se permettre d’en créer de nouvelles sans en supprimer au préalable.
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Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a été animée avant tout par la volonté d’améliorer à tous les niveaux les conditions de l’éducation de nos enfants.
« L’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité, et de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement de jeunes et de nouveaux venus » [139].
CONTRIBUTION DES SÉNATEURS DU GROUPE SOCIALISTE
MEMBRES DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
Lors de la création de la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance juvénile, le 12 février 2002, le groupe socialiste avait exprimé des doutes quant à l’opportunité et la crédibilité des travaux de cette instance dans un contexte préélectoral surdéterminé par la mise en avant de thèmes sécuritaires dans la campagne du Président de la République sortant.
Aujourd’hui, au terme des investigations de la Commission d’enquête, le groupe socialiste tient à souligner l’atmosphère sereine qui a régné tout au long de ses travaux menés sous la responsabilité du Président, Jean-Pierre Schosteck et du rapporteur Jean-Claude Carle. Il se félicite de la qualité et du sérieux des échanges auxquels ont donné lieu les auditions et l’intérêt des déplacements effectués sur le terrain tant en métropole qu’outre-mer et à l’étranger.
Le rapport de la commission d’enquête établit un certain nombre de constats déjà connus de tous. Ainsi présente-t-il le mérite d’effectuer un tour d’horizon actualisé sur la réalité de la délinquance des mineurs. Il permet de vérifier que de nombreuses préoccupations soulevées par le rapporteur recoupent les objectifs définis par la politique gouvernementale menée depuis 1998 en matière de justice, de sécurité publique et de politique de la ville.
Par ailleurs, la tonalité avisée de ce rapport tranche avec les propos très vifs tenus en séance publique pour motiver la teneur des amendements présentés et défendus par la majorité sénatoriale à l’occasion de l’examen du projet de loi sur la sécurité quotidienne.
Ce sont donc des constats d’évidence et un témoignage de prudence qui balisent la lecture des conclusions de la commission d’enquête. Le groupe socialiste observe toutefois que le caractère très négatif qui se dégage du sommaire du rapport ne reflète pas la réalité de son contenu.
Il convient de relever le fait que les propos mesurés du rapport témoignent d’une prise de conscience devant la réalité de la situation : la question terriblement complexe du traitement de la délinquance juvénile mérite mieux que l’expression de slogans simplistes et la recherche de boucs-émissaires. Le thème de la sécurité publique ne doit pas devenir un sujet polémique. Exploiter certaines situations difficiles, faire l’amalgame entre jeunesse et délinquance puis entre délinquance et immigration revient à exacerber le sentiment d’insécurité. Or, on ne cultive pas impunément la peur.
Cette précaution affichée se justifie également par la volonté de ne pas trop anticiper sur l’avenir. En effet, il devenait difficile aux membres de la commission d’enquête de poursuivre la réflexion et de se prononcer en toute clarté alors que les choix qui semblent arrêtés par les projets de loi de programmation sur la justice et la sécurité viennent à leur manière clore la poursuite de l’enquête.
Peut-être cette prudence préfigure-t-elle aussi le rôle nouveau qu’entendent faire jouer au Sénat, les membres réunis de la majorité sénatoriale. Face à une présidentialisation renforcée de nos institutions, le Sénat saura-t-il réinvestir sa fonction d’assemblée politique de réflexion et de sagesse qui devrait le caractériser ?
Depuis la fin du XIXème siècle, le débat sur le traitement de la délinquance juvénile revient de manière récurrente dans la vie de la société française. Mais un net changement s’est fait jour au cours de la dernière décennie avec le développement de ce phénomène social dans des proportions préoccupantes et clairement identifiées.
Parallèlement, la répétition du discours sécuritaire a eu pour conséquences néfastes de bouleverser les repères et a déplacé l’importance des enjeux.
Après la mise en place d’un gouvernement de mission par le Président de la République, un seul mot d’ordre court aujourd’hui : l’action. A croire que rien n’a été accompli précédemment en matière de lutte gouvernementale contre la délinquance des mineurs.
Telle n’est pas la réalité. Bien plus, il apparaît que la politique menée depuis 1997 se trouve dans le droit fil des préoccupations soulevées par le rapporteur.
Les premiers conseils de sécurité intérieure, institutionnalisés par décret le 18 novembre 1997, bien avant que cette instance ne voie son format repris et réaménagé dans sa configuration actuelle, ont lancé la réflexion puis arrêté et amplifié un plan d’action contre la délinquance juvénile.
Les principales orientations mises en oeuvre visent à apporter une réponse judiciaire aux premiers actes de délinquance commis par les mineurs et à répondre rapidement à tous les faits de délinquance en assurant une continuité de l’intervention. Elles cherchent à diversifier les réponses éducatives comme le perfectionnement des dispositifs d’accueils et d’urgence afin de faciliter le placement des mineurs déférés dans le cadre d’une procédure pénale. Elles s’attachent également à mieux associer les familles et les acteurs sociaux concernés en permettant notamment aux parents d’exercer leurs responsabilités éducatives dans toutes les procédures concernant leur enfant mineur.
Il est heureux que la commission d’enquête ne propose pas une réécriture de l’ordonnance du 2 février 1945. Il s’agit d’un texte adapté qui offre aux magistrats une large gamme de réponses. Sa mise en oeuvre doit être à la hauteur des ambitions du législateur.
Le groupe socialiste est convaincu que le pari de l’éducatif vaut la peine d’être tenu. Affirmer cette réalité ne revient pas à nier la nécessité de la sanction. Celle-ci doit simplement être mieux adaptée à l’âge de l’enfant. D’un autre côté, faire que la loi commune soit comprise et appliquée par chacun implique également que les adultes, dans leurs comportements, comme dans leurs propos, soient à la hauteur des exigences qu’ils expriment à l’égard des jeunes.
Le régime de la détention des mineurs mérite une attention particulière. En France, l’enfermement des mineurs délinquants se réalise par la prison, dans les quartiers prévus à cet effet. Au cours des déplacements réalisés par la commission d’enquête, nous avons pu constater que, les conditions actuelles de détention des mineurs sont, dans l’ensemble, mauvaises, et vont à l’encontre de tout effort durable de socialisation. L’adaptation des structures carcérales n’en est que plus urgente. La prise en charge par l’administration pénitentiaire des mineurs incarcérés doit reposer sur l’installation de quartiers totalement autonomes et de petite taille.
La prison est dans un certain nombre de cas, inévitable. Mais les professionnels nous rappellent que ce sont davantage les conditions de l’incarcération, plus que l’incarcération elle-même, qui sont criminogènes.
Le groupe socialiste estime que les réformes de la carte pénitentiaire et du régime de la détention des mineurs, ainsi que du contenu de celle-ci, de manière à assurer la permanence d’un véritable suivi éducatif, doivent être poursuivies, si l’on veut lutter efficacement contre la délinquance juvénile.
Les auditions de la commission d’enquête ont également permis de mettre en évidence la crise d’identité que traverse la PJJ. Celle-ci se caractérise non seulement par la faiblesse des moyens accordés pour répondre à ses missions (bien que les crédits qui lui sont alloués dans le cadre de la loi de finances aient connu au cours des années précédentes une forte progression : + 6,4 % en 1999 ; + 14,7% en 2000 et + 7,3% en 2001, en raison du montant des crédits antérieurs non consommés en totalité) mais aussi par les conditions d’exercice de plus en plus difficile du métier d’éducateur.
Il est nécessaire de refonder l’action de la protection judiciaire de la jeunesse. La PJJ doit être à nouveau mobilisée sur une gestion quotidienne plus proche du terrain ainsi que sur une meilleure formation des personnels. Les rapports avec les juges sont indispensables et appellent un approfondissement de la relation. De tels objectifs représentent un coût budgétaire important mais nécessaire pour l’avenir de la PJJ. Par ailleurs, son action doit mieux s’inscrire dans les dynamiques locales de concertation et de prévention. Les orientations de la commission d’enquête sur ce point méritent des éclaircissements quant à la redéfinition du rôle attendu de la PJJ dans un futur proche.
La lutte contre la délinquance des mineurs ne peut se réduire à la lutte contre la criminalité. De même la justice des mineurs ne peut à elle seule répondre au problème global posé par la délinquance des jeunes. Si les réponses relèvent d’une dynamique collective, le groupe socialiste insiste pour que ne soit pas hâtivement clôt le débat d’ordre social et politique sur les mécanismes d’exclusion qui conduisent les jeunes à la violence.
CONTRIBUTION DES SÉNATEURS
DU GROUPE COMMUNISTE, RÉPUBLICAIN ET CITOYEN
MEMBRES DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
A l’origine de la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs, les sénateurs communistes avaient exposé leurs doutes face à l’étude du phénomène de la délinquance juvénile dans une période électorale marquée par l’emprise du discours sur l’insécurité.
Malgré ces doutes, toujours soucieux de favoriser l’initiative et l’expression parlementaires, les sénateurs communistes ont souhaité participer sans a priori aux travaux de cette commission, dans une double perspective : dépassionner le débat sur la délinquance des mineurs, dans un contexte de surenchère sécuritaire ; tenter d’aboutir à une évaluation objective du phénomène, au vu des observations des professionnels du terrain.
La commission d’enquête a su privilégier un climat serein et faire preuve d’un esprit d’ouverture que traduit la diversité des personnalités entendues et qu’il convient de souligner ici. Le rapport qui en ressort montre l’importance du travail accompli, très complet du point de vue de l’évaluation des structures actuelles, des difficultés qu’elles rencontrent et de leurs insuffisances en terme d’effectifs, de moyens et d’organisation.
On doit également saluer le souci d’une approche globale de la question au-delà du simple état des lieux des structures police/justice : la commission d’enquête a su aborder la question de la délinquance des mineurs du point de vue de l’ensemble des acteurs de la vie sociale, qu’il s’agisse de l’école, des parents, des acteurs de la politique de la ville ou de la santé.
Enfin, nous avons particulièrement apprécié que la Commission ne se laisse pas aller à des solutions d’affichage et, au bénéfice d’un dialogue constructif jusqu’à la fin, ait su faire preuve de modération.
Toutefois, malgré ces aspects positifs, on doit regretter que les conclusions du rapport ne reflètent pas toute la richesse des auditions et en reste, du point de vue des préconisations avancées, à des réponses en deçà de l’enjeu.
Les sénateurs communistes ont ainsi souhaité, tout en saluant l’important travail réalisé, s’abstenir sur les conclusions du rapport. Ils tiennent à cet égard à apporter les éléments explicatifs suivants sur leur position :
1° Une appréhension de la réalité qui aurait mérité une mise en perspective notamment sociologique
Au-delà de la stricte appréhension des chiffres avec lesquels il convient de rester prudent, l’état des lieux opéré par la commission d’enquête ne reflète pas la complexité du problème, telle que l’ont exprimée les personnes auditionnées.
On doit déplorer notamment que le lien entre l’augmentation de la délinquance des mineurs et la détérioration sociale et plus généralement la violence des rapports sociaux ne soit pas mis en évidence. La suspicion généralisée quant à toute tentative de prise en compte du contexte social, trop souvent décriée comme « culture de l’excuse », semble malheureusement avoir freiné le rapporteur dans son analyse.
Or, il nous parait difficile de passer sous silence l’augmentation du chômage et de la pauvreté, mais aussi la détérioration du cadre de vie et particulièrement de l’habitat : les récents accidents d’ascenseurs HLM nous le rappellent tragiquement. L’existence de « quartiers relégués » où les services publics ne sont plus assurés, doit être rappelée comme symptôme d’un abandon qui n’est pas sans effet sur l’augmentation de l’insécurité.
Ce défaut de mise en perspective fait notamment défaut lorsqu’est abordée la question de la délinquance des « jeunes issus de l’immigration » : cette expression, particulièrement stigmatisante pour nombre de jeunes français, laisse de côté des questions aussi fondamentales que l’intégration et la lutte contre les discriminations.
Enfin, pour exhaustif que semble être le bilan de la délinquance des mineurs, faute de comparaison avec la délinquance générale, il n’apporte que des enseignements limités ; il risque de dramatiser un phénomène déjà préoccupant en occultant le fait que les formes particulièrement violentes de délinquance et singulièrement les homicides, restent principalement le fait des majeurs (attaques de fourgons blindés ou braquages de banques...).
2° Une vision « rétrécie » de la dimension éducative de l’ordonnance de 1945
Malgré un attachement affirmé aux principes directeurs de l’ordonnance de 1945, notamment dans son aspect éducatif, et le ton globalement modéré du rapport, les sénateurs communistes déplorent que la dimension éducative de l’ordonnance de 1945 ait été largement appréhendée dans une perspective d’enfermement.
Ainsi, nous regrettons la préconisation en faveur de la mise en détention provisoire dès 13 ans, même limitée au cas de violation du contrôle judiciaire. Une telle mesure nous semble aller à l’encontre des conclusions des rapports parlementaires d’enquête sur les prisons et de la logique de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence qui souhaitait limiter la détention provisoire.
De même, l’option en faveur de la création de centres fermés dits « centres spécialisés » par l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse suscite des interrogations. Certes, il faut se réjouir que ces centres aient pour vocation exclusive de se substituer aux quartiers des mineurs en prison, dont on sait très bien les problèmes qu’ils posent. Néanmoins, une telle solution mériterait d’être approfondie eu égard à la fois au flou du dispositif et au risque « d’appel d’air » en faveur de l’enfermement auquel elle risquerait de conduire.
Symptomatique de ce glissement de la logique éducative de l’ordonnance de 1945 : la proposition de spécialiser les structures d’accueil publiques sur l’enfance délinquante. Cette solution irait à l’encontre de l’unité de la justice des mineurs qui a en charge les mineurs délinquants comme les mineurs victimes, partant de la notion de « mineur en danger » et du caractère souvent fluctuant de la frontière délinquant/victime.
3° L’insuffisance de la réflexion sur les dispositifs de prévention et de réinsertion
Le rapport de la commission d’enquête se conclut par une énumération qui donne le vertige tant on mesure, à sa lecture, l’ampleur de la tâche. On voit bien en effet au vu des 10 points de préconisation combien la question de la délinquance juvénile met en question l’ensemble de la société : l’administration, l’école, les parents, les quartiers ...
De nombreuses mesures concernant l’école et le soutien aux parents offrent des perspectives intéressantes. Néanmoins, sauf à apparaître comme des pétitions de principe, il est clair et il faut le dire que ces mesures ont un coût phénoménal qui ne peut s’accommoder d’une politique de réduction des dépenses publiques.
Par ailleurs, les sénateurs communistes, membres de la commission d’enquête auraient souhaité que le rapport se concentre sur la valorisation des expériences positives, particulièrement dans les domaines de la prévention et de la réinsertion. Dans le même sens, l’accent aurait pu être mis sur la nécessaire mise en oeuvre des dispositions législatives susceptibles de générer des issues positives pour les enfants, en matière, par exemple, de lutte contre les discriminations et de promotion de la mixité sociale.