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Date : 5-02-2007

(2006) Blog 25 Noël aux gamelles

Mise en ligne : 6 février 2007

Texte de l'article :

Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY

Noël aux gamelles

La période des fêtes arrive et pour nous aussi, malgré le contexte, c’est un moment un peu particulier dont on essaye de profiter du mieux que l’on peut. Plus de vingt réveillons passés derrière les barreaux à mon actif ! Comme le temps passe vite...
Décembre et Noël ont une grande importance ici car cela signifie tout d’abord que c’est une année de prison qui se termine et qu’ensuite c’est la seule période de l’année où l’on peut recevoir un colis de denrées alimentaires de la part de la famille et compte tenue de la mauvaise qualité de la gamelle interne, c’est un réel moment de bonheur que de goûter à des produits dont on avait presque oublié la saveur.
Hé oui la prison ce n’est pas seulement la privation de liberté, c’est aussi la privations des goûts, des odeurs, des parfums, des arômes, des sensations, des plaisirs gustatifs, d’où l’importance de ce colis annuel que l’on attend avec grande impatience tout au long de l’année.
Nous n’avons droit qu’à 5 kilos par personne, mais ça peut être un peu plus si le maton de l’entrée ne fait pas trop de zèle lors de la pesée. 5 kilos ce n’est pas grand-chose me direz-vous, mais quant cela vient de ses proches c’est un peu le repas du réveillon de Noël ou du nouvel an que l’on partage avec sa famille.
Viandes, saumons, sucreries, chocolats, gâteaux, plats fait maison et autres gourmandises, c’est un festival, une avalanche de saveurs pour nos papilles trop habituées aux goûts des repas collectifs et insipides de la taule.
Vu le nombre de nationalités que l’on rencontre au sein des détentions, chaque pays est représenté par différents colis et ainsi on peu manger un peu de tous les plats du monde sans pour cela avoir besoin de voyager.
Pour nous cette période c’est aussi l’occasion de partager un peu de ces denrées en une sorte de solidarité gastronomique. Bien sûr tout le monde n’a pas la chance d’avoir une famille qui lui apporte un colis, dans ce cas c’est la croix rouge qui en confectionne un. Dans certaine prison on peut faire rentrer un colis sous le nom d’un indigent cela lui permet d’en avoir aussi une part.
Bref on se débrouille pour que cela se passe bien dans le monde du « père fouettard » puisque le soir du réveillon le père Noël préfère rendre visite aux enfants sages.
Ceux qui ont des enfants et qui triment aux ateliers se saignent aux quatre veines pour pouvoir payer et commander des cadeaux à la Redoute.

Je trouve cela beau que ces gars, compte tenue de ce qu’ils gagnent, se privent autant pour donner un peu de joie à leurs mômes et lorsque arrive le parloir c’est émouvant de voir tous ces gamins découvrir leur jouets offerts par leur papa. Ce sont là aussi des moments de bonheurs et d’humanités qui existent plus qu’on le croit dans le cœur des taulards que l’administration s’évertue à déshumaniser, c’est là aussi une forme de résistance.
À l’infirmerie ils nous on mit deux vrais sapins de Noël qui clignotent de toutes leurs guirlandes électriques, l’administration pénitentiaire s’est surpassée cette année, elle nous a même, deux semaines à l’avance, affichée la liste alléchante des menus de réveillon dont je vous laisse apprécier la qualité :

Menu de Noël
Midi

Galantine
Émincé de dinde aux fruits de Noël
Pommes rôtis
Clémentines
Gâteaux sapin de Noël

Soir

Salade du Périgord
Mijoté de veau à la crème morilles
Tagliatelles à la julienne de légumes
Pont lévèque
Bûche pâtissière
Clémentines

Menu nouvel an
Midi

Mousseron de canard
Duo de saumon et dorade sauce crustacés
Riz d’or et crevettes
Neufchâtel
Clafoutis aux cerises

Soir

Salade scandinave
Cuisse de canette aux airelles et miel
Haricots verts/ tomates à la provençale
Livarot
Bavarois

Lorsqu’on lit les noms des plats on a l’impression de se retrouver à la meilleur table d’un restaurant huppé, mais tout cela n’est livré qu’en barquettes plastifiées et le goût, la qualité ne sont vraiment pas à la hauteur des prétentions de la carte car c’est de la bouffe industrielle réservée aux collectivités, prisons, hôpitaux, cantines, foyers, asiles psychiatriques, maisons de retraite etc....bref tous les cas sociaux de la sociétés des exclus mangent dans la même gamelle !
Enfin en ce qui me concerne j’ai un peu plus de chance que les autres puisque au soir du réveillon, seul au fond de ma cellule, je vais pouvoir savourer avec délectation mon colis sans en laisser une seule miette, j’en ai déjà l’eau à la bouche, un an que mes papilles gustatives attendent ce merveilleux moment...

Après cette période de festivités et cette fin d’année 2006, on attaquera 2007 qui sera l’année de l’élection présidentielle. Peut-être que cette fois les prisons seront un sujet de débats et que les choses évolueront positivement. Personnellement j’en doute, mais bon, il faut quand même rester optimiste (même si je ne crois plus au père Noël) et croire à un avenir meilleur, sinon à quoi servirait tous ces textes et cette cause que je défends sur ce BLOG ?

En tout cas chères lectrices, chers lecteurs, chères blogueuses, chers blogueurs, je tenais à vous remercier de m’avoir suivis et lus en espérant que mes mots vous auront éclairés, appris et apportés quelque chose sur le monde carcéral.
Il est temps pour moi de vous laisser jusqu ‘à l’année prochaine en vous souhaitant un joyeux Noël, une bonne année ainsi que tous mes voeux de santé, de bonheur, de joie et de réussite.

À très bientôt...

"La dernière suspension de Noël"

Dimanche 10 décembre 2006...

Ce matin en écoutant la radio j’ai appris que Pinochet était mort paisiblement dans son lit sans être inquiété ni jugé pour tous ses crimes. Une semaine auparavant en France, le pays des droits de l’homme, on apprenait que le prisonnier Tallineau mourait d’un cancer du poumon dans une cellule de l’hôpital de Fresnes. Vraiment c’est à rien y comprendre, le Chili serait-il plus civilisé que notre pays ?
Notre Clément garde des sceaux a cédé sous la vindicte populaire en réincarcérant ce détenu jusqu’à ce que mort s’en suive, alors que celui-ci avait bénéficié tout à fait légalement d’une suspension de peine. D’ailleurs le syndicat de la magistrature s’en indignera en déclarant :

« Ce décès signe l’échec de la mesure de suspension de peine pour raison médicale (...) Mr Tallineau avait été réincarcéré après les interventions directes des deux gardes des sceaux Clément et Perben (...) cette affaire est emblématique de l’absence de volonté politique de donner toute sa portée à cette mesure afin que soit assurée la dignité des personnes détenues gravement malades »

Bref exactement ce que je dis depuis des mois sur ce BLOG et qui confirme que nous sommes, nous les détenus anonymes et sans le sou, les premières victimes d’une justice à deux vitesses qui ne respecte ni nos droits, ni notre dignité en nous laissant mourir au fond de nos cellules comme Tallineau.
Comment ne pas penser au préfet Papon qui comme Pinochet bénéficie d’une justice clémente, voir bienveillante, puisque cela fait quatre ans qu’il est en suspension de peine après avoir pourtant été condamné pour complicité de crime contre l’humanité. Lui aussi sans doute a mérité pour ses crimes de mourir entouré des siens dans des draps de soies, tout comme ces responsables financiers d’Elf et autres scandales qui profitent de leurs suspensions de peines tout confort.
Pour nous les prisonniers de base pas de cadeaux, on peut crever au fond de nos cachots sans émouvoir personne, pourtant je vous assure que nous sommes des anges comparé à tous ces salopards qui eux grâce à leurs frics, leurs relations, leurs réseaux, leurs protections sont intouchables.

En voyant tout cela que l’on ne vienne plus me parler de justice et me faire la morale sur le bien ou le mal, ou me parler de victimes, car comparé à ces types ou à cette volonté judiciaire de nous éliminer jusqu’à épuisement de notre état santé, je vous assure que nous sommes des agneaux.
Nous sommes victime d’une injustice scandaleuse car la loi ne s’applique pas pour nous qui devons croupir dans les pires conditions jusqu’à ce que notre état de santé se dégrade, mais au nom de quel droit, de quelle loi, de quel principe, de quelle morale devrais-je accepter une telle iniquité ?
En ce mois de décembre un nouveau rapport vient de paraître au sujet des conditions de détention des détenus malades, c’est celui du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et voilà ce que dénonce Mr Mario Stasi, l’un des rapporteurs :

« la prison est un lieu de maladies (...) non respect de l’accès au soins, de la protection de la santé et de la dignité de la personne détenue, et notamment de la personne malade, handicapée ou en fin de vie (...) la prison peut aggraver l’état de santé des individus. On ferme les yeux sur ce qu’il s’y passe. Aujourd’hui, les établissements pénitentiaires sont des lieux de sanctions physique (...) Ces pratiques constituent incontestablement une humiliation, et un traitement inhumain et dégradant (...) Il ne fait pas bon être malade en prison. La prison est cause de maladies et de mort ; c’est un lieu de régression, de désespoir, de violences exercées sur soi-même et de suicides... »

Cela ressemble étrangement à ce que je dénonce depuis des années dans le combat que je mène pour la libération des détenus malades, Non ?
Que les membres du CCNE se rassurent, je ne vais pas leur demander de droits d’auteurs, mais une chose est sûr cela donne encore plus de crédit à mes écrits pour ceux qui pensent que j’exagère ou que je me plaints. Sachez-le, si j’écris ces textes ce n’est que pour vous faire part d’une réalité monstrueuse et scandaleuse que je vis quotidiennement depuis plus de vingt ans.
Le 9 janvier je passerai en appel pour ma suspension de peine qui sera encore une fois refusée puisque je ne suis pas assez « mûre » pour bénéficier d’une libération. Je n’ai pas le privilège des dictateurs, des collabos ou des nantis qui eux on le droit malgré leurs crimes à tous les honneurs. Que ce monde est mal fait !

Je vais devoir, pour je ne sais combien d’années encore, supporter ma peine et la maladie au fond de mon trou avec mes frères de galères et de misères en continuant à écrire pour laisser une trace de ce que nous vivons, en espérant qu’un jour, enfin, un(e) responsable politique au pouvoir aura le courage et l’humanité de dire CA SUFFIT !!

À bientôt sur le BLOG pour la suite ...

Laurent JACQUA, "le blogueur de l’ombre"