Saisine n°2006-133
AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité
à la suite de sa saisine, le 12 décembre 2006,
par M. Julien DRAY, député de l’Essonne
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 12 décembre 2006, par M. Julien DRAY, député de l’Essonne, des conditions de détention de M. F.I. au centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis entre le 30 août et le 13 octobre 2006.
Elle a pris connaissance des conclusions de l’enquête de l’Inspection des services pénitentiaires, ordonnée à sa demande.
Elle a entendu M. F.I., le Dr R., Mme F.V., directrice du centre de jeunes détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, M. L., capitaine, adjoint au chef de détention, Mme M.A., surveillante.
> LES FAITS
M. F.I., né le 20 juin 1964, est arrivé à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis le 30 août 2006 au quartier D4. Le lendemain de son arrivée, il a été affecté au centre de jeunes détenus (CJD). Réservés pendant plusieurs années aux détenus mineurs et aux détenus âgés de 18 à 21 ans, dits « jeunes majeurs », le CJD accueille depuis la fin des années 1990 des détenus plus âgés, considérés comme calmes. Le mélange ainsi opéré permettrait, selon la direction de l’établissement, d’apaiser la détention et d’éradiquer la violence.
M. F.I. prétend que les jeunes lui ont fait vivre « un enfer ». Lors de son audition, il n’a pas souhaité décrire les brimades dont il fut l’objet du fait de son âge et de son handicap. Il a indiqué s’en être plaint à plusieurs reprises auprès des personnels de surveillance, qui n’ont pas réagi. Il prétend, au contraire, avoir fait l’objet de mauvais traitements de la part de certains agents, notamment d’une surveillante blonde d’origine africaine et d’un surveillant aux cheveux courts et bouclés : fouilles à nu quasi-quotidiennes lorsqu’il se rendait en promenade, à l’UCSA et aux douches. Le surveillant décrit précédemment aurait humilié M. F.I. en lui introduisant un doigt dans l’anus, geste qu’il aurait accompagné de commentaires obscènes, à l’occasion d’une fouille après un parloir. Les mêmes personnels auraient également à plusieurs reprises, au moins une quinzaine de fois, fouillé sa cellule en mettant toutes ses affaires par terre. La même surveillante aurait refusé qu’il emmène son linge au parloir ; elle le jetait systématiquement par terre. A deux reprises, les surveillants auraient fait en sorte qu’il ne puisse rencontrer son épouse au parloir. Enfin, alors qu’il se rendait en formation informatique, M. F.I. aurait fait l’objet de propos dégradants tenus par un surveillant devant les autres détenus présents. A la suite de cet épisode, il n’a plus été invité à se rendre en formation informatique.
M. F.I. se plaint également des conditions d’hygiène déplorables au CJD et du non-respect des consignes médicales adressées par les médecins de l’unité de consultations et soins ambulatoires (UCSA) aux personnels de l’administration pénitentiaire de l’établissement.
Depuis un accident de voiture, à la suite duquel il a subi une ablation de la rate (splénectomie), M. F.I. souffre des suites d’un polytraumatisme. Il a des difficultés pour se déplacer et afin d’éviter toute infection, il doit suivre une hygiène très stricte et bénéficier d’un suivi médical régulier.
En premier lieu, M. F.I. se plaint de ne pas avoir reçu d’eau de javel dans le « kit arrivant », composé de divers produits d’entretien, distribué à chaque détenu le jour de son arrivée. Il allègue que les locaux du CJD sont dans un état de saleté tel que cette absence d’eau de javel a contribué à la dégradation de son état de santé.
M. F.I. prétend ensuite qu’alors qu’il éprouvait des difficultés à marcher, il n’aurait pu bénéficier de cannes anglaises qu’à compter du 1er septembre, date à laquelle il a indiqué avoir rencontré un médecin pour la première fois. Malgré les prescriptions consignées sur un certificat médical, certains surveillants auraient refusé qu’il se rende en cellule avec ses béquilles, alors que d’autres l’y autorisaient.
Lors de l’entretien qu’il a eu à l’UCSA avec le Dr R., le 4 septembre 2006, soit cinq jours après son arrivée en détention, M. F.I. lui a fait part de ses problèmes de santé. Après avoir pris contact avec les médecins qui le suivaient lorsqu’il était libre, le Dr R. a rédigé un certificat médical précisant qu’il devait bénéficier d’une douche quotidienne pendant le premier mois de sa détention, régime dérogatoire à celui prévu par l’article D.358 du Code de procédure pénale : « Dans la mesure du possible, ils [les détenus] doivent pouvoir se doucher au moins trois fois par semaine ainsi qu’après les séances de sport et au retour du travail. »
Il devait également se présenter tous les jours à l’UCSA pour y recevoir des soins. M. F.I. prétend que certains surveillants refusaient d’ouvrir sa porte aux heures prévues, en disant : « Tu vas pas nous faire chier pendant toute ta détention ».
Lors d’un second entretien avec le Dr R. le 11 septembre 2006, ce dernier a prescrit à M. F.I. un régime hygiénique particulier, prévoyant notamment la possibilité de faire laver ses draps à l’extérieur de l’établissement avec des produits spéciaux. A plusieurs reprises, certains fonctionnaires auraient refusé qu’il fasse sortir son linge lors des parloirs qu’il avait avec son épouse.
Le 19 septembre 2006, M. F.I. a rencontré un médecin dermatologue, qui lui a prescrit des médicaments, en indiquant qu’ils n’étaient pas disponibles à la pharmacie de l’établissement. Son épouse a tenté de lui apporter des produits hypoallergéniques et lesdits médicaments, le personnel de surveillance a refusé à chaque fois qu’il les reçoive.
Le 11 octobre 2006, Mme F.V., directrice du CJD, a diffusé une note rappelant aux personnels de surveillance les consignes particulières concernant M. F.I. Le 13 octobre 2006, il était libéré.
M. F.I. estime que les conditions de sa détention ont eu de graves répercussions tant sur son état physique et psychologique que sur sa vie familiale. A l’appui de plusieurs certificats médicaux faisant état de la maladie cutanée dont il souffre, des complications qui ont suivi sa période d’incarcération et des traitements qui lui ont été prodigués, il a demandé, le 3 septembre 2007, une expertise médicale dont il attend toujours les conclusions dans l’espoir d’engager un recours en responsabilité contre l’Etat.
> AVIS
Concernant la prise en compte des plaintes de M. F.I. à l’encontre de ses codétenus
Les fonctionnaires auditionnés par la Commission ne se souvenaient pas de plaintes formulées par M. F.I. au sujet de brimades dont il aurait fait l’objet de la part des autres détenus. M. F.I. a précisé s’en être plaint uniquement par oral, sans pouvoir identifier clairement ses interlocuteurs.
En l’absence d’éléments précis concernant l’absence de réaction alléguée des personnels de surveillance aux plaintes de M. F.I., la Commission ne peut se prononcer sur ce grief.
Concernant les allégations de mauvais traitements et de propos dégradants de la part des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire
Les fonctionnaires entendus par la Commission ont nié avoir été témoins ou auteurs de mauvais traitements ou de propos dégradants à l’encontre de M. F.I. Mme M.A. a notamment affirmé ne jamais procéder aux fouilles corporelles des détenus masculins. En l’absence d’informations précises fournies par l’intéressé permettant d’identifier avec certitude les fonctionnaires mis en cause par M. F.I., la Commission n’est pas en mesure de se prononcer sur ce grief.
Concernant la prise en compte de l’état de santé de M. F.I. par les fonctionnaires de
l’administration pénitentiaire
Arrivé le 30 août 2006, M. F.I. a eu une audience avec un officier le lendemain de son arrivée. Les trois fonctionnaires entendus ont indiqué qu’un kit arrivant contenant de l’eau de javel lui avait été remis dès son arrivée. Au cours de sa détention, M. F.I. aurait demandé de l’eau de javel en quantité supplémentaire, ce qui lui aurait été accordé, selon le capitaine L. Il ressort cependant de l’enquête de l’Inspection des services pénitentiaires qu’une rupture de stock a engendré un retard dans la distribution de l’eau de javel, M. F.I. n’en ayant reçu qu’une semaine après son arrivée.
Il ressort des déclarations recueillies et des conclusions de l’enquête de l’Inspection des services pénitentiaires que « les consignes données par l’encadrement pour adapter les conditions de vie de M. F.I. à son état de santé n’étaient pas connues de l’ensemble des agents se succédant à l’étage et n’étaient en conséquence parfois pas respectées », notamment concernant les douches. Il est regrettable que les prescriptions médicales dont devait bénéficier M. F.I. aient été communiquées de façon informelle ou sur feuilles volantes jusqu’à la rédaction d’une note, le 11 octobre 2006, soit plus d’un mois après son arrivée au CJD et deux jours avant sa libération.
Il conviendrait que les gradés concernés du CJD fassent l’objet de sévères observations.
> RECOMMANDATIONS
La Commission rappelle que les personnels de l’administration pénitentiaire doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer de la bonne santé des personnes détenues. La première de ces mesures est de respecter des prescriptions édictées par le personnel médical.
A cette fin, la Commission recommande que les consignes d’ordre médical, destinées à faire bénéficier une personne d’un régime de détention particulier en raison de son état de santé, fassent systématiquement l’objet d’un document consultable par tous les personnels devant en assurer l’application, à chaque prise de poste.
Adopté le 22 septembre 2008,
Pour la Commission nationale de déontologie de la sécurité,
Le Président,
Roger BEAUVOIS
Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé son avis à Mme Rachida Dati, ministre de la Justice, garde des Sceaux, dont la réponse a été la suivante :