Saisines nos 2006-43 / 2006-53 / 2006-60 / 2006-89 / 2006-127
INTRODUCTION AUX AVIS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité
à la suite de sa saisine, les 23 mai, 14 juin, 22 juin, 12 septembre, par Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY, sénatrice de Paris
et le 27 novembre 2006 par Mme Nicole BORVO, sénatrice de Paris
Introduction aux cinq saisines 2006 concernant le centre pénitentiaire de Liancourt
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, de mai 2006 à novembre 2006, de cinq plaintes concernant le centre pénitentiaire de Liancourt pour des violences sur des détenus et pour un suicide survenu au quartier disciplinaire. Les faits se sont produits dans les « nouveaux » bâtiments ouverts en 2004, dont celui de la maison d’arrêt.
Le premier dossier (2006-43) concerne des faits de mai 2005, et qui avaient suscité à l’époque une enquête de l’Inspection des services pénitentiaires, à la demande du directeur de Liancourt F.A., affecté à l’établissement en début d’année. La responsabilité d’un premier surveillant qui était intervenu avec une équipe de nuit au quartier disciplinaire la nuit du 27 au 28 mai 2005 avait été relevée, et celui-ci avait été sanctionné d’un blâme.
Le 14 juin 2006, la Commission était saisie de faits concernant M. O.T. (2006-53), survenus le 23 mars 2006. Ce détenu, libérable trois semaines plus tard, avait été blessé lors d’un incident avec des surveillants et placé au quartier disciplinaire à son retour de l’hôpital le jour même ; il a été retrouvé pendu le lendemain.
Le 22 juin 2006, la Commission était saisie d’une plainte concernant M. S.P. (2006-60), pour des violences commises le 10 juin.
Le 12 septembre 2006, la Commission était saisie pour des violences à l’encontre de M. D.Z. le 24 août 2006. Enfin, elle était saisie le 27 novembre 2006 des violences à l’encontre de M. S.D. (2006-127), commises le 7 novembre par deux surveillants mis en examen, suspendus, placés sous contrôle judiciaire, et qui ont été condamnés le 14 décembre 2006 à quatre mois de prison avec sursis. Dans les dossiers qui n’étaient pas connus de l’administration pénitentiaire, elle a demandé dès réception des saisines des parlementaires une inspection des services pénitentiaires.
Inquiète de la convergence et de la gravité de ces dossiers, la Commission s’est efforcée de mener des investigations approfondies, examinant les témoignages des détenus et ceux de surveillants mis en cause, ainsi que ceux de surveillants de l’établissement soucieux du respect des règles et animés de valeurs d’humanité, qui ont déclaré ne plus pouvoir supporter les agissements non professionnels, graves, de certains de leurs collègues à l’égard des détenus, et qui ont décidé de « briser la loi du silence ». Les éléments tirés de ces derniers témoignages ont mis en relief les problèmes généraux de cette prison, qui ont été vérifiés en grande partie lors des auditions de certains membres de l’encadrement. La Commission a recueilli aussi les observations de l’équipe médicale de l’UCSA, dont certains membres lui ont dit s’être efforcés de porter à la connaissance de la direction leurs doutes et leurs craintes quant à l’origine de certaines lésions (hématomes, plaies). La Commission a visité une partie de l’établissement et le quartier disciplinaire.
L’analyse de ces cinq dossiers a révélé des dysfonctionnements et des
manquements divers, notamment concernant les procédures disciplinaires
instrumentalisées pour faire régner « la terreur et l’ordre » [1]. De telles procédures ont été diligentées à partir de comptes-rendus d’incidents partiaux lus et revus par un premier surveillant. Ces défaillances et ces abus s’expliquent en partie par des conditions de fonctionnement et de travail difficiles des personnels, et ont pu favoriser des dérives individuelles aussi bien chez certains anciens gradés de Liancourt que chez certains jeunes surveillants sous influence, en perte de repères légaux et professionnels.
Néanmoins, les auditions ont mis en évidence la responsabilité particulière de l’équipe d’encadrement, principalement celle du directeur adjoint M. H. et du premier surveillant B.C., décrit comme « le directeur de la maison d’arrêt après M. H. ».
Ainsi, il apparaît qu’à l’ouverture du « nouveau » Liancourt en 2004, la sélection des personnels pour la maison d’arrêt s’est faite par cooptation par des gradés de « l’ancien » Liancourt, qui ont choisi aussi les personnels pour les autres bâtiments. Les jeunes surveillants, sortant d’école, d’écrits comme « enthousiastes », « dynamiques », se sont retrouvés aussitôt sous leur emprise ; ceux qui désapprouvaient les pratiques observées, « contraires à l’enseignement qu’il avaient reçu à l’ENAP » [2], n’ont pu trouver au niveau de la hiérarchie de recours possible, « car c’est au niveau de la hiérarchie que s’organisait ce climat et ce régime de terreur ».
Le directeur F.A. a tenu à souligner auprès de la Commission que les manquements des personnels dont il avait eu connaissance concernent une minorité, et qu’il regrettait que l’ensemble des surveillants de Liancourt fasse les frais de l’opprobre suscité par les agissements de quelques-uns.
Divers problèmes (périmètre de l’établissement non sécurisé, parachutage d’objets toxiques et de portables, insuffisance des escortes pour les extractions médicales des détenus, manque d’effectifs) ont mobilisé et accaparé la direction de la prison et alimenté en permanence des conflits entre les surveillants et les détenus.
Cependant, des auditions de détenus et de surveillants, il ressort que les problèmes de « cantine » ont été de façon récurrente à l’origine de tensions et d’incidents dans les bâtiments (attente longue des produits, détenus n’ayant pas obtenu leurs produits alimentaires alors que leur compte était débité, date de péremption dépassée), et que semble être en cause le manque de coopération de certains membres de l’encadrement dans le travail de partenariat indispensable entre les personnels et la société SIGES en charge de ces services. L’insuffisance du travail et des activités à proposer aux détenus a suscité frustration, mécontentement et agressivité ; cette question est devenue un enjeu majeur instrumentalisé par certains surveillants : « Il suffisait qu’un détenu demande quoi que ce soit aux surveillants concernant le quotidien en détention, pour qu’il soit l’objet de brimades, d’humiliations et de propos insultants et agressifs », selon les témoignages recueillis.
Enfin, il apparaît qu’une certaine « convivialité » au sein de l’équipe d’encadrement a faussé, rendu délicats puis périlleux, le positionnement professionnel, le rôle hiérarchique nécessaire, et dans certaines situations, a conduit l’ensemble de l’équipe d’encadrement à avaliser les manquements.
La Commission a transmis ses avis et recommandations au procureur de la République et demande au garde des Sceaux la saisine des instances disciplinaires pour quatre dossiers. La Commission a été informée de l’existence d’un audit effectué au cours du dernier trimestre 2006.
Elle a par ailleurs constaté que certaines améliorations avaient été apportées concernant les problèmes de « cantine », et que les délégations de pouvoirs concédées aux premiers surveillants, notamment en matière disciplinaire, ont été modifiées.
Enfin, comme elle l’a indiqué dans l’un de ses dossiers, la Commission tient à souligner qu’elle retire de toutes les auditions, des témoignages de surveillants, et principalement de ceux de tous les détenus entendus, que les agissements contraires aux règles et aux valeurs sont le fait d’une minorité, et que la majorité des surveillants de Liancourt se comportent correctement et humainement avec les détenus. Elle tient à saluer le courage et l’éthique des surveillants qui ont défendu les valeurs de leur profession.
La Commission demande à son président, vu l’urgence, d’informer dans les plus brefs délais le ministre de la Justice de la gravité des faits qu’elle a
constatés.
La Commission demande instamment au garde des Sceaux de veiller à la sécurité des détenus qui ont été amenés, par leur témoignage tout au long de ces cinq dossiers, à mettre en cause des surveillants du centre pénitentiaire de Liancourt.
Adopté le 15 janvier 2007