CONCLUSION
Le rapport a envisagé successivement les données générales de la détention provisoire et, au titre du thème d’études qu’elle a retenu cette année, le contrôle de la détention provisoire.
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Les données générales de la détention provisoire n’ont donc pas substantiellement évolué en 2005.
La surpopulation carcérale, en particulier dans les maisons d’arrêt, s’est maintenue à un niveau élevé (129,7% au 1er mai 2005, taux légèrement inférieur à celui de 2004). Elle est due elle-même à plusieurs facteurs dont l’augmentation du recours à la détention provisoire depuis la fin de l’année 2001. Mais ce recours lui-même traduit à la fois un effet « volume » (de plus en plus de personnes majeures mises en cause) et un effet « intensité » : dans les personnes qui font l’objet de poursuites, une plus grande part est écrouée. Il traduit aussi, comme l’ont relevé les précédents rapports de la Commission, une évolution dans les procédures pénales : un nombre croissant d’affaires relève de la comparution immédiate, laquelle entraîne souvent des détentions provisoires (de brève durée) ; de moins en moins d’affaires confiées à l’instruction, laquelle s’accompagne d’une fréquence de la mise en détention nettement plus forte que dans la décennie précédente. On est tenté de relier cette fréquence à la nature des dossiers que connaît désormais le juge d’instruction : mais si on peut le présumer, on ne peut véritablement l’établir.
La surpopulation carcérale ne saurait s’expliquer par le seul recours accru à la détention provisoire (qui représente plus du tiers des personnes incarcérées). La durée de celle-ci augmente de manière progressive depuis une dizaine d’années. Et d’autres facteurs tiennent à la population des condamnés. Les entrées en prison après condamnation n’ont cessé d’augmenter depuis 2001 et, bien que cette matière échappe à la compétence de la Commission, il est raisonnable de penser que la nature et la durée des condamnations prononcées explique également l’accroissement de la population carcérale.
Certaines évolutions sont encore incertaines et demandent à être confirmées. La portée des mesures arrêtées notamment en 2004, en particulier l’impact de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou « plaider coupable », est trop récente pour qu’un bilan puisse en être dressé. Non pas forcément en termes d’incidence directe sur la détention provisoire (les infractions concernées ne sont pas en général de celles qui y conduisent), mais en termes de fonctionnement des juridictions pouvant avoir des effets indirects sur les autres procédures.
Ce bilan sera cependant d’autant plus aisé à établir dans les prochains mois que le cadre normatif s’est à peu près stabilisé.
La stabilité du droit ne saurait naturellement être absolue et l’on ne doit
évidemment pas répugner à adopter des mesures que les circonstances requièrent. Mais l’ampleur des modifications des règles de la procédure pénale s’est heureusement atténuée depuis la loi du 9 mars 2004 (ses textes d’application mis à part). Il reste que, dans les mesures particulières qui doivent inéluctablement être prises, il est souhaitable que les moyens corrélatifs en termes de détention provisoire soient dégagés. Il existe en France une réelle et heureuse volonté de produire des textes cohérents et, comme l’indique clairement le rapport, protecteurs des droits de la personne ; mais ils le sont sans être accompagnés des mesures matérielles qui sont indispensables à leur application. De telle sorte que la mise en oeuvre ruine souvent la protection de principe ainsi définie.
Le système de réparation de la détention provisoire injustifiée peut corriger pour partie ces difficultés de la mise en oeuvre. Au moins, naturellement, pour les personnes incarcérées faisant l’objet d’une décision de non lieu de relaxe ou d’acquittement, qu’on a d’ailleurs du mal à quantifier. Pour celles-là, l’indemnisation qui leur est consentie fait largement la place à la réparation du préjudice effectif, qui inclut les conditions matérielles de la détention.
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Il convient évidemment de distinguer le contrôle du principe de la décision qui place ou maintient une personne en détention provisoire du contrôle du déroulement de celle-ci dans une maison d’arrêt. Le premier appartient très rigoureusement à la procédure pénale ; le second relève du contrôle général des établissements pénitentiaires, dont presque aucun aspect, d’ailleurs, n’est particulièrement dévolu aux personnes détenues à titre provisoire.
Au titre du premier, les critères du contrôle sont de nature législative ou conventionnelle (c’est-à-dire contenus dans le droit international, singulièrement la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) : il s’agit de vérifier que les conditions, rigoureuses en principe, permettant de recourir à la détention provisoire, ou de la prolonger, sont remplies. En sont chargés à divers titres des instances juridictionnelles, singulièrement le juge des libertés et de la détention et le juge du recours, c’est-à-dire la chambre de l’instruction et la Cour de cassation, et aussi le président de la chambre de l’instruction, lequel dispose en outre de prérogatives non juridictionnelles pour s’assurer du bon fonctionnement des cabinets des juges d’instruction. Ce dispositif, qu’a sensiblement amélioré la présence du « juge des libertés et de la détention », n’appelle pas de remarques substantielles dans ses principes. La collégialité, sûrement souhaitable en théorie pour des décisions lourdes de conséquence, est hors de portée pour des raisons matérielles.
En revanche, il faut bien rappeler, même si ce rappel a un caractère rituel, les difficultés pour le magistrat qui décide à être muni des enquêtes nécessaires sur la personnalité de la personne sur laquelle il doit se prononcer. On doit rappeler aussi l’encombrement des juridictions, en particulier celui des chambres de l’instruction, saisies de demandes en liberté, certes compréhensibles mais fréquemment répétitives, mécaniques et vaines, en l’absence de circonstances de fait ou de droit nouvelles : cette « mithridatisation » des affaires ne favorise pas, c’est l’évidence même, un examen serein et approfondi. On doit rappeler, enfin, les difficultés à trouver parfois, dans le respect absolu des compétences de chacun, des relations de travail confiantes et satisfaisantes entre juges d’instruction et chambres de l’instruction.
Le second contrôle, celui de l’exécution, est de nature entièrement différente. Il est, à dire vrai, multiforme quant à son objet et aux organismes, juridictionnels ou non, publics ou privés, français ou internationaux, qui en ont la charge. A tel point qu’on ne peut manquer dès l’abord de se préoccuper de la multiplicité de ces contrôles d’une part, et de leur efficacité d’autre part, dès lors que les maisons d’arrêt sont pour la plupart dans un état si médiocre. En réalité, tous ces contrôles ont leur raison d’être : la direction de l’administration pénitentiaire requiert bien entendu le sien propre, comme chacune des administrations qui ont une part de responsabilité dans le monde carcéral ; les personnes qui interviennent dans le champ de la protection des droits des prévenus ont également vocation à exercer de tels contrôles. La Commission a eu le sentiment que les contrôleurs, quelle que soit, si l’on peut ainsi s’exprimer, leur appartenance, assumaient leur délicate mission avec beaucoup de rigueur et de qualités personnelles.
L’objectif premier du contrôle de l’exécution de la détention provisoire (et aussi de l’exécution des peines : il s’agit le plus souvent des mêmes) est parfaitement clair. Il s’agit d’éclairer les responsables, singulièrement le directeur de l’administration pénitentiaire et les chefs d’établissement, sur les origines de tout incident mineur ou majeur, pour y porter remède et en prévenir de semblables. La réalité du monde carcéral impose cette vigilance. Faut-il en rester là ? On doit bien constater d’une part que les critères qui servent de fondement au contrôle, ne sont guère, contrairement à la matière précédente, des critères issus de la loi ; d’autre part que la nécessité d’une synthèse des données observées n’est pas toujours satisfaite ; enfin que les garanties qui doivent s’attacher au déroulement des missions de contrôle restent souvent dans l’imprécision. Il semble pourtant que ces critères et aussi la méthodologie qui doit s’attacher à un véritable contrôle des établissements de détention ont fait des progrès substantiels ces dernières années, grâce notamment au droit des conventions internationales et à l’expérience d’organismes internationaux, en particulier du Comité européen de prévention de la torture (CPT) et aussi grâce à l’examen des données de la réparation de la détention provisoire injustifiée : l’examen en quelque sorte « en creux » des affaires de la commission nationale de réparation - qui reste à faire dans le détail - fournit sur ce point, à travers ce qu’elle inventorie de l’exécution de la détention, d’utiles enseignements.
La Commission est consciente des mérites des contrôles existants, comme des contraintes et des difficultés qu’il y a à exercer ce double contrôle. Compte tenu du constat qu’elle a fait des données générales de la détention provisoire, il lui est apparu que quelques propositions devaient être faites de nature à l’améliorer. Elles figurent dans le rapport lui-même. Elles ont été condensées dans un « relevé » qui a été joint au texte.
RELEVE DE PROPOSITIONS
1) Rechercher, en amont de l’intervention juridictionnelle, le moment adéquat du défèrement de manière à permettre à l’autorité judiciaire compétente de disposer d’un maximum d’informations au moment de la prise de décision concernant la détention provisoire.
2) Valoriser le statut du juge des libertés et de la détention au sein des juridictions.
3) Dégager les moyens nécessaires au fonctionnement satisfaisant de cette institution.
4) Dégager les moyens nécessaires au fonctionnement satisfaisant des chambres de l’instruction, de manière à permettre, notamment, aux présidents de ces juridictions d’assurer effectivement les fonctions qui leur sont personnellement dévolues par la loi.
5) Prévoir un examen périodique approfondi des dossiers d’instruction par la chambre de l’instruction lorsque la détention provisoire dépasse une certaine durée (laquelle pourrait être fixée à six mois).
6) Prévoir, parallèlement, qu’à l’intérieur de ces périodes, la décision du deuxième degré de juridiction concernant la détention provisoire puisse être orientée, ou non, vers la collégialité, selon qu’elle fait apparaître, ou non, des éléments nouveaux ; cette décision pourrait être prise par le président de la chambre de l’instruction.
7) Prévoir la désignation d’un membre de la chambre de l’instruction « référent » de chaque cabinet d’instruction.
8) Disposer de statistiques significatives concernant :
- l’exercice des voies de recours exercées en matière de détention provisoire et le sens des décisions prises dans ce domaine,
- les détentions provisoires suivies d’une décision définitive de relaxe ou d’acquittement.
9) Instituer au sein des comités de surveillance d’établissement une « commission permanente » restreinte, composée du chef d’établissement et de représentants de personnes locales.
10) Créer un secrétariat national des comités de surveillance réduit en nombre, chargé d’animer et de synthétiser leurs travaux.
11) L’envoi à la direction de l’administration pénitentiaire des compte-rendus des contrôles des différentes administrations sur le fonctionnement des établissements doit être systématique et des synthèses périodiquement faites de ces rapports.
12) Création d’un Médiateur national des détenus, doté de pouvoirs d’investigation autonomes et étendus, entouré d’une équipe restreinte et expérimentée.
13) A défaut (proposition 12), extension des tâches des médiateurs créés par la convention passée entre le Garde des sceaux et le Médiateur de la République en 2005, simultanément à un renforcement des garanties dont ils doivent bénéficier dans l’exercice de leurs fonctions.