Introduction
1. La santé physique et mentale d’un détenu est ce qu’il y a de plus vital et de plus vulnérable à la fois.
Les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme posent deux principes fondamentaux :
Article 3 Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.
Article 5 Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Ces principes sont réaffirmés par l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement (principe 6), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (articles 6.1 et 7) et la Convention des Nations unies contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Préambule). L’Ensemble de principes précise, dans une note additionnelle à l’article 6, que “ l’expression ‘peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant’ doit être interprétée de façon à assurer une protection aussi large que possible contre tous les sévices, qu’ils aient un caractère physique ou mental, y compris le fait de soumettre une personne détenue ou emprisonnée à des conditions qui la privent temporairement ou en permanence de l’usage de l’un quelconque de ses sens, tels que la vue ou l’ouïe, ou de la conscience du lieu où elle se
trouve et du passage du temps. ”
2. Les soins médicaux et la santé des détenus doivent constituer la priorité dans la mise en œuvre du traitement pénitentiaire. Les soins doivent être, en prison, d’une qualité au moins équivalente à celle des soins distribués dans la société civile. Les soins accordés aux détenus sont de la responsabilité de l’Etat, le gouvernement devant assurer leur distribution. Suivant La règle 37 des RMT [1], l’enfermement est une peine de caractère afflictif par nature, aussi ce caractère ne doit-il pas être aggravé. La règle reconnaît que la privation de liberté dépouille l’individu du droit de disposer de sa personne. Les contraintes de la vie quotidienne en détention accentuent cette situation et rendent le détenu inapte à apprécier ce qui est bon ou mauvais pour sa santé. Cette responsabilité est transférée au gouvernement, dont la première des missions est de maintenir les détenus en vie : il doit, pour y parvenir, leur assurer un état de santé satisfaisant, des conditions de vie et de travail hygiéniques, des traitements et activités sains, des procédures de soins suffisantes et des traitements médicaux efficaces.
Les soins en prison, une priorité
3. La santé physique et mentale des détenus est conditionnée en premier lieu par le bien-fondé des accusations dont ils sont l’objet, par l’honnêteté des jugements les concernant ainsi que par la qualité de l’information qui leur est fournie en matière de procédures légales, d’assistance juridique et de règles et règlements pénitentiaires. De par leur longueur, certaines peines sont en elles-mêmes nuisibles au bienêtre des détenus : elles devraient être décernées avec la plus grande modération. Si l’administration pénitentiaire n’a pas la responsabilité de fixer la durée des peines, elle peut néanmoins contribuer à leur érosion, en accordant ou favorisant une libération anticipée, une permission de sortie, une réduction de peine ou une grâce. Les détenus atteints d’une maladie grave et n’offrant aucun espoir de guérison devraient pouvoir être libérés et assignés à résidence dans un lieu où les derniers soins pourraient leur être prodigués, avec l’aide de leur famille, de leurs amis ou d’une institution appropriée.
4. Les RMT mentionnent brièvement les soins médicaux dont doivent bénéficier les prévenus [2]. On répétera ce qui a été dit précédemment [3] : les RMT, y compris et surtout celles afférentes à la santé et à l’hygiène, doivent bénéficier en priorité aux personnes incarcérées dans les maisons d’arrêt, dans les cellules de police et autres lieux de détention.
5. L’incarcération signifie pour le détenu l’impuissance, la dépendance, l’ignorance du lendemain et l’incapacité à faire face à une telle situation. Elle est source d’amertume, d’agressivité, de nervosité et d’angoisse, comme l’attestent la fréquence des visites médicales, l’importance du recours aux somnifères, aux tranquillisants et aux drogues et le grand nombre de tentatives de suicides, en particulier au cours de la période précédant le jugement. La santé mentale n’est pas sans conséquence sur l’état physique et réciproquement.
Il faut, pour y remédier, offrir aux détenus des conditions de vie agréables et un traitement psychologique et social stimulant. De même, la confiance des détenus dans les soins médicaux qui leur sont prodigués en prison constitue en elle-même un facteur positif. Cette confiance sera acquise dès lors que le médecin, l’infirmière ou le travailleur social manifesteront dans leur pratique que le soin est la première de leurs priorités, avant l’ordre, la discipline et tous les autres impératifs de la prison.
Les soins et la fonction médicale
6. Les RMT contiennent des règles indiquant les dispositions nécessaires en matière de santé physique et mentale, dont les détenus doivent être rapidement informés. Ceux-ci doivent également avoir connaissance des procédures d’accès aux soins, de la nature des médicaments prescrits et du contenu des rapports et dossiers médicaux les concernant. En règle générale, les détenus devraient être davantage associés à leur traitement médical et mieux informés de leur état de santé.
Droit à la santé
7. Les RMT n’évaluent pas le bien-être des détenus, elles ne formulent pas de droits, dont celui à la santé physique et mentale, contrairement à la Déclaration universelle des droits de l’homme dans son article 25 :
Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour sa santé, son bien-être et ceux de sa famille.
8. La même Déclaration énumère les seules restrictions admissibles à ce droit dans son article 29.2 : Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique.
Ces restrictions ne concernent en rien le droit à la santé.
9. Les règles évoquées aux paragraphes 7 et 8 utilisent le mot “ droits ”, ce qui sous-entend que les détenus ont conservé une certaine responsabilité vis-à-vis des conditions de vie qui leur sont offertes, qu’ils ont conservé prise sur leur propre santé, seraient-ils privés de certains moyens d’en prendre soin. Les agents pénitentiaires devraient encourager (et non obliger, en les menaçant de sanctions) les détenus à exercer cette responsabilité, en leur conseillant par exemple de pratiquer des exercices physiques, de se laver et de se raser, de se brosser les dents, de ne pas fumer, de maintenir leur espace de vie en état de propreté. Les détenus doivent être informés des règles de santé et des conditions d’hygiène, de la prévention des risques, des mesures d’aide d’urgence, etc. S’ils se comportent de manière irresponsable et menacent la santé d’autrui, des mesures d’hygiène peuvent leur être imposées.
En l’absence de précautions et de dispositions permettant aux détenus d’être partie prenante dans la gestion de leur santé et de leur hygiène, sous la forme par exemple de consultations régulières des services médicaux, il ne pourra leur en être tenu rigueur.
10. Les RMT souhaitent que les services médicaux des prisons “ soient organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la communauté ou de la nation ” (règle 22).
Rien ne doit donc s’opposer, en théorie, à ce que les médecins pratiquant à l’extérieur de la prison y aient accès, ou à ce que les détenus puissent consulter ou être traités par des médecins exerçant hors les murs. Les médecins de la prison ne devraient pas non plus avoir de scrupule ou de honte à prendre l’avis ou à recevoir l’aide de praticiens extérieurs.
La qualité des soins
11. La question du niveau des soins médicaux en prison est souvent posée. Ce niveau est particulièrement bas dans beaucoup de régions ou pays. L’accès aux soins peut être difficile faute de praticiens, ou compte tenu du coût des actes médicaux. Peut-on envisager que, dans un pays, les soins
soient meilleurs en prison que dans la société civile ?
12. Les règles internationales (en particulier les RMT) ne laissent pas place à l’hésitation : quand bien même le niveau de soins serait catastrophique dans une société donnée, il n’est pas tolérable que les détenus du pays concerné ne puissent en bénéficier. Les gouvernements ont toute autorité sur les personnes incarcérées, lesquelles sont placées sous leur entière responsabilité. Il est inadmissible que l’emprisonnement ajoute de la maladie ou de la souffrance morale ou physique à la sanction. La santé en prison est la priorité des priorités, l’incarcération étant en elle-même, dans une plus ou moins grande mesure, nuisible à la santé physique et morale des détenus. En outre, suivant La règle 57 [4] et le principe 24 de l’Ensemble de principes [5], les soins médicaux doivent être fournis gratuitement en prison, à l’inverse de ce qui peut être le cas dans la société civile.
La santé des détenus, une responsabilité de tous les agents pénitentiaires
13. On peut déduire des règles précédentes que la santé physique et mentale des détenus est de la responsabilité non seulement du gouvernement, de l’administration pénitentiaire centrale et des services médicaux de la prison, mais aussi du personnel pénitentiaire dans son ensemble. Chaque agent doit veiller et contribuer au respect du droit de chaque détenu à la santé. Les psychologues et plus généralement les travailleurs sociaux ont un rôle particulier à jouer dans ce domaine, notamment en matière de santé morale, ils devraient de ce fait être respectés, consultés et assistés au même titre que les membres des professions médicales.
14. Le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois énonce, dans son article 6 que :
Les responsables de l’application des lois doivent veiller à ce que la santé des personnes dont ils ont la garde soit pleinement protégée et, en particulier, à prendre immédiatement des mesures pour que les
soins médicaux leur soient dispensés chaque fois que cela s’impose.
Ce code est applicable aux responsables des prisons, lesquels doivent veiller à l’application sourcilleuse de l’article 6. Sauf abus patent, la demande d’un détenu de consulter un médecin doit être prise en compte rapidement. En cas de doute, une enquête doit être diligentée, qui peut aboutir à une sanction disciplinaire appropriée. Toutefois, une nouvelle demande de consultation médicale ne peut être refusée sous le prétexte d’un abus antérieur.
15. On doit mentionner ici la publication par Amnesty International de divers “ Codes de déontologie ” ayant trait aux professions médicales. On y trouvera une sélection de textes d’éthique médicale émanant d’associations professionnelles internationales de médecins, psychiatres, infirmières et psychologues.
Les fonctions du médecin : priorité au patient
16. L’analyse détaillée des RMT permet de distinguer trois fonctions imparties aux médecins des prisons, avec pour chacune les devoirs correspondants :
1) le médecin comme médecin personnel d’un détenu ;
2) le médecin comme conseiller du directeur pour les questions en relation avec le traitement des détenus (discipline ou régimes pénitentiaires par exemple) ;
3) le médecin comme responsable des conditions générales de santé et d’hygiène de l’établissement, tenu à ce titre à des fonctions d’inspection dont il doit rendre compte.
Quelles que soient ces distinctions, un médecin qui travaille en prison est et reste, il faut y insister, un médecin. Il y intervient comme tel, c’est-à-dire uniquement dans l’intérêt des patients-détenus, au mépris d’autres personnes ou d’autres intérêts.
17. Comme “ médecin personnel ”, le médecin de la prison répond à la demande des détenus et intervient auprès d’eux en vue de protéger leur santé. Les règles 22, 23, 25 (1) et 91 par exemple, sur lesquelles on reviendra, assignent aux médecins des prisons la tâche de distribuer aux détenus des soins médicaux de qualité. Dans La règle 26, il est au contraire question d’une responsabilité générale en matière de santé et d’hygiène : il s’agit cette fois d’une fonction de prévention, le médecin devant s’assurer que les aménagements et les conditions de vie de la prison ne mettent pas la santé des détenus en danger. D’autres règles évoquent les relations privilégiées entre les médecins et la direction.
Car le directeur est responsable à un double titre de la santé des détenus : il doit veiller au bon fonctionnement des services médicaux, mais il doit aussi s’assurer que le régime pénitentiaire ne nuit pas a la santé des détenus. Pour exercer convenablement cette double responsabilité, le directeur a besoin de l’avis éclairé du médecin.
18. Les RMT ne précisent pas si les trois fonctions médicales doivent être remplies par des médecins différents ; elles ne disent pas non plus le contraire. Mais cette répartition ne sera pas toujours possible,
d’où le risque d’un seul médecin ayant à résoudre des situations contradictoires. Si tel est le cas, le médecin doit avoir à l’esprit qu’il est en premier lieu le médecin personnel des détenus, sa principale mission étant de répondre à leur demande pour distribuer ses soins. Quelle que soit la fonction qu’il puisse avoir par ailleurs, celle-ci ne peut être exercée au détriment de la santé des détenus. Pour un médecin de prison comme pour tout médecin, seule compte la santé du patient, le détenu comme patient
étant la priorité des priorités.
19. La responsabilité du médecin vis-à-vis de ses patients revêt, en prison, une dimension particulière, la bonne santé morale et physique du détenu favorisant les efforts qu’il accomplit en vue de préparer sa resocialisation. La règle 62, qui constitue un principe directeur, est particulièrement importante à cet égard :
Règle 62 Les services médicaux de l’établissement s’efforceront de découvrir et devront traiter toutes les déficiences ou maladies physiques ou mentales qui pourraient être un obstacle au reclassement du détenu. Tout traitement médical, chirurgical et psychiatrique jugé nécessaire doit être appliqué à cette fin.
Des conditions de vie mauvaises voire inacceptables n’affectent pas seulement les détenus malades physiquement ou moralement ; elles exercent une influence sur tous les détenus. La règle 62 définit la responsabilité essentielle des services médicaux en prison, tant à l’égard des condamnés, explicitement visés ici, que de toute autre catégorie de détenus.
Serment d’Athènes
20. L’importance de la responsabilité des médecins au sein des prisons a été reconnue par le Conseil international des services médicaux pénitentiaires dans ce qu’il est convenu d’appeler le Serment d’Athènes :
Nous, professionnels de santé qui travaillons dans des établissements pénitentiaires, réunis à Athènes le 10 septembre 1979, prenons ici l’engagement, en accord avec l’esprit du serment d’Hippocrate, que nous entreprendrons de procurer les meilleurs soins de santé à ceux qui sont incarcérés quelle qu’en soit la raison, sans préjugé et dans le cadre de nos éthiques professionnelles respectives.
Nous reconnaissons le droit des personnes incarcérées à recevoir les meilleurs soins médicaux possible.
Nous nous engageons à
1. Nous abstenir d’autoriser ou d’approuver toute sanction physique.
2. Nous abstenir de participer à toute forme de torture.
3. N’entreprendre aucune forme d’expérimentation médicale parmi les personnes incarcérées sans leur consentement en toute connaissance de cause.
4. Respecter la confidentialité de toute information obtenue dans le cours de nos relations professionnelles avec des malades incarcérés.
5. Ce que nos diagnostics médicaux soient basés sur les besoins de nos patients et aient priorité sur toute question non médicale.
21. Le Serment d’Athènes acquerra toute son efficacité si les directeurs et les médecins de prison veillent à ce qu’il soit connu de tout le personnel médical travaillant régulièrement ou occasionnellement en faveur de la santé des détenus. Des moyens financiers et des règles de procédure sont nécessaires pour assurer une assistance médicale rapide et appropriée et pour rendre publics les codes déontologiques des médecins et des infirmières. Il appartient aux gouvernements de fournir au personnel médical des prisons les informations (noms, adresses, etc.) relatives aux organismes responsables de l’éthique médicale.
Les services médicaux sont indispensables
22. Les règles suivantes déterminent les besoins indispensables en matière de services et de soins médicaux.
Règle 22 (1) Chaque établissement pénitentiaire doit disposer au moins des services d’un médecin qualifié, qui devrait avoir des connaissances en psychiatrie. Les services médicaux devraient être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la communauté
ou de la nation. Ils doivent comprendre un service psychiatrique pour le diagnostic et, s’il y a lieu, le traitement des cas d’anomalie mentale.
Règle 22 (2) Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils. Lorsque le traitement hospitalier est organisé dans l’établissement, celui-ci doit être pourvu d’un matériel, d’un outillage
et des produits pharmaceutiques permettant de donner les soins et le traitement convenables aux détenus malades, et le personnel doit avoir une formation professionnelle suffisante.
Règle 22 (3) Tout détenu doit pouvoir bénéficier des soins d’un dentiste qualifié.
23. En matière de soins médicaux, la première exigence consiste à avoir un médecin à disposition. Il ne sera pas toujours possible ni nécessaire - compte tenu de la taille de la prison - d’avoir un médecin disponible à plein temps. Il est dans ce cas nécessaire d’assurer encore plus étroitement des liens permanents avec les services médicaux civils, comme il est dit dans La règle 22 (1). Les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus vont encore plus loin :
Principe 9 Les détenus ont accès aux services de santé existant dans le pays sans discrimination aucune du fait de leur statut juridique.
La règle 91 des RMT s’intéresse pour sa part aux seuls prévenus :
Règle 91 Un prévenu doit être autorisé à recevoir la visite et les soins de son propre médecin ou dentiste si sa demande est raisonnablement fondée et s’il est capable d’en assurer la dépense.
24. Le principe 9 et La règle 91 des RMT sont rarement mis en œuvre en raison des complications que leur application occasionne. Ces règles ne doivent pas être écartées pour autant d’un revers de main.
Les services médicaux des prisons ont forcément leurs limites, d’où l’importance majeure de relations structurelles et de travail avec les services de soins extérieurs. C’est à cette condition qu’une aide médicale intensive ou d’urgence peut être garantie aux détenus. Certains directeurs et médecins de prison n’y portent pas un intérêt suffisant. En principe, cette responsabilité appartient au directeur, mais il est du devoir du médecin de la prison d’organiser et d’entretenir de telles relations ainsi que de définir les procédures et conditions de leur concrétisation. Il est important, par exemple, de s’assurer que la paperasserie ne fera pas obstacle au transfert rapide d’un patient dans un hôpital ou à l’organisation d’une consultation urgente dans une clinique extérieure.
Le personnel de santé
25. La règle 22 (2) exige que des professionnels “ qualifiés ” et “ suffisamment formés ” soient présents au sein des unités hospitalières dépendant de l’administration pénitentiaire. Sont visés là à la fois les médecins et les infirmières. Des infirmières qualifiées devraient d’ailleurs être aussi présentes dans les prisons ne disposant pas d’unité de soins, en particulier si le recours au médecin y est limité. Elles peuvent pallier cette indisponibilité. Dans certains pays, des surveillants sont formés pour intervenir comme secouristes et traiter les cas d’urgence, mais ils peuvent aussi traiter les maladies et blessures bénignes, d’où le titre d’“ infirmiers ” qui leur est parfois abusivement décerné.
26. Le médecin s’assurera que le service des infirmières, infirmiers et aides-soignantes est correctement organisé. Des registres de consignes et de rapports seront mis en place, en sus des consignes et des comptes rendus effectués verbalement. La distribution des médicaments n’échappe pas à ces impératifs formels. Le médecin en est le seul prescripteur, leur préparation (mélange et dilution des médicaments en poudre ou liquides, puis répartition en doses individuelles) doit être confiée à des infirmières qualifiées, leur distribution sera assurée par des “ infirmiers ” ou, à défaut et en dernier recours, par des surveillants ordinaires mais avertis des instructions strictes et des procédures écrites de la main du médecin - toute difficulté ou irrégularité lors de la distribution devra faire l’objet d’un compte rendu au médecin. La préparation des doses ne pourra en aucun cas être confiée à un personnel insuffisamment qualifié.
Equipement
27. Outre un personnel médical suffisant et compétent, les services médicaux comprennent des salles de soins et des équipements de qualité et bien entretenus. Les salles de soins, les armoires médicales et le reste du mobilier doivent être munis de serrures robustes et accessibles seulement au personnel de santé compétent, qui est responsable de l’hygiène et de la sécurité au sein des services. Dans certaines parties du monde, des dispositions devront être prises pour protéger ou remplacer des médicaments extrêmement périssables compte tenu de températures élevées.
Le médecin, soignant personnel des détenus
28. La règle 25 (1) est très générale :
Règle 25 (1) Le médecin est chargé de surveiller la santé physique et mentale des détenus. Il devrait voir chaque jour tous les détenus malades, tous ceux qui se plaignent d’être malades, et tous ceux sur lesquels son attention est particulièrement attirée.
Cette règle emporte trois conséquences. Que le médecin soit qualifié. Qu’il ait à sa disposition une salle de soins médicaux et chirurgicaux équipée des aménagements habituels et dotée d’une pharmacie correctement approvisionnée. Qu’il soit en mesure et disposé à traiter les détenus comme n’importe quels autres patients.
En d’autres termes, les médecins de prison ne devraient pas se contenter de prescrire des somnifères et des calmants, mais traduire en actes médicaux tout ce que leur compétence professionnelle exige et autorise.
Les médecins de prison sont souvent soumis à diverses pressions en vue de les amener à prescrire diverses sortes de tranquillisants aux détenus sans que des raisons strictement médicales l’exigent. Ils ont le devoir de ne prescrire de tels produits que s’ils sont médicalement justifiés, à l’exclusion de tout autre motif.
La règle 25 (1) vaut, dans ce contexte, pour les interventions du médecin au titre de conseiller du directeur, malgré les ambiguïtés inhérentes à ce double rôle, comme on le verra dans le paragraphe 43.
Des examens médicaux rapides et pertinents
29. La règle 25 (1) a de bonnes raisons d’exiger du médecin de voir quotidiennement tous les détenus se plaignant d’être malades. La santé des détenus est souvent plus fragile que celle des citoyens libres, en raison des conditions d’incarcération et de certains comportements ou risques spécifiques : automutilations, tentatives de suicide, viols, etc. La charge émotionnelle résultant de l’incarcération peut aussi être facteur de maladie. La maladie peut être simulée et les soins abusifs, mais il appartient au seul médecin d’en juger en ayant à l’esprit que de telles simulations peuvent être des signaux précurseurs d’une détérioration de la santé physique ou mentale du détenu.
30. En l’absence d’un médecin, une infirmière doit être présente en permanence afin de procéder à un grossier dépistage, de répondre aux demandes sans gravité et d’assurer les premiers soins. En outre, des dispositions doivent être prises pour qu’un médecin de l’extérieur intervienne dans les meilleurs délais en cas d’urgence.
31. Le principe 24 de l’Ensemble de principes requiert que toute personne détenue ou emprisonnée se verra offrir un examen médical approprié dans un délai aussi bref que possible, après son entrée dans le lieu de détention ou d’emprisonnement ; par la suite, elle bénéficiera de soins et traitements médicaux chaque fois que le besoin s’en fera sentir. Ces soins et traitements seront gratuits. ”
Ce principe n’impose pas l’obligation pour le médecin d’examiner un détenu aussitôt son entrée en prison, mais le droit pour l’arrivant d’être examiné. Le détenu devra être informé de cette opportunité ainsi que du caractère de gratuité de cet examen et du traitement médical auquel il peut conduire.
32. L’importance de ce droit, qui confère au détenu une responsabilité personnelle dans l’accès aux soins, est soulignée dans les principes 25 et 26 de l’Ensemble de principes :
Principe 25 Toute personne détenue ou emprisonnée ou son conseil a, sous réserve des conditions raisonnablement nécessaires pour assurer la sécurité et le maintien de l’ordre dans le lieu de détention ou d’emprisonnement, le droit de demander à une autorité judiciaire ou autre un deuxième examen médical ou une deuxième opinion médicale.
Principe 26
Le fait qu’une personne détenue ou emprisonnée a subi un examen médical, le nom du médecin et les résultats de l’examen seront dûment consignés. L’accès à ces renseignements sera assuré, et ce conformément aux règles pertinentes du droit interne.
33. Ces règles intéressent autant les autorités pénitentiaires que les médecins de prison. Les uns et les autres ont cependant des interprétations différentes des expressions “ chaque fois que le besoin s’en fera sentir ” (principe 24), “ des conditions raisonnablement nécessaires pour assurer la sécurité et le maintien de l’ordre ” (principe 25) et de l’“ accès à ces renseignements ” (principe 26). Et leurs vues respectives peuvent de surcroît différer de l’opinion du détenu qui est après tout le principal intéressé. On verra un peu plus loin comment ces contradictions ou ces divergences peuvent recevoir une solution respectueuse des principes pour ce qui concerne l’accès aux soins (paragraphes 35 et 36), l’information sur la gravité des blessures (paragraphe 34) et quelle instance doit être mise en place pour solutionner ce type de conflits (paragraphes 86 à 88).
Le personnel médical doit être informé des incidents
34. Le médecin et les infirmières doivent être informés et se tenir informés par tous les moyens des violences commises entre détenus aussi bien que des violences (“ raclées ”, sanctions corporelles, etc.) exercées sur eux par les surveillants. Les détenus concernés doivent être examinés et faire l’objet de soins, le directeur en étant immédiatement avisé. Les mêmes dispositions valent pour les tentatives de suicide, automutilations, grèves de la faim, abus sexuels, etc. Les blessures et les marques consécutives à des “ raclées ”, actes de torture, etc. doivent être examinées par un médecin de préférence indépendant. Il devra être procédé à cet examen dans la sérénité, à l’écart de toute pression officielle. Si un “ second avis ” médical est demandé par une partie ou une autre, il devra y être acquiescé. Il est de la responsabilité du médecin de rendre compte à un organisme (judiciaire) indépendant des pratiques de torture et des marques de violences occasionnées par les surveillants.
L’Ensemble de principes interdit explicitement toute forme de traitement cruel et dégradant [6] et souligne que c’est le devoir des fonctionnaires et d’autres témoins de rendre compte de toute violation de cet impératif aux supérieurs des fonctionnaires en cause ainsi qu’aux autres autorités ou instances de contrôle ou de recours compétents (principe 7).
Libre accès aux soins médicaux
35. L’accès aux soins doit être facile, efficace et rapide. Les surveillants recevront pour consigne de prendre les plaintes des détenus au sérieux et de les faire conduire dans les services médicaux dans les meilleurs délais ; ils devront manifester une attitude humaine et attentive, sans jamais décider d’euxmêmes si le détenu a besoin de voir un médecin ou pas.
36. La demande de soins et l’accès aux services médicaux ne doivent pas être conditionnés par le remplissage de formulaires compliqués. Il est inacceptable qu’un patient n’accède au médecin ou au moins à l’infirmière qu’un jour ou plus après le dépôt de sa demande. L’accès sans formalité excessive aux services médicaux ne doit pas signifier pour autant que les demandes ne doivent pas être enregistrées, ceci afin d’éviter tout litige. Les demandes de visites chez le médecin doivent figurer sur un simple imprimé ou dans un registre spécial, et sont transcrites par le surveillant ou par le détenu mais signées par l’un et par l’autre. Le médecin est responsable de la bonne tenue de ces imprimés ou de ce registre.
Le médecin de la prison doit expliciter son rôle et son éthique aux détenus
37. Exerçant une double fonction (médecin des détenus et conseiller du directeur), le médecin de la prison a l’impérieux devoir de lever toute ambiguïté, en expliquant aux détenus les limites en prison du secret médical (quel fait, quelle information peuvent être rapportés avec ou sans le consentement du détenu), la nature et le contenu des comptes rendus et avis médicaux qu’il destine au directeur, etc.
Le médecin, conseiller du directeur de la prison
38. Le médecin de la prison conseille le directeur sur les questions de santé générales et particulières. Quoique la santé ait à voir avec tous les aspects de la vie en prison, le médecin devrait être en dehors des questions de maintien de l’ordre et de sécurité, pour lesquelles sa compétence ne devrait jamais être requise. Un médecin de prison ne doit en aucune façon être assimilé à un médecin légiste, lequel a pour mission d’agir sur instruction de la police. Une telle confusion, que les RMT n’envisagent pas, rendrait impossible l’exercice d’une médecine indépendante à l’égard des détenus, et est en conséquence inacceptable.
39. L’avis du médecin peut être requis quand des sanctions sont infligées aux détenus, en vertu de La règle 32 (1) et (2) [7]. Cette règle est devenue obsolète. Il est contraire à l’éthique qu’un médecin collabore à un traitement pouvant affecter la santé physique ou mentale d’une personne en attestant de la capacité de celle-ci à pouvoir le subir [8].
Les limites du secret médical
40. D’autres règles abordent les problèmes soulevés par la “ double casquette ” du médecin de prison. Elles méritent que l’on s’y arrête.
Règle 24 Le médecin doit examiner chaque détenu aussitôt que possible après son admission et aussi souvent que cela est nécessaire ultérieurement, particulièrement en vue de déceler l’existence possible d’une maladie physique ou mentale, et de prendre toutes les mesures nécessaires ; d’assurer la séparation des détenus suspects d’être atteints de maladies infectieuses ou contagieuses ; de relever les déficiences physiques ou mentales qui pourraient être un obstacle au reclassement et de déterminer la capacité physique de travail de chaque détenu.
Règle 25 (2) Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale d’un détenu a été ou sera affectée par la prolongation ou par une modalité quelconque de la détention.
Règle 32 (3) Le médecin doit visiter tous les jours les détenus qui subissent de telles sanctions disciplinaires et doit faire rapport au directeur s’il estime nécessaire de terminer ou modifier la sanction pour des raisons de santé physique ou mentale.
41. Le médecin qui doit établir un rapport après l’examen d’un détenu (règle 24) peut porter atteinte au droit du détenu à préserver son intimité et l’intégrité de sa personne. De tels comptes rendus médicaux peuvent avoir pour conséquences de modifier négativement le régime du détenu et d’altérer sa santé et ses conditions de vie.
42. Les résultats de l’examen peuvent signifier le classement du détenu dans un travail dur ou insalubre ou au contraire l’interdiction pour lui de travailler. Ils peuvent se traduire par la ségrégation du fait de la maladie, pour les malades du SIDA ou les séropositifs par exemple, ségrégation équivalant à une stigmatisation. Ils peuvent entraîner une sanction, un isolement ou une réclusion rigoureuse susceptibles de nuire à la santé physique et mentale.
Le médecin et les sanctions
43. Le principe 4 (b) des Principes d’éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants établit que : Il y a violation de l’éthique médicale si des membres du personnel de santé, en particulier des médecins : [...] (b) Certifient, ou contribuent à ce qu’il soit certifié, que des prisonniers ou des détenus sont aptes à subir une forme quelconque de traitement ou de châtiment qui peut avoir des effets néfastes sur leur santé physique ou mentale et qui n’est pas conforme aux instruments internationaux pertinents, ou participent, de quelque manière que ce soit, à un tel traitement ou châtiment non conforme aux instruments internationaux pertinents.
44. Il importe que le médecin de prison ne soit pas impliqué dans les questions de discipline ou de sécurité. Le médecin est nommé en tant que médecin, non pas en tant que personnel pénitentiaire administratif ou de direction. Malgré sa “ double casquette ”, le médecin ne doit pas donner l’impression, par son comportement, son langage ou ses actes, qu’il est un allié de la direction de la prison. Sa fonction de conseil doit être circonscrite dans des limites perceptibles par tous. Le médecin, mais aussi le directeur doivent être conscients de ce que ce double rôle est difficile sinon impossible à tenir et qu’il suscite de douloureux problèmes de conscience chez un professionnel de la santé inspiré par les principes de l’éthique médicale.
45. Les infirmières se trouvent dans une position aussi délicate que les médecins. Simples subalternes, leur indépendance professionnelle devrait être assurée avec encore davantage de précautions. Dans des institutions spécialisées (tels que les hôpitaux psychiatriques), les médecins peuvent exercer des responsabilités administratives. Il y a lieu de s’inspirer de leur expérience avant d’analyser plus finement les ambiguïtés et les conflits inhérents à ce double rôle, dès lors que ces praticiens se retrouvent dans leur relation singulière avec les patients.
Expérimentation médicale et recherche clinique
46. L’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule :
Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.
L’accord d’un détenu de se soumettre à une expérience médicale moyennant par exemple une réduction de peine ou une rémunération interfère avec son libre consentement. Ce type de manipulation est en
contradiction avec l’article 7. Le principe 22 de l’Ensemble de principes (adopté en 1988, donc plus récent) est encore plus restrictif :
Aucune personne détenue ou emprisonnée ne pourra, même si elle y consent, faire l’objet d’expériences médicales ou scientifiques de nature à nuire à sa santé.
Ce principe exclut catégoriquement l’alibi du consentement du détenu dès lors que l’expérience est potentiellement dangereuse.
47. La Déclaration de Helsinki de l’Association médicale mondiale de 1964, revue en 1975, 1983 et 1989, a cristallisé l’attention sur ce point en indiquant clairement que cette question revêt aujourd’hui une importance extrême. Cette Déclaration, que chaque médecin de prison devrait avoir en tête, porte davantage sur la recherche que sur les expériences médicales. Elle déclare en préambule : La recherche clinique ne peut légitimement être conduite que si l’importance de l’objectif est en rapport avec les risques inhérents au sujet. Elle poursuit : Dans le traitement d’un malade, le médecin doit être libre d’employer un nouveau protocole thérapeutique s’il a l’intime conviction que celui-ci apporte un espoir de sauver une vie, de rétablir la santé ou de réduire la souffrance. La Déclaration ajoute : Dans la mesure où c’est possible et en accord avec la psychologie du malade, le médecin doit obtenir le libre consentement du malade, après que celui-ci a reçu une explication complète. La Déclaration procède à une distinction fondamentale entre la recherche clinique dans laquelle le but est essentiellement thérapeutique pour le malade et la recherche clinique, dont l’objet essentiel est purement scientifique et sans valeur thérapeutique pour la personne qui y est soumise. Cette déclaration, qui a la souci du détail, souligne que c’est le devoir du médecin de rester le protecteur de la vie et de la santé de la personne sur laquelle la recherche clinique est menée [...] La nature, l’objet et le risque de la recherche clinique doivent être expliqués au sujet par le médecin [...] La recherche clinique ne peut être effectuée sur un être humain sans son libre consentement, après qu’il eut été informé le plus complètement possible [...] Un tel consentement devrait, en règle générale, être consigné par écrit [...] la personne concernée jouissant d’un état physique, mental et légal lui permettant le plein exercice de sa liberté de choix. Et le texte conclut : Le chercheur doit respecter le droit de chaque individu à sauvegarder son intégrité personnelle, spécialement si le sujet est dans une relation de dépendance vis-à-vis du chercheur. Les dernières recommandations s’appliquent très exactement aux détenus, en particulier quand des récompenses leur sont offertes en échange de leur consentement.
Les maladies contagieuses, le SIDA
48. Les détenus infectés par le VIH, qui souffrent du SIDA, de la tuberculose, de l’hépatite ou d’une autre maladie contagieuse, sont souvent considérés comme présentant un risque pour leurs codétenus et pour les surveillants. L’infection par le VIH est ressentie comme une menace, et ce d’autant plus qu’elle a souvent à voir avec l’usage de drogue. La première parade consiste à recourir à un examen médical obligatoire suivi d’un test sanguin, après quoi les malades sont isolés ou placés dans des unités séparées, même si ces mesures peuvent être discriminatoires [9]. Les solutions peuvent varier d’un pays à l’autre, mais ne doivent en aucun cas être fondées sur les opinions des détenus, des surveillants ou du public en général, mais s’appuyer bien au contraire sur le respect de l’intégrité du malade, la confiance dans l’avis médical et l’obligation de confidentialité. Il y a lieu d’informer d’abord les détenus et le personnel sur la maladie, ses risques réels d’infection et les moyens à mettre en œuvre pour les éviter : mise à disposition de préservatifs et même de seringues pour les usagers de la drogue. Si regrettables que soient ces pratiques, les contacts sexuels entre les détenus mâles et l’usage de drogues appartiennent peu ou prou à la vie en prison, et constituent même parfois des effets de l’incarcération. Ces pratiques ne sont évidemment pas souhaitables : les relations sexuelles imposées doivent être proscrites et sanctionnées par des mesures disciplinaires et par la loi pénale ; l’usage de la drogue doit être combattu avec efficacité et bon sens. Point n’est nécessaire pour autant de fermer les yeux sur la réalité.
49. Face à des difficultés qui ne font que croître, le médecin doit multiplier les initiatives tout en respectant la vie privée des personnes. Ce respect sera davantage assuré s’il est fait recours à des services de santé extérieurs. Le problème est de plus en plus complexe, d’où l’impérieuse obligation de mieux former le personnel de santé d’une part, et d’être vigilant sur l’éthique d’autre part [10]. Il est urgent de dégager des principes clairs définissant les limites du secret médical en matière de SIDA.
50. Dans des cas extrêmes, la ségrégation de ces malades peut se justifier, de même que le recours à des tests médicaux pratiqués dans des conditions très précises et très restrictives. De telles mesures ne peuvent être abandonnées à l’initiative d’un médecin ou d’un directeur de prison ; elles devraient être prises sur la base de lois spécifiques par des autorités politiques responsables et après une large consultation d’experts.
Suicide
51. En prison, les automutilations et les tentatives de suicides sont fréquentes. Elles sont généralement la conséquence de problèmes mentaux, psychiques, sociaux ou culturels. Elles doivent être traitées soigneusement, avec sensibilité et au cas par cas plutôt que de façon routinière ou/et disciplinaire. Le désespoir face à l’avenir, la situation carcérale (subir par exemple des abus sexuels), les problèmes raciaux, les différences de milieu culturel, la séparation du milieu familial et des amis renforcée parfois par l’éloignement et la promiscuité au milieu d’étrangers sont autant de facteurs qui peuvent rendre compte de ce type de comportements. On y remédie fréquemment par le recours à l’isolement, alors qu’il faudrait faire exactement l’inverse, c’est-à-dire placer le détenu suicidaire parmi un personnel ou des codétenus de confiance.
La prévention des suicides et des automutilations est de la plus grande importance. La mort, ou une grave blessure affectent le moral des surveillants et des détenus. Les surveillants devront être formés par des spécialistes sur les raisons des tentatives de suicide, l’identification des symptômes et les stratégies à élaborer en vue d’aider les détenus qui apparaissent comme vulnérables. Ces incidents doivent être l’objet de rapports particulièrement précis et détaillés. De même, des instructions claires doivent aider les surveillants à intervenir efficacement dans de telles occurrences.
52. En cas de tentative de suicide ou d’automutilation, le personnel de surveillance est placé en première ligne. Le personnel médical doit être obligatoirement alerté et une aide appropriée être trouvée, par exemple auprès d’un aumônier, d’un travailleur social ou d’un autre détenu. Mais la prévention n’est jamais absolue, l’incident pouvant être provoqué par des causes extérieures (résultat du procès, abandon d’un conjoint, mort d’un proche, etc.). Dans tous les cas, le seul palliatif consiste dans l’assistance inconditionnelle, effective et immédiate à ces détenus : le surveillant doit être présent, retirer les objets avec lesquels ils pourraient se blesser, prêter l’oreille et réconforter, etc. Les détenus seront reconnaissants par la suite pour ce type d’attention, qui n’est pas exclusive de l’intervention d’organisations extérieures de lutte contre le suicide au sein de l’établissement.
Grève de la faim
53. Il faut distinguer les grèves de protestation, celles qui sont assimilables à des suicides et celles enfin qui sont le signe d’un trouble mental. Un refus de manger est plus souvent une protestation qu’une tentative de suicide, et est alors d’ordre politique ou social plutôt que médical. La nuance est importante car le fait d’examiner un détenu gréviste de la faim et de rendre compte de son état peut conduire à l’alimenter de force, voire, pour le médecin, à lui administrer contre son gré un liquide nourrissant, ce qui
a pour effet d’annuler, donc d’ignorer la protestation du gréviste. De telles interventions n’ont pas lieu d’être, comme il est précisé dans la Déclaration de l’Association médicale mondiale (AMM) sur les grèves de la faim : C’est le devoir du médecin de respecter la liberté du patient de décider de sa personne. La Déclaration de l’AMM met en exergue la difficulté d’établir une frontière entre le droit du patient à l’autonomie de sa personne et le devoir du médecin d’agir dans ce qu’il considère comme l’intérêt de la personne. La Déclaration en arrive à conclure que si un médecin accepte d’assister un gréviste de la faim, cette personne devient le patient du docteur, avec toutes les conséquences que cela implique en matière de consentement et de responsabilité et que la décision ultime d’intervention ou de non intervention doit être laissée au seul médecin, sans considération pour les sollicitations de tierces parties dont l’intérêt premier n’est pas le bien-être du patient.
54. Des détenus peuvent refuser de s’alimenter, soit parce qu’ils présentent un trouble mental, soit parce qu’ils espèrent attirer ainsi l’attention sur eux, soit encore parce qu’ils entendent persuader des tiers d’entreprendre ou de ne pas entreprendre certaines actions. Il n’y a pas toujours de connexion logique entre le refus de manger et l’effet désiré. Un détenu qui refuse de manger pour amener un tribunal à revenir sur la décision le concernant n’a que peu de chance de réussir. Les surveillants et les amis doivent le lui faire comprendre et, si la tentative de persuasion échoue, le médecin doit suivre son état de santé et l’avertir des risques encourus. Le détenu sera transféré si nécessaire dans un hôpital où il sera traité ou réanimé suivant des directives clairement établies.
55. La politique pénitentiaire dans ce domaine doit s’inspirer des principes formulés dans les Déclarations de Tokyo (1975) et de Malte (1992) de l’Association médicale mondiale : Il y a une obligation morale pour tout être humain à respecter le caractère sacré de la vie. Ceci est spécialement vrai pour le médecin dont les compétences ont pour but de sauver des vies humaines et d’agir au mieux dans l’intérêt de ses patients.
Le médecin a le devoir de respecter la liberté de ses patients de disposer de leur personne. Il doit demander un consentement de leur part en connaissance de cause avant d’exercer ses compétences pour les aider, sauf urgence, auquel cas le médecin agira au mieux de ce qu’il estime l’intérêt des patients.
Les Déclarations continuent : La décision ultime d’intervention ou de non-intervention doit être laissée au seul médecin, sans considération pour les sollicitations de tierces parties dont l’intérêt premier n’est pas le bien-être du patient.
Elles stipulent plus précisément : Les médecins et les autres membres du personnel de santé ne doivent pas exercer de pression excessive en vue de faire cesser une grève de la faim [...] Le gréviste de la faim doit être informé par le médecin des conséquences physiologiques et psychiques d’un tel acte [...] Tout traitement doit être administré avec le consentement du gréviste de la faim, le médecin s’enquérant quotidiennement auprès de lui de sa volonté de poursuivre ou non la grève. ”
Malades en phase terminale et décès
56. Les détenus atteints de maladie qui se trouvent en phase terminale, ceux qui sont irrémédiablement handicapés ou dont l’état est désespéré ne doivent être ni négligés, ni abandonnés, leur état nécessitant au contraire beaucoup d’attention et de soins. La solution la plus évidente consiste à mettre fin à (ou à suspendre) l’emprisonnement avant de les placer dans le service de santé publique approprié. Le médecin doit s’appuyer sur La règle 25 (2) déjà mentionnée et, dans le cadre du strict respect du secret
médical, faire part des observations nécessaires au directeur de l’établissement.
57. La position du médecin est complexe lors de la survenue du décès d’un détenu. Il va sans dire que le médecin doit en certifier et en rechercher immédiatement la cause. Il est souhaitable cependant qu’un médecin indépendant de l’établissement et de l’administration pénitentiaire en général procède à de tels actes, en particulier à l’autopsie du défunt qui devra être pratiquée si les proches le demandent. Une extrême prudence est toujours requise en pareilles circonstances, qu’il puisse y avoir ou pas une relation évidente entre l’environnement carcéral et le décès, ou que le médecin la soupçonne.
58. Dans tous ces cas de figure le médecin de prison, qui est à la fois le médecin privé des détenus et le conseiller du directeur de l’établissement, doit agir avec beaucoup de doigté et se montrer extrêmement honnête envers ses patients au sujet de ce double rôle et des conséquences que cela induit. Ces précautions s’appliquent également au directeur.
Le médecin, responsable de la santé et de l’hygiène au sein de l’établissement
59. Cette fonction ne doit pas être attribuée exclusivement au médecin de la prison, aurait-elle un rapport évident avec ses fonctions précédentes : les détenus vivent dans un environnement clos source de contraintes et qui conditionne très puissamment leur état de santé. Le médecin de la prison connaît les affections physiques et mentales de ses patients ; il est à même de repérer les causes de ces troubles et de déterminer celles qui sont inhérentes à l’incarcération et celles qui résultent d’une mauvaise organisation ou d’une hygiène défaillante. Il a donc une légitimité à donner son avis sur les améliorations (règlement de la prison, organisation du travail, hébergement, etc.) susceptibles de retentir favorablement sur la santé des détenus, ainsi que l’exige La règle 26.
Le devoir du médecin de prison : inspecter et rendre compte de l’hygiène et de la santé dans la prison
60. Règle 26 (1) Le médecin doit faire des inspections régulières et conseiller le directeur en ce qui concerne :
a) La quantité, la qualité, la préparation et la distribution des aliments ;
b) L’hygiène et la propreté de l’établissement et des détenus ;
c) Les installations sanitaires, le chauffage, l’éclairage et la ventilation de l’établissement ;
d) La qualité et la propreté des vêtements et de la literie des détenus ;
e) L’observation des règles concernant l’éducation physique et sportive lorsque celle-ci est organisée par un personnel non spécialisé.
Règle 26 (2) Le directeur doit prendre en considération les rapports et conseils du médecin visés aux règles 25, paragraphe 2, et 26 et, en cas d’accord, prendre immédiatement les mesures voulues pour que ces recommandations soient suivies ; en cas de désaccord ou si la matière n’est pas de sa compétence, il transmettra immédiatement le rapport médical et ses propres commentaires à l’autorité supérieure.
61. L’exercice physique quotidien en plein air, dont il est question dans La règle 21 [11] ainsi que les règles de sécurité imposées sur les lieux de travail exigées par La règle 74 [12] devraient aussi être l’objet de l’attention du médecin, quand même d’autres types d’inspection plus spécialisés existeraient à cet égard.
62. Le médecin n’est pas expert dans tous les domaines énumérés dans le paragraphe 60. La direction de la prison doit aussi recourir à des services spécialisés, publics, privés ou bénévoles, pour autant qu’il en existe à l’extérieur, qui aideront le médecin dans toute l’étendue de sa fonction de contrôle de l’hygiène et de la santé au sein de l’établissement.
Hygiène alimentaire
63. En prison, la nourriture, l’eau et les installations sanitaires requièrent une vigilance particulière. On a insisté dans le chapitre II sur la bonne qualité de l’eau et sa mise à disposition permanente qui constituent une priorité, de même que l’hygiène des installations sanitaires. C’est loin d’être le cas dans bon nombre de pays : cellules dans un état lamentable, pollution de l’air par des vapeurs d’huile, de peinture, de produits chimiques et autres ordures. La santé et l’hygiène ne peuvent être assurées que si l’air est renouvelé en permanence, aux moyens par exemple d’une ventilation efficace.
64. L’inspection de la nourriture et des plats, quoiqu’extrêmement importante, n’est pas toujours assurée d’une manière régulière, fréquente et qualifiée. Il n’est pas seulement question d’inspecter la nourriture, sa préparation et l’hygiène des cuisines, mais aussi d’assister à la distribution des repas : les plats sont-ils encore chauds quand ils sont servis aux détenus ? Les portions sont-elles suffisantes ? Les moyens de distribution des repas et les endroits où ils sont consommés sont-ils hygiéniques ? Une attention spéciale doit être accordée à la quantité et à la qualité des plats servis aux jeunes détenus, aux malades et aux travailleurs de force.
65. La qualité de la nourriture requiert un contrôle sérieux et qualifié. La nourriture doit être équilibrée d’un point de vue diététique et adaptée aux conditions climatiques ; les menus doivent être variés et des menus spéciaux confectionnés compte tenu de raisons religieuses ou médicales ; les femmes enceintes, les jeunes mères et leurs bébés bénéficieront de régimes alimentaires particuliers. Ces exigences alimentaires sont de stricte application, même si la situation alimentaire laisse beaucoup à désirer dans la société environnante : il est de la responsabilité des gouvernements de subvenir aux besoins et d’assurer la bonne santé des personnes qui sont sous leur garde.
Contrôle extérieur
66. Un inspecteur des services de la santé publique peut remplir cette troisième fonction en lieu et place du médecin de la prison. Dans beaucoup de pays, des associations bénévoles, formées en “ groupes de contrôle ” ou “ conseils d’inspection ” et comprenant des professionnels de la santé, procèdent à la visite des prisons, s’intéressant plus particulièrement aux conditions d’hygiène et à l’état de santé des détenus [13].
Position du corps infirmier
67. La Déclaration du CII (Conseil international des infirmières, Singapour, 1975) se réfère, pour ce qui concerne le rôle des infirmières en prison, au Code des Infirmières établi par le CII où il est indiqué notamment : La responsabilité fondamentale de l’infirmière est quadruple : promouvoir l’hygiène, prévenir la maladie, restaurer la santé et alléger les souffrances.
La Déclaration déclare en conclusion : Qu’il soit entendu que le CII condamne l’emploi de tout ce qui est nuisible à la santé physique et mentale des détenus. Qu’il soit entendu aussi que les infirmières amenées à avoir connaissance de mauvais traitements physiques ou mentaux infligés aux détenus ne garderont pas le silence et dénonceront les faits sous forme de comptes rendus aux institutions compétentes, nationales et/ou internationales.
68. Les infirmières ont, en prison, à remplir une fonction cruciale, alors même que leur degré d’indépendance professionnelle est moindre que celui des médecins. Elles risquent en conséquence de bénéficier de moins de considération de la part des détenus, surtout si elles donnent l’impression de se soucier davantage de la discipline et du bon ordre dans la prison que de la santé des détenus.
69. Les RMT ne mentionnent pas explicitement les infirmières, mais y font une allusion implicite quand il est question des “ services médicaux ”, qui ne sont pas susceptibles de fonctionner correctement sans elles. Leurs fonctions sont souvent plus délicates que celles des médecins : elles les assistent et les remplacent pour des interventions bénignes, et sont donc en contact permanent avec les détenus qui ne leur accorderont leur confiance que si elles respectent scrupuleusement les règles de confidentialité.
Contrôle du corps infirmier
70. Certains pays ne reconnaissent pas le Code international des infirmières et considèrent que celles-ci ne sont pas tenues au “ secret médical ”, compte tenu de leur plus modeste niveau de qualification. Si elles travaillent en prison, elles appartiennent à l’administration pénitentiaire et sont donc placées sou l’autorité des directeurs. Dans d’autres pays, les infirmières n’interviennent pas en prison, les tâches qui leur sont habituellement dévolues étant confiées à des surveillants ordinaires.
Les directeurs de prison, les gradés et médecins doivent se comporter en professionnels responsables et veiller au respect des codes nationaux et internationaux régissant l’éthique des infirmières et de tous les autres membres des services de santé. Ils doivent s’assurer par ailleurs que les infirmières et les membres des services de santé se cantonnent à remplir les tâches pour lesquelles ils sont qualifiés, à l’exclusion de toute autre que n’autorisent pas les codes de déontologie.
71. Pour éviter tout conflit, les infirmières doivent être dirigées et contrôlées par le médecin de la prison, qui est responsable de leur travail.
Statut du corps infirmier
72. Appartenant aux services médicaux, les infirmières ont les mêmes possibilités de porter plainte que les médecins et elles sont tenues comme eux au secret médical. Elles ont aussi l’obligation de respecter le Code international des infirmières (et de le faire respecter par les surveillants qui les assistent), qui contient certaines directives quant à la manière dont une infirmière de prison distribue les soins et contribue à la sauvegarde des droits de l’homme. Le CII (Brasilia, 1983) indique par exemple que : En matière de défense des droits de l’homme, les infirmières ont une responsabilité individuelle mais elles sont souvent plus efficaces en groupe. Les associations nationales d’infirmières doivent se doter d’une instance auprès de laquelle les infirmières trouveront, en toute confidentialité, conseil, soutien et assistance dans les cas où elles auraient été les témoins d’une transgression de ces droits.
Compétences professionnelles des infirmières
73. Le médecin de la prison doit veiller à ce que les infirmières soient bien formées et bénéficient de la formation continue leur permettant d’appréhender, de prévenir et de traiter ou d’aider à traiter les pathologies spécifiques à la prison ainsi que toutes les pathologies nouvelles - une attention particulière sera portée à l’identification des symptômes du SIDA et des maladies contagieuses, ainsi qu’aux problèmes de toxicomanie.
74. Les infirmières devront recevoir une formation complémentaire sur la manière d’aborder les “ patients/détenus ”. Les façons de faire autoritaires, paternalistes ou visant à faire comprendre aux détenus que le fait d’être soigné constitue une faveur pour eux, sont inacceptables - qu’elles soient le fait des infirmières ou des médecins, et plus généralement de l’ensemble des agents intervenant en prison.
Rôle des aides-soignantes
75. Les aides-soignantes ont un rôle considérable à jouer en prison, à condition qu’elles soient bien formées et placées sous l’autorité entière et constante du médecin de la prison et de son adjointe, qui pourra être une infirmière très qualifiée ou un cadre hospitalier. Les tâches de ce personnel sont les suivantes :
- distribuer les premiers soins ;
- faire le tri entre ce qui est du ressort de l’infirmière et de celui du médecin ;
- détecter chez un patient des signes de tension et en avertir l’infirmière ou le médecin ;
- reconnaître les symptômes de l’usage ou de l’abstinence en matière de toxicomanie, les symptômes du SIDA et d’autres maladies contagieuses, et en rendre compte à l’infirmière ou au médecin.
76. Les aides-soignantes doivent être présentes en permanence au sein des services médicaux et assurer à ce titre l’aide médicale d’urgence. Il est impératif qu’elles soient bien formées et contrôlées. Dans les prisons où les surveillants ordinaires ont reçu une formation du niveau indiqué dans le paragraphe 78, les aides-soignantes ne sont pas nécessaires. Mais s’il en existe, les surveillants ne doivent pas se substituer à elles.
Les cas de conscience du médecin de prison
77. En prison, le médecin - et les infirmières - sont d’abord responsables de leurs patients. Ceux-ci,quoique détenus, ont droit à l’autonomie de leur personne : il appartient au médecin de leur signifier, en instaurant avec eux une relation de confiance. Le directeur doit encourager et faciliter cette relation, en ne sollicitant les avis du médecin et des infirmières que dans les cas d’urgence et après que les deux parties eurent pesé le pour et le contre.
78. Si l’examen médical d’un détenu s’impose, lors de son arrivée à l’établissement par exemple, le médecin doit informer le détenu de la nature et des raisons de cet examen. Mais il est préférable que la décision de se faire examiner revienne au détenu. En cas de refus de sa part, et si les risques sont tels que l’examen doive être pratiqué coûte que coûte, l’administration peut recourir à la contrainte mais en aucun cas à la sanction disciplinaire.
79. Il appartient à l’Etat de définir, au moyen de directives précises, une politique de soins à l’intérieur des établissements pénitentiaires. Ces directives pourraient être l’occasion de dresser la liste des principales pathologies, physiques et mentales, qui affectent plus particulièrement les lieux de détention et qui sont à surveiller en conséquence. Ces directives indiqueraient les méthodes à suivre pour la confection des dossiers médicaux des détenus, en tenant compte du principe 26 de l’Ensemble de principes [14] qui exige que les résultats des examens seront dûment consignés et que l’accès à ces renseignements sera assuré. Les patients et les personnes par eux dûment mandatées doivent pouvoir accéder au contenu de ces dossiers. En cas de transfert, il appartient au médecin de l’établissement de faire suivre le dossier médical du détenu dans le respect de La règle de confidentialité. En cas de libération, le médecin informera le détenu de l’intérêt pour son médecin personnel d’avoir connaissance de tout ou partie de son dossier médical. Des procédures doivent assurer la préservation du secret médical et le libre accès du patient à son dossier après sa libération.
80. Le médecin doit informer les détenus du contenu des rapports qu’il est susceptible d’adresser à l’administration, comme l’exigent les règles internationales. Il serait à souhaiter que les détenus disposent
du droit de décider d’informer ou non le directeur des résultats de leurs examens médicaux.
81. Le médecin n’est tenu d’informer le directeur que dans des cas exceptionnels, quand par exemple il y a menace pour la collectivité, à l’intérieur ou hors de l’établissement, situation à laquelle peut être
confronté tout aussi bien un médecin de quartier. La plupart du temps, le détenu doit être à même d’apprécier l’opportunité de la divulgation, à charge pour le directeur de vérifier la véracité de l’information auprès du médecin. Si un détenu refuse de renseigner sur son état de santé un agent pénitentiaire qualifié menant une enquête légitime et utile, son régime de détention pourra être modifié sans pour autant qu’il fasse l’objet d’une sanction disciplinaire, chaque détenu devant toujours jouir de l’intégralité de ses droits dans le domaine vital et intime de la préservation absolue de sa vie personnelle.
Droit des détenus de porter plainte en matière de soins
82. La règle 36 (1) des RMT spécifie : Tout détenu doit avoir chaque jour ouvrable l’occasion de présenter des requêtes et des plaintes au directeur de l’établissement ou au fonctionnaire autorisé à le représenter. Le principe 33 de l’Ensemble de principes contient la même disposition. Le domaine des soins n’échappe pas à la possibilité pour le détenu de porter plainte et des procédures doivent être établies afin qu’il puisse exercer ce droit. Ces procédures devraient autoriser l’intervention de services de santé publique indépendants, compétents pour réexaminer les décisions, diligenter un second avis médical, mettre en œuvre un autre traitement et prodiguer des conseils aux autorités en vue d’améliorer les services médicaux de l’établissement [15].
83. Les procédures de plaintes doivent être connues des détenus, sous la forme d’une information orale et écrite qui leur sera communiquée dès leur arrivée par une infirmière ou par un surveillant spécialisé, en même temps qu’ils seront informés du règlement et des installations dont dispose la prison.
84. Des autorités médicales indépendantes devraient être associées au contrôle de la situation sanitaire des prisons et de l’application des normes en matière d’éthique médicale.
85. Dans un domaine aussi vital que celui de la santé, les détenus devraient pouvoir porter plainte auprès des tribunaux ordinaires et des organismes disciplinaires (conseil de l’ordre) régissant les professions médicales, qu’il s’agisse des médecins ou des infirmières.
Procédures d’appel à la disposition du personnel médical
86. Dans l’exercice de leur pratique de soins en faveur des détenus, les membres du personnel médical peuvent se trouver en conflit avec les autorités pénitentiaires, en particulier avec le directeur. Des conflits peuvent aussi survenir dès lors que le médecin est chargé de la triple fonction que nous avons définie cidessus, le directeur pouvant lui reprocher de ne pas l’assumer convenablement à son propre point de vue. Si des explications franches et avec de bons arguments sont insuffisantes à résoudre le problème, le recours à l’arbitrage d’un organisme indépendant et accepté par les deux parties est inévitable. Cet organisme, compte tenu de l’éthique médicale et de la difficulté pour le médecin d’assumer sa tripl fonction, doit être composé de membres qualifiés dans un certain nombre de domaines.
87. Dans l’intérêt des médecins comme des directeurs - mais aussi dans celui des détenus - les procédures d’appel doivent être formalisées. Il en va de l’impartialité qui doit être celle d’une institution ayant à défendre la valeur suprême que représente la santé. Au nom de cette même valeur, les membres des professions médicales doivent disposer de possibilités comparables de se plaindre, pour le cas où leurs prescriptions médicales ou leurs avis en matière de prévention et d’hygiène seraient négligés, au détriment de la santé des détenus.
88. Un contrôle général et régulier des pratiques médicales, des moyens matériels et humains des services de santé, des relations entre ceux-ci et les autres services de l’établissement, ainsi que de la situation sanitaire en général est nécessaire dans un milieu, la prison, où les questions de santé sont primordiales. Seuls des organismes indépendants et qualifiés sont susceptibles d’exercer un tel contrôle, comme le recommandent les documents officiels internationaux.
Soins médicaux spéciaux
89. Le principe 5.2 de l’Ensemble de principes dispose : Les mesures appliquées conformément à la loi et destinées exclusivement à protéger les droits et la condition particulière des femmes, surtout des femmes enceintes et des mères d’enfants en bas âge, des enfants, des adolescents et des personnes âgées, malades ou handicapées ne sont pas réputées être des mesures discriminatoires. La nécessité de ces mesures et leur application pourront toujours fair l’objet d’un examen par une autorité judiciaire ou autre.
Soins aux prisonnières (et à leurs bébés)
90. Les RMT insistent sur la nécessité de dispositions particulières au bénéfice des femmes enceintes et des mères d’enfants en bas âge.
Règle 23 (1) Dans les établissements pour femmes, il doit y avoir les installations spéciales nécessaires pour le traitement des femmes enceintes, relevant de couches et convalescentes. Dans toute la mesure du possible, des dispositions doivent être prises pour que l’accouchement ait lieu dans un hôpital civil. Si l’enfant est né en prison, il importe que l’acte de naissance n’en fasse pas mention.
Règle 23 (2) Lorsqu’il est permis aux mères détenues de conserver leurs nourrissons, des dispositions doivent être prises pour organiser une crèche, dotée d’un personnel qualifié, où les nourrissons seront placés durant les moments où ils ne sont pas laissés aux soins de leur mère.
91. Les avis varient, d’un pays à l’autre, sur la meilleure des solutions à retenir en faveur des mères et plus généralement des femmes incarcérées. Quoi qu’il en soit, certaines dispositions fondamentales ne doivent jamais être écartées, dispositions rappelées dans les recommandations du Rapport d’ensemble sur les prisons de Human Rights Watch (New York 1993) :
- les détenues doivent avoir à disposition des serviettes hygiéniques ou ce qui en tient lieu et accéder quotidiennement aux douches pendant la durée de leurs menstruations ;
- les possibilités de travail et d’éducation doivent être les mêmes pour les hommes et les femmes détenus ;
- si les visites aux femmes détenues sont rendues malaisées ou problématiques en raison de la distance les séparant de leurs proches, les autorités doivent offrir des mesures de compensation, sous la forme par exemple d’une aide financière aux familles ;
- les prisonnières enceintes doivent bénéficier de visites prénatales régulières et d’un régime alimentaire amélioré et adéquat ;
- les mères allaitant leur bébé doivent bénéficier d’un régime alimentaire amélioré et adéquat ;
- les contacts des mères avec leurs enfants doivent être favorisés et respecter leur droit de s’occuper de leur éducation.
92. Les prisons pour femmes n’offrent pas toujours les différenciations qui y sont nécessaires, en comparaison des institutions réservées à leurs homologues masculins. La sécurité y est souvent assurée au moyen de précautions superflues. Le travail confié aux détenues est rare ou dénué d’intérêt. Ces prisons, souvent construites à l’origine pour des hommes, sont peu adaptées aux besoins spécifiques des femmes. Dans certains pays, leurs besoins vitaux ne sont même pas satisfaits, en ce qui concerne les menstruations, la grossesse, la maternité, malgré les prescriptions du Rapport d’ensemble sur les prisons de Human Rights Watch mentionné ci-dessus. Ces carences affectent la santé des prisonnières et leur état mental. Les détenues sont en outre susceptibles d’être exposées aux abus sexuels, y compris aux viols, de la part de certains surveillants. Médecins et infirmières doivent en conséquence porter une attention particulière aux femmes détenues, à leurs conditions de vie et aux possibilités qu’elles ont de porter plainte. Des soins gynécologiques devraient leur être assurés.
Traitement des toxicomanes
93. Les prisons accueillent un nombre de plus en plus grand de toxicomanes pour lesquels un traitement médical s’avère nécessaire. Les RMT n’en font pas une mention explicite, le phénomène étant relativement récent. Il n’existe pas par ailleurs de consensus sur les modalités de traitement des toxicomanes dans la société libre. Le médecin de prison devra se montrer prudent dans son choix de thérapie et prendre l’avis de confrères ou de spécialistes, tout en s’attachant aux indications de soins dont rendent compte les rapports récents des meilleurs spécialistes.
L’accord du détenu est dans tous les cas requis, après que celui-ci eut été complètement informé de la nature et des conséquences du traitement envisagé. Des directives nationales doivent donc être prises dans ce sens, incluant des règles autorisant l’emploi de produits toxicologiques sur décision médicale, cet usage étant encore prohibé dans certains pays. Ces directives indiqueront les voies à suivre en matière de désintoxication sous contrôle médical, la privation de drogue devant s’accompagner en prison d’un soutien médical et d’une aide médicamenteuse [16].
Soins aux malades mentaux et aux déséquilibrés
94. Il importe, malgré la difficulté, d’assurer des conditions de vie satisfaisantes aux détenus aliénés, anormaux ou subissant un trouble psychologique sérieux. Les règles 82 et 83 des RMT donnent des indications sur ce point.
Règle 82 (1) Les aliénés ne doivent pas être détenus dans des prisons, et des dispositions doivent être prises pour les transférer aussitôt que possible dans des établissements pour malades mentaux.
Règle 82 (2) Les détenus atteints d’autres affections ou anormalités mentales doivent être observés et traités dans des institutions spécialisées, placées sous une direction médicale.
Règle 82(3) Pendant la durée de leur séjour en prison, ces personnes doivent être placées sous la surveillance spéciale d’un médecin.
Règle 82 (4) Le service médical ou psychiatrique des établissements pénitentiaires doit assurer le traitement psychiatrique de tous les détenus qui ont besoin d’un tel traitement.
Règle 83 Il est désirable que des dispositions soient prises d’accord avec les organismes compétents, pour que le traitement psychiatrique soit continué si nécessaire après la libération et qu’une assistance sociale post-pénitentiaire à caractère psychiatrique soit assurée.
95. Le nombre de détenus dont l’état nécessite des soins psychiatriques augmente dans un certain nombre de pays. On explique généralement ce phénomène par l’encombrement des institutions et services psychiatriques publics, qui refusent de prendre en charge les patients auteurs d’infractions. Il est fréquent que des personnes aliénées ou présentant des troubles mentaux se retrouvent abandonnées ou négligées au milieu de la population pénale. Par ailleurs, les condamnés à de longues peines peuvent développer des troubles mentaux et psychiques inhérents à l’emprisonnement lui-même et à la séparation d’avec leurs familles. Les problèmes psychiques surviennent aussi et deviennent chroniques dans les grandes prisons, du fait de la surpopulation, du peu d’activités, d’un enfermement quasi continu entre les quatre murs de la cellule et de l’indifférenciation de la population pénale (laquelle entraîne le développement de sous-cultures criminelles et le caïdat). Ces situations coïncident souvent et sont aggravées par le nombre insuffisant de surveillants : ceux-ci ont dès lors peu de contacts personnels avec les détenus et sont dans l’impossibilité d’accorder une attention ou une aide particulière aux détenus psychiquement les plus fragiles. L’acuité des différences culturelles peut aussi contribuer à instaurer un climat d’angoisse et d’insécurité parmi les étrangers et les groupes minoritaires. C’est dire si la responsabilité des membres des professions médicales, en particulier sychiatres et psychologues, est lourde dans un semblable contexte.
96. Les règles 82 et 83 du paragraphe 94 émettent l’exigence d’une ambiance détendue, caractérisé par l’attitude accueillante et bienveillante du personnel de surveillance, les surveillants devant posséder une parfaite connaissance de ce type de détenus et de leurs besoins. Des procédures orales et écrites doivent être mises en œuvre, qui permettent d’assurer rapidement la satisfaction de ces besoins et le suivi des patients. Ces procédures permettront de détecter les détenus dont l’état nécessite des soins psychiatriques plus ou moins lourds, susceptibles d’être poursuivis après leur libération, voire un placement dans une institution spécialisée.
97 Afin de garantir que ces personnes bénéficient d’une attention appropriée et qualifiée, il est particulièrement important de constituer un dossier médical pour tous les détenus présentant des troubles mentaux ou dont la conduite semble anormale. Les médecins et psychologues doivent exiger que les surveillants leur rendent compte régulièrement du comportement de tels détenus.
Dans les quartiers spécialisés des prisons où ces détenus seront affectés, doivent être mises en place des méthodes permettant l’observation et l’évaluation régulière des patients, tant de la part des surveillants que d’un personnel spécialisé en nombre suffisant. Ces observations et ces évaluations feront l’objet de comptes rendus verbaux et écrits. Il est à regretter que, même au sein des hôpitaux psychiatriques pénitentiaires, les pratiques ne sont pas toujours en conformité avec ces règles et que des patients y croupissent pendant des laps de temps plus ou moins longs sans que quiconque manifeste un intérêt excessif à leur égard.
Condamnés à mort
98. On l’a dit en avant-propos, les RMT et les autres règles internationales concernant le traitement des détenus sont applicables aux condamnés à mort. Les Nations unies, à l’instar d’autres organisations nationales et internationales, combattent pour l’abolition de la peine de mort, qui subsiste dans un grand nombre de pays malgré l’impressionnant argumentaire plaidant en faveur de sa suppression.
99. La résolution 2857 de l’Assemblée générale des Nations unies, en date du 20 décembre 1971, affirme que “ pour garantir pleinement le droit à la vie, assuré par l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le principal objectif à poursuivre est de réduire progressivement le nombre de crimes pour lesquels la peine capitale peut être prononcée, le but ultime consistant dans l’abolition de cette peine dans tous les pays. ”
Le Conseil économique et social des Nations unies a adopté une résolution 1989/64, dans laquelle il se déclare “ alarmé par l’existence de façon continue de pratiques incompatibles avec la protection des droits de ceux qui sont exposés à la peine de mort. ” Il a recommandé que “ les pays membres prennent des mesures pour mettre en œuvre des sauvegardes et renforcer davantage la protection des droits des condamnés à mort, toutes les fois que c’est possible, en
a) assurant une protection spéciale aux personnes inculpées de crimes pour lesquels la peine de mort est prévue, en donnant le temps et les moyens à l’accusé de préparer sa défense, en autorisant une assistance renforcée des défenseurs à tous les stades de la procédure ;
b) prévoyant des procédures d’appel et de révision obligatoires, ainsi que des possibilités de clémence ou de grâce ;
c) fixant un âge maximum au-delà duquel une personne ne peut pas être condamnée à mort ni exécutée ;
d) abolissant la peine capitale pour toute personne souffrant d’un retard mental ou d’une limitation importante de ses capacité mentales constatés soit au moment du prononcé de la sentence, soit au moment de l’exécution. ”
Participation d’un médecin aux exécutions capitales
100. Dans certains pays, la peine de mort est maintenue mais a cessé provisoirement d’être appliquée, d’où l’exigence (et l’urgence) de s’intéresser activement aux condamnés à mort dont les conditions de détention sont pires que celles des autres condamnés : isolement renforcé pendant des périodes longues et indéterminées, perte d’intimité, inactivité, conditions matérielles exécrables, etc. La situation physique, mentale et spirituelle des condamnés à mort est, dans un tel contexte, particulièrement compromise. Tout doit alors être fait pour assurer à ces personnes des conditions de vie humaines, des activités et des moyens de communication interne et externe, ainsi qu’une aide psychiatrique confiée à des professionnels. Les conditions réservées aux condamnés à mort ne doivent jamais être pires que celles des autres détenus.
101. Les RMT n’abordent pas la question de la présence et de la responsabilité du personnel médical lors d’une exécution capitale. On a commencé à envisager ce point dans le paragraphe 43 de ce chapitre et quelques documents internationaux y font allusion. L’Association médicale mondiale a adopté à cet égard, en 1981, la Résolution suivante :
Il est contraire à l’éthique des médecins de collaborer à une exécution capitale, sauf pour délivrer un certificat de décès quand l’administration le leur demande.
Le Secrétaire général de l’Association médicale mondiale a été autorisé par son Assemblée générale à publier le communiqué de presse suivant, en septembre 1981 :
Le tribunal de l’Etat de l’Oklahoma, aux Etats-Unis, a décidé de faire exécuter la semaine prochaine la première peine de mort par injection intraveineuse d’une dose létale de drogue.
Quelle que soit la méthode suivie en la matière, nul médecin n’est tenu de participer activement à ce genre de manifestation. Les médecins ont pour mission de se consacrer à la préservation de la vie.
Agir en tant que bourreau n’appartient pas à la pratique médicale et les services de santé n’ont pas à mettre en œuvre des types d’exécution utilisant des agents pharmacologiques employés par les médecins, dans d’autres circonstances, en vue de sauver des vies humaines.
Le rôle du médecin se cantonne à certifier la mort après que l’Etat a procédé à une exécution capitale.