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6 Le traitement des détenus

Mise en ligne : 12 novembre 2003

Texte de l'article :

Introduction
1. Le traitement des détenus est fondé sur la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables (Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme). Ce principe est rappelé dans d’autres lois internationales en matière de droits de l’homme ainsi que dans les RMT. Le droit international impose l’obligation de traiter les détenus en respectant leurs droits en tant que personnes humaines mais il reste vague sur ce que leur “ traitement ” doit comporter en termes de régimes de détention et d’activités. Il est clair cependant que les personnes sont envoyées en prison à titre de sanction et non pour y être sanctionnées ; aussi les traitements des détenus ne doivent-ils pas avoir de caractère afflictif.

2. Les RMT définissent la philosophie de ces traitements dans la partie II consacrée aux condamnés. Les dispositions de la partie II peuvent aussi être appliquées aux prévenus et aux détenus pour dettes lorsque leur application peut être profitable à cette catégorie spéciale de détenus, pourvu qu’il ne soit pris aucune mesure impliquant que des mesures de rééducation ou de réadaptation puissent être applicables en quoi que ce soit à des personnes qui ne sont convaincues d’aucune infraction (règle 95).

Du traitement à l’assistance des détenus
3. Lorsque les RMT ont été rédigées, “ le traitement ” signifiait l’amendement du détenu et n’était appliqué qu’aux détenus inculpés ou condamnés pour des crimes. Cette conception a évolué et les RMT elles mêmes prennent acte des possibilités d’un tel changement : les observations préliminaires indiquent qu’elles se rapportent à des domaines dans lesquels la pensée est en évolution constante (règle 3).

4. Le temps ayant accompli son œuvre, la confiance dans l’aptitude des établissements pénitentiaires à réformer les détenus a cédé la place à des attentes plus réalistes quant aux effets de l’emprisonnement. L’accent a été déplacé vers l’apport aux détenus, quel que soit leur statut, d’une aide consistant à favoriser les occasions de développer leur potentiel individuel et d’affronter avec succès leur retour dansla vie libre. Cette conception est fondée sur la précarité de la condition de détenu. Il est dans l’intérêt à la fois du détenu et de la société de promouvoir des perspectives de resocialisation au moyen d’un traitement constructif mis en œuvre en prison. Les condamnés à vie ne sont pas exclus d’une telle ambition, des programmes à long terme doivent les préparer à leur retour éventuel dans la vie libre.

Sécurité dynamique
5. Les RMT ont été écrites à une époque où les impératifs du traitement apparaissaient comme diamétralement opposés à ceux de la sécurité. Les RMT font peu de références à la sécurité alors que garder des détenus enfermés constitue sans aucun doute la fonction première des prisons. Les RMT envisagent la sécurité en tant que facteur restrictif par rapport au traitement. Le concept de “ sécurité dynamique ” était alors ignoré, les autorités pénitentiaires et les surveillants devant assurer à la fois, et sans compromis possible, la sécurité et le traitement. Après bien des déconvenues, il est apparu clairement que le traitement n’est pas d’une part une entité en soi, et que d’autre part il requiert l’adhésion du détenu. On parle aujourd’hui d’“ assistance ” et d’“ efforts personnels ”.

6. Les prisons ne peuvent être gérées aujourd’hui d’une manière sûre et positive qu’avec la coopération des détenus. La sécurité externe (empêcher les évasions) et la sûreté interne (éviter les désordres) son assurées au mieux à la condition que soient établies des relations positives entre les détenus et les surveillants. Là réside l’essence de la sécurité dynamique : celle-ci dépend de bonnes relations à l’intérieur de la prison et de la mise en œuvre d’un traitement constructif à l’égard des détenus.

7. Le traitement a une importance telle que rien ne peut justifier, et certainement pas des questions budgétaires, que des programmes ne soient pas établis en vue d’en faire bénéficier les détenus (voir Comité des Nations unies pour les droits de l’homme, Commentaires généraux, 21 (44), 6 avril 1992).

8. Le risque de récidive peut être réduit en aidant les détenus à se développer comme des individus adultes ayant le sens des responsabilités. Aussi doivent-ils être traités avec décence et dans le respect de leurs droits : le “ traitement ” (au sens très général du terme) doit tenir compte de leurs aspirations et des conséquences de leur choix tout en ayant pour but de favoriser l’épanouissement de leur personnalité.

Le traitement doit être basé sur la personne et non sur le bon ordre dans la prison
9. L’introduction à la seconde partie des RMT (règles 56 à 64) contient quelques principes directeur permettant de dégager une philosophie du traitement pénitentiaire. Au travers de questions de sécurité, de classement, de soins et de resocialisation, ces grands principes peuvent se résumer comme suit :
- la souffrance inhérente à l’emprisonnement doit être réduite au maximum ;
- les différences entre la vie en prison et la vie à l’extérieur doivent être réduites au maximum ;
- le détenu doit être encouragé par tous les moyens à mener une vie honnête et autonome après sa libération ;
- le traitement doit être adapté aux besoins de chaque détenu ;
- le traitement doit permettre un retour progressif dans la vie en société ;
- le traitement doit être basé sur la participation continue des détenus à la vie en collectivité.

10. Si l’administration pénitentiaire joue le premier rôle dans la mise en œuvre de ces principes, le gouvernement doit, pour sa part, en informer le public et encourager les collectivités locales à s’y associer.

11. La plupart de ces principes directeurs s’appliquent à tous les détenus, quel que soit leur statut.

Règle 56 Les principes directeurs qui suivent ont pour but de définir l’esprit dans lequel les système pénitentiaires doivent être administrés et les objectifs auxquels ils doivent tendre, conformément à la déclaration faite dans l’observation préliminaire 1 du présent texte.

Règle 57 L’emprisonnement et les autres mesures qui ont pour effet de retrancher un délinquant du monde extérieur sont afflictives par le fait même qu’elles dépouillent l’individu du droit de disposer de sa personne en le privant de sa liberté. Sous réserve des mesures de ségrégation justifiées ou du maintien de la discipline, le système pénitentiaire ne doit donc pas aggraver les souffrances inhérentes à une telle situation.

Règle 58 Le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont en définitive de protéger la société contre le crime. Un tel but ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure du possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux, mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins.

Règle 59 A cette fin, le régime pénitentiaire doit faire appel à tous les moyens curatifs, éducatifs, moraux spirituels et autres et à toutes les formes d’assistance dont il peut disposer, en cherchant à les appliquer conformément aux besoins du traitement individuel des délinquants.

12. Les RMT mettent l’accent sur des forces morales et correctrices. On considère aujourd’hui que le changement réel et le développement autonome d’un individu ne peuvent intervenir qu’avec son adhésion et sa participation. Mais le risque subsiste, dans un lieu coercitif par nature comme la prison, que des contraintes supplémentaires pèsent sur les détenus du fait de bonnes volontés animées d’un zèle réformateur.

Des prisons adaptées à la resocialisation
13. Règle 60 (1) Le régime de l’établissement doit chercher à réduire les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie libre dans la mesure où ces différences tendent à affaiblir le sens de la responsabilité du détenu ou le respect de la dignité de sa personne.

Règle 60 (2) Avant la fin de l’exécution d’une peine ou mesure, il est désirable que les mesures nécessaires soient prises pour assurer au détenu un retour progressif à la vie dans la société. Ce but pourra être atteint, selon les cas, par un régime préparatoire à la libération, organisé dans l’établissement même ou dans un autre établissement approprié, ou par une libération conditionnelle sous un contrôle qui ne doit pas être confié à la police, mais qui comportera une assistance sociale efficace.

Règle 61 Le traitement ne doit pas mettre l’accent sur l’exclusion des détenus de la société, mais au contraire sur le fait qu’ils continuent à en faire partie. A cette fin, il faut recourir, dans la mesure du possible, à la coopération d’organismes de la communauté pour aider le personnel de l’établissement dans sa tâche de reclassement des détenus. Des assistants sociaux collaborant avec chaqu établissement doivent avoir pour mission de maintenir et d’améliorer les relations du détenu avec sa famille et avec les organismes sociaux qui peuvent lui être utiles. Des démarches doivent être faites en vue de sauvegarder, dans toute la mesure compatible avec la loi et la peine à subir, les droits relatifs aux intérêts civils, le bénéfice des droits de la sécurité sociale et d’autres avantages sociaux des détenus.

L’idée de rendre la vie en prison aussi proche que possible de la vie à l’extérieur s’est développée au cours des dernières années [1]. Il est aujourd’hui couramment admis que l’aggravation des privations inhérentes à l’emprisonnement est non seulement injustifiable mais réductrice des chances de resocialisation, avec ce risque pour la société que le libéré récidive pour assurer sa survie.

Normalité de la vie en prison
14. Les initiatives pour maintenir les liens du détenu avec le monde extérieur constituent une part importante de la normalisation, de même que la possibilité accordée aux détenus de porter leurs habits personnels et de les laver, ou encore de confectionner leurs propres repas. L’aménagement de telles activités, outre qu’il permet d’atténuer les différences entre la vie à l’intérieur et la vie à l’extérieur, développe l’habileté manuelle et réduit la dépendance vis-à-vis des services fournis par l’administration pénitentiaire.

15. De telles pratiques ne doivent pas servir de motif à l’administration pour ne plus rien faire. Quand, par exemple, les détenus ne possèdent pas d’habits convenables, l’administration est dans l’obligation de leur en fournir, à condition pour les détenus de les tenir propres en utilisant les moyens fournis par la prison.

16. Les RMT reconnaissent que les relations avec le monde extérieur constituent un élément essentiel de la vie en prison et la base des programmes de réinsertion dans la société. De tels programmes doivent être mis en place non pas à la fin de la peine, mais au tout début de l’incarcération.

Le bien-être des détenus malades
17. Règle 62 Les services médicaux de l’établissement s’efforceront de découvrir et devront traiter toutes déficiences ou maladies physiques ou mentales qui pourraient être un obstacle au reclassement d’un détenu. Tout traitement médical, chirurgical et psychiatrique jugé nécessaire doit être appliqué à cette fin.

La santé et le bien-être du détenu sont intrinsèquement liés à des perspectives de développemen personnel et de resocialisation. Bien qu’il soit clair que les personnes souffrant de maladies mentales ne relèvent pas de la prison, l’obligation subsiste de veiller au bien-être psychologique aussi bien que physique de tous les détenus. La règle 22 insiste sur cette obligation dans sa définition du rôle du médecin [2].

18. D’autres spécialistes ont un rôle à jouer dans ce domaine. Dans certains établissements, la dépendance des toxicomanes nécessitera par exemple une assistance psychologique, des conseils et des thérapies distribués par des spécialistes et du personnel spécialement formé, y compris aux risques sanitaires telle que la transmission du SIDA.

Des programmes et des mesures de sécurité adaptés aux individus
19. Règle 63 (1) La réalisation de ces principes exige l’individualisation du traitement et, à cette fin, un système souple de classification des détenus en groupes ; il est donc désirable que ces groupes soient placés dans des établissements distincts où chaque groupe puisse recevoir le traitement nécessaire.

Règle 63 (2) Ces établissements ne doivent pas présenter la même sécurité pour chaque groupe. Il est désirable de prévoir des degrés de sécurité selon les besoins des différents groupes. Les établissements ouverts, par le fait même qu’ils ne prévoient pas de mesures de sécurité physique contre les évasions mais s’en remettent à cet égard à l’autodiscipline des détenus, fournissent à des détenus soigneusement choisis les conditions les plus favorables à leur réhabilitation.

Règle 63 (3) Il est désirable que, dans les établissements fermés, l’individualisation du traitement ne soit pas gênée par le nombre trop élevé des détenus. Dans certains pays, on estime que la population de tels établissements ne devrait pas dépasser 500. Dans les établissements ouverts, la population doit être aussi réduite que possible.

Règle 63 (4) Par contre, il est peu désirable de maintenir des établissements trop petits pour qu’on puisse y organiser un régime convenable.

Cette partie des RMT souligne l’étroitesse des liens entre les considérations de sécurité et de traitement.
Elle introduit l’idée d’une sélection des détenus, effectuée à partir d’une évaluation rigoureuse de la population pénale.

20. La mise en œuvre de traitements individualisés basés sur une classification souple passe par le recours à des programmes adaptés aux différents groupes de détenus. Plus cette adaptation sera souple, plus étendu devra être le champ de compétences du personnel, ce qui n’est pas sans conséquences sur la sélection et la formation des agents, celles-ci devant être différenciées suivant le type d’établissement et le type de détenus qui s’y trouvent.

21. Les RMT suggèrent la séparation des détenus en catégories au sein d’unités à l’intérieur d’un même établissement, les affectations tenant compte à la fois des nécessités du traitement et des impératifs de sûreté et de sécurité, encore que l’idée de niveaux de sécurité variables suivant les groupes ne soit qu’effleurée.

22. Traditionnellement, le niveau de sécurité variait d’un établissement à un autre. Il est possible en pratique de disposer, au sein du même établissement, d’unités offrant des niveaux de sécurité différents, la sécurité étant fonction non seulement de paramètres physiques mais aussi du degré de mobilité des détenus.

Des unités à échelle humaine
23. Même s’il est impossible, pour des raisons économiques, de disposer d’établissements ouvert distincts, il est possible en pratique de créer des conditions d’ouverture plus grandes à l’intérieur d’un établissement fermé, en offrant à certaines classes de détenus une plus grande mobilité.

24. La division des établissements en unités séparées adaptées aux besoins des différents traitements peut constituer une méthode peu onéreuse d’individualisation du traitement. Des unités de petite taille peuvent permettre un traitement individualisé, en particulier si les surveillants sont sélectionnés et formés pour travailler en équipes au sein d’unités regroupant un certain nombre de détenus particuliers.

25. Les règles font état des coûts entraînés par des traitements individualisés. Il est possible de les minimiser en utilisant au maximum, unité par unité, les équipements lourds d’un établissement grâce à un emploi du temps strict. L’expérience démontre que les détenus préfèrent de petits établissements offrant des régimes et des équipements peu variés, dès lors qu’ils s’y sentent mieux considérés individuellement.

Le droit des détenus à une perspective de resocialisation
26. Règle 64 Le devoir de la société ne cesse pas à la libération d’un détenu. Il faudrait donc disposer d’organismes gouvernementaux ou privés capables d’apporter au détenu libéré une aide post pénitentiaire efficace, tendant à diminuer les préjugés à son égard et lui permettant de se reclasser dans la communauté.

Les RMT reconnaissent que le processus de préparation à la sortie et à la resocialisation commence enprison et continue après la libération et que doit exister une solution de continuité entre l’avant et l’après. D’où la nécessité d’une collaboration effective entre l’administration pénitentiaire et les associations d’aide à la resocialisation, celles s’occupant du logement ou de l’emploi comme celles luttant contre les réactions de rejet dont le libéré peut être l’objet de la part du corps social.

27. Règle 70 Il faut instituer dans chaque établissement un système de privilèges adapté aux différents groupes de détenus et aux différentes méthodes de traitement, afin d’encourager la bonne conduite, de développer le sens de la responsabilité et de stimuler l’intérêt et la coopération des détenus à leur traitement.

Les RMT parlent de “ privilèges ” en matière de traitement des détenus. Le terme renvoie à une conception aujourd’hui dépassée, l’accent s’étant déplacé sur les notions de choix, d’adhésion et de responsabilité et la prise en compte de droits et d’obligations. Les administrations pénitentiaires tendent à favoriser la mise en place d’activités que le détenu trouvera ou non opportun de pratiquer compte tenu d’objectifs de resocialisation réalistes définis en commun entre lui et l’administration. Sont ainsi encouragés des types de comportement positifs, basés sur la coopération et la responsabilisation.

28. Il est important que les détenus comprennent les règles de l’établissement et les choix qui leur sont proposés, ces choix seraient-ils assez limités. Traiter les détenus comme des adultes et leur expliquer les limitations de leur choix est plus important que de pratiquer des choix à leur place. Les détenus ont besoin de choisir en connaissance de cause, de comprendre les conséquences de ces choix et de prendre leurs responsabilités, y compris quand ils décident de ne pas entrer dans le système.

Différenciation et individualisation
Le détenu comme personne responsable

29. Dans cette partie, les RMT explicitent les méthodes de traitement découlant des principes directeurs.

Règle 65 Le traitement des individus condamnés à une peine ou mesure privative de liberté doit avoir pour but, autant que la durée de la condamnation le permet, de créer en eux la volonté et les aptitudes qui les mettent à même, après leur libération, de vivre en respectant la loi et de subvenir à leurs besoins. Ce traitement doit être de nature à encourager le respect d’eux-mêmes et à développer leur sens de la responsabilité.

Règle 66 (1) A cet effet, il faut recourir notamment aux soins religieux dans les pays où cela est possible, à l’instruction, à l’orientation et à la formation professionnelles, aux méthodes de l’assistance sociale individuelle, au conseil relatif à l’emploi, au développement physique et à l’éducation du caractère moral, en conformité des besoins individuels de chaque détenu. Il convient de tenir compte du passé social et criminel du condamné, de ses capacités et aptitudes physiques et mentales, de ses dispositions personnelles, de la durée de la condamnation et de ses perspectives de reclassement.

Règle 66 (2) Pour chaque détenu condamné à une peine ou mesure d’une certaine durée, le directeur de l’établissement doit recevoir, aussitôt que possible après l’admission de celui-ci, des rapports complets sur les divers aspects mentionnés au paragraphe précédent. Ces rapports doivent toujours comprendre celui d’un médecin, si possible spécialisé en psychiatrie, sur la condition physique et mentale du détenu.

Règle 66 (3) Les rapports et autres pièces pertinentes seront placés dans un dossier individuel. Ce dossier sera tenu à jour et classé de telle sorte qu’il puisse être consulté par le personnel responsable, chaque fois que le besoin s’en fera sentir.

30. Ces règles décrivent en détail les divers critères à prendre en compte pour l’élaboration des programmes de traitement des détenus. Une telle approche peut sembler très éloignée des préoccupations pénitentiaires immédiates de certains pays, telles que la mise à disposition de places en nombre suffisant et l’approvisionnement en nourriture. Ils n’en délimitent pas moins de grands axes à partir desquels les responsables des prisons doivent développer leur action, celle-ci se réduirait-elle à encourager les surveillants à considérer les détenus comme des personnes et à leur confier chaque fois que possible des responsabilités dans la gestion de leur vie quotidienne.

Programmes thérapeutiques
31. Les RMT mentionnent sans les détailler les programmes thérapeutiques, c’est-à-dire les programmes orientés vers les problèmes de comportement, y compris en matière de délinquance. Ces programmes, tels que le contrôle de l’agressivité ou l’acquisition des moyens de savoir dire “ non ”, peuvent aider les détenus à comprendre et à modifier leur comportement dans la perspective de leur réhabilitation. Des programmes spécifiques sont nécessaires au traitement de la délinquance sexuelle par exemple, programmes requérant la participation de spécialistes de diverses disciplines.

32. Dans de nombreux pays, la toxicomanie (y compris en matière de tabac et d’alcool) entraîne, en prison comme à l’extérieur, des problèmes de comportement et de santé. En plus des mesures de sécurité prises en vue d’empêcher l’entrée de drogues en prison, la lutte contre la toxicomanie doit représenter un objectif majeur pour l’administration pénitentiaire.

33. Les mesures de désintoxication doivent être humaines et assorties de programmes à long terme qui tiennent compte des aspects médicaux et sociaux de la thérapie [3]. L’éducation sanitaire et l’information sur la prévention du risque doivent être incorporées à ces programmes, en tenant compte du sexe, de l’âge et du niveau culturel des détenus, la population pénale courant un risque potentiel du fait de l’usage de drogues et des maladies sexuellement transmissibles, en particulier du SIDA.

34. Les programmes thérapeutiques opèrent généralement par l’information et l’encouragement. L’expérience enseigne qu’une participation volontaire des détenus est une condition nécessaire pour que de tels programmes fonctionnent efficacement.

Liberté de croyance et de culte
35. Les détenus devraient pouvoir toujours trouver en prison la possibilité d’un réconfort spirituel à leur convenance, la liberté religieuse étant un droit de l’homme fondamental [4]. Ce droit intangible est d’application encore plus urgente dans le cas de détenus en détresse, placés à l’isolement, suicidaires, en grève de la faim, victimes d’une maladie grave, souffrant de la perte d’un proche ou se trouvant à l’agonie.

La religion, un droit et non un devoir
36. La religion est affaire de responsabilité personnelle, elle constitue un droit et non une obligation pour le détenu.

Règle 41 (1) Si l’établissement contient un nombre suffisant de détenus appartenant à la même religion, un représentant qualifié de cette religion doit être nommé ou agréé. Lorsque le nombre de détenus le justifie et que les circonstances le permettent, l’arrangement devrait être prévu à plein temps.

Règle 41 (2) Le représentant qualifié, nommé ou agréé selon le paragraphe 1, doit être autorisé à organiser périodiquement des services religieux et à faire, chaque fois qu’il est indiqué, des visites pastorales en particulier aux détenus de sa religion.

Règle 41 (3) Le droit d’entrer en contact avec un représentant qualifié d’une religion ne doit jamais être refusé à aucun détenu. Par contre, si un détenu s’oppose à la visite d’un représentant d’une religion, il faut pleinement respecter son attitude.

Règle 42 Chaque détenu doit être autorisé, dans la mesure du possible, à satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, en participant aux services organisés dans l’établissement et en ayant en sa possession les livres d’édification et d’instruction religieuse de sa confession.

37. Les RMT adoptent une position pragmatique pour ce qui concerne le culte en groupe. Le nombre de détenus et la disposition des lieux dicteront la possibilité de culte en groupe pour ceux appartenant à une religion minoritaire. La faiblesse numérique ne doit pas être facteur d’indifférenciation. Ainsi, quand dans un pays existe une religion d’Etat, on doit prendre soin de veiller à ce que l’établissement ne dispose pas d’un endroit de culte équipé des seuls signes extérieurs de la religion d’Etat. Si les tenants d’une foi différente ont à partager cet endroit de culte, les signes extérieurs de la religion majoritaire doivent être amovibles afin qu’ils n’offensent pas les adeptes des autres confessions.

38. Il va sans dire qu’un détenu manifestant des convictions religieuses extrêmes, porteuses de violence et susceptibles d’être préjudiciables à la liberté religieuse d’autrui, se verra empêcher de mettre en pratique de telles convictions. Les autorités pénitentiaires ont l’obligation de protéger les autres détenus des conséquences de telles convictions.

Assistance religieuse et traitement pénitentiaire
39. L’importance de l’assistance religieuse dans le traitement pénitentiaire  [5] tient à l’histoire des prisons, quand le “ traitement ” reposait sur les notions d’amendement et de réhabilitation. S’il est indéniable que certains détenus peuvent être amenés à modifier leur comportement grâce à leurs convictions religieuses, il n’en est pas moins vrai que les risques de coercition sont réels, en particulier dans les pays où existe une religion d’Etat.

40. A l’intérieur de tout programme de traitement, les progrès d’un détenu dans l’acquisition de son autonomie ne doivent pas être appréciés à l’aune de son appartenance à telle ou telle religion. Un détenu ne doit pas être jugé comme immoral ou incorrigible parce que ses convictions religieuses diffèrent des normes religieuses prévalantes.

Evaluation des besoins, programmation de la peine
41. La règle 66 (1) [6] énumère les principaux critères d’évaluation d’un détenu. Compte tenu de leur variété, le processus d’évaluation doit être perfectionné et nécessite du temps et un personnel compétent. La règle suggère la participation d’un psychiatre : peu de systèmes pénitentiaires atteignent ce niveau de perfectionnement et l’apport psychiatrique est souvent limité aux cas les plus sérieux, par exemple celui des condamnés à la réclusion perpétuelle.

Formation des surveillants en vue de l’évaluation des aptitudes des détenus
42. La formation des surveillants dans le conseil et l’évaluation des aptitudes des détenus est utile, à condition qu’elle s’articule sur la mise en place d’équipes d’évaluation composées de spécialistes de différentes disciplines. Si de telles équipes spécialisées ne peuvent être mises en place au sein de tous les établissements, seront organisées une ou des unités centrales d’évaluation et de répartition des condamnés définitifs.

43. Les besoins des détenus se modifient au cours de leur peine, d’où la nécessité de processus de mise à jour impliquant des comptes rendus réguliers sur l’évolution des détenus. Même si l’évaluation initiale est conduite par une équipe centrale d’évaluation, le traitement et sa mise à jour relèvent du personnel local qui devra recevoir une formation adéquate.

La programmation, un processus continu amorcé dès l’incarcération
44. La programmation du traitement doit s’effectuer dès le moment où la condamnation a acquis un caractère définitif.

Règle 69 Dès que possible après l’admission et après une étude de la personnalité de chaque détenu condamné à une peine ou mesure d’une certaine durée, un programme de traitement doit être préparé pour lui, à la lumière des données dont on dispose sur ses besoins individuels, ses capacités et son état d’esprit.

Chaque programmation doit être adaptée à un condamné particulier. Les RMT considèrent le détenu comme un participant passif, mais l’expérience a démontré que le traitement n’acquiert son efficacité qu’avec l’adhésion du détenu à la programmation retenue.

45. La règle 69 s’applique à des condamnés à des peines assez longues, ce qui semble exclure ceux qui accomplissent des peines très courtes, par exemple des jours ou des semaines plutôt que des mois d’emprisonnement. Cependant, quand il est clair qu’un détenu subira une longue période de détention préventive, l’administration pénitentiaire a la responsabilité d’organiser pour lui un programme de traitement adapté à ses besoins, à condition que ce détenu le souhaite et que ses droits de personne présumée innocente ne subissent aucun préjudice.

Un système souple de classement
46. Suivant les RMT, les systèmes de classification doivent :
- sauvegarder les droits des détenus ;
- protéger les différentes catégories de détenus ;
- déterminer les niveaux de sécurité et de sûreté nécessaires et
- assurer les activités adéquates aux besoins individuels.

Règle 67 Les buts de la classification doivent être :
a) d’écarter les détenus qui, en raison de leur passé criminel ou de leurs mauvaises dispositions, exerceraient une influence fâcheuse sur leurs codétenus ;
b) de répartir les détenus en groupes afin de faciliter leur traitement en vue de leur réadaptation sociale.

Règle 68 Il faut disposer, dans la mesure du possible, d’établissements séparés ou de quartiers distincts d’un établissement pour le traitement de différents groupes de détenus.

47. Les règles définissent des critères positifs et négatifs de classement des détenus. Les critères négatifs sont établis à partir des théories traditionnelles de contamination et de réduction des risques. Les critères positifs reposent sur les besoins individuels dans une perspective de réhabilitation et de développement personnel.

48. Critères positifs et négatifs s’opposent. La mise en œuvre d’une classification requiert un équilibre entre des priorités potentiellement concurrentes. Dans la pratique, la classification prend en compte en priorité le critère du risque pour la sécurité, l’intérêt de l’administration primant l’intérêt du détenu. Cette tendance ne peut être contrariée que si le personnel bénéficie d’une formation mettant l’accent sur les relations avec des détenus considérés comme des personnes. L’aptitude aux relations humaines est primordiale, y compris en matière de sécurité (externe) et de sûreté (interne). En fait, les aptitudes à établir des relations humaines harmonieuses rendent souvent inutiles les techniques traditionnelles de sécurité et de sûreté, sauf en dernier recours et dans des cas exceptionnels.

49. Les RMT associent classification et séparation dans le but de souligner l’importance des distinctions entre les classes de détenus, distinctions grâce auxquelles pourra être conduit le traitement individualisé des détenus.

50. Dans la pratique, la classification ne coïncide pas toujours avec la séparation, laquelle constitue une méthode coûteuse de gestion des détenus. En cas de surpopulation, la séparation des détenus en différentes classes devient vite inopérante.

51. Les systèmes de classification déterminent souvent les différents niveaux de sécurité et de sûreté. A défaut d’une classification, le niveau de sécurité et de sûreté retenu est souvent celui adapté aux détenus présentant le risque d’évasion et de troubles le plus élevé, ce qui a pour effet d’imposer des restrictions inutiles au plus grand nombre. Quand la classification est trop grossière, certains détenus peuvent encore subir des restrictions inutiles, mais au moins la majorité de la population pénale n’a-t elle pas à supporter les contraintes de sécurité et de sûreté maximales justifiées pour une infime minorité de détenus.

52. Il ne faut pas négliger les dangers d’une classification rigide. Les détenus classés “ dangereux ” peuvent trouver une telle qualification exagérée sinon insupportable, en particulier quand sont prévus pour eux des bâtiments ou des établissements de haute sécurité. Des réexamens et des réévaluations doivent être prévus dans les systèmes de classification cherchant à équilibrer la sécurité et la resocialisation ; ils doivent intervenir à intervalles réguliers et tenir compte de l’évolution de chaque détenu.

Transferts de détenus
53. Le traitement des détenus doit prendre en compte leurs besoins et même leurs droits en cas de transferts. Plus un système pénitentiaire est différencié, plus les détenus sont susceptibles d’être transférés d’un établissement à un autre, en fonction des programmes individuels. Le transfert des détenus présente des difficultés particulières et est souvent source de souffrances. Cette remarque vaut pour les prévenus lorsqu’ils sont transportés des prisons aux tribunaux et vice-versa. Les RMT prêtent, à juste titre, une attention particulière à ces phénomènes.

Règle 45 (1) Lorsque les détenus sont amenés à l’établissement ou en sont extraits, ils doivent être exposés aussi peu que possible à la vue du public, et des dispositions doivent être prises pour les protéger des insultes, de l curiosité du public et de toute espèce de publicité.

Règle 45 (2) Le transport des détenus dans de mauvaises conditions d’aération ou de lumière, ou par tout moyen leur imposant une souffrance physique, doit être interdit.

Règle 45 (3) Le transport des détenus doit se faire aux frais de l’administration et sur un pied d’égalité pour tous.

54. La vie en prison laisse peu d’intimité aux détenus. Ils sont généralement soumis, pour des raisons de sécurité, à des fouilles de la part des surveillants. Le droit à l’intimité est pourtant mis en avant par les RMT, les détenus devant être protégés des regards du public pendant les transports.

55. A l’occasion de ces transports, des abus peuvent facilement être commis. L’administration pénitentiaire est responsable de la garde et du bien-être des détenus transportés, quand bien même ceux-ci auraient quitté l’établissement, le soin des transfèrements devant être confié à un personnel ayant reçu une formation adaptée [7].

56. Il est important que ce personnel comprenne qu’un être humain exposé au public menotté et gardé de près est blessé dans sa dignité humaine, qu’il subit une pression émotionnelle, de telles mesures seraient-elles considérées comme nécessaires. Le personnel en charge des extractions et des transfèrements devrait prendre le temps d’expliquer aux détenus les raisons des mesures de coercition prises à leur égard, leur indiquer leur destination et leur demander de collaborer afin d’assurer leur anonymat : la fourniture de ces renseignements contribue à relâcher la tension et crée une atmosphère de confiance et de respect mutuel.

Différenciation et sûreté des personnes
57. L’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prescrit la séparation des détenus suivant des critères d’âge et de statut pénal (prévenus et condamnés). La classification et la séparation des détenus suivant leur âge, leur statut pénal ou pénitentiaire ou encore leur histoire criminelle témoignent d’une approche pratique de la vulnérabilité potentielle des différents groupes au sein de la population pénale et du besoin de les protéger qui en est la conséquence. Elles marquent aussi une reconnaissance d’histoires personnelles différentes et l’exigence de traitements variés adaptés à l’évolution de chacun, homme ou femme, prévenu ou condamné, délinquant ou criminel. La règle 8 prend en compte cette diversité.

Règle 8 Les différentes catégories de détenus doivent être placées dans des établissements ou quartiers d’établissements distincts, en tenant compte de leur sexe, de leur âge, de leurs antécédents, des motifs de leur détention et des exigences de leur traitement. C’est ainsi que :
a) les hommes et les femmes doivent être détenus dans la mesure du possible dans des établissements différents ; dans un établissement recevant à la fois des hommes et des femmes, l’ensemble des locaux destinés aux femmes doit être entièrement séparé ;
b) les détenus en prévention doivent être séparés des condamnés ;
c) les personnes emprisonnées pour dettes ou condamnées à une autre forme d’emprisonnement civil doivent être séparées des détenus pour infraction pénale ;
d) les jeunes détenus doivent être séparés des adultes.

Sexe
58. Les risques d’abus sexuel, d’attentat à la pudeur et de harcèlement imposent une claire obligation de protection des détenus dans les prisons. Il faut se souvenir cependant que de tels risques ne sont pas limités à la population pénale ni au sexe opposé.

59. Une attention spéciale doit être accordée au viol des prisonnières et aux moyens de le prévenir. La sélection du personnel - hommes et femmes - travaillant dans les détentions féminines doit être rigoureuse, le personnel masculin doit être étroitement contrôlé et les détenues doivent être l’objet de visites médicales répétées et avoir un accès facile à des procédures de plaintes, y compris auprès d’organismes indépendants.

60. Dans la plupart des prisons, les femmes représentent une très faible minorité. D’un point de vue économique, l’aménagement de locaux d’activités séparés qui leur soient réservés apparaît comme trop coûteux. Aussi la pression économique pour mélanger les sexes est-elle très forte. Le mélange n’élimine pas en pratique la position désavantageuse des femmes, qui demeurent une minorité au sein d’établissements mixtes. S’il est impossible d’aménager des locaux d’activités séparés pour les femmes, celles-ci doivent avoir le choix et utiliser les locaux d’activités mixtes seulement de leur plein gré.

61. L’interdiction de placer des prisonnières dans des lieux de détention masculins revêt une importance considérable. Dans certains pays, existent des prisons mixtes réservées à des détenus sélectionnés selon des critères très stricts, étroitement contrôlés et qui bénéficient d’un régime de détention harmonieux et constructif sous la surveillance d’un personnel hautement qualifié. Une telle dérogation à la lettre des règles est acceptable (voir La règle 3) à condition que leur esprit soit maintenu [8]. Mélanger des hommes et des femmes détenus ne doit pas être accompli contre leur volonté. Il faut prévoir pour les prisonnières de larges possibilités d’intimité, et qu’une séparation puisse au moins être réalisée en dehors des heures de travail. Le personnel bien sélectionné et en nombre suffisant que l’on a évoqué devra assurer, outre une surveillance minutieuse, une assistance efficace et qualifiée en cas de difficulté.

Statut légal
62. Les règles classent les détenus suivant leur statut légal (individus placés en garde à vue ou prévenus, condamnés et détenus pour dettes) et recommandent des séparations organisées sur la base de ces distinctions. La règle 85 (1) stipule que :
Les prévenus doivent être séparés des détenus condamnés.

63. La séparation des détenus suivant leur statut légal est rappelée par l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les prévenus bénéficiant des droits spéciaux découlant de la présomption d’innocence et des garanties nécessaires à leur défense prévus par l’article 11.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les articles 9,14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques [9].

64. Dès lors qu’un établissement séparé est prévu (du moins en théorie) pour les prévenus, l’administration pénitentiaire est à même de les faire bénéficier de leurs droits et d’assurer leurs besoins spécifiques (information sur les cautions, facilité de communication avec les avocats et avec des services de conseil juridique, etc.). En pratique, les établissements exclusivement dédiés aux prévenus sont souvent moins bien pourvus en matière d’aide et de conseil juridique ainsi qu’en programmes d’activités que les établissements accueillant à la fois des prévenus et des condamnés.

65. Ainsi, les possibilités de travail peuvent y être plus rares, les prévenus n’étant pas soumis à l’obligation, au désir ou à la nécessité de travailler et l’organisation du travail n’étant pas considérée par l’administration comme une priorité [10].

66. Dans certains pays, l’administration pénitentiaire déroge à La règle de la séparation des prévenus sous le prétexte qu’une telle séparation entraînerait pour eux la mise à disposition de moins d’assistance et d’activités, compte tenu de la diminution des économies d’échelle. En réalité, le mélange des prévenus avec d’autres catégories de détenus se traduit toujours pour les prévenus par un préjudice, les condamnés bénéficiant davantage des services proposés par l’établissement étant donné la stabilité de leur situation pénale et la possibilité d’organiser pour eux des traitements complexes dans un temps déterminé.

67. Les prévenus et les détenus pour dettes constituent des groupes hétéroclites, dans le premier cas, ou marginaux, dans le second, qui ne profitent généralement qu’assez peu des infrastructures de l’établissement, quand bien même les prévenus représenteraient parfois une proportion substantielle de la population pénale. La rareté ou l’absence de programmes d’activités pour les prévenus ne doit toutefois pas être justifiée par la nature provisoire de leur incarcération. Dans beaucoup de pays, les prévenus passent en réalité plus de temps en prison que les condamnés à de courtes peines d’emprisonnement.

Age
68. Les RMT ne définissent pas de limites d’âge, se contentant de pratiquer une distinction entre détenus jeunes et détenus adultes. La remarque vaut pour la distinction des mineurs et des majeurs, La règle 2.2. (a) de l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) définissant le mineur comme un enfant ou un jeune qui, au regard dusystème juridique considéré, peut avoir à répondre d’un délit selon des modalités différentes de celles qui sont appliquées dans le cas d’un adulte.

69. Toujours d’après ces mêmes règles, les mineurs doivent être séparés des adultes et détenus dans des établissements distincts ou dans une partie distincte d’un établissement qui accueille aussi des adultes (règles 13.4 et 26.3). L’article 10.2 (b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne dit pas autre chose. La Convention relative aux droits de l’enfant (UNICEF 1989) apporte un léger correctif (article 37 c) :
[…] Tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant […].

70. Certains codes pénaux établissent des séparations prenant en compte uniquement l’âge réel des détenus, les limites d’âge variant suivant les diverses cultures. Or, l’âge réel n’est pas toujours significatif de différences réelles de maturité d’un détenu à un autre détenu.

71. Dans d’autres systèmes pénaux, les distinctions d’âge sont plus complexes, et dépendent à la fois de l’âge réel et du comportement. Ainsi, en matière de responsabilité criminelle, l’excuse de minorité peut s’imposer pour toutes les infractions, exception faite des plus graves. Quand par exemple un mineur commet un crime, il sera jugé par la cour d’assises des mineurs mais pourra être soumis à un traitement pénitentiaire appliqué aux condamnés adultes.

72. Règle 85 (2) Les jeunes prévenus doivent être séparés des adultes. En principe, ils doivent être détenus dans des établissements distincts.

Cette règle prend en compte la présomption d’innocence et met l’accent sur la nécessité de protéger les jeunes prévenus de l’influence potentiellement nuisible des détenus plus âgés.

73. Dans certains pays, on justifie le mélange des âges parmi les détenus en se référant à la vie à l’extérieur. Dans la pratique, le mélange permet aussi un certain contrôle des plus âgés sur les plus jeunes. En fait, ce mélange est problématique sinon condamnable, les jeunes détenus prenant les détenus endurcis dans le crime comme modèles et pouvant être victimes de brutalités voire d’asservissement de la part d’une population privilégiant des valeurs viriles sinon machistes.

74. Nul n’ignore que les jeunes détenus peuvent être victimes d’abus sexuels et même de tortures, en particulier quand ils sont mélangés avec des adultes. Dans certaines prisons, les mineurs sont contrôlés par un détenu adulte remplissant les fonctions de chef de groupe au sein d’une cellule. Ce système est à proscrire comme pouvant être source d’abus.

Protection des détenus contre d’autres détenus
75. Dans certains systèmes pénitentiaires, les détenus sont répartis en trois groupes : victimes potentielles, agresseurs potentiels et neutres. Ce classement tient compte de divers critères : force physique, personnalité, tendances sexuelles et nature de l’infraction. Certains délits, particulièrement les abus sexuels commis sur des mineurs, entraînent la stigmatisation et le rejet du détenu et augmentent pour lui le risque d’être exposé à des violences. L’administration a le devoir de protéger ces détenus à l’égal de tous les autres.

76. Dans certains pays, les détenus vulnérables sont séparés dans leur propre intérêt. Ils sont souvent confinés dans des cellules comparables aux cellules de punition et n’accèdent que rarement ou jamais aux activités et avantages du régime de détention normal. Ce type de traitement peut être assimilé à une sanction [11].

77. Les auteurs d’attentats à la pudeur étaient considérés jadis comme les détenus les plus exposés à la vindicte de leurs codétenus voire, dans certains pays, des agents pénitentiaires. D’autres groupes présentent aujourd’hui une vulnérabilité comparable : les détenus séropositifs, malades mentaux ou débiles.

Formation de gangs
78. La formation de gangs rend certains détenus vulnérables, en particulier les jeunes et les détenus les plus démunis, qui peuvent être incités par des menaces à devenir toxicomanes et à se pouvoir en drogues auprès des gangs.

La séparation des détenus vulnérables, une méthode à ne pas suivre
79. L’administration doit assurer positivement la protection des détenus vulnérables, ce qui ne signifie pas qu’elle doive les isoler des autres détenus, serait-ce sur leur demande. Cette solution peut produire les effets inverses de ceux escomptés, le détenu isolé étant facilement repérable. Il est préférable d’intégrer les détenus vulnérables à des groupes composés d’un petit nombre de personnes : de tels groupes sont mieux contrôlés et les détenus y sont considérés comme des personnes. Si la méthode peut difficilement être étendue à l’ensemble des détenus vulnérables, elle mérite d’être tentée à l’égard de quelques-uns d’entre eux.

Bébés en prison
80. Ni les RMT ni les autres documents internationaux ne contiennent d’indication sur le traitement des bébés ou des jeunes enfants qui accompagnent leur mère en prison [12]. La garde d’enfants aussi jeunes crée un réel dilemme. Les intérêts des enfants doivent être prioritaires. Les liens avec la mère sont essentiels à un âge aussi précoce. Quand de petits enfants sont détenus avec leur mère, ils n’ont pas un statut de détenu et le régime qui leur est réservé doit tenir compte de cette constatation : ils doivent être soignés et éduqués comme peuvent l’être les enfants de leur âge dans la société civile. Si un bébé ou un petit enfant n’est pas emmené hors de la prison au moins chaque semaine pour être plongé dans le monde extérieur, son développement intellectuel et émotionnel peut être retardé et son adaptation à la société compromise.

Formation professionnelle des surveillants
81. Tous les détenus, y compris les détenus vulnérables, ont besoin de programmes d’activités correspondant à leurs attentes : conseils et soins aux détenus séropositifs, assistance psychologique, éducation corrective et thérapies pour les délinquants sexuels, etc. Dans les cas extrêmes, leurs besoins ne peuvent pas être satisfaits en prison et exigent des traitements spécifiques distribués hors du cadre pénitentiaire.

82. Les surveillants doivent être formés aux relations distanciées avec tous les détenus, quels que soient leurs délits ou leurs handicaps, afin de ne jamais manifester à leur égard des attitudes de mépris ou des jugements moraux.

Les activités en prison : associatives, constructives et ne visant pas à l’exploitation des détenus.
83. Les RMT reconnaissent que l’inactivité et l’ennui sont parmi les pires conséquences de l’incarcération. Du fait de la surpopulation, caractéristique commune à un très grand nombre d’établissements, il importe que les détenus puissent trouver des activités qui leur permettent de sortir de leur cellule pendant la journée.

84. Les RMT exigent que les activités proposées soient les plus proches possibles de celles pratiquées à l’extérieur et que les détenus soient occupés le plus longtemps et le plus utilement possible à des activités considérées comme faisant partie intégrante de leur traitement.

85. Les RMT mettent en garde contre des activités de type mercantile où les détenus sont considérés comme une source à bon marché et abondante de main d’œuvre. Les RMT expriment une certaine méfiance à l’égard de systèmes visant à l’autosuffisance (de l’établissement) ou à la rentabilité (d’un type de production), elles condamnent les conditions de travail dangereuses et malsaines. Pour pallier ces excès ou ces carences, la prison doit être ouverte aux visites des inspecteurs du travail et de l’hygiène, de la sécurité et de la salubrité dans les ateliers, quand de tels agents sont en place dans le monde économique extérieur [13].

Travail en prison
86. Le travail est au cœur de la philosophie des systèmes pénitentiaires depuis au moins le XIXe siècle. Le travail constitue, traditionnellement, une des activités principales auxquelles se livrent les détenus. Il est cependant difficile, sinon impossible, d’assurer le plein emploi de l’ensemble de la population pénale.

Règle 71 (1) Le travail pénitentiaire ne doit pas avoir un caractère afflictif.

Règle 71 (2) Tous les détenus condamnés sont soumis à l’obligation du travail, compte tenu de leur aptitude physique et mentale telle qu’elle sera déterminée par le médecin.

Règle 71 (3) Il faut fournir aux détenus un travail productif suffisant pour les occuper pendant la durée normale d’une journée de travail.

Règle 71 (4) Ce travail doit être, dans la mesure du possible, de nature à maintenir ou à augmenter leur capacité de gagner honnêtement leur vie après la libération.

Règle 71 (5) Il faut donner une formation professionnelle utile aux détenus qui sont à même d’en profiter et particulièrement aux jeunes.

Règle 71 (6Dans les limites compatibles avec une sélection professionnelle rationnelle et avec les exigences de l’administration et de la discipline pénitentiaire, les détenus doivent pouvoir choisir le genre de travail qu’ils désirent accomplir.

87. Le travail forcé est clairement interdit par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques :
Nul ne sera astreint à un travail forcé ou obligatoire ” (article 8.3 a) :
La seule dérogation admise est le travail forcé infligé à titre de peine par un tribunal compétent (article 8.3 b). En outre, l’article 1 (a) de la convention 105 de l’Organisation internationale du travail proscrit le travail forcé utilisé comme moyen de contrainte politique ou comme sanction infligée à des personnes poursuivies pour des délits d’opinion.

88. Ne doivent travailler que les détenus qui en sont capables, leur aptitude devant être, comme dans la société extérieure, attestée par un médecin qualifié qui peut être requis pour examiner les détenus lors de leur arrivée en prison. Si un détenu se plaint de maladie ou d’incapacité au travail, un médecin doit l’examiner et faire son rapport au directeur. Le rôle du médecin est, dans ce domaine, particulièrement délicat [14].

Journée normale de travail
89. Assurer en prison une journée normale de travail est un pari difficile à tenir sur le plan pratique. Cependant, dans la perspective de la resocialisation du détenu, il importe de rapprocher au maximum les conditions de travail en prison et à l’extérieur, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’organisation du service des surveillants.

90. Il est rare que les détenus accomplissent une journée de travail “ normale ”, des activités comme l’enseignement ou d’autres formes d’éducation pouvant pallier le manque de travail et constituer une alternative souhaitable, le développement des aptitudes intellectuelles étant aussi indispensable au traitement des détenus que la satisfaction des besoins matériels.

Le travail, un moyen de formation
91. Peu de détenus ont l’expérience d’un travail salarié antérieur et des aptitudes nécessaires leur manquent souvent. Quand le taux de chômage à l’extérieur est élevé et que le marché du travail n’offre que des emplois qualifiés, le séjour en prison peut être l’occasion d’acquérir une qualification. La formation professionnelle est importante pour le développement personnel, quand même elle n’offrirait pas la garantie d’un travail à l’extérieur.

92. Les détenus peuvent être employés au service général de l’établissement. Ce type de travail doit constituer une expérience enrichissante et permettre le développement d’habitudes et d’aptitudes au travail, les tâches à effectuer soient-elles rudimentaires. Il faut, en toute occasion, relier le travail et la formation et permettre au détenu d’accéder à une qualification reconnue à l’extérieur. Par exemple, la cuisine et le lavage du linge sont des tâches confiées aux détenus dans presque tous les établissements. Elles peuvent être intégrées à une formation et assimilées à une expérience de travail, le détenu bénéficiant à l’occasion d’un certificat de travail ou d’aptitude qui peut lui être utile après sa libération.

93. L’accès à une formation professionnelle dépend de la disponibilité d’un personnel qualifié susceptible d’assurer un enseignement pratique et théorique. L’utilisation des équipements et des locaux doit être maximalisée de sorte que le plus grand nombre de détenus en profite. Les formations distribuées tiendront compte à la fois des personnels disponibles, de l’infrastructure de l’établissement et des offres du marché de l’emploi.

94. Exercer un choix est une façon insigne de prendre ses responsabilités. Or, en matière de travail, le choix est souvent extrêmement limité. Quand il existe réellement, les détenus doivent être impérativement consultés, afin de pouvoir choisir, en toute connaissance de cause, entre les options disponibles. A ce point de vue, le placement en travail à l’extérieur ou la semi-liberté doivent toujours être encouragés, ce type d’expérience professionnelle, proche des conditions de travail “ normales ”, favorisant sans conteste la resocialisation.

Conditions de travail
95. Règle 72 (1) L’organisation et les méthodes de travail pénitentiaire doivent se rapprocher autant que possible de celles qui régissent un travail analogue hors de l’établissement, afin de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre.

Règle 72 (2) Cependant, l’intérêt des détenus et de leur formation professionnelle ne doit pas être subordonné au désir de réaliser un bénéfice au moyen du travail pénitentiaire.

La définition d’une vie de travail “ normale ” peut beaucoup varier d’un pays à l’autre. Quoi qu’il en soit, le travail des détenus doit être organisé en s’inspirant des règles en vigueur dans la société civile.

96. Le fait que certains détenus doivent frotter les planchers à genoux le chiffon à la main alors qu’à l’extérieur des balais ou des équipements plus modernes sont utilisés est condamnable, comme sont condamnables toutes les pratiques visant à allonger la durée du travail et à humilier le détenu.

97. Dans la pratique, le travail et la formation en prison peuvent échouer soit à cause d’un manque d’organisation, soit parce que le produit fabriqué est l’objet d’une demande insuffisante. Il existe pourtant des exemples d’ateliers pénitentiaires qui réalisent des bénéfices. Sans exclure le critère de rentabilité, les RMT donnent la priorité à la formation plutôt qu’à l’exploitation de la force de travail des détenus.

Travail en régie ou géré par un entrepreneur privé
98. La règle 73 des RMT vise à prévenir les abus et à garantir une rémunération correcte aux détenus, une ambition rarement réalisée dans la pratique.

Règle 73 (1) Les industries et fermes pénitentiaires doivent de préférence être dirigées par l’administration et non par des entrepreneurs privés.

Règle 73 (2) Lorsque les détenus sont utilisés pour des travaux qui ne sont pas contrôlés par l’administration, ils doivent toujours être placés sous la surveillance du personnel pénitentiaire. A moins que le travail ne soit accompli pour d’autres départements de l’Etat, les personnes auxquelles ce travail est fourni doivent payer à l’administration le salaire normal exigible pour ce travail, en tenant compte toutefois du rendement des détenus.

99. Les ateliers et fermes gérés par l’administration ont souvent fait la preuve de leur inefficacité, ce qui a conduit certains pays à faire appel à des entrepreneurs privés. Ceux-ci peuvent être amenés à abuser des travailleurs en prison. La Convention 29 de l’Organisation internationale du travail (Convention sur le travail forcé) interdit le travail en prison dès lors qu’il n’est pas organisé et contrôlé par une autorité publique ; le détenu ne doit pas être mis à la disposition de personnes, de sociétés ou d’associations privées. Lorsque des sociétés privées procurent du travail aux détenus, un contrôle rigoureux de l’Etat s’impose. Les détenus doivent pouvoir choisir de travailler ou non pour des entrepreneurs privés.

100. La règle 73 supprime les incitations financières pouvant pousser les entrepreneurs à exploiter le travail des détenus en imposant les conditions de rémunération d’un contrat de travail normal. Ce contrat doit être le plus précis possible. L’administration pénitentiaire doit être la garante de la clarté du contrat et du libre choix du détenu contractant.

Sécurité au travail
101. Les exigences locales varient énormément en matière d’hygiène et de sécurité au travail. Avec l’aide d’experts chargés de l’inspection des ateliers pénitentiaires, les mêmes règles doivent s’appliquer en prison et à l’extérieur.

Règle 70 (1) Les précautions prescrites pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs libres doivent également être prises dans les établissements pénitentiaires.

Règle 70 (2) Des dispositions doivent être prises pour indemniser les détenus pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, à des conditions égales à celles que la loi accorde aux travailleurs libres.

102. La protection des détenus-travailleurs est compliquée du fait de l’intervention d’entreprises privées. La question se pose alors de savoir si l’administration pénitentiaire est responsable pour des blessures causées au détenu employé par une société extérieure. Les choses sont encore plus compliquées si cette société est une compagnie multinationale.

103. Règle 75 (1) Le nombre maximum d’heures de travail des détenus par jour et par semaine doit être fixé par la loi ou par un règlement administratif, compte tenu des règlements ou usages locaux suivis en ce qui concerne l’emploi des travailleurs libres.

Règle 75 (2) Les heures ainsi fixées doivent laisser un jour de repos par semaine et suffisamment de temps pour l’instruction et les autres activités prévues pour le traitement et la réadaptation des détenus.

Les RMT cherchent là encore à rapprocher les conditions de travail dans la prison de la législation et desconditions locales. Si, par exemple, les détenus doivent travailler en heures supplémentaires, leur taux sera élevé du même pourcentage qu’à l’extérieur. Il serait souhaitable par ailleurs que les inspecteurs et fonctionnaires chargés du contrôle des conditions de travail dans la société civile soient compétents pour le contrôle du travail en prison, comme c’est déjà le cas dans un certain nombre de pays.

Rareté du travail, compensation et rémunération
104. Les occasions de travail offertes aux détenus dépendent des équipements et des ateliers disponibles. La rotation des équipes de travail peut permettre d’optimiser leur utilisation. En pratique, le temps de travail coïncide souvent avec celui des activités éducatives de telle sorte que les choix s’excluent mutuellement. Les RMT préconisent la réorganisation des programmes d’activités afin d’offri aux détenus la possibilité de larges choix, ce qui ne va pas sans une remise en cause du service des surveillants.

105. Le niveau de salaire des détenus est souvent dérisoire, voire proche de zéro. Les RMT considèrent pourtant que c’est là une question importante.

Règle 76 (1) Le travail des détenus doit être rémunéré d’une façon équitable.

Règle 76 (2) Le règlement doit permettre aux détenus d’utiliser au moins une partie de leur rémunération pour acheter des objets autorisés qui sont destinés à leur usage personnel et d’en envoyer une autre partie à leur famille.

Règle 73 (3) Le règlement devrait prévoir également qu’une partie de la rémunération soit réservée par l’administration afin de constituer un pécule qui sera remis au détenu au moment de sa libération.

106. Les RMT suggèrent que la rémunération devrait permettre au détenu d’assurer son argent de poche, un soutien à sa famille, le reste lui permettant de faire des économies. Ce n’est quasiment jamais le cas, aussi l’administration est-elle dans l’obligation de procurer au détenu l’argent dont il aura besoin lors de sa libération, en particulier s’il n’a ni famille et ni lieu d’hébergement. Si les salaires des détenus sont comparables à ceux payés dans la société civile, les plaintes pour concurrence déloyale de la part des ouvriers libres seront moins justifiées et moins fréquentes. Au Brésil par exemple, certaines entreprises privées accordent des salaires identiques en prison et à l’extérieur. Les détenus doivent bénéficier, quand ils existent, des salaires minimum légaux, dont le montant doit apparaître sur le bulletins de paie de même que toute autre forme de rémunération ou d’allocation obtenue, à titre d’incitation, pour une participation à une activité scolaire, socioculturelle ou autre.

107. Les prisonnières et leurs familles souffrent plus que quiconque de la non application de ces règles ou de l’absence d’un travail rémunérateur : les femmes détenues peuvent être les soutiens de familles tombées dans l’indigence en leur absence. Les familles de ces femmes doivent être assistées et les détenues qui n’ont pas pu gagner de salaires décents pendant la durée de leur incarcération doivent être aidées matériellement et socialement lors de leur libération.

Travail des prévenus
108. Les RMT s’intéressent presqu’exclusivement au travail des condamnés. Les règles 89 et 94 contiennent cependant quelques indications précieuses quant au travail des prévenus et des détenus pour dettes.

Règle 89 La possibilité doit toujours être donnée au prévenu de travailler, mais il ne peut y être obligé. S’il travaille, il doit être rémunéré.

La règle 94 recommande pour sa part que le traitement des détenus pour dettes ne doit pas être moins favorable que celui des prévenus, sous réserve toutefois de l’obligation éventuelle de travailler.

109. Dans la pratique, rares sont les prévenus qui peuvent travailler, les places étant réservées aux détenus soumis à l’obligation de le faire. Les prévenus sont donc très désavantagés en cette matière.

110. Le manque de travail ne doit pas entraîner le confinement des prévenus dans leurs cellules. La mise en place d’activités de remplacement en faveur des prévenus est souvent considérée comme inutile ou aléatoire par l’administration, en raison de l’impossibilité de prévoir la durée de leur incarcération. La conséquence, injustifiée, est que les prévenus supportent souvent les pires conditions de détention, l’inactivité s’ajoutant au confinement et à la promiscuité pendant parfois de très longues périodes. L’administration devrait élaborer des programmes d’activités sur le court terme, qui profitent à la fois aux condamnés à des peines légères et aux prévenus.

Education et loisirs
111. Les activités socio-éducatives et culturelles entrent pour une part considérable dans le développement humain. Le droit pour les détenus de participer à des activités éducatives et culturelles est affirmé avec force dans le principe 6 des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus :
Tous les détenus ont le droit de participer à des activités culturelles et de bénéficier d’un enseignement visant au plein épanouissement de la personnalité humaine.
Les RMT ne sont pas en reste.

Règle 77 (1) Des dispositions doivent être prises pour développer l’instruction de tous les détenus capables d’en profiter, y compris l’instruction religieuse dans les pays où cela est possible. L’instruction des analphabètes et des jeunes détenus doit être obligatoire, et l’administration devra y veiller attentivement.

Règle 77 (2) Dans la mesure du possible, l’instruction des détenus doit être coordonnée avec le système de l’instruction publique afin que ceux-ci puissent poursuivre leur formation sans difficulté après la libération.

Règle 78 Pour le bien-être physique et mental des détenus, des activités récréatives et culturelles doivent être organisées dans tous les établissements.

En matière d’éducation, le traitement pénitentiaire s’arc-boute sur les principes suivant :
- l’éducation est importante pour l’épanouissement de l’individu et de la collectivité ;
- l’éducation est un moyen d’humaniser les conditions de vie au sein de la prison ;
- l’éducation favorise la resocialisation ;
- l’éducation vient combler de nombreux besoins au sein de la population pénale.

L’enseignement en prison : mutualiste ou institutionnel, mais toujours volontaire
112. La distinction entre enseignement et éducation n’a pas grande signification sur le plan pratique en milieu pénitentiaire. En prison, le mot “ éducation ” doit être pris au sens large. Beaucoup de détenus n’ont reçu que des bribes d’éducation et il faut leur inculquer les notions de base. Aussi doit-on faire flèche de tout bois, et utiliser par exemple les détenus les plus instruits pour initier ou parfaire l’éducation de leurs camarades, une méthode ayant pour bénéfice secondaire de remettre en cause le clivage traditionnel entre détenus assistés et surveillants assistant.

113. Ainsi, dans les établissements particulièrement démunis en matière de ressources éducatives institutionnelles, les détenus qui savent lire pourront expliquer à leurs codétenus illettrés ou analphabètes le contenu des règles et règlements de l’établissement, ainsi que celui des RMT. Mais la formation d’adultes et d’illettrés ne se prête pas à l’improvisation, en particulier à destination de détenus qui ont, pour nombre d’entre eux, gardé un mauvais souvenir de leur passage dans les écoles et collèges. D’où le besoin d’une motivation spéciale de leur part pour participer à des cours de rattrapage dispensés par des enseignants compétents qui leur permettront de restaurer leur amour-propre et d’amorcer un retour confiant dans la société.

Besoins spéciaux
114. Les détenus sont considérés dans les RMT comme des individus qui continuent de participer à la vie sociale. La transition avec la vie à l’extérieur sera facilitée si l’enseignement et les activités inaugurés par les détenus en prison peuvent se poursuivre après leur libération. Le passage de la prison à la vielibre sera encore facilité si certaines activités du traitement pénitentiaire se déroulent à l’extérieur, ou si des gens de l’extérieur viennent participer aux activités organisées en prison. Les détenus devraient, toutes les fois que les conditions de sécurité et de sûreté sont réunies, être autorisés à suivre des enseignements et à participer à des activités organisés en-dehors de l’établissement.

115. Il est important de pourvoir aux besoins des détenus ayant des difficultés spécifiques, en particulier ceux qui ne parlent pas la langue du pays et ceux qui souffrent de troubles mentaux ou autres. Laformation à la vie en société et l’apprentissage des habitudes sociales constituent des aspects importantsde l’éducation et peuvent concerner un nombre important de détenus [15].

Bibliothèque : gestion et valeur éducative
116. Les bibliothèques des prisons ont aussi un rôle à jouer dans l’amélioration des relations des détenus avec la société. En coopération avec les bibliothèques publiques, elles peuvent aider à procurer aux détenus des activités éducatives et de loisir répondant à leurs centres d’intérêt, à leurs besoins et à leurs capacités. La règle 40 des RMT doit être interprétée dans ce sens : Chaque établissement doit avoir une bibliothèque à l’usage de toutes les catégories de détenus et suffisamment pourvue de livres instructifs et récréatifs. Les détenus doivent être encouragés à l’utiliser le plus possible. Dans la pratique, les bibliothèques de prison sont souvent très limitées en espace et en choix d’ouvrages et sont peu accessibles aux détenus. Le préjugé subsiste que les détenus n’utiliseront pas ou ne pourront pas utiliser la bibliothèque, soit qu’ils sont illettrés, soit qu’ils n’y trouvent aucun intérêt. D’où l’excuse d’une bibliothèque peu fournie. Cette position est indéfendable, l’approvisionnement en livres doit aller de pair avec les programmes éducatifs, l’un et l’autre constituant des moyens incomparables pour les détenus d’utiliser avec profit le temps de leur enfermement.

117. Les bibliothèques doivent posséder un fonds documentaire consacré aux règles et règlements de la prison et à tous les ouvrages et codes afférents aux droits des détenus, y compris ceux décrits dans les RMT.

118. Les bibliothèques ne se résument pas à une collection de livres ; elles sont animées par un personnel qualifié (il peut s’agir parfois d’un bibliothécaire de l’extérieur, bénévole ou rémunéré) qui peut apporter aux détenus des informations, des explications et des conseils.

119. Les bibliothèques de prison ne peuvent généralement pas offrir un choix exhaustif de livres. D’où la nécessité qu’elles soient en relation avec des organismes extérieurs susceptibles de procurer aux détenus le choix de livres le plus étendu possible.

120. Les bibliothèques de prison doivent pouvoir combler les besoins des détenus étrangers. Leur personnel doit se tenir informé de la composition par nationalités de la population pénale et satisfaire ses différents besoins grâce une fois encore à l’établissement de relations avec les centres et bibliothèques spécialisés.

121. Règle 90 Tout prévenu doit être autorisé à se procurer, à ses frais ou aux frais de tiers, des livres, des journaux, le matériel nécessaire pour écrire, ainsi que d’autres moyens d’occupation, dans les limites compatibles avec l’intérêt de l’administration de la justice et avec la sécurité et le bon ordre de l’établissement.

Cette disposition, qui met en relief le statut juridique spécial des prévenus, ne doit pas fournir à l’administration un faux fuyant lui permettant d’empêcher les prévenus de participer aux activités culturelles ou de fréquenter la bibliothèque. Les prévenus ont des besoins spécifiques en matière d’accès à l’information, en particulier juridique. L’administration a l’obligation de fournir ce type d’information, qui doit être à la fois précise, à jour des lois et textes juridiques récents, et abordable dans les principales langues parlées par la population pénale.

Loisirs et sports
122. Dans la vie courante, l’individu participe à d’autres activités que l’éducation et le travail ; il doit en être de même en prison, les activités de loisirs participant de surcroît d’une manière notable au bien-être des détenus. La règle 78 est complétée sur ce point par La règle 21.

Règle 21 (1) Chaque détenu qui n’est pas occupé à un travail en plein air doit avoir, si le temps le permet, une heure au moins par jour d’exercice physique approprié en plein air.

Règle 21 (2) Les jeunes détenus et les autres détenus dont l’âge et la condition physique le permettent doivent recevoir pendant la période réservée à l’exercice une éducation physique et récréative. A cet effet, le terrain, les installations et l’équipement devraient être mis à leur disposition.

La règle 21 donne l’impression que les détenus sont obligés de participer à un sport ou un entraînement. Si effectivement les détenus ne sont pas complètement libres de prendre part ou de refuser de prendre part à une activité sportive, en cas de refus de leur part, les surveillants devront se contenter de tenter de les inciter à le faire. Le recours à la voie disciplinaire ne serait, en tout état de cause, ni raisonnable ni éducatif.

123. Les RMT insistent sur l’importance du temps passé en plein air pour tous les détenus. Elles reconnaissent par ailleurs que les jeunes détenus ont des besoins particuliers, en partie parce qu’ils se développent physiquement et en partie parce que l’exercice est pour eux un moyen important de relâcher la tension et de se vider de leur considérable excès d’énergie mentale et physique. Il est ici sous-entendu que les contraintes de l’emprisonnement pèsent particulièrement sur les jeunes détenus.

124. Beaucoup d’institutions pénitentiaires, de jeunes détenus comme d’adultes, accordent aux exercices physiques et au sport une place considérable, dans le but en particulier de soulager de la tension provoquée par l’incarcération. La mise à disposition d’équipements sportifs et récréatifs ne doit pas être une charge excessive pour les prisons. L’accès à l’air libre est important, mais un ballon peut suffire à organiser un loisir et à concentrer les exercices de tout un groupe de détenus. Une activité de ce genre est utile pour la santé des détenus et permet d’améliorer les relations humaines au sein de la prison, en particulier si elle réunit détenus et surveillants.

125. La jurisprudence confirme les droits des détenus en matière d’exercices physiques et de plein air. Al’occasion d’un cas évoqué devant lui le 27 juillet 1992, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a soutenu qu’un laps de temps de seulement 5 minutes par 24 heures octroyé à un détenu pour pratiquer à titre hygiénique un exercice de plein air constitue une violation du droit du détenu à être traité avec humanité et dignité (Art. 10 CCPR/Parkanyi contre Hongrie). Dans le cas de Conjwayo contre le ministère de la Justice, des Affaires légales et parlementaires et Anor, la Cour suprême de Harare a, les 24 janvier et 21 février 1991, mis en avant les droits des détenus à des exercices physiques à l’air libre (Voir les recommandations sur le sport en prison du Conseil international des activités sportives).

Relations sociales et préparation à la sortie
126. Les RMT évoquent les relations du détenu avec l’extérieur et son avenir après sa libération alors qu’on parlerait aujourd’hui de préparation à la sortie. Celle-ci ne commence pas après la libération, c’est un processus continu inauguré avec la condamnation.

Règle 79 Une attention particulière doit être apportée au maintien et à l’amélioration des relations entre le détenu et sa famille, lorsque celles-ci sont désirables dans l’intérêt des deux parties.

Règle 80 Il faut tenir compte, dès le début de la condamnation, de l’avenir du détenu après sa libération. Celui-ci doit être encouragé à maintenir ou à établir des relations avec des personnes ou des organismes de l’extérieur qui puissent favoriser les intérêts de sa famille ainsi que sa propre réadaptation sociale.

127. L’importance des liens familiaux et des autres relations avec l’extérieur a été soulignée dans le chapitre V. L’accent est mis ici sur l’importance du rôle de la famille et d’autres types de relations extérieures pour le développement personnel du détenu, compte tenu de ses perspectives de resocialisation. Un des facteurs les plus décisifs en faveur de la non récidive consiste dans la stabilité des relations familiales. Afin de préserver cette stabilité aussi bien que pour des raisons humanitaires, il importe de réduire la tension et les effets nuisibles conséquents à l’emprisonnement, lesquels ne peuvent manquer d’influer négativement sur les relations du détenu avec l’extérieur.

128. L’expression “ relations désirables ” (paragraphe 126, règle 79) renvoie à une conception qui peut apparaître aujourd’hui comme assez paternaliste. C’est l’affaire de chaque détenu de développer des relations personnelles, que ce soit avec sa famille ou ses amis. Une interférence dans ce domaine produit souvent l’effet contraire à celui désiré, alors qu’un conseil donné au détenu par un membre de sa famille peut s’avérer d’une grande utilité dès lors que le détenu l’a sollicité.

129. Dans les cas extrêmes, quand par exemple le détenu a commis un attentat à la pudeur sur un membre de sa famille, l’administration peut faire appel à la médiation d’un personnel spécialisé, encore qu’il ne serait pas réaliste d’espérer par ce biais une transformation fondamentale de la dynamique familiale. Ce type d’intervention ne devrait être sollicité que dans des cas vraiment exceptionnels. Quand la sécurité d’un enfant est menacée, quand le droit de visite ou de garde d’un enfant est en cause, l’administration devrait se garder de prendre parti ou d’agir au bénéfice d’une partie.

130. Les RMT insistent à juste titre sur le fait que la préparation à la libération est un long processus qui commence dès le début de la peine. La meilleure chance de resocialisation dépend d’une préparation soigneuse et d’une continuité dans les contacts avec l’extérieur. La libération est une expérience heureuse mais traumatisante pour le détenu et pour sa famille : les personnes ont changé dans l’intervalle de la durée de l’emprisonnement, les places occupées par chacun dans l’univers familial se sont modifiées, les relations interpersonnelles ont évolué. Le maintien de relations pendant tout le temps de l’emprisonnement permet d’aborder ces évolutions et ces ruptures avec plus de sérénité.

131. Règle 81 (1) Les services et organismes, officiels ou non, qui aident les détenus libérés à retrouver leur place dans la société doivent, dans la mesure du possible, procurer aux détenus libérés les documents et pièces d’identité nécessaires, leur assurer un logement, du travail, des vêtements convenables et appropriés au climat et à la saison, ainsi que les moyens nécessaires pour arriver à destination et pour subsister pendant la période qui suit immédiatement la libération.

Règle 81 (2) Les représentants agréés de ces organismes doivent avoir accès à l’établissement et auprès des détenus. Leur avis sur les projets de reclassement d’un détenu doit être demandé dès le début de la condamnation.

Règle 21 (3) Il est désirable que l’activité de ces organismes soit autant que possible centralisée ou coordonnée, afin qu’on puisse assurer la meilleure utilisation de leurs efforts.

Les RMT portent une particulière attention aux aspects pratiques de la sortie. Certains détenus ont une famille ou des amis capables de les accueillir, tandis que d’autres sont seuls au monde. L’administration
pénitentiaire a la responsabilité de veiller à ce qu’aucun détenu ne soit jeté hors de la prison sans moyens de survivre. Le coût d’une assistance postpénale est faible comparé au coût occasionné par une récidive rendue presque nécessaire par l’état de pauvreté et de solitude d’un libéré.

Les Comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL) et la resocialisation des détenus
132. La collectivité doit être associée à la resocialisation des détenus libérés, avec l’aide d’organismes non gouvernementaux qui se consacrent à cette tâche. L’administration pénitentiaire doit pour sa part se doter de services spécialisés dans l’assistance aux libérés (CPAL). Les RMT considèrent, on vient de le dire, que la mission de tels services commence en prison.

133. Permettre aux travailleurs sociaux de ces services d’accéder librement aux détenus constitue le meilleur moyen d’améliorer les perspectives de resocialisation de ces derniers. Trop souvent, cette intervention ne se produit que dans les derniers temps de l’incarcération, quand il est trop tard pour poser les jalons d’un futur traitement postpénal.

Notes:

[1] Cf. au chapitre I, § 31, le principe de normalité et ses conséquences

[2] Cf. chapitre IV

[3] Cf. chapitre III

[4] Cf. chapitre I, § 15 et 16

[5] Cf. § 29 du présent chapitre, en particulier La règle 66 (1)

[6] Cf. § 29 du présent chapitre

[7] Cf. chapitre VII

[8] Cf. § 4, chapitre I

[9] Cf. chapitre II

[10] Cf. infra, les développements sur le travail en prison

[11] Cf. chapitre II

[12] Cf. chapitre III

[13] Cf. chapitre VIII

[14] Cf. chapitre IV

[15] Cf. supra, les programmes thérapeutiques