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Les étranger(e)s incarcéré(e)s en France

CEDH, 3 décembre 2009, D. c/ France (n°19576/08) - l’extradition d’un prisonnier vers un pays qui pratique la torture constitue une violation de l’art 3 - commentaire de Nicolas Hervieu

Mise en ligne : 3 janvier 2010

Texte de l'article :
Expulsion vers l’Algérie et lutte anti-terroriste
 
 Un Algérien, arrivé sur le sol français en 1979, fut arrêté quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001 dans le cadre d’une opération visant à déjouer un attentat suicide prévu contre l’ambassade des États-Unis à Paris. Il fut déchu de la nationalité française qu’il avait obtenue par naturalisation au début de l’année 2001. Sa condamnation à six ans de prison pour ces faits fut assortie d’une interdiction définitive du territoire français. Au terme de sa peine, il fit donc l’objet d’une procédure d’expulsion vers l’Algérie. Ses recours en relèvement de l’interdiction de territoire échouèrent et sa demande d’asile fut rejetée successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA - la procédure d’appel contre cette dernière décision du 31 juillet 2009 est actuellement pendante devant le Conseil d’État). La Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’une requête déposée par l’intéressé, a toutefois demandé à la France, par une mesure provisoire, de surseoir à l’expulsion le temps de l’examen de ladite requête. En conséquence, le requérant fut assigné à résidence en France.
 
  La Cour devait examiner si l’expulsion du requérant vers l’Algérie l’exposerait à des faits de tortures ou de traitements inhumains et dégradants et emporterait donc une violation "par ricochet" de l’article 3 par la France. A cette fin, elle renvoie aux principes développés dans son arrêt Saadi c. Italie (Cour EDH, G. C. 28 février 2008, Req. n° 37201/06). En particulier, les juges européens rappellent ici « le caractère absolu de la prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains et dégradants prévue par l’article 3 de la Convention, quels que soient les agissements de la personne concernée, aussi indésirables et dangereux soient-ils » ainsi que « l’impossibilité de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoqués pour l’expulsion afin de déterminer si la responsabilité d’un État est engagée sur le terrain de l’article 3 » (§ 64). Ces considérations ne s’opposent évidemment pas au constat des « difficultés considérables que les États rencontrent pour protéger leur population de la violence terroriste, […] de l’ampleur du danger que représente le terrorisme pour la collectivité et, par conséquent, de l’importance des enjeux de la lutte antiterroriste. Devant une telle menace, la Cour considère qu’il est légitime que les États contractants fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme, qu’elle ne saurait en aucun cas cautionner » (§ 65).
 
 De façon classique, l’analyse des juges strasbourgeois concernant les risques encourus par le requérant en cas de retour en Algérie repose essentiellement sur diverses sources telles que les rapports d’organisations non gouvernementales (Amnesty International, Human Rights Watch - § 37 à 41), internationales (Comité contre la torture et du Comité des droits de l’homme des Nations Unies - § 42 à 49) ou gouvernementales (Rapports du Département d’État américain et du ministère de l’Intérieur britannique sur l’Algérie § 50 à 52). La Cour salue d’ailleurs « la fiabilité des éléments ainsi collectés » au regard « de l’autorité et de la réputation des auteurs des rapports précités […et] du caractère sérieux et récent des enquêtes et des données sur lesquelles elles se fondent » (§ 68). Or, en l’espèce, ces informations révèlent « une situation préoccupante » (§ 68) pour les personnes renvoyées en Algérie lorsqu’elles sont soupçonnées de liens avec des actions terroristes. Un service à la sinistre réputation, « les agents de la sécurité militaire (ou DRS) », et déjà connu dans le passé pour ses « actes de torture systématiques et généralisés, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées » (§ 37), utiliserait fréquemment la torture pour obtenir des renseignements au nom de la lutte anti-terroriste (§ 68 – voir le détail de ces pratiques). Le requérant serait particulièrement concerné par ce risque, son jugement en France ayant été très médiatisé et sa situation étant bien connue des autorités algériennes (§ 69). L’absence de certitudes sur son sort en cas d’expulsion et l’impossibilité de contrôler ce qu’il pourrait subir une fois sur le sol algérien (§ 70) conduit la Cour a juger « vraisemblable qu’en cas de renvoi vers l’Algérie, le requérant deviendrait une cible pour le DRS » (§ 71). En conséquence, un retour vers l’Algérie emporterait « un risque réel de voir le requérant subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention » (§ 72), d’où une violation par la France de ce même article dans cette hypothèse.
 
 Cet arrêt donne l’occasion à la Cour de mettre en lumière les pratiques « anti-terroristes » pour le moins édifiantes des autorités algériennes et que certains expulsés de France ont déjà subies (§ 37). Elle est aussi un désaveu – pourtant prévisible – de la décision de la CNDA qui, bien qu’ayant reconnu les risques encourus par le requérant (§ 71), les avait mis en balance avec ses « agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies » (§ 28 - selon ce que rapporte l’arrêt ici présenté), ce qui est formellement exclu par la Cour depuis son arrêt Saadi de 2008 (précité).
 
 
Source : CREDOF Centre de Recherches et d’Etudes sur les Droits Fondamentaux - Université Paris-Ouest - Nanterre La Défense
Actualités droits-libertés du 3 décembre 2009 par Nicolas Hervieu
 
Daoudi c. France (Cour EDH, 5e Sect. 3 décembre 2009, n° 19576/08)