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CEDH, 4 février 2003 - Arrêts de Chambre c/ les Pays Bas

Mise en ligne : 7 février 2003

Dernière modification : 10 août 2010

Texte de l'article :

068 - 4.2.2003
Communiqué du Greffier
ARRÊTS DE CHAMBRE DANS LES AFFAIRES VAN DER VEN c. PAYS-BAS et LORSÉ ET AUTRES c. PAYS-BAS

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit deux arrêts [fn] dans les affaires Van der Ven c. Pays-Bas (requête no 50901/99) et Lorsé et autres c. Pays-Bas (no 52750/99). La Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :

Dans l’affaire Van der Ven c. Pays-Bas,
§ violation de l’article 3 (interdiction des peines ou traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ;
§ non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention.

Dans l’affaire Lorsé et autres c. Pays-Bas,
§ violation de l’article 3 dans le chef de M. Lorsé ;
§ non-violation de l’article 3 dans le chef des autres requérants ;
§ non-violation de l’article 8 ;
§ non-violation de l’article 13 (droit à un recours effectif).
En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue à M. van der Ven 3 000 euros (EUR) et à M. Lorsé 453,78 EUR pour dommage moral. Par ailleurs, elle octroie à M. Lorsé 2 195 EUR pour frais et dépens. (Les deux arrêts n’existent qu’en anglais : arrêt M.Lorsé/Pays Bas - arrêt Van der Ven/Pays Bas.)

1. Principaux faits
Les requérants, tous ressortissants néerlandais, sont : Franciscus Cornelis van der Ven, né en 1949 ; Jacobus Lorsé, né en 1945 ; Everdina Lorsé-Quint, épouse du précédent, née en 1961 ; les trois enfants des époux Lorsé ; quatre autres enfants qui sont les fruits de précédentes relations de M. Lorsé. MM. van der Ven et Lorsé sont actuellement détenus à Maastricht et à Dordrecht respectivement ; les autres requérants résident tous à Maastricht ou à Rotterdam.

Ces affaires portent sur le traitement réservé à MM. van der Ven et Lorsé durant leur détention dans des unités de haute sécurité (Extra Beveiligde Inrichting - « EBI ») du complexe pénitentiaire Nieuw Vosseveld de Vught, aux Pays-Bas. M. Lorsé est aux Pays-Bas le détenu qui a été soumis le plus longtemps à un régime de haute sécurité.

M. van der Ven fut placé en détention provisoire le 11 septembre 1995 et transféré à l’EBI le 29 octobre 1997. M. Lorsé fut placé en garde à vue le 24 juillet 1994 puis par la suite en détention provisoire. Le 27 septembre 1994, il intégra l’EBI provisoire, puis après le 30 juin 1998 l’EBI.

Les requérants se plaignaient en particulier du manque de relations humaines auquel ils ont été confrontés à l’EBI. Entre autres, les visites n’étaient généralement autorisées qu’à travers une vitre de séparation. Les visites sans vitre de séparation (« en parloir ouvert ») n’étaient permises qu’une fois par mois avec le conjoint, les parents et les enfants, et le seul contact physique alors autorisé était celui d’une poignée de main au début et à la fin de la visite.

En outre, les détenus faisaient l’objet d’une fouille corporelle avant les visites en parloir ouvert et avant d’aller à l’hôpital, chez le coiffeur ou le dentiste ; ils étaient encore soumis à une telle fouille une fois par semaine, avec inspection de l’orifice anal, même lorsqu’ils n’avaient eu durant la semaine précédente aucun contact avec le monde extérieur.

Les requérants alléguaient que ce régime avait nui à leur stabilité psychologique. Des psychologues avaient jugé que M. van der Ven était « capable d’actes de désespoir » et avait de graves difficultés à supporter sa situation. Il avait été relevé que son comportement s’était amélioré de manière spectaculaire lors d’un bref séjour dans un service d’observation psychiatrique. Un rapport sur l’état psychique de M. Lorsé évoquait des signes de « souffrance due à son isolement prolongé », de « troubles de la mémoire et de l’orientation » ainsi que de « dépersonnalisation ».

La procédure pénale dont M. van der Ven a fait l’objet pour homicide volontaire, homicide involontaire/coups et blessures volontaires, viol et infractions à la législation sur les stupéfiants s’est achevée le 26 mars 2002. Il a été condamné à quinze ans de réclusion.

M. Lorsé a été déclaré coupable d’infractions à la législation sur les stupéfiants et sur les armes à feu et condamné à douze ans de réclusion et à une amende d’un million de florins. Sa condamnation et sa peine sont devenues définitives le 30 juin 1998. En appel, sa peine de réclusion a été portée à quinze ans. Il apparaît également qu’il a été condamné en Belgique à une peine de six ans de réclusion pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, mais que la procédure est toujours pendante.

2. Procédure et composition de la Cour
Les requêtes ont été introduites les 30 août et 19 novembre 1999 respectivement et ont été déclarées recevables le 3 avril 2001.

L’arrêt a été rendu par une chambre composée de sept juges, à savoir :
Elisabeth Palm (Suédoise), présidente,
Wilhelmina Thomassen (Néerlandaise),
Gaukur Jörundsson (Islandais),
Riza Türmen (Turc),
Corneliu Bîrsan (Roumain),
Josep Casadevall (Andorran),
Boštjan Zupan ?i ? (Slovène), juges,
ainsi que Michael O’Boyle, greffier de section.

3. Résumé de l’arrêt
Griefs
Les requérants alléguaient que le régime carcéral auquel ils avaient été soumis [auquel leur époux/père avait été soumis] dans une unité de haute sécurité avait emporté violation des articles 3 et 8. Dans l’affaire Lorsé et autres, les requérants invoquaient également l’article 13.
Décision de la Cour

Article 3
La Cour observe que tout au long de leur détention à l’EBI, MM. van der Ven et Lorsé ont été soumis à des mesures de sécurité très rigoureuses. Par ailleurs, la Cour estime que leurs liens sociaux étaient strictement limités. Toutefois, elle ne saurait considérer qu’ils ont subi un isolement sensoriel ou un isolement social total.

Si les requérants ont été placés en détention à l’EBI, c’est parce que les juridiction nationales considéraient qu’ils tenteraient très probablement de s’évader de lieux de détention dotés d’un régime moins strict et qu’en s’évadant ils feraient peser sur la société un danger inacceptable : celui que de nouveaux crimes violents soient commis. Eu égard à la gravité des crimes pour lesquels les requérants avaient été inculpés puis condamnés, la Cour admet cette analyse.

La Cour prend acte des rapports soumis par les requérants sur leur état psychique, ainsi que d’un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture, établi après la visite du complexe pénitentiaire en question (novembre 1997), qui concluait que « le régime appliqué à l’EBI provisoire et à l’EBI peut être considéré comme équivalant à un traitement inhumain. Soumettre à un tel régime des détenus jugés dangereux pourrait bien les rendre encore plus dangereux ». La Cour ne conteste pas que la situation au sein de l’EBI pose problème et suscite des inquiétudes, en particulier lorsque les détenus sont soumis au régime de cette unité pendant des périodes prolongées.

La Cour est frappée par le fait que les requérants aient eu à subir des fouilles corporelles hebdomadaires en sus de toutes les mesures de sécurité rigoureuses qui étaient appliquées à l’EBI. Etant donné que les autorités internes savaient bien que les requérants avaient de graves difficultés à supporter ce régime, et considérant que durant le séjour des requérants à l’EBI, aucune découverte fâcheuse n’a apparemment jamais été faite lors d’une fouille corporelle, la Cour estime que ces fouilles systématiques imposées aux intéressés appelaient une justification plus solide que celle mise en avant par le Gouvernement.

La Cour considère que comme les requérants étaient déjà soumis à de nombreuses mesures de contrôle, et vu l’absence de besoins convaincants en matière de sécurité, la pratique des fouilles corporelles hebdomadaires – imposée à M. van der Ven pendant environ trois ans et demi et à M. Lorsé pendant plus de six ans – a porté atteinte à leur dignité humaine et a dû faire naître en eux des sentiments d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir.

En conséquence, la Cour conclut que l’association, au sein de l’EBI, des fouilles corporelles régulières aux autres mesures de sécurité rigoureuses équivaut à un traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 3, dans le chef de M. van der Ven et de M. Lorsé.

La Cour admet que les autres requérants ont dû être perturbés psychologiquement par les conditions dans lesquelles se déroulaient les visites qu’ils faisaient à M. Lorsé ; elle considère toutefois que les circonstances litigieuses n’ont pas atteint le seuil à partir duquel il y a traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 et qu’en conséquence il n’y a pas eu violation de l’article 3 en ce qui concerne les autres requérants.

Article 8
La Cour observe que les requérants ont été placés en détention à l’EBI parce que les autorités estimaient probable une tentative d’évasion de leur part. La Cour admet que les autorités étaient fondées à considérer que l’évasion des requérants ferait peser un grave danger sur la société. Les mesures de sécurité ont été établies pour prévenir les évasions. Estimant que les restrictions concernant le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale n’ont pas excédé ce qui était nécessaire dans une société démocratique pour atteindre les buts légitimes poursuivis, la Cour juge qu’il n’y a eu violation de l’article 8 dans aucune des deux affaires.

Article 13 (concerne uniquement l’affaire Lorsé et autres)
La Cour fait remarquer que la décision de maintenir M. Lorsé à l’EBI était réexaminée tous les six mois. Il ressort du dossier qu’avant adoption des décisions de prolongation de cette détention, le Centre de sélection pénitentiaire a été consulté, à quelques reprises au moins, au sujet des implications psychologiques d’une telle mesure. Il était loisible à M. Lorsé de faire appel d’une décision de prorogation. Les décisions prises en l’espèce par la commission de recours font apparaître que celle-ci a non seulement étudié les risques et les conséquences d’une évasion de M. Lorsé, mais qu’elle a aussi recherché s’il y avait des éléments ou circonstances militant contre la prolongation de son séjour à l’EBI, et qu’elle a mis en balance l’ensemble des intérêts en jeu. Les intérêts des proches de M. Lorsé ont donc été pris en compte dans ce processus. Dans sa décision du 16 mars 2000, la commission de recours a indiqué explicitement qu’elle avait également pris en considération l’état psychologique de M. Lorsé. La Cour constate que la commission s’est bien penchée et prononcée sur les griefs relatifs aux effets prétendument néfastes – tant pour l’intéressé que pour les autres requérants – du maintien de M. Lorsé en détention à l’EBI.

Par ailleurs, la Cour observe que la commission de recours était compétente pour prendre des décisions contraignantes : dans l’hypothèse où elle jugeait que le séjour à l’EBI de M. Lorsé ne devait pas être prolongé, elle avait le pouvoir d’annuler la décision pertinente, à la suite de quoi il fallait prendre une nouvelle décision ; c’est d’ailleurs ce qu’elle a fait. La commission avait également la possibilité d’annuler la décision en question ou de déclarer que sa propre décision remplaçait la décision contestée.

De surcroît, il était loisible aux requérants de demander une ordonnance de mesure provisoire en vue d’obtenir une décision judiciaire sur la compatibilité du régime proprement dit avec l’article 3. Cette démarche eût pu aboutir à l’adoption d’une ordonnance aux termes de laquelle M. Lorsé devait bénéficier d’une modification du régime carcéral appliqué à l’EBI.

Etant donné que le terme « recours » au sens de l’article 13 ne signifie pas un recours par lequel l’intéressé obtient forcément gain de cause, mais simplement un recours accessible devant une autorité compétente pour examiner le bien-fondé d’un grief, la Cour estime que prises ensemble, la procédure devant la commission de recours et la possibilité de demander une ordonnance de mesure provisoire ont fourni aux requérants un recours effectif. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 13.

***
Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).
Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F – 67075 Strasbourg Cedex
Contacts : Roderick Liddell (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 24 92)
Emma Hellyer (téléphone : +00 33 (0)3 90 21 42 15)
Stéphanie Klein (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 21 54)
Télécopieur : +00 33 (0)3 88 41 27 91

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Le 1er novembre 1998 elle est devenue permanente, mettant fin au système initial où deux organes fonctionnant à temps partiel, la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme, examinaient successivement les affaires.

[fn] L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Pour le reste, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

http://www.echr.coe.int/Fr/Press/2003/fev/VandervenLorsé04022003arretsfr.htm