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8.11.2005
Communiqué du Greffier
ARRÊT DE CHAMBRE ALVER c. ESTONIE
La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit un arrêt [1] dans l’affaire Alver c. Estonie (requête no 64812/01).
La Cour dit à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue au requérant 3 000 euros pour dommage moral. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
1. Principaux faits
Le requérant, Rein Alver est un ressortissant estonien né en 1969.
Le 22 mai 1996, soupçonné de cambriolage, il fut placé en détention. Le 19 mai 1997, il fut condamné à quatre ans d’emprisonnement pour escroquerie et cambriolage. Sa condamnation fut annulée par la suite pour vices de procédure et, le 28 septembre 1999, une nouvelle condamnation, à quatre ans et six mois d’emprisonnement cette fois, fut prononcée. Le 19 janvier 2000, la Cour suprême refusa à l’intéressé l’autorisation de la saisir.
Le requérant demeura en détention provisoire environ trois ans et sept mois au total. La majeure partie du temps, il fut détenu à la prison centrale de Tallinn (trois ans et deux mois en tout, dont dix mois à l’hôpital pénitentiaire). Il passa aussi 14 brèves périodes, allant de cinq à 15 jours, à la maison d’arrêt de la préfecture de police de Jõgeva (Jõgeva Politseiprefektuuri arestimaja), où on l’emmenait à l’occasion de son procès. Il passa au total 139 jours à la maison d’arrêt.
Le taux d’occupation des cellules dans lesquelles le requérant fut détenu à la prison centrale de Tallin variait sensiblement de l’une à l’autre. Selon le gouvernement estonien, les cellules avaient en général une superficie de 33 à 39 m2. Selon le requérant, sa cellule compta : pendant deux mois 17 détenus ; pendant 17 mois 15 détenus et pendant sept mois 14 détenus. Les prisonniers étaient autorisés à faire une promenade à l’extérieur de leur cellule à raison d’une heure par jour. Selon le requérant, les cellules n’étaient pas aérées et ne recevaient pas la lumière naturelle, la nourriture était mauvaise, les cellules disciplinaires étaient froides et humides et des rats sortaient du trou servant de toilettes. Le gouvernement estonien concède que les cellules de la prison centrale manquaient de lumière naturelle, mais affirme par contre qu’elles étaient aérées et que le système de chauffage avait été rénové dans la plupart d’entre elles en 1997 et 1998. La qualité de la nourriture aurait été régulièrement contrôlée.
A la maison d’arrêt de Jõgeva, les cellules mesuraient environ 11 m2 et abritaient quatre ou cinq détenus en moyenne. Selon le requérant, elles étaient insalubres, il n’y avait aucune aération si ce n’est une petite fenêtre ; le mobilier n’était pas convenable et une estrade que les détenus devaient partager tenait lieu de lit. Ceux-ci ne recevaient de la nourriture qu’une fois par jour. Le Gouvernement déclare que les cellules de la maison d’arrêt comportaient de grandes fenêtres vitrées, dont la plupart avaient toutefois été murées pour des raisons de sécurité, et que trois repas, dont deux chauds, étaient servis chaque jour.
D’après son dossier médical, le requérant était en bonne santé en mars 1997. Alors qu’il se trouvait en détention, il fut toutefois admis à l’hôpital de la prison centrale de Tallinn à plusieurs reprises, à savoir du 6 au 20 novembre 1997 pour problème hépatique, du 11 au 25 février 1998 pour une hépatite B et C ; et du 17 mai au 22 décembre 1999 pour tuberculose.
Le 22 décembre 1999, le requérant fut transféré à la prison de Murru pour y purger sa peine. Il fut élargi en novembre 2000.
Après la libération de l’intéressé, la commission d’experts du comté de Tartu en matière d’incapacité de travail évalua, le 28 février 2001, la perte de capacité de travail du requérant à 80 %.
2. Procédure et composition de la Cour
Introduite devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le 5 juin 2000, la requête a été déclarée partiellement recevable le 9 mars 2004.
L’arrêt a été rendu par une chambre de 7 juges, ainsi composée :
Nicolas Bratza (Britannique), président,
Josep Casadevall (Andorran),
Giovanni Bonello (Maltais),
Rait Maruste (Estonien),
Stanislav Pavlovschi (Moldave),
Lech Garlicki (Polonais),
Javier Borrego Borrego (Espagnol), juges,
ainsi que de Michael O’Boyle, greffier de section.
3. Résumé de l’arrêt [2]
Grief
Le requérant dénonçait sa détention prolongée dans des conditions d’insalubrité qui étaient selon lui à l’origine de sa maladie hépatique et de sa tuberculose. Il invoquait l’article 3.
Décision de la Cour
Article 3
La Cour prend note de la durée de la détention provisoire du requérant et de la taille des cellules dans lesquelles elle s’est déroulée.
Pour ce qui est du nombre de détenus dans les cellules de la prison centrale de Tallinn, le taux d’occupation était fort variable. La Cour relève que, si les informations que le Gouvernement a fournies en ce qui concerne la taille des cellules et les dates auxquelles le requérant a séjourné dans chacune d’entre elles sont très précises, elles ne donnent que des fourchettes à l’intérieur desquelles le nombre de détenus de chaque cellule variait (habituellement entre six, huit, dix ou 12 et 14) et n’indiquent pas pendant combien de temps le nombre des détenus a atteint 14 et à quelles périodes il a été inférieur à ce chiffre. La Cour estime pouvoir légitimement tirer des conclusions du fait que le Gouvernement n’a pas fourni des informations plus précises sur ce point. Bien qu’elle ne soit pas en mesure d’établir exactement l’espace par détenu dans les cellules en question tout au long de la période considérée, elle note que, même au dire du Gouvernement, par périodes l’espace par détenu était limité à 1,81 m2 dans la maison d’arrêt et à 2,36 m2 dans la prison centrale. La Cour tient compte aussi des constatations du Comité du Conseil de l’Europe pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (CPT), d’après lesquelles les cellules de la maison d’arrêt de Jõgeva et de la prison centrale de Tallinn étaient souvent surpeuplées. A partir de ces données, la Cour juge établi « au-delà de tout doute raisonnable » que le requérant a été détenu dans des conditions de surpeuplement durant une grande partie de sa détention provisoire.
La Cour prend aussi en considération le fait que le manque d’espace était aggravé par les restrictions à la liberté de mouvement en dehors des cellules, ainsi que la durée pendant laquelle le requérant a été détenu dans ces conditions et du mauvais état de l’équipement des centres de détention.
D’après le rapport de 1997 du CPT concernant la maison d’arrêt de Jõgeva et la prison centrale de Tallinn, les cellules de la maison d’arrêt étaient mal équipées, n’offraient que peu ou pas de lumière naturelle et la lumière artificielle ainsi que l’aération y faisaient « cruellement défaut ». La nourriture était nettement insuffisante. Quant à la prison centrale - où le requérant passa la majeure partie de sa détention provisoire - le rapport souligne que l’hygiène y était insatisfaisante, l’équipement de la cellule en très mauvais état et sale, l’accès à la lumière naturelle limité et l’aération inappropriée. Le CPT qualifie les conditions des maisons d’arrêt de la police estonienne et de la prison centrale de Tallinn d’inhumaines et de dégradantes. A ce propos, la Cour prend acte de la déclaration du Gouvernement qui reconnaît que les conditions de détention n’étaient pas satisfaisantes pour des raisons économiques et que la prison centrale a été fermée en 2002, le bâtiment ayant été jugé impropre à servir de prison.
En outre, la Cour relève qu’on a diagnostiqué la tuberculose chez le requérant plus de deux ans après son placement en détention et qu’il est plus que probable qu’il a été contaminé pendant sa détention. Bien que ce fait n’implique pas en soi une violation de l’article 3 étant donné, en particulier, que le requérant a été soigné, la Cour le tient pour caractéristique des conditions d’ensemble de la détention du requérant.
Enfin, la Cour rappelle que le point de savoir si le traitement subi tendait à humilier ou rabaisser la victime est un élément à prendre en compte, mais que l’absence de pareille intention ne saurait exclure un constat de violation de l’article 3.
La Cour conclut que les conditions de la détention du requérant, en particulier le surpeuplement, la lumière et l’aération insuffisantes, la maigre nourriture, l’insalubrité et le délabrement de l’équipement des cellules, combinés avec l’état de santé du requérant et la durée de sa détention dans de pareilles conditions, ont soumis l’intéressé à une détresse et à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. En conséquence, il y a eu violation de l’article 3.
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Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).
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La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Elle se compose d’un nombre de juges égal à celui des Etats parties à la Convention. Siégeant à temps plein depuis le 1er novembre 1998, elle examine en chambres de 7 juges ou, exceptionnellement, en une Grande Chambre de 17 juges, la recevabilité et le fond des requêtes qui lui sont soumises. L’exécution de ses arrêts est surveillée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. La Cour fournit sur son site Internet des informations plus détaillées concernant son organisation et son activité.