L’état de santé durablement incompatible avec la détention et la suspension de peine ou le primat de la notion d’incompatibilité
Avec l’arrêt du 15 mars 2006, la chambre criminelle de la Cour de cassation établit une nette distinction entre les deux situations permettant, aux termes de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, l’octroi à une personne condamnée d’une suspension de peine pour raisons médicales.
La première situation est celle d’”une pathologie engageant le pronostic vital”. Dans cette hypothèse, la chambre criminelle de la Cour de cassation a analysé de façon restrictive le texte légal en affirmant, dans un arrêt du 28 septembre 2005, que le pronostic vital du condamné devait nécessairement être engagé, dans ce cas, “à court terme”. La seconde situation envisagée par le législateur de 2002, qui entendait faire prévaloir la dignité humaine, est celle d’”un état de santé durablement incompatible avec la détention”.
C’est dans cette hypothèse qu’intervient l’arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2006 qui affirme que l’article 720-1-1, alinéa 1er, du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 12 décembre 2005, permet d’ordonner la suspension de peine lorsque la pathologie dont est atteint le condamné rend son état de santé durablement incompatible avec la détention, même si cette pathologie n’engage pas à court terme le pronostic vital. Ce texte ne fixe, en effet, pour la chambre criminelle, aucune condition tenant à l’existence d’un risque pour la sécurité et l’ordre public.
En l’espèce, la cour d’appel avait accordé une suspension de peine pour raisons médicales à un condamné à une peine de réclusion criminelle à perpétuité pour complicité d’assassinat, aux motifs qu’il résultait de façon concordante des expertises diligentées que le demandeur était atteint d’une pathologie cardiaque, grave et évolutive, engageant le pronostic vital et rendant son état de santé durablement incompatible avec la détention. Le procureur général, demandeur au pourvoi, affirmait notamment, à l’appui de son pourvoi qu’en s ‘abstenant de rechercher si le pronostic vital était engagé à court terme, la cour d ‘appel avait violé l’article 720-1-1 du code pénal.
Cette décision, qui réitère l’impossibilité pour le juge de recourir à la notion de trouble à l’ordre public pour rejeter une suspension de peine, est la bienvenue car elle vient en outre clarifier un débat important sur l’esprit même de la loi du 4 mars 2002 qui ne concerne pas les seuls “mourants “mais a vocation à s’appliquer à tous les cas où la détention d’un condamné profondément handicapé, invalide, soumis à un traitement lourd, douloureux s’avère inacceptable au regard du respect de la dignité humaine, au sens conventionnel du terme. La notion “d’incompatibilité “ avec la détention reste encore à affiner, à débattre, notamment quant aux personnes âgées, de plus en plus fréquemment incarcérées dans les prisons françaises, ou encore celles souffrant de pathologies mentales. Mais l’arrêt du 15 mars 2006 nous éclaire sur l’application extensive qu’il convient de faire, selon la chambre criminelle, du texte légal, quant à la seconde situation envisagée par le législateur. La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, si elle précise qu’une suspension de peine médicale , ne peut être accordée en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction, ne modifie pas la loi en ce qui concerne l’hypothèse d’un état de santé durablement incompatible avec la détention. Nul doute que la Cour de cassation confirmera sa décision du 15 mars 2006, sauf revirement de sa part, pour des situations postérieures à la loi du 12 décembre 2005.
Délou Bouvier, magistrat,
Syndicat de la magistrature