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Suicides et morts suspectes

Condamnation de l’Etat français après le suicide d’un prévenu (commentaire de l’arrêt CEDH, 16 oct 2008, R c/ France)

CEDH, 16 octobre 2008, RENOLDE c/ France, requête n° 5608/05

Publication originale : 16 octobre 2008

Dernière modification : 15 août 2010

(Jurisprudence)

la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation par l’Etat français des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales après le suicide d’un prévenu souffrant de troubles mentaux et ayant fait l’objet d’une sanction de placement en quartier disciplinaire.

Texte de l'article :

Dans un arrêt rendu le 16 octobre 2008, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), chargée de faire respecter les dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv EDH) a condamné l’Etat Français pour violation des articles 2 et 3 de cette convention.

A la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, un prévenu placé en détention provisoire et souffrant de troubles psychiatriques avérés (il avait notamment commis plusieurs tentatives de suicide depuis le début de son incarcération) s’est suicidé alors qu’il avait été sanctionné par la commission disciplinaire de la prison à 45 jours de placement en quartier disciplinaire.

La CEDH a considéré que les circonstances de ce suicide constituaient une violation des article 2 et 3 de la Conv EDH par l’Etat français :

article 2 Conv EDH : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi  »
Selon les mots mêmes de la cour, cet article « astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction.  ». Ainsi, la CEDH considère que la particulière vulnérabilité d’une personne incarcérée, eu égard à son état psychologique, aurait dû conduire le personnel de la prison à contrôler la prise effective quotidienne de ses médicaments par le patient. Or dans cette affaire, les médicaments étaient distribués deux fois par semaine, à charge pour le patient de les prendre quotidiennement.

L’expertise toxicologique post-mortem a relevé l’absence de toute trace médicamenteuse dans le corps du défunt. De ces faits, la cour a conclu que l’article 2 de la Conv EDH consacrant le droit à la vie pour tous, avait été violé par l’Etat français.

article 3 Conv EDH : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
La sanction de 45 jours de placement en cellule disciplinaire est la sanction la plus dure qui puisse être prononcée par une commission de discipline pénitentiaire sur l’échelle des sanctions disciplinaires légalement prévues. La CEDH a rappelé a plusieurs reprises que les troubles psychiques dont souffrent une personne incarcérée la rendent vulnérable et doivent être pris en compte par la commission de discipline.

 Ici, le prononcé de la sanction maximale à l’égard d’une personne souffrant de troubles mentaux et à tendance suicidaire a été jugé par la cour comme provoquant une souffrance supplémentaire disproportionnée eu égard à celle inhérente à l’incarcération, donc d’un traitement inhumain et dégradant. La CEDH a donc condamné l’Etat français pour violation de l’article 3 de la Conv EDH interdisant la pratique de la torture ou de traitements inhumains ou dégradants.

CEDH, 16 octobre 2008, RENOLDE c/ France, requête no 5608/05