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Les contrôles pesant sur l’Administration Pénitentiaire

Création d’une commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises et ses perspectives d’évolution

Mise en ligne : 17 juillet 2004

Dernière modification : 10 août 2010

Texte de l'article :

N° 397

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 1er juillet 2004

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises et ses perspectives d’évolution.

Par M. Jean Louis MASSON,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Prisons.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Deux rapports de commission d’enquête ont été publiés en 2000 sur les conditions de détention et la situation dans les prisons françaises. Au Sénat, le rapport n° 449 de MM. HYEST et CABANEL était intitulé : « Prisons, une humiliation pour la République ». A l’Assemblée nationale, le rapport n° 2521 de MM. MERMAZ et FLOCH était intitulé : « La France face à ses prisons ». Ces deux rapports soulignaient les conditions carcérales extrêmement dégradées et notamment, une forte surpopulation des prisons.

Depuis lors, la politique pénitentiaire a tenté par divers moyens d’améliorer la situation dans les prisons, tant par le développement des solutions alternatives que par la décision de construction de nouveaux établissements, plus modernes. Un programme de construction de 13 200 places a ainsi été annoncé fin novembre 2002 par le garde des Sceaux, M. Dominique PERBEN. Ce programme avait été décidé dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 et sa réalisation s’échelonnera sur plusieurs années.

Il convient également de rappeler que députés et sénateurs ont désormais la possibilité de visiter les établissements pénitentiaires et peuvent ainsi participer à un contrôle externe de ces lieux, contrôle dont l’insuffisance avait été, elle aussi, stigmatisée par les rapports parlementaires (possibilité prévue par l’article 720-1-A du code de procédure pénale).

Force est cependant de constater que malgré les efforts déployés depuis 2000, la situation s’est plutôt encore dégradée. Ainsi, l’Observatoire international des prisons (OIP) a publié un rapport en octobre 2003 sur « les conditions de détention en France ». Il y dresse un état des lieux alarmant, en évoquant la promiscuité, les violences, les mauvais traitements ... Trois ans après le livre de Mme Véronique VASSEUR, médecin-chef de la prison de la Santé à Paris, qui avait suscité un vif débat sur les conditions de détentions dans notre pays, l’OIP constate que la vie en prison ne s’est globalement pas améliorée, voire s’est dégradée. « Tous les clignotants sont au rouge » a résumé l’association en présentant son rapport.

Selon différentes sources, le nombre de détenus serait passé de 33 714 en 1982 à 54 113 en 2002 et à 63 448 en juin 2004. Compte tenu du nombre de places dans les prisons (49 156), le taux d’occupation est donc de l’ordre de 130 %. Quelques autres chiffres sont également utiles pour mieux cerner les problèmes carcéraux : 3,7 % des détenus sont des femmes, 9 % des détenus ont entre 18 et 21 ans, plus de 20 % des détenus sont des étrangers. Les prévenus sont 22 313 en juin 2004, soit 35 % des effectifs des prisons. Enfin, au total, on dénombre en métropole et outre-mer 188 établissements pénitentiaires dont 118 maisons d’arrêt, 57 établissements pour peine, 13 centres de semi-liberté autonomes et un établissement public de santé nationale (Fresnes).

Face aux problèmes de la surpopulation carcérale, il convient cependant d’éviter tout amalgame. En particulier, une politisation du dossier serait déplacée car la situation actuelle est la résultante de l’action cumulée de tous les gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Ainsi par exemple, il était parfaitement concevable que la gauche bloque le programme de prisons à gestion privatisée qu’avait lancé le garde des Sceaux, Albin CHALANDON, en 1987 ; par contre, encore fallait-il alors mettre en place d’autres systèmes de financement des constructions, ce qui ne fut pas le cas.

On ne peut pas non plus prendre pour argent comptant les conclusions du SNEPAP-FSU, syndicat majoritaire parmi les travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire pour lequel « la surpopulation est d’abord la conséquence d’une politique répressive, avec comme corollaire la pénalisation de la misère ». Une analyse aussi idéologique crée en fait une confusion déplorable. D’une part, actuellement, les pouvoirs publics sont déterminés à réprimer la délinquance et à considérer la sécurité comme un droit fondamental pour tous ; cette option de « tolérance zéro » est très largement soutenue par les Français. D’autre part, les aléas de la condition carcérale sont incontestables, mais les améliorations ne passent pas obligatoirement par une attitude laxiste à l’égard de la délinquance.

La réponse du Gouvernement français (juin 2003) à un comité du Conseil de l’Europe (Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants) est d’ailleurs tout à fait significative : « Il convient de noter au préalable que le surpeuplement invoqué ne trouve pas sa source dans un excès de pénalisation des comportements délictuels et criminels, mais dans l’insuffisance du parc pénitentiaire français et son inadaptation à l’augmentation réelle de la délinquance que la France a subie au cours des dernières années. En font foi les dernières données statistiques connues du Conseil de l’Europe (SPACE 2002) relatives au taux de détention pour 100 000 habitants, qui même actualisées au 1er février 2004 montrent que la France, avec 60 536 détenus pour 61 684 300 habitants, présente un taux de détention de 98,1 pour 100 000 habitants et accueille donc, proportionnellement à sa population, beaucoup moins de détenus que nombre de pays européens occidentaux, tels que par exemple l’Italie, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre et le Pays de Galles dont les taux de détention sont tous supérieurs à 100 détenus pour 100 000 habitants et pour certains supérieurs à 130 détenus pour 100 000 habitants ».

Logiquement, la plupart des interventions actuelles dans le débat sur les prisons concernent les prisonniers. Toutefois, il ne faut pas négliger pour autant les difficultés que rencontre le personnel pénitentiaire qui se trouve au contact des détenus, dans des conditions souvent délicates. Un hommage tout particulier doit ainsi être rendu au dévouement des surveillants confrontés à des « missions quasi impossibles » et parfois au bord de l’épuisement professionnel.

La surpopulation carcérale se double en effet d’un sous-effectif au niveau du personnel et les conséquences en sont graves, tant sur les conditions de travail que sur l’insécurité, puisque par exemple en 2002, 534 agressions ont été dénombrées contre les agents pénitentiaires. Les effectifs des surveillants, leur formation, leur statut et l’organisation de leur carrière professionnelle sont donc des éléments à prendre en compte, tout autant que le nombre de places disponibles dans les prisons ou les solutions alternatives à la détention.

En fait, pour l’amélioration globale du système carcéral français, il n’y a pas de mesure idéale permettant de tout régler d’un seul coup. Les progrès viendront d’un effort et d’une volonté au jour le jour de toutes les parties prenantes. En ce sens, l’auteur de la présente résolution estime qu’une avancée incontestable pour la condition pénitentiaire aurait résulté des dispositions de la proposition de loi votée en 2001 par le Sénat (Proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au Contrôle général des prisons).

Il est donc regrettable que cette proposition n’ait malheureusement pas encore été inscrite par le Gouvernement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

La présente proposition de résolution vise donc la création d’une commission d’enquête devant à la fois examiner l’évolution des conditions de détention depuis 2000 et dresser un bilan de la situation actuelle avec ses perspectives d’amélioration pour l’avenir.

· S’agissant des aspects spécifiques des conditions de détention, la commission analysera, au regard de la situation des établissements pénitentiaires en 2000 et des différentes mesures préconisées par les institutions françaises ou européennes, quelles avancées ont été obtenues et quels obstacles ont été rencontrés.

· S’agissant de la surpopulation carcérale, la commission examinera l’articulation entre, d’une part, les objectifs légitimes de sécurité publique, et donc de dissuasion de la délinquance et, d’autre part, la gestion des flux pénitentiaires, tant par le développement de solutions alternatives à la prison que par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires.

· S’agissant du personnel pénitentiaire, la commission s’intéressera à l’évolution nécessaire des effectifs pour y établir des conditions de travail et de sécurité satisfaisantes, ainsi qu’à l’amélioration de la formation et de l’encadrement du personnel dans le but de concilier la surveillance proprement dite et avec les actions de réinsertion sociale des détenus.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Une commission d’enquête constituée de douze sénateurs est instituée en application de l’article 11 du Règlement du Sénat.

Cette commission sera chargée :

· d’analyser l’évolution de la condition pénitentiaire depuis les rapports d’enquête publiés en 2000 par l’Assemblée nationale et le Sénat ;

· d’examiner la gestion des flux pénitentiaires, dans une logique de réduction de la surpopulation carcérale, tant par le développement de solutions alternatives à la prison que par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires ;

· en ce qui concerne le personnel pénitentiaire, de recenser les mesures à prendre pour améliorer ses conditions de travail, de sécurité et de formation et pour que les effectifs globaux tiennent compte de la surveillance proprement dite et des actions de réinsertion sociale des détenus.