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Les étranger(e)s incarcéré(e)s en France

Directive “retour” : la Cour de Luxembourg met en cause la pénalisation de l’irrégularité entravant l’efficacité du droit de l’UE (CJUE, Première Chambre, 28 avril 2011, Hassen El Dridi, alias Soufi Karim)

La pénalisation du séjour irrégulier est contraire aux objectifs du droit de l’Union européenne

Mise en ligne : 5 mai 2011

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Texte de l'article :

29 avril 2011

Par Marie-Laure Basilien-Gainche

Voilà que la Cour de Justice de l’Union européenne se prononce pour la deuxième fois sur la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier(JO L 348 du 24/14/2008, pp. 98-107) (ci-après “directive retour“). Dans un arrêt rendu le jeudi 28 avril 2011, en procédure d’urgence, la Première Chambre est amenée à nouveau à interpréter l’article 15 la directive retour. Tout en s’inscrivant explicitement dans la lignée de la jurisprudence Kadzoev, la CJUE offre une appréhension plus générale du texte, en s’intéressant à d’autres de ses dispositions (article 16 sur les conditions de la rétention, article 7 sur le délai de départ volontaire), et en s’inquiétant avec insistance de ses objectifs.

La première fois, dans un arrêt Kadzoev rendu le 30 novembre 2009, la veille de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (CJUE, Grande Chambre, Said Shamilovich Kadzoev, C-357/09 PPU, Rec. p. I 11189 ; v. CPDH 28 janvier 2010), la Grande Chambre a fourni une interprétation de l’article 15 de ladite directive portant sur la durée de la détention (le droit français s’adonnant pour sa part à l’euphémisme en préférant pudiquement le terme de « rétention ») des migrants en situation irrégulière sous le coup d’une mesure de reconduite à la frontière.

Dans l’arrêt rendu ce 28 avril 2011, également en procédure d’urgence, la Première Chambre est amenée à nouveau à interpréter l’article 15 la directive “retour”. Tout en s’inscrivant explicitement dans la lignée de la jurisprudence Kadzoev, la CJUE offre une appréhension plus générale du texte, en s’intéressant à d’autres de ses dispositions (article 16 sur les conditions de la rétention, article 7 sur le délai de départ volontaire), et en s’inquiétant avec insistance de ses objectifs.

I - L’interprétation nécessaire d’une directive non transposée et entrée en vigueur

La période actuelle est d’ailleurs propice à cet exercice nécessaire. En effet, ce sont quelque 14 Etats (dont 12 membres de l’Union) qui n’ont pas encore notifié à la Commission les mesures de transposition de la directive retour qui devaient être adoptées, est-il besoin de le rappeler, au plus tard le 24 décembre 2010 (article 20 de la directive) : Islande, Liechtenstein, Danemark, Allemagne, Irlande, Chypre, Luxembourg, Autriche, Pologne, Roumanie, Slovénie, Royaume Uni, France, Italie (pour une liste mise à jour régulièrement de l’état de transposition de la directive retour).

Or, entre la date limite de transposition d’une directive de l’UE et la date d’entrée en vigueur du texte national en assurant la transposition, court une période durant laquelle « les particuliers sont fondés à invoquer contre cet État les dispositions de cette directive qui apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises » (point 46). A raison de l’effet direct de certaines dispositions de la directive “retour”, les contentieux devant les juges du fond, qui sont aussi les juges de droit commun de l’UE, peuvent donc être abondants et riches d’autant que les mesures prises à l’encontre des migrants en situation irrégulière sont nombreuses notamment en France dans le contexte actuel de satisfaction des objectifs chiffrés énoncés par le ministère de l’intérieur.

Tel est bien le cas en France où le premier trimestre 2011 a vu se développer des contentieux abondants et riches. Riches de cacophonie. Les incongruités et les incohérences se sont multipliées quant à l’invocabilité de certaines dispositions de la directive retour, essentiellement les articles 7 et 8 d’une part, et les articles 15 et 16 d’autre part (v. CPDH du 28 janvier 2011). Certes, le Conseil d’Etat a rendu un avis le 21 mars 2011 sur demande du tribunal de Montreuil qui a affirmé le caractère inconditionnel et précis de ces articles 7 et 8 de la directive retour (CE, avis du 21 mars 2011, MM. Jia et Thirio, n° s 345978 et 346612 ; ADL du 15 mars 2011 & Serge Slama, « L’invocabilité de la directive « retour » fait temporairement dérailler l’engrenage de la reconduite à la frontière », JCP A2011, n° 18, n°2173 - à paraître). Mais incongruités et incohérences n’ont pas pour autant cessé. En estimant que les dispositions considérées de la directive ne font pas obstacle à ce qu’une mesure de reconduite à la frontière soit prise à l’encontre d’un étranger « dès lors que cette mesure est assortie d’un délai de retour approprié à la situation de l’intéressé et supérieur à sept jours », le Conseil d’Etat a affirmé un effet direct descendant pourtant prohibé par la CJUE ! Celle-ci refuse en effet d’admettre qu’un Etat puisse appliquer aux particuliers les dispositions d’un directive non transposée (CJCE, 14 juin 1987, Pretore di Salo contre X., affaire 14/86, points 19 et 20). Pourtant, aucune des juridictions françaises n’a fait usage du dispositif permettant par excellence d’organiser le dialogue entre juges nationaux et communautaires, d’assurer une interprétation harmonieuse du droit de l’UE.

Remercions donc les juridictions italiennes en général, et la Cour d’appel de Trento en particulier, qui se montrent moins timorées voire moins rétives que nos juridictions françaises à poser des questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg. Remercions-les d’autant plus que celle-ci, au détour de son arrêt, affirme sans ambages que « les articles 15 et 16 de la directive 2008/115 […] sont inconditionnels et suffisamment précis pour ne pas nécessiter d’autres éléments particuliers pour permettre leur mise en œuvre par les États membres » (point 47). Voilà une affirmation qui vient à point nommé pour répondre à une question que les juges du fond français devaient se poser depuis plusieurs mois. Il est à noter de surcroît que la Cour d’appel de Trento a introduit une demande en question préjudicielle le 2 février 2011 sur l’interprétation des articles 15 et 16 de la directive la directive “retour”, en l’assortissant le 11 février 2011 d’une demande de procédure d’urgence en vertu de l’article 104 ter du règlement de procédure de la Cour, alors même qu’elle n’intervient pas en dernier ressort et qu’elle n’est donc pas contrainte par le droit de l’UE de saisir la CJUE.

Car la compatibilité de la législation italienne avec la directive “retour” est loin d’être évidente. L’affaire au principal vient mettre en lumière le problème. Hassen El Dridi est un ressortissant d’un pays tiers qui est entré illégalement sur le territoire italien, qui a fait l’objet d’une mesure d’expulsion prise par le préfet de Turin le 8 mai 2004, qui a été visé par un ordre d’éloignement du territoire national émis le 21 mai 2010 par le chef de la police de Udine en application du décret d’expulsion mentionné précédemment, qui est pourtant demeuré sur le sol italien comme en atteste le contrôle dont il a fait l’objet le 29 septembre 2010. En application du décret législatif n° 286/1998 du 25 juillet 1998 tel que modifié par la loi n° 94 du 15 juillet 2009 portant dispositions en matière de sécurité publique, Hassen El Dridi se trouve condamné à une peine d’un an d’emprisonnement pour le délit consistant à demeurer illégalement sur le territoire italien par le Tribunal de Trento, statuant à juge unique dans le cadre d’une procédure simplifiée. Saisie en appel, la Cour d’appel de Trento n’a pas manqué de se poser la question de la compatibilité de la législation italienne, comme l’y invitait l’avocat du requérant membre de l’Associazione per gli Studi Giuridici sull’Immigrazione AGSI.

En effet, l’article 14 § 5 ter du décret dans sa version actuelle prévoit une peine d’emprisonnement de un à quatre ans si l’expulsion ou le refoulement ont été décidés à la suite de l’entrée illégale sur le territoire national, introduisant donc une pénalisation du séjour irrégulier en Italie. Or, comme l’a mentionné Chiara Favilli, membre de l’AGSI et professeure de droit à l’Université de LUMSA Roma-Palermo, le 14 février 2011 lors de son intervention au Centre for Migration Law de l’Université Radboud de Nijmegen sur la transposition de la directive retour (« The Returns Directive : Central Themes, Problem Issues and Implementation »), le gouvernement italien semble avoir procédé à une telle pénalisation du séjour irrégulier afin de faire sortir les ressortissants d’Etats tiers en situation illégale du champ de l’application de la directive retour.

Mais la Cour de Justice ne se laisse pas jouer par l’argutie juridique du gouvernement italien. Certes, l’article 2 § 2 sous b) de la directive permet aux États membres de décider de ne pas appliquer le texte aux ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou provoquant leur retour ou faisant l’objet de procédures d’extradition. Mais la Cour de Justice estime que cette disposition n’est pas à considérer en l’espèce car la sanction pénale infligée à Hussein el Dridi découle d’un acte administratif. Sans détour, elle affirme au point 48 qu’ « une personne se trouvant dans la situation de M. El Dridi relève du champ d’application personnel de la directive 2008/115, cette dernière s’appliquant, aux termes de son article 2, paragraphe 1, aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre ». La formule volontairement générale établit le champ personnel d’application de la directive.

II - Les importantes conséquences du principe de coopération loyale

Pour traiter la question qui lui est soumise par la Cour d’appel de Trento, la Cour de Luxembourg va alors se placer, comme l’y invite la formulation de ladite question choisie par le juge italien, sur le terrain du principe de coopération loyale, citant d’ailleurs les paragraphes 2 et 3 de l’article 4 TUE : « les États membres, notamment, “prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union” et “s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union”, y compris ceux poursuivis par les directives » (point 56). La CJUE est claire : « lesdits États ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile » (point 55). Et de poursuivre en explicitant quelques conséquences d’un tel principe pour les Etats membres :ils doivent aménager leur législation y compris pénale afin de la rendre respectueuse du droit de l’Union (point 54) ; et ils doivent ne pas adopter de normes nationales qui seraient plus sévères que les dispositions énoncées par la directive dans le domaine régi par celle-ci (point 33).

Reste à savoir quels sont les objectifs de la directive retour. Les considérants du texte sont largement repris par la Cour qui en déduit que « la directive 2008/115 poursuit la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement fondée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux ainsi que de leur dignité » (point 31). Or, en vue de parvenir à un tel objectif, le texte prévoit certes le recours à des mesures coercitives, mais en le subordonnant au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité (point 57). Le juge de Luxembourg se livre donc à une démonstration tranchante : incarcérer des migrants en situation irrégulière n’est ni proportionné ni efficace eu égard à l’objectif poursuivi. En effet, une peine d’emprisonnement n’est pas efficace car elle ne peut que retarder voire empêcher d’exécution d’une décision de retour (point 59), et n’est pas proportionnée car elle ne répond pas à l’exigence de l’utilisation des mesures les moins coercitives possible (point 39).

La Cour ne s’arrête pas là. Elle développe l’argument de proportionnalité, en poursuivant l’analyse de la question de la détention entamée dans l’arrêt Kadzoev précité. Certes, le juge de Luxembourg rappelle les limitations posées à la durée de la rétention par les articles 15 et 16 de la directive, tels qu’interprétés par l’arrêt du 30 novembre 2009 (Marie-Laure Basilien-Gainche, « De la rétention des étrangers et de ses limites dans le temps - Réflexions sur la première interprétation par la CJCE de la directive retour », Revue du marché commun et de l’Union européenne, avril 2010, n°537, pp. 237-242), tout en renvoyant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH, G.C. 28 février 2008, Nassim Saadi c. Italie, Req. n° 37201/06, § 43 - ADL du 28 février 2008). La détention se trouve donc limitée dans le temps de manière absolue (durée maximale de 18 mois) et de manière relative (existence d’une perspective raisonnable d’éloignement).

Mais la Cour va plus loin en insistant sur le fait que la détention se trouve également encadrée quant à son emploi. Elle relève que « l’ordre de déroulement des étapes de la procédure de retour établie par la directive 2008/115 correspond à une gradation des mesures à prendre en vue de l’exécution de la décision de retour, gradation allant de la mesure qui laisse le plus de liberté à l’intéressé, à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire, à des mesures qui restreignent le plus celle-ci, à savoir la rétention dans un centre spécialisé, le respect du principe de proportionnalité devant être assuré au cours de toutes ces étapes » (point 41). Dès lors, le recours à une mesure de privation de liberté ne peut être envisagé « que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé » (point 39).

Dans sa lancée, le juge de l’Union en vient à s’attarder sur l’article 7 de la directive retour. Car son raisonnement, qui s’attache à démontrer la nécessité induite par la directive retour de respecter une gradation des mesures en vue de procéder aux éloignements, s’appuie aussi sur son interprétation du délai de départ volontaire qui n’est d’ailleurs pas prévu par le droit italien (point 51). Or, celle-ci mérite d’être relevée : « ce n’est que dans des circonstances particulières, telles que l’existence de risque de fuite, que les États membres peuvent, d’une part, imposer au destinataire d’une décision de retour l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé ou, d’autre part, prévoir un délai de départ volontaire inférieur à sept jours, voire s’abstenir d’accorder un tel délai » (point 37).

III - Des transpositions à venir sous contrôle

C’est donc sans surprise que la Cour en conclut que « la directive 2008/115, notamment ses articles 15 et 16, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui prévoit l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire de cet État dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié » (point 62). Et elle n’omet pas de rappeler à la juridiction de renvoi ses obligations en se référant à des arrêts majeurs affirmant le principe de primauté de manière générale (CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, Rec. p. 629) et de manière spécifique en matière de droit des étrangers (CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C 188/10 et C 189/10, non encore publié au Recueil, ADL du 22 juin 2010) : elle est « chargée d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union et d’en assurer le plein effet, de laisser inappliquée toute disposition du décret législatif n° 286/1998 contraire au résultat de la directive 2008/115, notamment l’article 14, paragraphe 5 ter, de ce décret législatif » (point 61). Et la Cour de rappeler au passage que « la juridiction de renvoi devra tenir dûment compte du principe de l’application rétroactive de la peine plus légère, lequel fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres » (point 61 encore). Permettons nous d’esquisser un sourire à lire la référence faite par la CJUE à l’arrêt du 3 mai 2005 rendue dans l’affaire Silvio Berlusconi et alii. (C 387/02, C 391/02 et C 403/02, Rec. p. I 3565). Une illustration juridique de l’arroseur arrosé.

Mais l’Italie n’est peut-être pas la seule à être mouillée. La France est passablement éclaboussée.

Car il est légitime de se demander si la procédure d’éloignement prévue par la législation française à venir ne diffère pas sensiblement de celle établie par la directive retour : des dispositions de la loi relative à l’immigration, l’intégration et la nationalité, dont va avoir à connaître une commission mixte paritaire, telles que celles qui prévoient des zones d’attente ad hoc, des restrictions à l’octroi d’un délai de départ volontaire, des mesures de rétention comme principe pour les migrants en situation irrégulière sous le coup d’une mesure de reconduite à la frontière, des limitations aux pouvoirs de l’autorité judiciaire, ne sont-elles pas incompatibles respectivement avec les articles 2, 7, 15, 9 de la directive retour (Marie-Laure Basilien-Gainche & Serge Slama , « Report on the implementation of Directive 2008/115/CE in France”, in CPDH, 24 février 2011) ?

Car il est inutile de se demander si l’infraction de séjour illégal prévue par la législation française (article L621-1 du CESEDA issu de l’ordonnance de 45-2658 du 2 novembre 1945 elle-même inspirée du décret-loi du 12 novembre 1938 sur la police des étrangers) n’est pas incompatible avec la directive retour. Incompatibilité il y a.

Les contentieux contre les mesures de reconduite à la frontière promettent donc, notamment en France, de rester abondants et riches.

CJUE, Première Chambre, 28 avril 2011, Hassen El Dridi, alias Soufi Karim, C-61/11 PPU - Actualités Droits-Libertés du 29 avril 2011 par Marie-Laure BASILIEN-GAINCHE (MCF en droit public à l’Université de Sorbonne Nouvelle - Paris 3)

Pour imprimer sélectionnez le texte ou ouvrir le PDF de la lettre ADL du 29 avril 2011

“Même la loi Besson, qui sera examinée le 5 mai par la commission mixte paritaire du parlement, devra probablement être revue ; elle prévoit en son article 73 une peine de trois ans de prison contre les personnes qui ne respecteraient pas leur obligation de quitter le territoire. « La décision de la Cour remet globalement en cause le système d’infraction au séjour, explique Serge Slama, maître de conférence en droit public à l’université Evry-Val d’Essonne. Le délit remonte aux décrets Dalladier de 1938. Cela ne veut pas dire que toute pénalisation est interdite, mais seulement en bout de chaîne, lorsqu’on a appliqué toutes les mesures prévues par la directive. »”

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Complément Serge Slama sur l’incidence sur le droit français

La “pénalisation” du droit des étrangers en France est ancienne. Des sanctions ont accompagné la quasi totalité des textes imposant des obligations aux étrangers depuis 1893. Elles ont été particulièrement développées à partir de 1917 lorsqu’a été instaurée la carte d’identité des étrangers puis dans les années trente. Le texte déterminant étant le décret-loi “Daladier” du 2 mai 1938 sur la police des étrangersdont les principes ont été repris dans l’ordonnance du 2 novembre 1945.

La décision de la Cour de justice, notamment ses considérants 55 à 58 qui nous reproduisons in extenso ci-après, met un sérieux coup de bambou aux dispositions de livre VI du CESEDA régissant les sanctions en cas d’entrée ou de séjour irrégulier

Soulignons les extraits importants de la décision :

55 En particulier, lesdits États ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile.56 En effet, aux termes respectivement des deuxième et troisième alinéas de l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres, notamment, « prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union » et « s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union », y compris ceux poursuivis par les directives.

57 S’agissant, plus spécifiquement, de la directive 2008/115, il y a lieu de rappeler que, aux termes de son treizième considérant, elle subordonne expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis.

58 Par conséquent, les États membres ne sauraient prévoir, en vue de remédier à l’échec des mesures coercitives adoptées pour procéder à l’éloignement forcé conformément à l’article 8, paragraphe 4, de ladite directive, une peine privative de liberté, telle que celle prévue à l’article 14, paragraphe 5 ter, du décret législatif n° 286/1998, pour le seul motif qu’un ressortissant d’un pays tiers continue, après qu’un ordre de quitter le territoire national lui a été notifié et que le délai imparti dans cet ordre a expiré, de se trouver présent de manière irrégulière sur le territoire d’un État membre, mais ils doivent poursuivre leurs efforts en vue de l’exécution de la décision de retour qui continue à produire ses effets.

59 En effet, une telle peine, en raison notamment de ses conditions et modalités d’application, risque de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par ladite directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. En particulier, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 42 de sa prise de position, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, est susceptible de faire échec à l’application des mesures visées à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/115 et de retarder l’exécution de la décision de retour.

60 Cela n’exclut pas la faculté pour les États membres d’adopter, dans le respect des principes de la directive 2008/115 et de son objectif, des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n’ont pas permis de parvenir à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière.

Ainsi, la seule irrégularité du séjour et la seule non exécution d’une mesure d’éloignement ne suffit par à justifier une peine privative de liberté car cela fait obstacle à l’effet utile de la directive “retour”.Or, en droit français, l’entrée, le séjour irrégulier et la non exécution d’une mesure d’éloignement sont pénalisées depuis fort longtemps.

Quels sont les textes dont l’unionité est mise en cause ?

D’abord de manière flagrante, dans le Chapitre Ier “Entrée et séjour irréguliers” du livre 6, la principale et plus ancienne disposition (v. initialement l’article 2 du décret du 2 mai 1938 puis articles 19 et s. de l’ordonnance de 1945 )

Article L621-1 CESEDA

“L’étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s’est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 Euros.

La juridiction pourra, en outre, interdire à l’étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L’interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l’expiration de la peine d’emprisonnement.”

Par contre coup cela pourrait aussi remettrre en cause le “délit de solidarité” de l’article L. 622-1 du CESEDA.

Dans le Chapitre IV sur la “Méconnaissance des mesures d’éloignement ou d’assignation à résidence”la plupart des dispositionssont fragilisées par la décision de la Cour de Luxembourg. Ainsil’article L624-1 sanctionne pénalement des comportements qui relèvent des articles 8 et 15 de la directive.

“Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l’exécution d’une mesure de refus d’entrée en France, d’un arrêté d’expulsion, d’une mesure de reconduite à la frontière ou d’une obligation de quitter le territoire français ou qui, expulsé ou ayant fait l’objet d’une interdiction du territoire ou d’un arrêté de reconduite à la frontière pris, moins d’un an auparavant, sur le fondement du 8° du II de l’article L. 511-1 et notifié à son destinataire après la publication de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, aura pénétré de nouveau sans autorisation en France, sera puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement.

La même peine sera applicable à tout étranger qui n’aura pas présenté à l’autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l’exécution de l’une des mesures mentionnées au premier alinéa ou qui, à défaut de ceux-ci, n’aura pas communiqué les renseignements permettant cette exécution ou aura communiqué des renseignements inexacts sur son identité.”

Et là aussi, par contre coup, cela remet en cause les ITF prononcées à la suite :

Article L624-2

“Le tribunal pourra, en outre, prononcer à l’encontre de l’étranger condamné l’interdiction du territoire pour une durée n’excédant pas dix ans.

L’interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite à la frontière de l’étranger condamné, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement.”

Enfin, notons, car ça ne manque pas de piquant, que l’article 73 du projet de loi“Besson”, qui a été adopté en termes conformes en première lecture par l’Assemblée et le Sénat, est aussi remis en cause. C’est bêta alors que la loi devrait être définitivement adoptée d’ici fin mai…

Article 73Le premier alinéa de l’article L. 624-1 du même code est ainsi rédigé :

« Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l’exécution d’une mesure de refus d’entrée en France, d’un arrêté d’expulsion, d’une mesure de reconduite à la frontière ou d’une obligation de quitter le territoire français ou qui, expulsé ou ayant fait l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire, d’une interdiction de retour sur le territoire français ou d’un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois ans auparavant en application de l’article L. 533-1, aura pénétré de nouveau sans autorisation en France, sera puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement.  »

On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas une “contrariété manifeste” à des dispositions inconditionnelles et précises d’une directive (la CJUE a reconnu ce caractère aux articles 7, 15 et 16 de la directive “retour”) qui justifierait une censure par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une saisine de l’article 61 de la Constitution comme dans Secteur de l’énergie (Cons. constit. 2006-543 DC).

Chaque année ce sont près de 100 000 procédures d’infraction à la législation des étrangers qui sont diligentées (v. 7ème rapport CICI, p.73) pour environ 5 000 condamnations. Les procédures d’ILE servent en effet à placer l’étranger en situation irrégulière en garde à vue, sous le contrôle du Parquet, mais elles aboutissent rarement à une comparution devant une juridiction pénale. Elle est en effet close lorsqu’est notifiée à l’étranger la mesure d’éloignement et l’arrêté de placement en rétention administrative.