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Etude préparatoire à l’avis de la CNCDH

Mise en ligne : 4 janvier 2004

Texte de l'article :

Etude préparatoire à l’avis de la CNCDH
Etat des lieux, lacunes et dysfonctionnements, propositions

Note de cadrage

Dans le cadre de son action visant à favoriser le respect des droits de l’homme dans les prisons françaises, la CNCDH entend contribuer à la réflexion sur les libertés fondamentales reconnues aux personnes détenues au regard des restrictions admissibles.
L’objet de l’étude est de dresser un état des lieux des limitations et empêchements actuellement constatés au sein de l’institution carcérale dans l’affectivité des droits fondamentaux et libertés individuelles, de décrire les lacunes et dysfonctionnements au regard des textes internationaux protecteurs des droits de l’homme, et enfin, d’établir des propositions qui pourront donner matière à un avis lors de l’assemblée plénière du 18 décembre 2003.

L’étude préparatoire et l’avis qui en découlera s’inscrivent dans la réflexion initiée par le premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, à l’issue de son rapport remis au garde des Sceaux en mars 2000 (Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires).

INTRODUCTION

Pour la rédaction du rapport préparatoire, il est proposé de partir des libertés fondamentales telles qu’énoncées dans :
- la Constitution du 3 juin 1958 et particulièrement dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ainsi que dans les protocoles additionnels
- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966
- la Convention internationale des droits de l’enfant, New York, 20 novembre 1989
- la Charte sociale européenne (révisée), Strasbourg, 3 mai 1996
- la Charte des droits fondamentaux, Union européenne, 7 décembre 2000 (Nice)
- les Règles pénitentiaires européennes de 1987
- les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme

Il s’agira de dresser la liste de ces libertés, de les classer par thèmes et, pour chacune, de vérifier quelle est la réalité carcérale, quelles sont les lacunes et dysfonctionnements qui s’y rencontrent. C’est à partir de cette analyse et de ces constats que pourront être émises des propositions.
L’idée qui traversera toute l’étude sera que les personnes placées sous main de justice doivent jouir de l’ensemble des droits fondamentaux dont bénéficient les citoyens libres au regard de ce qui est :
- matériellement possible au regard de la situation de réclusion
- compatible avec les nécessités de la sécurité des personnes et de la société (étude de la notion européenne de « limitations inhérentes à l’incarcération »
- Approche modernisée depuis trois ans).

Une seconde idée forte sera au cœur de cette étude. Pour chaque liberté, la nécessité de leur respect autant que possible, repose sur un double fondement. D’une part, le principe que le droit commun, et singulièrement les libertés fondamentales, doivent s’appliquer à tous, y compris aux détenus, ce qui est cohérent avec la mission qui est assignée à la Commission nationale consultatives des droits de l’homme. D’autre part, celle, forte, selon laquelle, seul le respect des droits fondamentaux des détenus sont de nature à assurer sa réinsertion, laquelle est autant une nécessité pour lui et les siens que pour la société toute entière. Non seulement le respect de ses droits et de sa dignité sont indispensables à sa restauration sociale, mais encore chaque droit pris individuellement comporte des conséquences concrètement positives en matière de réinsertion (par ex. : la criminologie a établi de longue date que les liens familiaux sont l’outil le plus pertinents de (re)socialisation). Ceci conduit à éviter l’effet de rupture que réalise l’incarcération en assurant, autant que possible, une continuité (avant/pendant/après l’incarcération). Ce qui, à son tour, conduit à la définition d’obligations positives pour l’administration, la justice, l’Etat.

Sans en reprendre le contenu, le rapport étudiera et partira des constats dressés par : 
- le rapport Canivet
- les rapports des commissions d’enquête parlementaires du Sénat et de l’Assemblée Nationale
- les travaux préparatoires à l’avant-projet de loi pénitentiaire et notamment la consultation réalisée par le ministère de la Justice auprès des personnels à cette occasion
- la recherche « Le droit de l’exécution des peines. Problèmes et enjeux d’une discipline juridique en formation » (M. Herzog-Evans et E. Péchillon), réalisée avec le soutien de la « Mission de recherche Droit et Justice »
- le rapport annuel 2003 de l’Observatoire international des prisons
- les rapports du Comité de prévention de la torture lors de ses visites en France

La méthode
- lecture de l’ensemble des documents officiels et des travaux sur le sujet
- auditions de personnalités ou experts (par ex. MM Canivet, Péchillon ...)

PROPOSITION DE PLAN DE L’ETUDE

Un premier préalable : l’état du droit

il s’agira de rappeler brièvement pourquoi ce droit présente tant de lacunes techniques et quelles en sont les conséquences majeures, notamment, l’inversion de la hiérarchie des normes qui se traduit par la prédominance des sources internes (circulaires, notes, règlements intérieurs, notes de service), souvent contra lagem.

La nécessité d’une réforme globale de l’exécution des peines apparaîtra, laquelle prendrait, idéalement, la forme d’une codification (partie législative comme réglementaire), incluant l’énoncé de principes directeurs et fondamentaux et couvrant tout le domaine concerné : droit pénitentiaire, application des peines, mais aussi mise à exécution des sentences pénales.

Un second préalable : la détermination des statuts

Plusieurs questions seront posées  :
- quel est le statut du détenu ? Ou plus exactement, quels sont selon les situations étudiées, les statuts auxquels il peut prétendre, sous réserve de « limitations inhérentes à l’incarcération » - terminologie de la Cour européenne des droits de l’homme) . ’
usager ? citoyen ? justiciable ? demandeur ? requérant ? défendeur ? titulaire d’un droit subjectif ?

- qui est le titulaire du droit en cause ? Dans un certain nombre de situations, le détenu n’est pas nécessairement le (le seul) titulaire d’un droit. Par exemple, en matière de maintien des liens familiaux, n’est-il pas plus pertinent de dire que les membres de la famille, et spécialement les enfants, sont les véritables titulaires ? (la notion de l’intérêt de l’enfant devant se situer au centre de l’analyse alors qu’elle est aujourd’hui totalement évincée).

Le domaine
- droit pénitentiaire
- droit de la mise à exécution des sentences pénales droit de l’application des peines

Les libertés fondamentales seront classées en 6 catégories. Après un bref rappel de leurs sources, et de leurs conséquences, elles seront confrontées aux réalités.

LES DROITS

Droit à la sécurité
- droit à la sécurité : placements en cellule, etc. (protection contre la violence),
- problème des soins (v. charte sociale européenne révisée) accès aux soins, continuité des soins, qualité des soins, problème des extractions à régler, maintien en détention de personnes qui ont besoin d’une assistance continue qui ne leur est fourni que par des codétenus volontaires, mais qui se voient refuser le bénéfice de la suspension médicale de peine ; problème de la longueur des procédures de suspension médicale de peine ...
- nécessité d’un contrôle extérieur
- exclusion des femmes enceintes, des vieillards, des mères incarcérées avec leur bébé, des malades, de toute sanction de cellule disciplinaire

Droit à la dignité et à l’intimité
- fouilles corporelles (nécessité d’en encadrer les causes, de limiter leur pratique à des surveillants habilités)
- condition de déroulement des parloirs (durée, réservation, préservation de l’intimité, aménagements pour les enfants, les couples, espaces fumeurs et non fumeurs, hygiène, etc.)
- condition de déroulement des douches (sécurité, salubrité, intimité, fréquence)
- sanitaires (salubrité, intimité)
- propreté (accès aux produits de nettoyage et de toilette en quantité suffisante, salubrité globale des locaux, lutte contre les parasites, insectes et autres... notion de droit à un espace privatif sans contrôle (rappel de la règle de l’encellulement individuel ; notion d’espace privatif quelques heures par jour en cellule ; notion d’espace privatif au parloir)
- droit à la sexualité (v. Charte des droits fondamentaux : droit de fonder une famille) : développement des permissions et UVF, des parloirs longue durée sans surveillance (v. aussi liens familiaux)

Droits civils
Droit civils au sens strict
- maintien des liens familiaux : qui est titulaire du droit ? (v. convention internationale des droits de l’enfant, charte européenne, principe civil interne d’intérêt de l’enfant)/comment le réaliser ? (v. not. la question de l’incarcération des mères de jeunes enfants (v. recommandations du Conseil de l’Europe), extension de l’article D 49-1, développements des mesures d’aménagement de peine, et not. des permissions, des visites, de leur durée, des UVF, de l’usage du téléphone ; v. aussi les problèmes de l’orientation et des transferts - faut-il poser le principe de la primauté du rapprochement familial ?)
- autorité parentale (principe du respect malgré l’incarcération. v. par ex. pour les mères en prison : autonomie décisionnelle, choix des méthodes d’accouchement, des méthodes éducatives, de l’alimentation ; abolition de la règle de la séparation à 18 mois /pères : maintien des visites et pouvoir décisionnel et d’information, etc.)
- la question de l’évolution des liens (v. Charte des droits fondamentaux : droit de fonder une famille) poser en règle que les liens familiaux ne doivent pas demeurer figés dans le temps (part. pour les longues peines). Le milieu d’origine peut être criminogène ou pathologique + dans la vie réelle les liens familiaux et amicaux évoluent. La création de nouveaux liens pose inévitablement à son tour la question du droit à la procréation.

Droit patrimoniaux
- maintien de la liberté contractuelle (gestion des biens, pouvoir décisionnel effectif, compte bancaire, etc. ?)
- respect du droit de propriété (biens au dedans ; biens au dehors)
- achats et échanges en prison : revoir les qualifications disciplinaires bannissant le troc, sous réserve de maintenir celles relatives à l’extorsion ou aux atteintes aux biens.

Droits au travail et à la formation
- droit au travail (v. notamment la charte européenne -. « Liberté professionnelle et droit de travaille ; liberté d’entreprise)
- droit à une juste rémunération (v. charte sociale européenne révisée) ? droit à un contrat de travail (lequel, quel contenu possible ?)
- droit à une protection sociale aussi proche que possible du droit commun droit à la sécurité et à l’hygiène (Charte sociale européenne révisée conditions de travail, contrôle...
- droit à la continuité de l’activité exercée antérieurement lorsque cela est matériellement possible
- droit à la création de sa propre activité (formation, écrivain public, langues, conseil juridique), en détention, sous réserve d’encadrer sa rémunération et son cadre juridique (il s’agirait aussi de moraliser des pratiques existantes)
- droit à la continuité de l’activité (d’une activité) lors de l’élargissement, ce qui pose à son tour la question du maintien des
• privations de droits
• incapacités professionnelles. notamment, l’obligation pour l’Etat de donner l’exemple en limitant le domaine de l’interdiction d’exercer une fonction publique, voire en fournissant des emplois réservés.
- droit à l’éducation et à la formation (v. notamment charte européenne)

Droits civiques
- droit d’association Droit syndical
- droit de représentation (Ceux-ci doivent et peuvent être aménagés. Ils permettraient en outre de lutter contre des formes de violence causées par l’impossibilité de revendiquer, de communiquer à propos d’injustices réelles ou ressenties.)
- droit de réunion
- droit politiques (pouvoir effectivement voter par ex.) Droit d’expression (publication, etc.)

Principe de légalité
- régularité de l’exécution des sentences pénales (détermination précise des organes compétents et des modalités de computation des peines ; organisation d’un contrôle du respect de ces règles).
- manquements endroit disciplinaire (qualifications ouvertes, de renvoi, textes mal rédigés ; problème des règlements intérieurs mal/pas assez complets/mal rédigés et surtout non communiqués aux détenus et aux avocats dans leur intégralité ; problème de leur trop grande variabilité sur le territoire national (inégalité devant la loi)
- manquements pour les sanctions quasi disciplinaires : transferts et isolement imposés, décisions relatives aux permis de visite - actuellement il n’existe aucune définition a priori des fautes pouvant entraîner ces sanctions ; aucune définition claire de la durée de ces sanctions)

Principe de proportionnalité des peines
Problème des cumuls de sanctions pour un même fait (pénal + application des peines + disciplinaire + quasi-disciplinaire)

Droits procéduraux
Défense
- article 6 CEDH et procédure disciplinaire : principe et conséquences. Il est clair qu’au regard du droit européen, l’article 6 est applicable. Pourtant, les juridictions administratives persistent à le nier avec diverses conséquences délétères.
- absence de quelque défense que ce soit dans les procédures quasi disciplinaires (isolement, etc.) malgré la loi du 12 avril 2000’
- application des peines et CAP (pas de défense ni même de comparution)
- application des peines et appel (pas de comparution)
- application des peines : problème de l’accès au dossier pour le détenu se défendant seul
- application des peines : limitation drastique depuis 2002, du domaine d’application du débat contradictoire
- application des peines : l’impossibilité de citer des témoins
- lacunes globales des procédures entourant l’exécution des peines restrictives de liberté

Recours
Principe du droit au recours
- pas de recours pour nombre de décisions faisant grief. isolement, transferts, placement préventif au QD
- application des peines : pas de recours du tout pour les décisions relatives aux obligations particulières
- application des peines : pas de recours du tout pour les décisions relatives aux mesures dites d’administration judiciaire (permissions de sortir, réductions de peine, autorisations de sortir sous escorte)

Principe du droit au double degré de juridiction
- article 733-1

Principe du droit à un examen par une juridiction suprême
- application des peines : pas de pourvoi en cas de libération conditionnelle longue peine et de suspension médicale de peine (parcours : JRLC/JNCL)