Introduction : Du milieu clos à la surveillance instantanée
L’immense émotion suscitée ces dernières années dans l’opinion publique par des affaires criminelles impliquant des individus récidivistes récemment sortis de prison, parfois encore placés sous main de justice, a ravivé dans notre pays un débat récurrent sur les mesures à prendre pour empêcher la survenance de tels événements.
C’est ainsi que le 4 mars 2004, la commission des lois de l’Assemblée nationale constituait une mission d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales. A la suite des travaux de cette mission parlementaire, la commission des lois déposait un rapport d’information le 7 juillet 2004.
Elle relevait que certains Etats proches de la France connaissaient dans leurs systèmes pénaux des mesures de sûreté pour les récidivistes ayant purgé leur peine, tel l’internement de sûreté prévu par le code pénal allemand, et rappelait que notre pays, qui a connu dans le passé des mesures de sûreté comme la relégation et la tutelle pénale, avait instauré en 1998 le suivi socio-judiciaire des délinquants et en 2004 le fichier judiciaire national des auteurs d’infractions sexuelles, qui comporte des mesures de sûreté.
Cette mission d’information parlementaire considérait que l’usage des mesures de sûreté pour les condamnés les plus dangereux devait être poursuivi et encouragé, notamment grâce au recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication.
A cet égard, elle préconisait d’engager " un vaste débat national " sur " la mise en œuvre du placement sous surveillance électronique mobile des criminels les plus dangereux ayant purgé leur peine ". Tout en soulignant que " cet instrument devrait contribuer à la réinsertion des personnes concernées en facilitant leur mobilité géographique tout en permettant aux services de contrôle de s’assurer, le cas échéant, de la localisation du condamné avec précision et rapidité ", elle estimait qu’à " la différence du placement électronique classique, qui est une alternative à l’incarcération tendant à s’assurer de la présence du condamné à son domicile à certaines heures déterminées, la surveillance électronique mobile relève davantage de la mesure de sûreté dont le but est de s’assurer, en cas de besoin, de la localisation géographique du condamné libre par l’intermédiaire de la technique du GPS ".
A la suite de ce rapport, la proposition de loi de Messieurs Pascal CLEMENT, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, et Gérard LEONARD, député de Meurthe-et-Moselle, déposée le 1er décembre 2004, visait notamment à permettre au tribunal de l’application des peines, saisi par le juge de l’application des peines avant la fin de la peine, de placer les personnes condamnées pour infractions de nature sexuelle sous surveillance électronique mobile à leur sortie de prison pour une durée pouvant aller jusqu’à 30 ans par périodes renouvelables de 5 ans pour les condamnés pour crime.
Elle proposait également d’inclure le placement sous surveillance électronique mobile parmi les mesures pouvant être prononcées dans le cadre de la peine de suivi socio-judiciaire.
Le rapport de la mission d’information parlementaire suscitait en outre l’intérêt du Gouvernement.
Dès le 6 juillet 2004, Monsieur Dominique PERBEN, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, entendu par la Commission des lois de l’Assemblée nationale dans le cadre de cette mission, déclarait que le Gouvernement était " disposé à engager le débat sur la proposition tendant à mettre en œuvre le placement sous surveillance électronique mobile des condamnés les plus dangereux grâce à la technologie du GPS ". A cette occasion, il précisait " qu’il conviendrait cependant de déterminer précisément s’il s’agit d’une mesure alternative à l’incarcération, d’une mesure d’aménagement de la peine ou d’une mesure de sûreté impliquant un suivi du condamné en milieu ouvert ".
Il ajoutait cependant que " cette proposition soulevait des difficultés matérielles considérables, qu’il s’agisse de la question des autorités compétentes pour assurer le suivi du condamné, de la gestion dudit suivi ou de son coût ".
C’est pour répondre à ce besoin d’étude et d’évaluation que, sur proposition du Garde des Sceaux, le Premier Ministre Monsieur Jean-Pierre RAFFARIN a voulu, par lettre du 3 janvier 2005, créer la présente mission de réflexion et de proposition autour du thème du placement sous surveillance électronique mobile des criminels les plus dangereux ayant purgé leur peine.
Les objectifs fixés par la lettre de mission du Premier ministre sont d’étudier notamment les questions suivantes :
- Détermination des personnes susceptibles de faire l’objet du placement sous surveillance électronique mobile,
- Définition d’une procédure juridique de ce placement et des modalités de son suivi,
- Etude de faisabilité et de la fiabilité du dispositif,
- Etude du fonctionnement des dispositifs analogues appliqués à l’étranger,
- Estimation des coûts de mise en œuvre d’un tel dispositif.
La mission s’est attachée à la réalisation d’une enquête sans parti pris, destinée à mieux connaître ce dispositif méconnu pour déterminer l’intérêt pratique qu’il pourrait présenter en terme de prévention de la récidive.
Partie de la problématique des criminels les plus dangereux ayant purgé leur peine, la mission est arrivée, au décours de ses auditions et de ses
déplacements à l’étranger, à la conclusion que, pour rendre véritablement compte du réel intérêt de cette technologie, son étude ne pouvait pas se restreindre à cette seule catégorie d’individus.
Sensible à la fois à l’espoir suscité par ce dispositif technique et aux craintes de dérive totalitaire qu’il inspire, la mission a en outre tenté de trouver un équilibre entre l’indispensable protection des victimes et la nécessaire garantie des libertés publiques.
Monsieur Antoine GARAPON, Magistrat et secrétaire général de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice, rappelle l’analyse du philosophe Michel FOUCAULT qui énonce que nous vivons dans des sociétés disciplinaires fondées sur l’enfermement de certaines catégories d’individus dans les prisons, les hôpitaux, les écoles, les usines, les casernes... Ces milieux clos sont destinés à stabiliser les citoyens et à rendre leur surveillance plus aisée.
Monsieur GARAPON cite encore le philosophe Gilles DELEUZE, qui expose que ce modèle de société est en crise, le paradigme du milieu clos ne correspondant plus au monde actuel qui est davantage tourné vers une prise en compte des individus dans le mouvement permanent qui les anime. Dès lors, à ce paradigme du milieu clos se substitue progressivement le paradigme du contrôle continu et de la communication instantanée. L’objectif du pouvoir de contrôle n’est plus comme le pouvoir disciplinaire d’imposer une stabilité mais de s’assurer de la traçabilité de l’individu.
Cette société de contrôle se caractérise par un atermoiement illimité où l’on n’en a jamais fini avec rien, qui a été décrit par Franz KAFKA dans " Le Procès ".
Néanmoins, au delà de cette critique bien connue, Monsieur GARAPON souligne que la surveillance électronique mobile est en adéquation avec notre temps dans la mesure où elle est davantage tournée vers une logique de prévention que de répression et vers la protection des victimes qui est une des évolutions les plus marquantes du droit pénal actuel.
Ainsi, Monsieur GARAPON préconise d’adopter une approche pragmatique de ce dispositif technique en s’attachant à l’économie sociale qu’il permet, tant pour la société que pour l’individu pris en tant que victime et en tant que condamné. Avec une telle approche de la question, il est possible, selon lui, d’accéder à une mesure qui se révèlera moralement et politiquement acceptable.
Effectivement, le placement sous surveillance électronique avec localisation par GPS, aussi appelée géo-localisation, s’inscrit dans un mouvement général de notre société, qui réclame toujours plus de sécurité par le renforcement de la surveillance. Il est à rapprocher notamment de la vidéo-surveillance qui se développe non seulement dans les lieux privés accueillant du public, tels que les banques et les supermarchés, mais également sur la voie publique à l’initiative des maires. Le passeport anthropométrique actuellement mis en place par les pays de la zone Schengen obéit également à cet objectif de sécurité et de surveillance.
Ces technologies font parfois l’objet d’un véritable engouement qui procède d’une confiance totale dans leur efficacité. Elles ont souvent été perçues dans un premier temps comme autant de solutions miraculeuses et imparables aux problèmes d’insécurité, avant qu’une analyse plus fine ne mette dans un deuxième temps en évidence leurs limites.
Tel fut le cas de la vidéo-surveillance, dont on s’est rendu compte qu’elle
déplaçait les foyers de délinquance vers les zones non-surveillées et qu’elle ne remplaçait pas la présence de la police au cœur de la population.
La perception du placement sous surveillance électronique mobile n’a pas échappé à cette tendance.
Face à des individus d’une dangerosité exceptionnelle, que l’on a quelquefois qualifiés de prédateurs, notre société se sent impuissante. L’allongement de la durée des peines prononcées par les cours d’assises et l’augmentation du nombre de condamnations à perpétuité enregistrée en 20 ans, qui obéit à une volonté d’écarter définitivement de tels individus de la société, participent peut-être de ce sentiment d’impuissance.
Dans ce contexte, la mise au point du placement sous surveillance électronique mobile fait naître l’espoir d’une solution technique qui permette à la société de réintroduire en son sein ses éléments les plus incontrôlables.
De ce point de vue et par rapport au système carcéral, le placement sous surveillance électronique mobile présente l’originalité et le paradoxe de promettre plus de sécurité pour la société et plus de liberté pour les condamnés.
Toutefois, cette liberté de mouvement est retrouvée au prix d’une perte d’autonomie et d’intimité. Il s’agit d’un deuxième paradoxe.
Au terme d’un cheminement qui a permis de rectifier de nombreuses idées fausses véhiculées sur le placement sous surveillance électronique mobile, la mission s’est orientée vers une approche plus pragmatique de ce dispositif, loin de l’utopie de la solution idéale et de la crainte de " Big Brother ".
En effet, confrontée à l’épreuve de la pratique à l’occasion de ses observations étrangères, qui ont démontré que le placement sous surveillance électronique mobile n’était pas la panacée, la mission a été conduite à lui assigner des objectifs plus réalistes.
Dans le même temps, la mission a découvert que ce dispositif, qui constitue non seulement un instrument de surveillance mais également un auxiliaire de réinsertion et de réadaptation, offrait des perspectives d’utilisation plus riches et plus diversifiées que celles qui avaient été avancées jusqu’ici.
Le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) est un nouvel outil de politique pénale (1). Il bénéficie de l’expérience acquise dans le cadre de la mise en œuvre du bracelet électronique statique (1.1) et offre de nouvelles et multiples perspectives qui ont été mises en lumière par les expériences déjà réalisées dans certains pays étrangers (1.2).
Pour autant, le PSEM doit s’inscrire dans un cadre résolument judiciaire (2), seul à même de prendre en compte les contraintes juridiques et pratiques inhérentes à son caractère pénal (2.1) et d’offrir les garanties procédurales et l’encadrement humain nécessaires (2.2).
A l’issue de sa réflexion, la mission a été amenée, conformément aux souhaits du Premier ministre, à formuler des propositions sur les personnes susceptibles de faire l’objet de ce placement, sur sa procédure juridique et sur les modalités de son suivi (3).