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Il faut des bureaux de vote dans les prisons

Mise en ligne : 7 septembre 2007

Dernière modification : 9 août 2010

Texte de l'article :

Le fait d’être détenu ne prive pas du droit de vote. Evident, mon cher Watson ! Mais non, pas évident du tout : à l’occasion des élections présidentielles de 2007, alors que près de 63.000 personnes étaient incarcérées, celles ayant pu exercer leur droit de vote ont été de 2370 au premier tour et de 2.700 au second. Ce chiffre n’était que de 500 à l’occasion du référendum de 2005. S’il faut tenir compte des personnes de nationalité étrangère et de celles déchues de leurs droits civiques, il reste tout de même de la marge.

Qu’en est-il en droit ? Dans la pratique, coexistent deux régimes selon que la condamnation soit antérieure ou non au 1er mars 1994, qui a été la date de publication du nouveau code pénal.

D’un droit de vote d’exception...

Le système ancien était brutal. Pour les condamnations antérieures, l’incapacité électorale demeure si elle a été expressément prononcée par la juridiction de condamnation, dans les cas où la loi prévoyait cette faculté pour le juge, et qui étaient très nombreux. Mais elle continue de jouer aussi, même si elle n’a pas été prononcée par la juridiction, lorsqu’il s’agit d’une condamnation pour crime, d’une condamnation à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement supérieure à un mois prononcée avec sursis pour certains délits dont la liste comprend des infractions telles que le vol, l’escroquerie, l’abus de confiance, les faux divers, les faux témoignages, le proxénétisme ou d’une condamnation pour tous autres délits, sauf imprudence, à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou plus de six mois avec sursis.

Depuis, le système a été rationalisé.

... à un droit de vote de principe

L’incapacité électorale doit résulter d’une condamnation privant expressément du droit de vote en application de l’article 131-26 du code pénal, ou entraînant automatiquement l’interdiction d’inscription sur les listes électorales prévue par l’article L. 7 du code électoral. C’est le cas pour des délits « ciblés », comme la corruption ou le favoritisme dans les marchés publics. Dans toute autre situation, la personne doit pouvoir voter.

La règle est le vote par procuration, comme le précise l’article L. 71 du code électoral : « Peuvent exercer, sur leur demande, leur droit de vote par procuration : ... c) Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n’entraînant pas une incapacité électorale ».

Une circulaire du ministère de l’Intérieur du 4 décembre 2006, portant les références INTA0600108C, intitulée « Instruction relative aux modalités d’exercice du droit de vote par procuration », précise la procédure :

« Les personnes incarcérées qui souhaitent voter par procuration doivent s’adresser au greffe de l’établissement pénitentiaire pour les formalités à accomplir. Il appartient ensuite à un officier de police judiciaire, ou à un de ses délégués, de se rendre à la prison pour établir la procuration. Afin de faciliter les déplacements des officiers de police judiciaire, les demandes des détenus doivent être préalablement rassemblées par l’établissement pénitentiaire.
« Le rôle des délégués des officiers de police judiciaire se limite, lors de leur déplacement auprès des électeurs incapables de se rendre eux-mêmes devant l’autorité habilitée, à constater l’existence physique du mandant et à remplir matériellement les rubriques du formulaire de procuration. Mais le pouvoir de décision demeure de la seule compétence de l’officier de police judiciaire déléguant. Celui-ci est donc seul habilité à signer le formulaire et à y apposer son cachet (CE 7 mars 1990, Elections municipales de Cahors). »

La loi est bonne, mais force est de constater que l’intendance n’a pas suivi.

Des urnes dans les prisons

Dans la pratique, les démarches sont d’une complexité repoussante, depuis l’inscription jusqu’au vote lui-même, presque toujours par procuration, et de façon exceptionnelle à l’occasion d’une permission de sortir. Or, la référence est le Pacte des Droits civils et politiques, signé dans le cadre de l’ONU le 16 décembre 1966, qui précise au b) de son article 25, que tout citoyen a le droit et la possibilité, sans discriminations et « sans restrictions déraisonnables » de « voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs. »

Alors à 2700 votants pour 63.000 détenus, en écartant les étrangers et les interdits de vote, il reste décalage qui semble bien être le fruit « de restrictions déraisonnables ».

L’excellent site Ban Public, http://prison.eu.org/ nous apprend que, pour la dernière élection présidentielle, l’administration pénitentiaire n’a saisi le ministère de l’Intérieur qu’au mois de février pour étudier la possibilité d’installer des bureaux de vote dans les prisons, alors que le 1er tour se tenait le 22 avril. Aussi un petit message : merci à toute personne en mesure de le faire, d’informer l’administration pénitentiaire qu’il y aura des élections municipales au mois de mars 2008.

Installer des centres d’inscritpion sur les listes électorales et des urnes dans dans les prisons n’est pas symbolique. C’est en enjeu majeur pour la démocratie et la prison républicaine. Et ne rien faire serait aussi un choix majeur.

Gilles Devers

Lien vers l’article http://www.avocats.fr/space/gilles.devers/content/il-faut-des-bureaux-de-vote-dans-les-prisons_ACF1C019-F234-4A71-9D4F-4C7FB0867436