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"La libération conditionnelle accordée par le ministre de la Justice" par Pierrette Poncela : n°1, 1999, Rev. sc. cr.

Mise en ligne : 29 avril 2003

Dernière modification : 9 août 2010

Texte de l'article :

Revue de Sciences Criminelles et Droit Pénal, n°1, 1999 (p.139-144)

CHRONIQUE DE L’EXECUTION DES PEINES

Le fait du prince :
la libération conditionnelle accordée
par le ministre de la Justice

Pierrette PONCELA
Maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre
Directeur du Centre de droit pénal et de criminologie

La libération conditionnelle, comme la plupart des institutions ou des catégories juridiques, n’est pas immuable. Elle ne disparaît pas, contrairement à ce qui s’est dit et écrit trop rapidement ces dernières années ; elle se transforme et doit continuer à le faire.
Le contre-exemple des Etats-Unis a trop souvent servi de référence. En effet, dès 1976, la Californie abolissait la libération conditionnelle. Puis une quinzaine d’Etats anglo-américains l’imitèrent. Pourtant en même temps, et cela a été rarement relevé, le Canada et le Québec ont suivi une toute autre voie et ont renforcé la libération conditionnelle. Les Pays-Bas la rendirent obligatoire et la Belgique vient de modifier profondément son régime juridique.
De plus, la politique d’abolition, quand elle existe, n’est et ne peut être qu’une façade, car elle est intenable face à la réalité pénitentiaire quotidienne. Aucun directeur d’établissement ne peut raisonnablement approuver une telle politique. C’est ainsi que, même aux Etats-Unis, la plupart des Etats " abolitionnistes " ont été contraints de réintroduire la libération conditionnelle de façon détournée, en autorisant la direction de l’établissement à utiliser son pouvoir discrétionnaire de libération temporaire de façon de plus en plus permanente. Une recherche a pu établir que l’Etat du Minnesota libère plus rapidement depuis que la libération conditionnelle a été abolie ; le tiers de la peine est exécuté en moyenne.

En France, depuis plusieurs années déjà, nous remarquons une diminution du nombre des libérations conditionnelles accordées chaque année, qu’il s’agisse de celles relevant de la compétence des juges de l’application des peines, ou de celles décidées par le garde des Sceaux. Les explications les plus courantes qui en sont données se réfèrent à la fois au contexte économique et social peu propice à accueillir des demandeurs d’emploi en situation de particulière fragilité, et aux politiques pénales du moindre risque, dominantes actuellement. La solution de facilité que sont les réductions de peines et les grâces collectives est préférée à une individualisation, toujours incertaine dans ses conséquences et plus difficile dans son choix, que représente la libération conditionnelle.
Les derniers chiffres indiquent, pour l’année 1997, 5034 admissions à la libération conditionnelle prononcées par les juges de l’application des peines sur 35 329 détenus proposables, soit dans 14.2% des cas. La proportion, très faible, semble se stabiliser depuis 1993, année où la compétence des juges de l’application des peines s’est étendue à toutes les peines d’emprisonnement égales ou inférieures à cinq ans. Mais la baisse est beaucoup plus sensible s’agissant des libérations conditionnelles accordées par le ministre de la Justice, et c’est à ces dernières que nous consacrerons notre chronique. Certes la baisse est alimentée en amont par les juges de l’application des peines qui transmettent moins de dossiers à la Chancellerie. D’ailleurs depuis plusieurs années, le Rapport annuel de l’Administration pénitentiaire (RAAP) ne publie plus le nombre de proposables à la libération conditionnelle relevant de la compétence ministérielle. En 1997, 562 dossiers ont été adressés à la Chancellerie par les juges de l’application des peines, et 170 arrêtés d’admission ont été pris, soit une chute sensible par rapport aux années précédentes.
Le pouvoir ministériel en matière de libération conditionnelle est l’une des lignes de transformation de cette mesure sur le cours de laquelle il convient de s’interroger pour éviter une dérive préjudiciable à bien des égards.
Il s’agit d’une compétence quasi résiduelle en matière d’exécution et d’application des peines. En effet, rares sont les mesures à relever du pouvoir ministériel. Tout juste peut-on mentionner les transfèrements de caractère administratif (art. D 300, c. pr. pén.), sauf à réserver la compétence du directeur régional, à l’intérieur de sa région pénitentiaire, quand les peines restant à subir sont courtes. Quant aux grâces, bien qu’instruites par les services de la Direction des affaires criminelles et des grâces, elles relèvent du pouvoir traditionnel et constitutionnel du chef de l’Etat. La question des grâces collectives, véritable pratique ministérielle sans support légal véritable, demanderait des développements qui ne peuvent trouver place ici. La doctrine la plus avisée en matière d’exécution des peines a, depuis longtemps, opté pour la suppression du pouvoir ministériel.
Cette situation ne laisse de surprendre. D’autant que le garde des Sceaux exerce son pouvoir de manière arbitraire, selon une procédure dont la lenteur est pour le moins déraisonnable. A cela s’ajoute une grande incertitude sur les voies de recours, conduisant à souhaiter la disparition de cette compétence résiduelle.

1. Un pouvoir arbitraire

Le code de procédure pénale pose des conditions générales, mais précises, pour l’octroi de la libération conditionnelle. Les unes tiennent à la durée de la peine exécutée à compter de la date d’écrou, les autres se résument en un critère général d’appréciation de la situation du condamné.
En premier lieu, la durée de la peine accomplie est prise en considération : la moitié de la peine ou les deux tiers pour les condamnés en état de récidive légale ou quinze ans pour les condamnés à une réclusion criminelle à perpétuité commuée (art. 729, al.2 et 3, c. pr. pén.). Ces durées minimales peuvent être plus longues en présence de périodes de sûreté les excédant.
Or, les reliquats de peine au jour de l’admission à la libération conditionnelle sont de moins en moins importants. Dans 46 % des cas, ils sont de un à deux ans. 64,7 % des condamnés admis à la libération conditionnelle ont purgé plus des trois quarts de leur peine. La situation est telle que l’on peut lire dans le dernier RAAP : " Certains détenus, comptant sur les réductions de peine, préfèrent attendre la fni de peine et sortir en milieu libre sans contrainte " (p. 83).
En second lieu, un critère large, mais cependant unique est fixé pour l’appréciation de la situation concrète de chaque condamné. Ce dernier doit présenter. des " gages sérieux de réadaptation sociale " (art. 729, al. 1, c. pr. pén.). Il s’agit du seul critère légal depuis la loi du 29 septembre 1972. En réalité, cette modification n’a pas, de facto, fait disparaître la prise en compte de la " bonne conduite " du détenu, mais elle a entraîné la fourniture obligée de deux certificats, l’un d’hébergement, l’ autre de travail.
Quoi qu’il en soit, le ministre, après l’instruction du dossier et l’avis donné par le comité consultatif de libération conditionnelle, n’a pas l’obligation de motiver son refus. Les considérations les plus diverses semblent entrer en ligne de compte : réprobation sociale de l’infraction commise (viols, agressions sexuelles sur mineur), politique pénale ciblée (trafic de stupéfiants), affaire " médiatisée ", etc.
Le délai pour pouvoir présenter une demande autant que le strict critère légal ne sont donc pas respectés. Cette situation est parfois justifiée par le fait que la libération conditionnelle n’est pas un droit. Et si précisément il s’agissait là d’un défaut à corriger ?
En effet, il conviendrait peut-être de faire de la libération conditionnelle une modalité normale et automatique de l’exécution de toute peine d’emprisonnement. Cette sorte de droit à la libération conditionnelle existe dans plusieurs législations étrangères, le plus souvent sous la forme d’une " sélection négative ", c’est-à-dire que la libération conditionnelle est de droit, sauf contre-indications enfermées dans des limites légales. Cette proposition a été faite pour la France, notamment par l’Association. nationale des juges de l’application des peines (ANJAP). L’un de ses représentants a proposé que tous les condamnés soient libérés sous condition lorsqu’ils ont accompli les deux tiers de leur peine effective, sauf décision spéciale du juge de l’application des peines constatant l’inadaptation de la mesure à tel condamné. Ajoutons qu’il faudrait alors que la décision du juge de l’application des peines soit spécialement motivée et susceptible d’un recours formé par le condamné.
En l’état, l’arbitraire qui préside à la décision finale du ministre est renforcée par la longueur de la procédure.

2. Une procédure déraisonnablement lente

Ce n’est qu’après une instruction du dossier au niveau local, par la commission d’application des peines, que la proposition du juge de l’application des peines est transmise à la Chancellerie.
Nous ne disposons d’aucun chiffre officiel sur les délais d’instruction d’un dossier de libération conditionnelle. Tout juste est-il relevé " la longueur du processus de décision ", par les divers bureaux du ministère, contribuant à la raréfaction de la mesure. En fait ; les délais d’instruction dépassent souvent une année, émaillés fréquemment d’ajournements.
Pourtant, une obligation légale d’examen annuel de la situation de chaque condamné est posée, dès lors que les conditions de délai pour être proposable sont remplies (art. 730, al.4, c. pr. pén.). Comme nous l’avons déjà soutenu, il en résulte un véritable droit à l’examen du dossier, " au moins une fois par an " dit le texte.
L’examen annuel du dossier du détenu libérable conditionnellement suppose que la décision sur la demande formulée intervienne dans l’année qui suit. Il s’agit d’un délai raisonnable et maximal. En effet, en matière d’exécution des peines, des délais précis, souvent brefs, devraient être fixés par les textes, compte tenu du poids particulier de la temporalité et des conditions matérielles et psychologiques spécifiques au contexte carcéral, ainsi que pour remédier aux faibles possibilités de recours juridictionnels, dont la longueur est, de toute façon, souvent inadaptée à la situation.
Pourtant, les délais d’instruction des dossiers à la Chancellerie dépassent assez souvent largement une année. La seule limite textuelle, ténue et peu contraignante, se trouve dans la circulaire d’application, laquelle précise que la décision du ministre ne saurait être ajournée sans qu’un délai soit déterminé à l’avance et porté à la connaissance de l’intéressé (art. C 898).
La réforme de 1993 avait autorisé à penser que les délais seraient réduits par la baisse du nombre de dossiers à examiner. Il n’en a rien été. Une circulaire du 25 mars 1993 s’en inquiétait déjà, précisant que " la finalité même de la libération conditionnelle impose de réduire les délais actuellement constatés pour les prises de décision ". Elle recommandait aussi que l’instruction complète des dossiers soit effectuée au niveau local et que les avis des membres de la commission de l’application des peines soient motivés. Cette préoccupation était justifiée par l’éventualité d’un recours, puisqu’en effet la proposition de libération conditionnelle entre dans les prévisions de l’article 733-1 du code de procédure pénale.
Décision non motivée, procédure à durée extensible, le pouvoir ministériel en matière de libération conditionnelle s’apparente en fait à l’exercice d’un droit de grâce. La quasi-inexistence des voies de recours accentue, s’il en était besoin, le dévoiement de la mesure.

3. Des voies de recours trop incertaines

Le condamné dispose-t-il d’un recours à l’encontre des décisions prises lors de la procédure tendant à l’octroi d’une libération conditionnelle par le ministre de la Justice ?
Ces décisions entrent dans les prévisions de l’article 733-1-1° du code de procédure pénale, lequel vise " les décisions qui concernent l’une des mesures prévues par l’article 730 ". Ce n’est donc pas le condamné, mais le procureur de la République qui pourrait faire appel. La lecture du texte n’autorise aucune différence selon l’autorité qui a accordé ou refusé la libération conditionnelle, et concerne donc les décisions ministérielles. Les recours sont très rares, voire inexistants, et, jusqu’à présent, les procureurs de la République ont conçu leur rôle, non comme un contre-pouvoir à celui des juges de l’application des peines, mais comme une censure à l’encontre des décisions favorables au détenu. Le condamné se voit donc privé de tout recours en cas de refus de libération, le droit de former un pourvoi qu’il s’est vu octroyé, étant lié à l’appel préalable du procureur, totalement improbable dans ce cas.
Cependant, les juridictions administratives et judiciaires ont eu à connaître d’un recours formé par un condamné à l’encontre d’une décision ministérielle de révocation d’un arrêté de libération conditionnelle. Les décisions qui furent rendues constituent ce qu’il est convenu d’appeler la jurisprudence Korber, accueillie avec toutes les faveurs de la doctrine.
Alors que la question pouvait se poser s’agissant d’un arrêté ministériel et d’une décision n’entrant pas dans les prévisions de l’article 733-1 du code de procédure pénale, le Conseil d’Etat a clairement décliné sa compétence. Pour cela, il a repris la distinction devenue de principe faite par le Tribunal des conflits en 1960 et il a considéré que les décisions ministérielles en matière de libération conditionnelle touchaient " aux limites et à la nature. d’une peine ".
Par contre, la Chambre criminelle a reconnu la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire et a accepté le recours en relevant d’office l’applicabilité de l’article 710 du code de procédure pénale. Les chambres d’accusation, compétentes pour connaître des incidents d’exécution auxquels donnent lieu les arrêts de cours d’assises, sont donc valablement saisies sur le fondement de l’article 710, alinéa 2, du code de procédure pénale pour connaître de la régularité d’un arrêté de révocation de libération conditionnelle.
Il faut souhaiter que ce contrôle s’exerce le plus largement possible. Dans l’affaire Korber, il s’agissait d’un strict contrôle de légalité et la question juridique posée était simple ; il s’agissait de dire si le régime de libération conditionnelle s’était trouvé suspendu par et pendant l’exécution d’une nouvelle peine d’emprisonnement prononcée. Rien ne nous semble s’opposer à ce que le contrôle s’étende à l’exactitude des motivations portées par l’arrêté de révocation, et même à l’opportunité de la décision de révocation, notamment dans son étendue, puisqu’elle peut être totale ou partielle. Un recours en opportunité est d’ailleurs ce qui est prévu par l’article 733-l, du code de procédure pénale pour toutes les autres décisions intervenant en matière de libération conditionnelle.
Si louables que soient les efforts des juridictions pour faire avancer le droit de l’exécution des peines, face à l’inertie du législateur, on ne peut se satisfaire d’un tel régime. Pierre Couvrat avait déjà eu l’occasion de dénoncer " de telles contorsions jurisprudentielles... conséquence des incohérences législatives ". Cette sorte de bricolage judiciaire est peu conforme à l’exigence de qualité de la loi requise par la Cour européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire un droit qui soit à la fois accessible, précis et prévisible pour le justiciable.
Il est temps de supprimer le pouvoir ministériel en matière de libération conditionnelle, pouvoir dévoyé et anachronique.

4. Vers d’autres instances de décision

La Commission d’étude pour la prévention de la récidive des criminels, présidée par Marie-Elisabeth Cartier, avait relevé l’inadéquation de cette procédure aux objectifs poursuivis par la libération conditionnelle. La lenteur de la prise de la décision, l’absence de contradictoire, de motivation des arrêtés et de voies de recours légales, les points d’incompatibilité avec la CESDH avaient tour à tour été stigmatisés. La commission avait pourtant adopté une solution de compromis, en proposant la réduction du champ de compétence du ministre, lequel ne serait intervenu que pour les peines supérieures à dix ans d’emprisonnement.
Aujourd’hui, il faut être plus radical. Plusieurs solutions sont possibles ; nous en mentionnerons deux.
La première correspond à la tendance majoritaire de la doctrine en France ; il s’agit de la judiciarisation. Les juges de l’application des peines, ou le tant promis tribunal de l’exécution des peines, deviendraient compétents. Cette solution supposerait une amélioration notable des procédures d’instruction des dossiers, par l’imposition de la motivation des décisions et l’introduction d’une véritable procédure contradictoire.
La deuxième solution pourrait s’inspirer, par exemple, des récentes lois belges, des 5 et 18 mars 1998, relatives à la libération conditionnelle. Une commission de libération conditionnelle a été créée dans le ressort de chaque cour d’appel. Elle est présidée par un juge, désigné compte tenu de son expérience professionnelle utile et " par préférence titulaire d’un diplôme en criminologie ". Elle comprend en outre deux assesseurs, l’un compétent en matière d’exécution des peines, l’autre en matière de réinsertion sociale. Tous deux doivent posséder une expérience professionnelle utile au sein de l’Université, du barreau, d’un service du ministère de la Justice ou tout autre service agréé. Un membre du ministère public, entièrement détaché, est affecté à chaque commission ; il doit aussi être de préférence titulaire d’un diplôme de criminologie.
Quelles que soient les questions, propres au droit pénitentiaire belge, posées par la mise en oeuvre de ces dispositions, elles doivent nous conduire à réfléchir sur la sclérose de nos formations et sur le peu d’inventivité, voire l’inertie du ministère de la Justice dans les réformes urgentes à apporter au droit de l’exécution des peines.
La judiciarisation n’est pas la solution à tous les problèmes. Il est souhaitable que les personnels de l’administration pénitentiaire soient associés aux prises de décision pour les diverses mesures d’individualisation. Il serait bon que des personnes indépendantes statutairement de l’administration pénitentiaire, comme de la magistrature, aient un rôle à jouer. Enfin, les droits des détenus ne seront réellement respectés que lorsqu’un avocat pourra avoir libre accès au dossier du détenu et pourra l’assister lors des diverses prises de décision le concernant.
La libération conditionnelle est une bonne mesure d’individualisation des peines. Elle doit s’adapter à la réalité pénitentiaire et relever de l’appréciation de ceux qui sont en contact direct avec elle, autant que de ceux qui seront chargés de sa mise en oeuvre. Dans le cadre de cette transformation nécessaire, la libération conditionnelle doit cesser d’être le fait du prince, prince lent, frileux et lointain.