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La procédure de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime en matière pénale

Mise en ligne : 10 décembre 2010

Texte de l'article :

La procédure de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime en matière pénale

par Stéphanie Bendel-Vasseur, assistante de justice à la première présidence de la Cour de cassation. Bulletin d’information n° 731 du 15 novembre 2010

 

I. La récusation

La récusation est un incident soulevé par l’une des parties dans le but de faire écarter un juge qu’elle suspecte de partialité.

 

A. Le domaine de la récusation

1° Les titulaires du droit de récuser

Les titulaires du droit de récuser sont énumérés à l’article 669 du code de procédure pénale : il s’agit de la personne mise en examen, du prévenu, de l’accusé et de toute partie à l’instance.

Sont ainsi visées, d’une part, la personne poursuivie, quel que soit le stade de la procédure (instruction ou jugement), et, d’autre part, "toute partie à l’instance", cette expression incluant le ministère public, la partie civile, la personne civilement responsable, dès lors qu’elle est citée au procès ou y intervient volontairement, ou les parties intervenantes (ainsi en est-il de l’assureur en responsabilité de l’auteur d’une infraction d’homicide ou de blessures involontaires, de l’assureur de la victime lorsque le dommage peut être garanti par un contrat d’assurance, du fonds de garantie automobile, du fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions, de l’office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, des organismes de sécurité sociale, de l’Etat et de certaines collectivités ou personnes publiques sollicitant le remboursement des sommes versées à leurs agents victimes d’une infraction).

L’initiative de la récusation peut également émaner du juge lui-même. Il résulte de l’article 674 du code de procédure pénale que les juges ou conseillers visés à l’article 668 dudit code - c’est-à-dire ceux dont la récusation pourrait être demandée par la personne poursuivie ou par toute partie à l’instance - peuvent se récuser d’office dès lors qu’ils obtiennent l’autorisation du premier président de la cour d’appel, dont la décision est rendue après avis du procureur général.

En revanche, ne peuvent exercer la récusation les personnes qui n’ont pas qualité de partie au procès. Ainsi en est-il de la victime qui ne s’est pas constituée partie civile, du témoin ou du témoin assisté, la Cour de cassation retenant désormais que ce dernier n’est pas partie au procès (Crim., 13 novembre 2001, Bull. crim. 2001, n° 232 ; Crim., 21 juin 2005, Bull. crim. 2005 n° 181 ; Crim., 28 mars 2006, Bull. crim. 2006, n° 87).

2° Les personnes récusables

La récusation peut être dirigée à l’encontre de tout magistrat du siège, quel que soit le stade de la procédure. Les textes visent ainsi de manière générale "tout juge ou conseiller" (article 668 du code de procédure pénale) et, de manière plus particulière, afin de détailler la procédure applicable à chaque cas, "un juge d’instruction, un juge de police, un, plusieurs ou l’ensemble des juges du tribunal correctionnel, des conseillers de la cour d’appel ou de la cour d’assises" (article 669 du code de procédure pénale), le "premier président de la cour d’appel" (article 672 du code de procédure pénale) ou "un magistrat de la Cour de cassation, saisie en matière pénale", c’est-à-dire tant les conseillers que le président de la chambre criminelle (article 674-1 du code de procédure pénale).

L’article 669 du code de procédure pénale prévoit expressément que le juge d’instruction peut faire l’objet d’une récusation ; constituant à lui seul une juridiction, il peut également être visé par une requête en suspicion légitime (Crim., 20 juillet 1972, Bull. crim. 1972, n° 253 ; Crim., 2 juillet 1975, Bull. crim. 1975, n° 176 ; Crim., 4 mars 1998, Bull. crim. 1998, n° 86 ; Crim., 5 janvier 2005, Bull. crim. 2005, n° 10).

Tout membre permanent ou occasionnel d’une juridiction statuant en matière pénale peut être récusé : ainsi en est-il des assesseurs au tribunal pour enfants, des avocats ou avoués complétant occasionnellement la composition d’une juridiction de jugement en application des articles L. 212-4 et L. 312-3 du code de l’organisation judiciaire, des juges de la Cour de justice de la République, qu’ils soient membres de la commission d’instruction ou de la cour proprement dite, juges parlementaires ou magistrats de carrière (la récusation des membres de la Cour de justice de la République est expressément prévue à l’article 4 de la loi organique du 23 novembre 1993).

Les modalités spécifiques de récusation de certains intervenants au procès pénal sont régies par des textes particuliers, tels que les articles 344, 407 et 535 du code de procédure pénale pour les interprètes (en matière criminelle, délictuelle et contraventionnelle, le ministère public, l’accusé, le prévenu et la partie civile peuvent récuser l’interprète en motivant leur demande, la juridiction se prononçant sur cette récusation par une décision insusceptible de recours) ou les articles 297 à 301 du code de procédure pénale pour les jurés (à mesure que les noms des jurés sortent de l’urne, l’accusé ou son avocat peuvent récuser cinq jurés en premier ressort et six en appel, le ministère public, quatre en premier ressort et cinq en appel, sans devoir ni pouvoir exposer les motifs de leur récusation).

En revanche, "les magistrats du ministère public ne peuvent être récusés" (article 669, alinéa 2, du code de procédure pénale), compte tenu de leur qualité de partie principale au procès pénal. La Cour de cassation retient notamment "que le ministère public ne décidant pas du bien-fondé de l’accusation en matière pénale, le moyen pris de la partialité éventuelle de ce magistrat est inopérant" (Crim., 6 janvier 1998, Bull. crim. 1998, n° 1 ; Crim., 22 mai 2001, pourvoi n° 00-83.793 ; Crim., 22 janvier 2002, pourvoi n° 00-87.322 ; Crim., 1er septembre 2009, pourvoi n° 08-87.765).

De même les experts ne peuvent-ils être récusés en matière répressive, contrairement à ce qui est prévu en matière civile à l’article 234 du code de procédure civile. La chambre criminelle admet cependant que le défaut d’impartialité d’un expert pourrait constituer une cause de nullité de ses rapports, à condition que les reproches formulés soient suffisants pour "priver les rapports de cet expert dont la désignation est contestée du caractère d’avis techniques soumis à la contradiction et à l’appréciation ultérieure des juges" (Crim., 8 juin 2006, Bull. crim. 2006, n° 172 ; Crim., 26 septembre 2007, Bull. crim. 2007, n° 226).

3° Les causes de récusation

L’article 668 du code de procédure pénale énonce neuf causes de récusation.

La chambre criminelle de la Cour de cassation considère que ces causes sont "limitativement énumérées par l’article 668 du code de procédure pénale" (Crim., 22 novembre 2005, Bull. crim. 2005, n° 305). Elle n’en vérifie pas moins la conformité de la composition de la juridiction au regard de l’exigence d’impartialité posée à l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Crim., 18 décembre 2001, Bull. crim. 2001 n° 273 ; Crim., 12 octobre 2004, Bull. crim. 2004, n° 240 ; Crim., 15 février 2005, Bull. crim. 2005, n° 59), laquelle peut être invoquée indépendamment de la mise en oeuvre de la procédure de récusation (Crim., 6 janvier 2000, Bull. crim. 2000, n° 5 ; Crim., 23 mars 2004, Bull. crim. 2004, n° 76).

Cette solution s’apparente donc à celle rendue en matière civile, la Cour de cassation retenant que l’article 341 du code de procédure civile, "qui prévoit limitativement huit cas de récusation, n’épuise pas nécessairement l’exigence d’impartialité requise de toute juridiction" en vertu de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1re Civ., 28 avril 1998, Bull. 1998, I, n° 155 ; 2e Civ., 27 mai 2004, Bull. 2004, II, n° 245).

Les causes de récusation énumérées à l’article 668 du code de procédure pénale peuvent être regroupées en quatre catégories : la parenté ou l’alliance entre un juge et une partie, la communauté ou la contradiction d’intérêts entre un juge et une partie, la connaissance antérieure de la cause par le juge et la manifestation de partialité du juge.

a) La parenté ou l’alliance entre un juge et une partie

Cette catégorie comprend les cas visés par l’article 668 1° et 3°, à savoir ceux dans lesquels "le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin sont parents ou alliés de l’une des parties ou de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin jusqu’au degré de cousin issu de germain inclusivement", ou dans lesquels "le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin est parent ou allié, jusqu’au degré indiqué ci-dessus, du tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire d’une des parties ou d’un administrateur, directeur ou gérant d’une société, partie en cause".

Ce texte tend à éviter qu’un juge ne favorise sa famille ou celle de son conjoint, dont les membres seraient soit directement parties à l’instance, soit représentants ou conseils de la personne physique ou morale partie à l’instance. Pour l’application de ces dispositions, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité et le concubin ont été assimilés au conjoint.

La cause de récusation subsiste en cas de décès du conjoint, partenaire ou concubin du juge, de divorce, de rupture du pacte civil de solidarité ou de séparation, le degré de parenté pris en compte devenant cependant moindre (jusqu’au deuxième degré inclusivement).

b) La communauté ou la contradiction d’intérêts entre un juge et une partie

Cette catégorie comprend les cas visés par l’article 668 2°, 4°, 6°, 7° et 8°.

- Il peut tout d’abord s’agir de situations dans lesquelles le juge a intérêt à ce que l’une des parties gagne son procès.

Il peut en être ainsi lorsque le juge, directement ou par personne interposée, a un intérêt effectif dans le litige ; tel est le cas, visé par l’article 668 2°, dans lequel "le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, [ou]les personnes dont il est tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire, [ou]les sociétés ou associations à l’administration ou à la surveillance desquelles il participe ont intérêt dans la contestation".

Cet communauté d’intérêt peut également résulter d’une situation de dépendance vis-à-vis d’une des parties du juge ou de son conjoint ou de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin (article 668 4°).

Le juge peut également être tenté de donner raison à l’une des parties au procès afin d’obtenir une faveur de même ordre en retour ; tel est le risque lorsque "le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin ont un procès devant un tribunal où l’une des parties est juge" (article 668 7°).

Il peut enfin s’agir d’une communauté d’intérêt de nature intellectuelle. Ainsi en est-il lorsque "le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, leurs parents ou alliés en ligne directe ont un différend sur pareille question que celle débattue entre les parties" (article 668 8°) ; il est alors à craindre que le juge, influencé par la certitude de la justesse de sa propre cause ou de celle de ses proches, ne cherche à donner raison à la partie au procès qui développe une argumentation juridique similaire à la sienne.

- Au contraire, le juge peut avoir intérêt à ce qu’une partie perde son procès en raison d’une contrariété d’intérêt avec celle-ci.

Tel est le cas lorsqu’il "y a eu procès entre le juge, son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, leurs parents ou alliés en ligne directe, et l’une des parties, son conjoint, ou ses parents ou alliés dans la même ligne" (article 668 6°).

Cette contrariété d’intérêts passée, même si elle est ancienne et sans rapport avec le litige soumis au juge, peut en effet laisser craindre que ce dernier ait conservé une certaine animosité, de nature à altérer son impartialité, à l’encontre de celui qui fut son adversaire ou celui de ses proches.

Si l’existence d’un procès passé entre l’une des parties et le juge permet de demander la récusation de ce dernier, a fortiori le juge ne peut-il trancher un litige dans lequel il est impliqué. Au visa de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi retenu "qu’un magistrat visé par une plainte avec constitution de partie civile ne saurait statuer sur cette plainte sans faire naître un doute sur son impartialité" (Crim., 16 mai 2000, Bull. crim. 2000, n° 191).

c) La connaissance antérieure de la cause par le juge

La récusation peut également être demandée "si le juge a connu du procès comme magistrat, arbitre ou conseil, ou s’il a déposé comme témoin sur les faits du procès" (article 668 5°).

Cette cause de récusation, relative à l’impartialité objective du juge, tend à éviter qu’un juge ait une opinion préconçue de l’affaire, pour avoir précédemment pris partie sur le fond du litige.

Ce qui importe est le point de savoir si le juge a eu, lors de sa première intervention, à se prononcer sur le fond du litige, c’est-à-dire le plus souvent, en matière pénale, sur la culpabilité du prévenu ou de l’accusé. Ainsi, un conseiller ayant participé à l’arrêt de la chambre d’accusation qui a confirmé une ordonnance de refus d’informer rendue par un juge d’instruction ne peut, après cassation de cet arrêt, faire partie de la chambre d’accusation saisie de l’appel d’une ordonnance de non-lieu rendue dans la même procédure (Crim., 6 janvier 2000, Bull. crim. 2000, n° 5).

En revanche, en cas de renvoi d’une affaire à une autre session d’assises, le même magistrat peut présider les deux audiences, dès lors que la première cour d’assises n’a pris aucune décision impliquant l’appréciation de la culpabilité de l’accusé (Crim., 12 septembre 2007, Bull. crim. 2007, n° 201). De même, le magistrat qui a rendu une ordonnance déclarant irrecevable une requête en annulation de pièces de procédure peut faire partie de la chambre de l’instruction statuant sur une demande de publicité des débats (Crim., 16 février 2005, Bull. crim. 2005, n° 63). Rien ne s’oppose non plus à ce qu’un magistrat ayant rendu une décision relative à la garde d’un enfant puisse participer à la juridiction pénale statuant sur l’infraction constituée par l’inobservation des dispositions prévues par la décision civile (Crim., 19 avril 1983, Bull. crim. 1983, n° 110).

L’article 668 5° ne peut être invoqué qu’en cas d’identité de litige : le juge doit être intervenu dans la même cause, entre les mêmes parties. Il en résulte notamment que "les mêmes magistrats [peuvent]connaître de poursuites distinctes engagées par la même partie civile, pour des faits de même nature" (Crim., 12 octobre 2004, Bull. crim. 2004, n° 240).

Il se déduit du principe selon lequel un juge ne peut statuer dans un litige dont il a déjà connu"que ne peut participer au jugement d’une affaire un magistrat qui en a connu en qualité de représentant du ministère public" (Crim., 24 mai 2005, Bull. crim. 2005, n° 152). Encore faut-il qu’il soit intervenu personnellement dans cette affaire ; en effet, "si le principe d’indivisibilité du ministère public permet à chacun de ses membres d’agir au nom de tous, il ne saurait interdire au magistrat lui ayant appartenu de se prononcer comme juge sur une procédure dont il n’a jamais eu à connaître dans ses fonctions antérieures" (Crim., 5 septembre 1990, Bull. crim. 1990, n° 310). La règle est identique lorsque l’impartialité du juge est mise en cause en raison de l’appartenance de son conjoint au ministère public ; l’indivisibilité du ministère public ne peut aboutir à considérer que tous ses membres ont participé aux poursuites exercées par l’un d’entre eux, ce dont il résulte que l’impartialité d’un juge ne peut être contestée dès lors qu’il n’est pas établi que son conjoint est personnellement intervenu dans le déroulement de la procédure (Crim., 14 janvier 2003, Bull. crim. 2003, n° 6). En outre, l’interdiction pour un juge d’intervenir au parquet puis au siège ne vaut qu’au sein d’un même litige ; par conséquent un juge peut effectuer des actes de poursuites dans une première affaire puis instruire une seconde affaire mettant en cause les mêmes personnes, dès lors que les procédures successivement ouvertes portent sur des faits distincts (Crim., 20 février 2008, Bull. crim. 2008, n° 44).

Enfin la spécificité de certaines juridictions justifie que les juges puissent connaître à plusieurs reprises d’une même affaire. Ainsi a-t-il été jugé, à l’égard de la Cour de cassation, que "la spécificité du rôle de la Cour de cassation et la nature du contrôle qu’elle exerce sur la légalité des décisions ainsi que son contrôle juridique de l’appréciation des faits par les juges du fond ne font pas obstacle à ce que les mêmes magistrats composent la chambre criminelle lors de l’examen de pourvois successifs formés au cours de la même procédure" (Crim., 22 novembre 2005, Bull. crim. 2005, n° 305) ou, à l’égard de la commission de révision des condamnations pénales, "qu’aucune disposition légale ou conventionnelle ne fait obstacle à ce qu’un même magistrat puisse faire partie de la Commission appelée à connaître de requêtes successives tendant à la révision d’une même condamnation" (Crim., 15 février 2005, Bull. crim. 2005, n° 59).

Il convient cependant de préciser que, dans un arrêt rendu le 24 juin 2010 (aff. X... et Y... c/ France, requête n° 22349/06), la Cour européenne des droits de l’homme a considéré, à propos d’une affaire dans laquelle la chambre criminelle avait rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt d’une cour d’appel statuant après cassation, que le fait que sept des neuf conseillers ayant siégé au sein de la chambre criminelle avaient composé la formation qui s’était prononcée sur le premier pourvoi était de nature à susciter des doutes sur l’impartialité de la juridiction, dans la mesure où la Cour de cassation était conduite, à l’occasion des deux pourvois, à vérifier l’appréciation, par la cour d’appel, des éléments constitutifs de l’infraction.

d) La manifestation de partialité du juge

Enfin, la récusation peut être demandée "s’il y a eu entre le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin et une des parties toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son impartialité" (article 668 9°).

Il peut s’agir de manifestations tant d’hostilité que d’amitié à l’égard d’une partie.

 

B. La procédure de récusation

1° La juridiction compétente

La requête en récusation doit, sauf dans les cas particuliers ci-dessous énumérés, être présentée au premier président de la cour d’appel, et ce, à peine de nullité (article 669, alinéa premier, du code de procédure pénale). Est donc justifiée la décision d’une chambre de l’instruction de se déclarer incompétente pour connaître d’une demande tendant à la récusation de l’un des magistrats composant la juridiction (Crim., 7 mai 2003, pourvoi n° 03-80.947).

Dans l’hypothèse où la demande en récusation vise le premier président de la cour d’appel, la requête doit être adressée au premier président de la Cour de cassation (article 672 du code de procédure pénale).

L’article 674-1, issu de la loi du 3 juillet 1967, envisage le cas d’une demande de récusation dirigée contre un magistrat de la Cour de cassation saisie en matière pénale, c’est-à-dire d’un magistrat de la chambre criminelle. Il est seulement indiqué que la demande, qui doit être motivée, est déposée au greffe, le ministère d’un avocat n’étant pas obligatoire. Il se déduit cependant de cette rédaction que la requête en récusation est alors examinée par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim., 12 janvier 1994, Bull. crim. 1994, n° 20 ; Crim., 6 mars 2001, Bull. crim. 2001, n° 58).

Les modalités de la récusation des membres de la Cour de justice de la République sont prévues par l’article 4 de la loi organique du 23 novembre 1993. La récusation visant un membre de la commission d’instruction doit être adressée au premier président de la Cour de cassation. En revanche, lorsque la demande vise un juge de la Cour de justice de la République, qu’il soit parlementaire ou magistrat, la Cour statue elle-même, dès l’ouverture des débats, sur cette question.

2° La demande de récusation

a) Caractères de la demande

Contrairement à la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, qui vise une juridiction dans son ensemble, la demande de récusation ne tend à écarter que l’un des juges. Hormis l’hypothèse déjà évoquée où la juridiction est composée d’un seul juge, un grief à caractère individuel doit donc nécessairement être formulé par le biais d’une requête en récusation et ne peut servir de fondement à une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime. Ainsi, une requête par laquelle un inculpé soutient que le président de la chambre d’accusation aurait eu, à son égard, "des manifestations assez graves pour faire suspecter son impartialité", constitue "non pas une requête en suspicion légitime visant une juridiction, mais une requête en récusation entrant dans les prévisions de l’article 668 9° du code de procédure pénale et qui, selon les dispositions de l’article 669 du même code, doit être présentée à peine de nullité au premier président de la cour d’appel" (Crim., 25 novembre 1976, Bull. crim. 1976, n° 343).

Il est généralement admis que la récusation présente un caractère facultatif pour la partie titulaire de ce droit. Il en résulte notamment que la juridiction n’est pas tenue de relever d’office une cause de récusation dont elle aurait connaissance. Il en va cependant différemment lorsque cette cause de récusation constitue également un cas d’incompatibilité, la juridiction étant alors tenue de relever l’irrégularité de sa composition (Crim., 31 mai 1988, Bull. crim. 1988, n° 235).

Il se déduit également du caractère facultatif de la récusation que la partie qui s’est abstenue de demander la récusation d’un juge avant la clôture des débats a renoncé sans équivoque à s’en prévaloir et n’est pas recevable à mettre en cause devant la Cour de cassation l’impartialité de ce juge en invoquant une violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (assemblée plénière, 24 novembre 2000, Bull. 2000, Ass. plén., n° 10 ; assemblée plénière, 11 juin 2004, Bull. 2004, Ass. plén., n° 1 ; Crim., 29 septembre 2004, Bull. crim. 2004, n° 226 ; Crim., 22 février 2005, Bull. crim. 2005, n° 68).

b) Modalités de la demande

- La récusation de droit commun, présentée au premier président de la cour d’appel, n’est soumise à aucune condition particulière de dépôt. La requête doit désigner nommément le ou les magistrats récusés et contenir l’exposé des moyens invoqués, avec toutes les justifications utiles à l’appui de la demande (article 669 du code de procédure pénale). Lorsque la récusation de plusieurs magistrats est demandée, ceux-ci doivent être mis en cause individuellement, la cause de récusation spécifique à chacun d’entre eux devant être précisément énoncée. Ainsi en est-il notamment lorsque la récusation vise l’ensemble des magistrats d’une juridiction, sous peine de voir cette requête requalifiée en demande de renvoi pour cause de suspicion légitime et déclarée irrecevable pour ne pas avoir été soumise au juge compétent, à savoir la chambre criminelle de la Cour de cassation.

- L’article 672 du code de procédure pénale, relatif à la récusation visant le premier président de la cour d’appel, ne soumet la requête présentée au premier président de la Cour de cassation à aucune modalité spécifique de dépôt ou de forme. Il ne semble cependant pas faire de doute que l’exigence de motivation prévue à l’article 669 soit également applicable dans cette hypothèse.

- L’article 674-1 du code de procédure pénale prévoit que la demande en récusation d’un magistrat de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui doit être motivée, est déposée au greffe. Le ministère d’un avocat n’est pas obligatoire ; la demande peut donc être présentée par la partie elle-même, un avocat, un avocat aux Conseils ou tout mandataire muni d’un pouvoir spécial.

- L’article 4 de la loi organique du 23 novembre 1993 ne prévoit aucune formalité particulière quant à la requête en récusation présentée à la Cour de justice de la République. S’agissant des demandes de récusation des membres de la commission d’instruction, il est indiqué que le premier président de la Cour de cassation statue dans les formes prévues en matière correctionnelle.

c) Moment de la demande

Aux termes de l’article 669, alinéa 4, du code de procédure pénale, "la partie qui aura procédé volontairement devant une cour, un tribunal ou un juge d’instruction ne sera reçue à demander la récusation qu’à raison des circonstances survenues depuis, lorsqu’elles seront de nature à constituer une cause de récusation".

Il résulte de cette disposition qu’à peine d’irrecevabilité, la demande en récusation doit être présentée in limine litis lorsque les motifs de récusation sont antérieurs à l’ouverture du procès. Ce n’est que lorsque les circonstances de la récusation surviennent postérieurement que la requête pourra être présentée en cours de procès ; elle devra, en tous les cas, être déposée avant la clôture des débats (assemblée plénière, 24 novembre 2000 ; assemblée plénière, 11 juin 2004 ; Crim., 29 septembre 2004, précités).

3° Le déroulement de la procédure de récusation

a) L’effet de la demande de récusation sur l’instance pénale

Contrairement à ce qui est prévu en matière civile, la demande de récusation ne produit aucun effet automatique sur l’instance pénale. La requête en récusation ne dessaisit pas le magistrat dont la récusation est proposée (article 670, alinéa 2, du code de procédure pénale). Le procès ou l’instruction se poursuit normalement, sans tenir compte de la procédure en récusation. Cette règle tend à éviter l’utilisation de la récusation à des fins dilatoires.

Il n’est cependant pas interdit à la juridiction saisie de procéder au renvoi de l’affaire afin d’attendre l’issue de la procédure de récusation. De surcroît, il peut être décidé que la procédure de récusation aura un effet suspensif : le premier président peut, après avis du procureur général, ordonner qu’il sera sursis soit à la continuation de l’information ou des débats, soit au prononcé de la décision (article 670, alinéa 2, du code de procédure pénale).

Les règles ci-dessus énoncées valent également pour les demandes de récusation visant le premier président d’une cour d’appel, l’article 672 du code de procédure pénale renvoyant expressément aux dispositions de l’article 670 dudit code.

Il en est de même de la récusation des membres de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, le premier président de la Cour de cassation statuant dans les formes prévues en matière correctionnelle (article 4 de la loi organique du 23 novembre 1993). La question de l’effet suspensif de la demande de récusation visant un juge de la Cour de justice de la République est, quant à elle, sans objet, la Cour statuant sur cette demande dès l’ouverture des débats (article 4 de la loi organique du 23 novembre 1993).

En revanche, la demande de récusation visant un magistrat de la Cour de cassation produit un effet suspensif. En effet, l’article 674-2, alinéa 2, du code de procédure pénale renvoie aux règles de procédure civile prévoyant notamment que le magistrat doit, dès qu’il a communication de la demande, s’abstenir jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la récusation.

b) L’instruction de la demande de récusation

S’agissant d’une demande visant un juge ou un conseiller des juridictions du fond, le premier président de la cour d’appel notifie la requête en la forme administrative, c’est-à-dire sans formalité particulière, au président de la juridiction à laquelle appartient le magistrat dont la récusation est sollicitée (article 670, alinéa premier du code de procédure pénale). Le président de la juridiction notifie, dans les mêmes formes, la demande au magistrat concerné.

Le magistrat dont la récusation est demandée communique un mémoire, comprenant ses observations quant à la requête dirigée à son encontre, au premier président de la cour d’appel, par le biais du président de la juridiction ; ce dernier, même si les textes ne le prévoient pas expressément, pourra ainsi joindre à ce mémoire son propre avis sur les mérites de la requête.

Contrairement à ce qui est prévu en matière civile, le fait que le juge acquiesce à la demande de récusation ne met pas fin à cette procédure en entraînant le remplacement du juge. La procédure se poursuit, son issue dépendant de la seule décision du premier président de la cour d’appel.

L’auteur de la demande de récusation peut déposer, auprès du premier président de la cour d’appel, un mémoire complémentaire (article 671 du code de procédure pénale).

Bien que les textes ne le prévoient pas, rien ne semble s’opposer à ce que le premier président de la cour d’appel puisse prendre des mesures d’information complémentaire.

Après avoir reçu les observations du magistrat dont la récusation est demandé et, le cas échéant, le mémoire complémentaire du demandeur, le premier président de la cour d’appel prend l’avis du procureur général (article 671 du code de procédure pénale).

La procédure de récusation présente un caractère administratif, et non juridictionnel. Elle n’est pas soumise au respect du principe de la contradiction, aucune communication du mémoire du juge visé par la demande, de l’avis du procureur général ou des informations que pourraient recueillir le premier président de la cour d’appel n’étant imposée. De même, aucun débat oral n’est prévu.

La procédure de récusation visant un premier président de cour d’appel ou un membre de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République est identique à celle qui vient d’être décrite, si ce n’est qu’elle est portée devant le premier président de la Cour de cassation ; en effet, tant l’article 672 du code de procédure pénale que l’article 4 de la loi organique du 23 novembre 1993 renvoient aux règles décrites ci-dessus.

En revanche, s’agissant de la procédure de récusation visant un magistrat de la Cour de cassation, l’article 674-2 du code de procédure pénale renvoie essentiellement aux dispositions du code de procédure civile. Le greffe de la Cour de cassation, auprès duquel la requête a été déposée, communique celle-ci au magistrat visé (article 345 du code de procédure civile). Dans les huit jours de cette communication, le juge récusé fait connaître par écrit soit son acquiescement à la récusation, soit les motifs pour lesquels il s’y oppose (article 347 du code de procédure civile). S’il acquiesce, la procédure de récusation s’achève, le magistrat ne participant pas au jugement de l’affaire. S’il s’oppose à la récusation ou ne répond pas, la chambre criminelle de la Cour de cassation statue dans le mois du dépôt de la requête au greffe (article 674-2 du code de procédure pénale).

c) L’issue de la procédure

Le premier président de la cour d’appel ou de la Cour de cassation statue par une ordonnance qui produit effet de plein droit (article 671 du code de procédure pénale).

Si la requête en récusation est accueillie, le magistrat récusé doit être remplacé, en application des règles d’empêchement. S’il s’agit d’un juge d’instruction, le président du tribunal de grande instance désigne un autre juge conformément aux articles 83 et 84 du code de procédure pénale. S’il s’agit d’un juge des libertés et de la détention, il est procédé conformément à l’article 137-1 dudit code. S’il résulte de la récusation de plusieurs juges l’impossibilité de constituer une juridiction, la chambre criminelle de la Cour de cassation est saisie d’une demande de renvoi de l’affaire à une autre juridiction, en application de l’article 662 du code de procédure pénale.

Bien que le code de procédure pénale ne se prononce pas sur ce point, il semble que les actes accomplis par un juge d’instruction avant sa récusation demeurent valables. En revanche, lorsque les débats étaient pendants devant une juridiction de jugement, le remplacement du juge récusé implique la reprise des débats (article 592 du code de procédure pénale).

Si la requête en récusation échoue, l’instruction ou le jugement de l’affaire se poursuit avec le juge qui était visé par la requête.

L’ordonnance qui rejette la demande de récusation prononce, à l’encontre de son auteur, une amende civile de 75 à 750 euros (article 673 du code de procédure pénale). Si la demande visait un magistrat de la Cour de cassation, les dispositions du code de procédure civile sont alors applicables, l’amende devenant facultative, mais pouvant atteindre la somme de 3 000 euros. Ces dispositions visent à décourager les requêtes en récusation dilatoires ou manifestement abusives.

4° Les voies de recours

L’ordonnance du premier président de la cour d’appel statuant sur une demande de récusation n’est susceptible d’aucune voie de recours (article 671 du code de procédure pénale). Il en est de même de l’ordonnance rendue par le premier président de la Cour de cassation (article 672 dudit code). Les pourvois formés contre ces ordonnances sont, dès lors, voués à l’échec (Crim., 14 mars 2001, Bull. crim. 2001, n° 69 ; Crim., 14 mai 2002, pourvoi n° 01-87.156).

 

II. Le renvoi pour cause de suspicion légitime

Le renvoi pour cause de suspicion légitime est un incident de procédure permettant à une partie, à l’occasion d’une instance en cours, de demander le dessaisissement d’une juridiction dans son ensemble dont elle suspecte la partialité.

 

A. Le domaine du renvoi pour cause de suspicion légitime

1° Les titulaires du droit de demander un renvoi pour cause de suspicion légitime

L’article 662, alinéa 2, du code de procédure pénale énumère les personnes qui peuvent présenter une requête aux fins de renvoi pour cause de suspicion légitime : le procureur général près la Cour de cassation, le ministère public établi près la juridiction saisie ou les parties.

La notion de partie doit être entendue comme en matière de récusation et concerne donc la personne mise en examen, le prévenu, l’accusé, la partie civile, les parties intervenantes, mais non le plaignant qui ne s’est pas constitué partie civile, le témoin ou le témoin assisté.

2° Les juridictions concernées par la demande

Les juridictions qui peuvent être visées par une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime sont définies dans les termes les plus généraux par l’article 662, alinéa premier, du code de procédure pénale : "en matière criminelle, correctionnelle ou de police [...] toute juridiction d’instruction ou de jugement".

A peine d’irrecevabilité, la requête en suspicion légitime ne peut être formée qu’à l’encontre d’une juridiction effectivement saisie de la procédure (Crim., 16 mai 1967, Bull. crim. 1967, n° 155).

Il a été jugé que la Cour de cassation ne pouvait être visée par une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, la requête dirigée contre tous les magistrats de la chambre criminelle devant dès lors être déclarée irrecevable (Crim., 15 juin 1934,Bull. crim. 1934, n° 119). Malgré l’ancienneté de cette solution, celle-ci devrait être maintenue, une solution identique ayant depuis lors été adoptée en matière civile (cf. notamment 2e Civ., 20 mai 1992, Bull. 1992, II, n° 149 ; 2e Civ., 21 février 2002, Bull. 2002, II, n° 26).

La loi organique du 23 novembre 1993 prévoit une procédure de récusation des membres de la commission d’instruction et des juges de la Cour de justice de la République mais ne comporte aucune procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime, qui semble donc exclue pour cette juridiction. La Cour de cassation a jugé que la loi organique ne lui donnait pas compétence pour statuer sur une requête tendant, pour cause de suspicion légitime, au renvoi d’une procédure devant la Cour de justice de la République autrement composée (Crim., 24 février 1999, pourvoi n° 99-81.367).

La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime n’est pas non plus recevable contre le ministère public (Crim., 7 avril 1976, Bull. crim. 1976, n° 107 ; Crim., 27 janvier 1993, pourvoi n° 92-85.300).

3° Le fondement de la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime

A la différence de la procédure de récusation, aucune énumération des causes de renvoi n’est prévue en matière de suspicion légitime.

Le demandeur doit démontrer que des éléments objectifs sont de nature à faire naître un doute sur l’impartialité d’une juridiction dans son ensemble. La chambre criminelle fonde fréquemment ses décisions tant sur l’article 662 du code de procédure pénale que sur l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les critères pris en compte pour l’application de ces textes étant similaires.

Constituent ainsi des motifs de renvoi pour cause de suspicion légitime la circonstance qu’un juge d’instruction instruise une affaire dans laquelle il a déjà rendu une décision de refus d’informer injustifiée (Crim., 5 janvier 2005, Bull. crim. 2005, n° 10 ; Crim., 4 mars 1998, Bull. crim. 1998, n° 86), le fait que le plaignant soit membre du parquet du tribunal saisi de l’affaire (Crim., 30 novembre 1994, Bull. crim. 1994, n° 392), la circonstance qu’une plainte avec constitution de partie civile pour outrage soit instruite puis jugée par le tribunal auquel appartient le magistrat plaignant, lequel a été soutenu dans sa démarche par une motion de l’assemblée générale de ce tribunal (Crim., 3 novembre 1994, Bull. crim. 1994, n° 351) ou l’expression publique par un juge d’instruction de propos hostiles à l’égard d’une personne mise en examen (Crim., 21 août 1990, Bull. crim. 1990, n° 305). En outre, la connexité existant entre deux affaires, dont l’une a fait l’objet d’un renvoi à une autre juridiction pour cause de suspicion légitime, justifie à elle seule le renvoi de la seconde devant cette même juridiction (Crim., 3 novembre 1994, Bull. crim. 1994, n° 352).

En revanche, ne constituent pas des motifs de renvoi pour cause de suspicion légitime le fait qu’un juge d’instruction ait rendu une ordonnance visant à obtenir la mainlevée de l’immunité parlementaire de la personne dont il envisage la mise en examen (Crim., 10 juillet 1996, Bull. crim. 1996, n° 294), les conditions déloyales dans lesquelles l’action pénale aurait été exercée contre le demandeur lors d’une précédente poursuite, dès lors que les faits reprochés aux représentants du ministère public, à les supposer établis, sont étrangers à la conduite de l’action pénale concernant la procédure en cours (Crim., 20 mars 1996, Bull. crim. 1996, n° 124) ou la circonstance qu’une chambre civile d’une cour d’appel ait déjà statué, en matière disciplinaire, sur les faits soumis à une chambre de la même cour, statuant en matière pénale, composée de magistrats n’ayant pas connu de la procédure disciplinaire (Crim., 24 janvier 1996, Bull. crim. 1996, n° 47).

 

B. La procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime

1° La juridiction compétente

La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime doit être portée devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Les juges du fond ne peuvent cependant se retrancher derrière l’absence de dépôt d’une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime pour écarter le grief pris du manque d’impartialité d’une juridiction ; ils doivent alors examiner la régularité de la procédure suivie au regard des exigences de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Crim., 16 mai 2000, Bull. crim. 2000, n° 191). Le dessaisissement d’une juridiction en raison de son manque d’impartialité ne peut toutefois intervenir que suivant la procédure spéciale de demande de renvoi pour cause de suspicion légitime (Crim., 3 mai 2000, Bull. crim. 2000, n° 177).

2° La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime

La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, à l’instar de celle en récusation, présente un caractère facultatif, dont il se déduit "que le prévenu n’est pas recevable à mettre en cause devant la Cour de cassation l’impartialité du juge d’instruction ou des juges composant le tribunal correctionnel, en invoquant une violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’il n’a pas usé de la possibilité d’en obtenir le respect en récusant ces magistrats en application de l’article 668 du code de procédure pénale ou en présentant une requête en suspicion légitime sur le fondement de l’article 662 du même code" (Crim., 16 janvier 2008, pourvoi n° 07-82.365).

La requête doit être présentée au greffe de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il a cependant été jugé, sous l’empire des dispositions du code d’instruction criminelle, qu’était recevable une demande présentée au greffe de la juridiction saisie, puis transmise par le procureur général du ressort au procureur général près la Cour de cassation et par ce dernier à la chambre criminelle (Crim., 9 mai 1932, Bull. crim. 1932 n° 126).

La requête n’est soumise à aucune forme particulière. Elle précise la juridiction dont le dessaisissement est demandé, la procédure concernée et l’exposé des circonstances de nature à justifier le renvoi. Elle doit être signée du requérant ou d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ; la requête présentée par un avocat, s’il n’est pas avocat aux Conseils, est irrecevable (Crim., 5 septembre 1988, Bull. crim. 1988, n° 314).

3° Le déroulement de la procédure

a) L’effet de la demande de renvoi sur l’instance pénale

La présentation de la requête n’a pas d’effet suspensif, à moins que la Cour de cassation n’en décide autrement (article 662, alinéa 4, du code de procédure pénale).

b) L’instruction de la demande

La requête doit être signifiée à toutes les parties intéressées, qui ont un délai de dix jours pour déposer un mémoire au greffe de la Cour de cassation (article 662, alinéa 3, du code de procédure pénale). Cette signification est prescrite à peine d’irrecevabilité de la requête (Crim., 5 septembre 1988, Bull. crim. 1988, n° 314 ; Crim., 3 juillet 1975, Bull. crim. 1975, n° 180).

La chambre criminelle retient "que la procédure particulière aux requêtes en dessaisissement pour cause de suspicion légitime commande que les débats, qui sont, par leur nature, susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ou aux intérêts de la justice, aient lieu en chambre du conseil" (Crim., 20 septembre 1989, Bull. crim. 1989, n° 323).

Si elle ne s’estime pas suffisamment informée, la Cour de cassation peut surseoir à statuer afin d’obtenir des renseignements complémentaires, qu’elle sollicite généralement du procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle se trouve la juridiction saisie.

c) L’issue de la procédure

La chambre criminelle de la Cour de cassation apprécie souverainement s’il existe un motif de renvoi pour cause de suspicion légitime. Sa décision est motivée.

Depuis la loi n° 89-461 du 6 juillet 1989, la Cour de cassation ne dispose plus de la possibilité d’ordonner d’office le renvoi de l’affaire dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice après avoir rejeté la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime.

L’arrêt qui a statué sur une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime est signifié aux parties intéressées, à la diligence du procureur général près la Cour de cassation (article 666 du code de procédure pénale).

Si le renvoi est ordonné, la juridiction est immédiatement et définitivement dessaisie. Les actes effectués avant l’arrêt de renvoi demeurent valables.

Un rejet de la demande de renvoi n’interdit pas la présentation d’une nouvelle demande fondée sur des faits postérieurs (article 667 du code de procédure pénale).

La voie de l’opposition contre un arrêt de la Cour de cassation rejetant une demande de suspicion légitime n’est pas ouverte à la partie qui avait formé cette demande (Crim., 26 juin 1963, Bull. crim. 1963, n° 233).