CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES
Recommandation Rec(2003)22
du Comité des Ministres aux Etats membres
concernant la libération conditionnelle
(adoptée par le Comité des Ministres le 24 septembre 2003,
lors de la 853e réunion des Délégués des Ministres)
Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
Considérant qu’il est de l’intérêt des Etats membres du Conseil de l’Europe d’établir des principes communs en matière d’exécution des peines privatives de liberté, afin de renforcer la coopération internationale dans ce domaine ;
Reconnaissant que la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé ;
Considérant que son usage devrait être adapté aux situations individuelles et conforme aux principes de justice et d’équité ;
Considérant que le coût financier de la détention pèse lourdement sur la société et que les études montrent que la détention a souvent des conséquences néfastes et n’assure pas la réinsertion des détenus ;
Considérant qu’il est donc souhaitable de réduire autant que possible la durée de la détention et que la libération conditionnelle, qui intervient avant que la totalité de la peine n’ait été purgée, peut contribuer, dans une large mesure, à atteindre cet objectif ;
Reconnaissant que les mesures de libération conditionnelle requièrent l’appui des responsables politiques et administratifs, des juges, des procureurs, des avocats et de l’ensemble des citoyens, qui ont par conséquent besoin d’explications précises quant aux raisons de l’aménagement des peines de prison ;
Considérant que la législation et la pratique de la libération conditionnelle devraient être conformes aux principes fondamentaux des Etats démocratiques régis par le principe de la prééminence du droit, dont l’objectif primordial est la garantie des droits de l’homme, conformément à la Convention européenne des Droits de l’Homme et à la jurisprudence des organes chargés de veiller à son application ;
Gardant à l’esprit la Convention européenne sur la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous condition (STE n° 51) ;
Reconnaissant l’importance de :
– la Résolution (65) 1 sur le sursis, la probation et les autres mesures de substitution aux peines privatives de liberté ;
– la Résolution (70) 1 sur l’organisation pratique des mesures de surveillance, d’assistance et d’aide post-pénitentiaire pour les personnes condamnées ou libérées sous condition ;
– la Résolution (76) 2 sur le traitement des détenus de longue durée ;
– la Résolution (76) 10 sur certaines mesures pénales de substitution aux peines privatives de liberté ;
– la Recommandation n° R (82) 16 sur le congé pénitentiaire ;
– la Recommandation n° R (87) 3 relative aux Règles pénitentiaires européennes ;
– la Recommandation n° R (89) 12 sur l’éducation en prison ;
– la Recommandation n° R (92) 16 relative aux Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté ;
– la Recommandation n° R (92) 17 relative à la cohérence dans le prononcé des peines ;
– la Recommandation n° R (97) 12 sur le personnel chargé de l’application des sanctions et mesures ;
– la Recommandation n° R (99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale ;
– la Recommandation Rec(2000)22 concernant l’amélioration de la mise en œuvre des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté,
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
1. d’introduire la mesure de libération conditionnelle dans leur législation si celle-ci ne la prévoit pas encore ;
2. d’orienter leur législation, leur politique et leur pratique concernant la mesure de libération conditionnelle selon les principes énoncés à l’annexe de la présente recommandation ; et
3. d’assurer la diffusion la plus large possible de la présente recommandation concernant la libération conditionnelle, et de son exposé des motifs.
* * *
Annexe à la Recommandation Rec(2003)22
I. Définition de la libération conditionnelle
1. Aux fins de la présente recommandation, on entend par libération conditionnelle la mise en liberté anticipée de détenus condamnés, assortie de conditions individualisées après leur sortie de prison. Les amnisties et les grâces ne sont pas couvertes par cette définition.
2. La libération conditionnelle constitue l’une des mesures appliquées dans la communauté. Son introduction dans la législation et son application aux cas individuels sont régies par les Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté figurant dans la Recommandation n° R (92) 16, ainsi que par la Recommandation Rec(2000)22 concernant l’amélioration de la mise en œuvre des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté.
II. Principes généraux
3. La libération conditionnelle devrait viser à aider les détenus à réussir la transition de la vie carcérale à la vie dans la communauté dans le respect des lois, moyennant des conditions et des mesures de prise en charge après la libération visant cet objectif et contribuant à la sécurité publique et à la diminution de la délinquance au sein de la société.
4.a. Afin de réduire les effets délétères de la détention et de favoriser la réinsertion des détenus dans des conditions visant à garantir la sécurité de la collectivité, la législation devrait prévoir la possibilité pour tous les détenus condamnés, y compris les condamnés à perpétuité, de bénéficier de la libération conditionnelle.
4.b. Si les peines sont trop courtes pour permettre la libération conditionnelle, il conviendrait de trouver d’autres moyens pour atteindre ces objectifs.
5. Au commencement de l’exécution de leur peine, les détenus devraient connaître le moment où la libération conditionnelle pourra leur être accordée du fait d’avoir purgé une période minimale (définie en termes absolus et/ou par référence à une proportion de la peine) et les critères utilisés pour déterminer s’ils peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle (« système de libération discrétionnaire ») ou bien, le moment où celle-ci leur sera accordée de droit du fait d’avoir purgé une période fixe définie en termes absolus et/ou par référence à une proportion de la peine (« système de libération d’office »).
6. La période minimale ou fixe ne devrait pas être si longue que l’objectif de la libération conditionnelle ne pourrait être atteint.
7. Il conviendrait de prendre en considération les économies de ressources qui peuvent être réalisées en appliquant le système de libération d’office aux peines pour lesquelles une évaluation individualisée négative ne reporterait que légèrement la date de libération.
8. Afin de réduire le risque de récidive des détenus bénéficiant d’une libération conditionnelle, il devrait être possible de leur imposer des conditions individualisées telles que :
– la réparation du tort causé aux victimes, ou le versement d’un dédommagement ;
– l’engagement de se soumettre à une thérapie, en cas de toxicomanie ou d’alcoolisme, ou dans le cas de toute autre affection se prêtant à un traitement et manifestement liée à la perpétration du crime ;
– l’engagement de travailler ou de se livrer à une autre occupation agréée, par exemple suivre des cours ou une formation professionnelle ;
– la participation à des programmes d’évolution personnelle ;
– l’interdiction de résider ou de se rendre dans certains lieux.
9. En principe, la libération conditionnelle devrait également être accompagnée d’une prise en charge, sous la forme de mesures d’assistance et de contrôle. La nature, la durée et l’intensité de cette prise en charge devraient être adaptées à chaque individu. Des aménagements devraient pouvoir être effectués durant toute la période de liberté conditionnelle.
10. Les conditions et les mesures de prise en charge devraient être imposées pendant une durée qui ne doit pas être disproportionnée par rapport à celle de la peine restant à purger.
11. Les conditions et les mesures de prise en charge d’une durée indéterminée ne devraient s’appliquer qu’en cas de nécessité absolue aux fins de la protection de la société et conformément aux garanties énoncées dans la Règle 5 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, telle que révisée dans la Recommandation Rec(2000)22.
III. Préparation à la libération conditionnelle
12. La préparation à la libération conditionnelle devrait être organisée en étroite collaboration entre tous les intervenants appropriés travaillant en milieu fermé et ceux intervenant dans la prise en charge après la libération, et être terminée avant la fin de la période minimale ou fixe.
13. Les administrations pénitentiaires devraient veiller à ce que les détenus puissent participer à des programmes appropriés pour préparer la libération et soient encouragés à suivre des cours ou une formation qui les préparent à la vie dans la communauté. Des modalités spécifiques d’exécution des peines privatives de liberté - telles que les régimes de semi-liberté ou ouverts ou encore les placements à l’extérieur – devraient être utilisées le plus largement possible en vue de préparer la réinsertion sociale des détenus.
14. Dans le cadre de cette préparation, les détenus devraient également avoir la possibilité de maintenir, de nouer ou de renouer des contacts avec leurs familles et proches, et de prendre contact avec des services, des organisations et des associations de bénévoles qui pourront les aider, lorsqu’ils bénéficieront de la libération conditionnelle, à se réinsérer dans la société. A cette fin, divers types de congés pénitentiaires devraient être accordés.
15. Il conviendrait d’encourager l’examen précoce des conditions à observer après la libération et des mesures de prise en charge appropriées. Les conditions envisageables, l’aide susceptible d’être apportée, les obligations de contrôle et les conséquences éventuelles du non-respect des conditions fixées devront être soigneusement expliquées aux détenus et discutées avec eux.
IV. Octroi de la libération conditionnelle
Système de libération discrétionnaire
16. La période minimale que les détenus doivent purger avant de pouvoir prétendre à la libération conditionnelle devrait être définie en conformité avec la loi.
17. Les autorités compétentes devraient engager la procédure nécessaire pour que la décision concernant la libération conditionnelle puisse être rendue dès que le détenu a purgé la période minimale requise.
18. Les critères que les détenus doivent remplir pour pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle devraient être clairs et explicites. Ils devraient également être réalistes en ce sens qu’ils devraient tenir compte de la personnalité des détenus, de leur situation socio-économique et de l’existence de programmes de réinsertion.
19. L’absence de possibilité d’emploi au moment de la libération ne devrait pas constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Des efforts devraient être déployés pour trouver d’autres formes d’activité. Le fait de ne pas disposer d’un logement permanent ne devrait pas non plus constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Il conviendrait plutôt de trouver une solution provisoire d’hébergement.
20. Les critères d’octroi de la libération conditionnelle devraient être appliqués de telle sorte que celle-ci puisse être accordée à tous les détenus dont on considère qu’ils remplissent le niveau minimal de garanties pour devenir des citoyens respectueux des lois. Il devrait incomber aux autorités de démontrer qu’un détenu n’a pas rempli les critères.
21. Si l’instance de décision rend une décision négative, elle devrait fixer une date en vue du réexamen de la question. En toute hypothèse, les détenus devraient pouvoir saisir une nouvelle fois l’instance de décision dès l’apparition d’une amélioration notable de leur situation.
Système de libération d’office
22. La période de la peine que les détenus doivent purger avant que la libération conditionnelle leur soit accordée de droit devrait être fixée par la loi.
23. Un report du moment de la libération ne devrait être possible que dans des circonstances exceptionnelles définies par la loi.
24. La décision de report de la libération devrait être l’occasion de fixer une nouvelle date de libération.
V. Conditions imposées
25. Au moment d’examiner les conditions à imposer et la nécessité d’une prise en charge, l’instance de décision devrait disposer de comptes rendus – y compris du témoignage verbal – d’intervenants travaillant en milieu fermé connaissant bien le détenu et sa situation personnelle. Les professionnels intervenant dans la prise en charge du détenu après sa libération ou d’autres personnes connaissant sa situation sociale devraient aussi fournir des informations.
26. L’instance de décision devrait s’assurer que les détenus comprennent les conditions imposées, l’aide qui peut leur être apportée, les obligations de contrôle et les conséquences éventuelles du non-respect des conditions fixées.
VI. Exécution de la libération conditionnelle
27. Si l’exécution de la libération conditionnelle doit être reportée, les prisonniers en attente de libération devraient être gardés dans des conditions aussi proches que possible que celles dont ils bénéficieraient dans la société.
28. L’exécution de la libération conditionnelle et des mesures de prise en charge devrait relever de la responsabilité d’une autorité d’exécution, conformément aux Règles 7, 8 et 11 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté.
29. L’exécution devrait être organisée et traitée conformément aux Règles 37 à 75 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, et dans le respect des impératifs fondamentaux d’efficacité énoncés dans les dispositions pertinentes des principes 9 à 13 de la Recommandation Rec(2000)22 concernant l’amélioration de la mise en œuvre des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté.
VII. Non-respect des conditions imposées
30. Les manquements mineurs aux conditions imposées devraient être gérés par une autorité d’exécution en ayant recours au conseil ou à l’avertissement. Tout manquement grave devrait être rapidement signalé à l’autorité chargée de décider d’une éventuelle révocation. Cette autorité devrait cependant se demander si de nouveaux conseils, un autre avertissement, des conditions plus strictes ou une révocation temporaire peuvent constituer une sanction suffisante.
31. En règle générale, le non-respect des conditions imposées devrait être traité conformément à la règle 85 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté ainsi qu’aux autres dispositions pertinentes du chapitre X des règles.
VIII. Garanties procédurales
32. Les décisions relatives à l’octroi, au report ou à la révocation de la libération conditionnelle, ainsi qu’à l’imposition ou la modification des conditions et des mesures qui lui sont associées, devraient être prises par des autorités établies par disposition légale et selon des procédures entourées des garanties suivantes :
a. les condamnés devraient avoir le droit d’être entendus en personne et de se faire assister comme le prévoit la loi ;
b. l’instance de décision devrait accorder une attention soutenue à tout élément, y compris à toute déclaration, présenté par les condamnés à l’appui de leur demande ;
c. les condamnés devraient avoir un accès adéquat à leur dossier ;
d. les décisions devraient indiquer les motifs qui les sous-tendent et être notifiées par écrit.
33. Les condamnés devraient pouvoir introduire un recours auprès d’une instance de décision supérieure indépendante et impartiale, établie par disposition légale contre le fond de la décision ou le non-respect des garanties procédurales.
34. Des procédures de recours devraient également être disponibles s’agissant de l’exécution de la libération conditionnelle.
35. Toutes les procédures de recours devraient respecter les garanties énoncées aux Règles 13 à 19 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté.
36. Rien de ce qui est contenu aux paragraphes 32 à 35 ne devrait être interprété comme une restriction ou une dérogation aux droits garantis dans ce contexte par la Convention européenne des Droits de l’Homme.
IX. Méthodes destinées à améliorer la prise de décision
37. Il conviendrait d’encourager l’utilisation et le développement d’instruments fiables d’évaluation des risques et des besoins, qui, associés à d’autres méthodes, pourraient constituer une aide à la prise de décision.
38. Des séances d’information et/ou des programmes de formation devraient être organisés à l’intention des décideurs, avec la participation de spécialistes en droit et en sciences sociales, et de tous les intervenants dans le domaine de la réinsertion des détenus libérés sous condition.
39. Des mesures devraient être adoptées afin d’assurer une certaine cohérence dans la prise de décision.
X. Informations et consultation sur la libération conditionnelle
40. Les responsables politiques, les autorités judiciaires, les instances de décision et d’exécution, les responsables locaux et les associations d’aide aux victimes et aux détenus ainsi que les enseignants universitaires et les chercheurs concernés par le sujet devraient recevoir des informations et être consultés sur le fonctionnement de la libération conditionnelle, ainsi que sur l’évolution de la législation et de la pratique dans ce domaine.
41. Les instances de décision devraient recevoir des informations sur le nombre de détenus pour lesquels la libération conditionnelle a été appliquée avec succès ou a échoué, ainsi que sur les circonstances des succès et échecs enregistrés.
42. Des campagnes d’information devraient être organisées, au travers des médias et par d’autres moyens, pour tenir informé l’ensemble des citoyens du fonctionnement et de l’évolution récente de l’usage de la libération conditionnelle et de son rôle dans le système de la justice pénale. Ces informations devraient être rapidement disponibles en cas d’événement dramatique rendu public pendant la période de liberté conditionnelle d’un détenu. Ce type d’événement ayant tendance à attirer l’attention des médias, il conviendrait également de mettre en valeur l’objectif de la libération conditionnelle et ses aspects positifs.
XI. Recherche et statistiques
43. Afin d’obtenir davantage d’informations sur la pertinence des systèmes de libération conditionnelle en vigueur et leur perfectionnement, des évaluations devraient être effectuées et des données statistiques compilées pour recueillir des éléments d’information sur le fonctionnement de ces systèmes et leur capacité à atteindre les objectifs premiers de la libération conditionnelle.
44. En plus des évaluations recommandées ci-dessus, des recherches devraient être encouragées sur le fonctionnement des systèmes de libération conditionnelle. Ces recherches devraient porter sur les opinions, les attitudes et les impressions des autorités judiciaires, des instances de décision, des autorités d’exécution, des victimes, de l’ensemble des citoyens et des détenus au sujet de la libération conditionnelle. Il conviendrait également d’examiner d’autres aspects, tels que le rapport entre le coût et l’efficacité de la libération conditionnelle, sa capacité à diminuer les taux de récidive, la mesure dans laquelle les bénéficiaires de cette mesure parviennent à se réinsérer dans la communauté et l’incidence que pourrait avoir le développement d’un système de libération conditionnelle sur le prononcé des sanctions et des mesures, et sur leur exécution. La nature des programmes de préparation à la libération devrait aussi faire l’objet de recherches.
45. Des statistiques devraient être tenues sur des points tels que le nombre de détenus ayant bénéficié d’une libération conditionnelle par rapport au nombre de détenus qui pouvaient y prétendre, la durée des peines et les infractions concernées, la proportion de la peine purgée avant l’octroi de la libération conditionnelle, le nombre de révocations, les taux de condamnations ultérieures et le profil pénal et sociodémographique des détenus ayant bénéficié d’une libération conditionnelle.