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Recommandation R(93)6 sur les aspects pénitentiaires et criminologiques du controle des MST et du SIDA, et les problèmes connexes de santé en prison

Mise en ligne : 7 mai 2003

Dernière modification : 28 juin 2006

Texte de l'article :

English

CONSEIL DE L’EUROPE
COMITÉ DES MINISTRES

RECOMMANDATION N° R (93) 6 DU COMITÉ DES MINISTRES AUX ETATS MEMBRES CONCERNANT LES ASPECTS PÉNITENTIAIRES ET CRIMINOLOGIQUES DU CONTRÔLE DES MALADIES TRANSMISSIBLES ET NOTAMMENT DU SIDA, ET LES PROBLÈMES CONNEXES DE SANTÉ EN PRISON
(adoptée par le Comité des Ministres le 18 octobre 1993 lors de la 500e réunion des Délégués des Ministres)

Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

Considérant qu’il est de l’intérêt des Etats membres du Conseil de l’Europe de réaliser une plus grande unité entre ses membres et que cet objectif peut être poursuivi, entre autres, par l’action commune dans le domaine de la santé en milieu pénitentiaire ainsi que dans le domaine de la politique criminelle ;

Conscient de l’ampleur du défi que représentent pour les autorités responsables de l’institution pénitentiaire le développement d’actions de prévention et la prise en charge médicale, psychologique et sociale de personnes infectées par le VIH ;

Convaincu de la nécessité d’instaurer une stratégie européenne de lutte contre l’infection VIH dans le domaine pénitentiaire ;

Tenant compte de la déclaration de la consultation sur la lutte contre le SIDA dans les prisons de 1987, du programme spécial sur le SIDA de l’Organisation Mondiale de la Santé ;

Rappelant sa Recommandation N° R (87) 25 concernant une politique européenne commune de santé publique de lutte contre le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) ;

Rappelant les conclusions adoptées par la 8ème Conférence des Directeurs d’Administration Pénitentiaire (Strasbourg, du 2 au 5 juin 1987) sur les maladies transmissibles en milieu carcéral avec référence spéciale au SIDA ;

Rappelant les conclusions adoptées par la 16ème Conférence des Ministres européens de la Justice (Lisbonne, du 21 au 23 juin 1988) relatives aux questions pénales et criminologiques soulevées par la propagation des maladies contagieuses, y compris le phénomène du SIDA ;

Se félicitant de la Recommandation 1080 (1988) de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe relative à une politique européenne coordonnée de la santé pour prévenir la propagation du SIDA dans les prisons ;

Se référant à sa Recommandation N° R (89) 14 sur les incidences éthiques de l’infection VIH dans le cadre sanitaire et social ;

Conscient que le respect des droits fondamentaux des personnes incarcérées, et notamment le droit aux soins de santé, implique que des mesures de prévention et que des prestations de santé équivalant à celles de la communauté en général soient assurées aux personnes incarcérées ;

Se référant à cet égard à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et à la Charte sociale européenne ;

Se référant à sa Recommandation N° R (87) 3 sur les Règles pénitentiaires européennes qui contribuent à garantir les conditions minimales d’humanité et de dignité dans les établissements pénitentiaires ;

Considérant que, pour être conformes à l’éthique et pour être efficaces, ces mesures de prévention et de soins doivent reposer sur la coopération volontaire de la population pénitentiaire,

RECOMMANDE que les gouvernements des Etats membres

- veillent à ce que les principes et dispositions énoncés dans l’annexe à la recommandation et élaborés à la lumière des connaissances actuelles trouvent une application pratique dans les politiques nationales et régionales de santé en milieu pénitentiaire visant à combattre l’infection par le VIH et les autres maladies transmissibles ;

- assurent la plus large diffusion possible de cette recommandation, en portant une attention particulière à tous les individus et organismes chargés de la mise en oeuvre de la politique de santé en milieu pénitentiaire, ainsi qu’à tous les professionnels de la justice et les organismes concernés par la politique criminelle et les aspects criminologiques du contrôle des maladies transmissibles.

Annexe à la Recommandation N° R (93) 6
 
I. ASPECTS PENITENTIAIRES

A. Principes généraux 
1. Il apparaît nécessaire et urgent de déterminer, dans chaque Etat, une politique cohérente de lutte contre le VIH/SIDA en milieu pénitentiaire.

Cette politique devrait être développée en étroite collaboration avec les autorités sanitaires nationales et être intégrée dans une politique plus large visant à combattre les maladies transmissibles en milieu pénitentiaire.

Il convient de promouvoir les méthodes et les procédures de prévention de l’infection par le VIH/SIDA dans les établissements pénitentiaires. 

L’éducation et l’information en matière de santé, conçues au bénéfice de tous les détenus et du personnel, devraient être partie intégrante des politiques pénitentiaires.

2. Le bilan de santé systématique réalisé au profit des entrants en milieu carcéral doit prévoir des mesures de détection des maladies intercurrentes, y compris des maladies infectieuses qui peuvent être traitées, notamment la tuberculose. Ce bilan est, par ailleurs, l’occasion d’une action d’éducation sanitaire et permet de responsabiliser les détenus par rapport à leur propre santé.

3. Le test de dépistage volontaire pour le VIH/SIDA, accompagné des conseils adéquats avant et après sa réalisation, devrait être disponible. Le personnel de santé, sous la responsabilité d’un médecin, devrait expliquer aux détenus, avant que ce test ne soit pratiqué, les conséquences de ses résultats et leur communiquer le résultat du test, dans le respect de la confidentialité, sauf si les détenus le refusent.

Dans l’état actuel des connaissances, le dépistage obligatoire des détenus devrait être proscrit car il serait inefficace et discriminatoire, et, par conséquent, non conforme à l’éthique.

4. Les détenus devraient bénéficier, à chaque stade de l’infection par le VIH/SIDA, des mêmes traitements médicaux et psychosociaux que ceux qui sont dispensés aux autres membres de la communauté. Ils devraient, de manière générale, avoir accès aux prestations de santé équivalant à celles de la communauté.

Le développement de la coopération avec les systèmes sanitaires nationaux ou régionaux permettrait de faciliter la prise en charge médicale des détenus séropositifs et sidéens, ainsi que leur suivi médical à l’entrée et après la libération.

5. La prise en charge médicale, le soutien psychologique et le suivi social permettant leur insertion postpénale devraient être organisés pour les détenus séropositifs. 

6. Un effort d’information particulier devrait être réalisé, tant auprès des personnels des établissements pénitentiaires que des détenus, pour s’assurer de leur connaissance des modes de transmission du VIH ainsi que du respect des règles d’hygiène et des précautions de nature à réduire les risques de contamination durant leur détention et après leur sortie.

Les autorités sanitaires et pénitentiaires devraient s’attacher à fournir des informations et, si nécessaire, des conseils personnalisés sur les pratiques à risque.

Il est souhaitable de mettre à la disposition des détenus le matériel d’information dans une langue qu’ils peuvent comprendre et, si nécessaire, en tenant compte de leur origine culturelle.

7. Le souci de prévention du VIH/SIDA devrait conduire les autorités pénitentiaires et sanitaires à rendre accessibles les préservatifs aux détenus pendant l’incarcération et avant les sorties provisoires ou définitives. A cet égard, il convient de laisser à chaque Etat le soin de choisir la voie la plus appropriée : service médical, vente en cantine ou tout autre moyen adapté en fonction de l’évolution des mentalités, du type de population incarcérée et du fonctionnement propre à chaque établissement pénitentiaire.

8. Les informations relatives à l’état de santé des détenus sont confidentielles.

Le médecin peut communiquer ces informations aux autres membres de l’équipe médicale et, exceptionnellement, aux administrateurs pénitentiaires, dans la mesure où celles-ci sont strictement nécessaires pour assurer le traitement du détenu ou le contrôle de la santé des détenus et du personnel dans le respect de la déontologie médicale et des dispositions juridiques. En principe, cette communication devrait être subordonnée au consentement de l’intéressé. Elle ne peut être donnée qu’en application des principes appliqués dans la communauté en général.

Le statut sérologique VIH/SIDA n’est pas en général considéré comme une information nécessaire.

9. Les mesures de ségrégation et d’isolement, ainsi que les restrictions aux activités de travail, de sports et de loisirs n’étant pas nécessaires à l’égard des personnes séropositives dans la communauté, la même attitude doit être adoptée à l’égard des détenus séropositifs.

Lorsque des détenus manifestent des violences à caractère sexuel à l’égard d’autres détenus ou plus généralement font preuve d’un comportement générateur de risques à l’égard d’autres détenus ou du personnel, des mesures disciplinaires ou un isolement cellulaire sont néanmoins justifiés indépendamment du statut sérologique VIH/SIDA.

10. Les détenus devraient bénéficier d’installations sanitaires conformes aux normes de la communauté, disponibles dans tous les secteurs concernés des établissements pénitentiaires.

11. Tous les moyens nécessaires au respect des règles d’hygiène devraient être mis à la disposition du personnel pénitentiaire et des détenus.

12. Les détenus séropositifs devraient bénéficier d’un suivi médical et de consultations-conseils au cours de leur séjour carcéral, notamment lors de la notification des résultats du test.

Les autorités sanitaires des établissements pénitentiaires devraient prendre les dispositions nécessaires à la mise en place d’un suivi médical et psychologique des détenus après leur libération et les encourager à en bénéficier.

13. Les détenus infectés par le VIH ne devraient pas être exclus du bénéfice de mesures telles que le placement dans des foyers ou centres de semi-liberté ou tout autre type de prison ouverte ou à sécurité réduite.

14. Dans toute la mesure du possible, les détenus infectés par le VIH en phase terminale devraient pouvoir bénéficier de mesures de libération anticipée et recevoir un traitement approprié en dehors de la prison.

15. Des ressources financières et humaines suffisantes devraient être disponibles pour les services sanitaires des établissements pénitentiaires afin de répondre non seulement au problème des maladies transmissibles et du VIH/SIDA mais aussi de l’ensemble des problèmes de santé que connaissent les détenus.

16. Les personnes privées de liberté ne peuvent faire l’objet de recherches médicales que si celles-ci permettent d’attendre un bénéfice direct significatif pour leur santé.

Les principes éthiques en matière de recherche sur les êtres humains devraient être strictement appliqués, particulièrement en ce qui concerne le consentement éclairé et la confidentialité. Toutes les recherches menées en prison devraient être soumises à l’approbation d’une commission d’éthique ou à une autre procédure garantissant le respect de ces principes.

La recherche sur la prévention, le traitement et la prise en charge des maladies transmissibles parmi la population pénitentiaire devrait être encouragée à condition qu’une telle recherche apporte des informations qui ne sont pas disponibles dans des recherches menées dans la communauté.

Les détenus devraient avoir le même accès aux traitements nouveaux que les personnes vivant dans la communauté pour toutes les maladies liées au VIH/SIDA.

Une surveillance épidémiologique concernant le VIH/SIDA, y compris le dépistage anonyme non corrélé, ne peut être envisagée que si de telles méthodes sont utilisées dans la communauté et si leur application à la population pénitentiaire est susceptible de s’avérer bénéfique pour les détenus.

Les détenus devraient être informés en temps utile de l’existence de toutes les études épidémiologiques menées dans la prison où ils se trouvent.

La publication et la communication des résultats des recherches doivent garantir une confidentialité entière sur l’identité des détenus qui ont participé à de telles études.

B. Dispositions particulières
17. Les responsables des établissements pénitentiaires devraient adopter, autant que possible, des mesures tendant à empêcher l’introduction illicite de drogue et de matériels d’injection dans les prisons. Toutefois, de telles mesures ne devraient pas remettre en cause l’évolution consistant à mieux intégrer l’institution pénitentiaire dans son environnement social et économique.

18. La prévention commande de mettre en place et de développer des programmes d’éducation pour la santé afin de minimiser les risques et notamment d’y inclure des informations sur la nécessité de désinfecter le matériel d’injection ou d’avoir recours à du matériel à usage unique.

Un désinfectant devrait être mis à la disposition des détenus, non seulement pour les prémunir contre les maladies transmissibles, mais aussi pour leur donner les moyens de suivre les règles d’hygiène.

19. Des programmes sanitaires et sociaux en vue de préparer la sortie des détenus toxicomanes et d’adopter des mesures de libération anticipée sous condition de suivre un traitement approprié (foyer, centre de post-cure, hôpital, dispensaire, communauté thérapeutique) devraient être développés.

20. Des mesures alternatives à l’emprisonnement en vue d’inciter les toxicomanes à se faire traiter dans des institutions sanitaires ou sociales devraient être davantage utilisées par les tribunaux ou les autres autorités compétentes.

Les toxicomanes devraient être encouragés à suivre de tels programmes sanitaires.

21. Dans le cadre du programme de visites non surveillées, les détenus et leurs famille, conjoint ou partenaires doivent se voir proposer des informations, des consultations-conseils et un soutien dans le domaine du VIH/SIDA.

Des moyens de prévention et de contraception, conformément à la législation en vigueur dans la communauté, devraient être mis à la disposition des détenus et de leurs partenaires.

22. Des programmes d’éducation sanitaire devraient être adaptés aux besoins spécifiques des détenues.

Les détenues séropositives enceintes doivent faire l’objet d’une prise en charge et d’une aide équivalant à celles dont bénéficient les femmes à l’extérieur. Elles devraient disposer d’une information aussi complète que possible sur les risques d’infection de l’enfant à naître et, si la législation nationale le prévoit, avoir le choix de procéder à une interruption volontaire de grossesse.

Un enfant séropositif né d’une mère incarcérée devrait pouvoir rester auprès d’elle si celle-ci le souhaite, conformément aux dispositions de la réglementation pénitentiaire, et bénéficier de soins médicaux dans des services spécialisés.

23. Des programmes d’éducation pour la santé adaptés aux besoins des détenus, notamment des jeunes détenus pour les inciter à des attitudes et à des comportements favorables à la prévention des maladies transmissibles, y compris du VIH/SIDA, devraient être mis en oeuvre.

24. Les détenus étrangers infectés par le VIH/SIDA devraient recevoir les mêmes prestations en ce qui concerne l’information, les consultations-conseils et les soins que les autres détenus.

25. L’infection par le VIH/SIDA ne devrait pas constituer un obstacle au transfèrement des détenus sur la base soit d’un accord bilatéral, soit de la Convention du Conseil de l’Europe sur le transfèrement des personnes condamnées.

Le rapport médical sur le condamné susceptible d’être transféré dans son pays d’origine devrait être transmis directement par le service médical pénitentiaire de l’Etat de condamnation au service médical pénitentiaire de l’Etat d’exécution, étant entendu que ce rapport est protégé par le secret médical.

26. Des raisons humanitaires peuvent conduire les pouvoirs publics à surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion pour les détenus étrangers infectés par le VIH/SIDA lorsque ceux-ci sont gravement malades ou en phase terminale.

II. ASPECTS CRIMINOLOGIQUES

27. La lutte contre les maladies transmissibles, y compris le VIH/SIDA, nécessite en priorité des mesures de prévention et d’information de nature à sensibiliser et à responsabiliser le public.

28. La sanction de la propagation des maladies transmissibles et du VIH/SIDA devrait être envisagée dans le cadre des incriminations déjà existantes et l’intervention du droit pénal devrait être considérée comme l’ultima ratio.

29. Une telle intervention du droit pénal devrait tendre à sanctionner ceux qui, en dépit des campagnes d’information et de sensibilisation en vue d’éviter la propagation du VIH/SIDA, ont néanmoins porté atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou à la santé d’autrui.

30. Les responsables des services de santé ou les opérateurs sanitaires qui ont violé les normes et les pratiques tendant à empêcher la diffusion des maladies transmissibles ou qui n’accomplissent pas leur devoir de soigner des personnes infectées par le VIH/SIDA, devraient relever de sanctions disciplinaires et, le cas échéant, des règles pénales en vigueur.