Saisine no 2003-47
AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 1er juillet 2003, par M. Noël Mamère, député de la Gironde.
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie le 1er juillet 2003 par Monsieur Noël Mamère, député de la Gironde, à la demande de M. V., détenu à la maison d’arrêt de Fresnes, qui se plaint de manquements del’administration pénitentiaire.
La Commission a entendu M. V. Elle a procédé aux auditions du directeur de la maison d’arrêt de Fresnes, du médecin exerçant en milieu pénitentiaire, du gendarme chargé de l’extraction du détenu.
- LES FAITS
A - Récit du détenu handicapé
M. V. est né le 2 janvier 1970 et a été victime d’un accident de trafic en juillet 1989 à la suite duquel il reste paraplégique et ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant ; mais il est autonome.
Incarcéré le 23 novembre 2002 à la maison d’arrêt de Nanterre il a été mis seul en cellule plus ou moins adaptée - ayant des difficultés à accéder au bain qui se trouvait à l’infirmerie. Du 31 janvier au 4 février 2003, il n’a pu disposer de fauteuil en raison d’une crevaison qui a nécessité sa réparation ; le fauteuil de remplacement était trop vétuste et inutilisable.
Pendant cinq jours, il a dû se déplacer en se traînant sur le sol.
Pendant cette période, il n’a pas eu de visite médicale, n’a pas pu avoir de bain et a eu le sentiment d’être traité comme un animal.
Transféré à Fresnes le 17 février, à la suite d’une automutilation par phlébotomie de la cheville qui a nécessité des soins au service d’urgences de l’hôpital de Nanterre, il a bénéficié d’une cellule avec lit médicalisé partagée avec un autre détenu également en fauteuil. Cette cellule était équipée d’une salle de bains mal adaptée aux personnes en fauteuil. Il n’a pas pu prendre de douche pendant trois mois, devant faire sa toilette à l’aide d’un lavabo et d’une cuvette. Finalement, le 16 mai, grâce à l’intervention du directeur et à la visite du médecin de la DDASS, il a obtenu une chaise avec accoudoir pour la douche.
Il lui a été fourni des sondes urinaires périmées (dates de péremption septembre 2001 et avril 2002). Il a donc contacté l’OIP qui a transmis sa réclamation à la DDASS. Il a pu ainsi obtenir des sondes non périmées.
Le 6 mars, devant être extrait pour se rendre au tribunal de Melun, il lui a été très difficile et douloureux de monter et de voyager dans un fourgon cellulaire. À sa demande et à celle des gendarmes, un médecin, le docteur V. a été appelé et a décidé que le transport était compatible avec son état de santé. Ce médecin a ajouté n’être pas vétérinaire et ne pas s’occuper du transport des animaux. Les gendarmes ont également été choqués et ont fait un rapport à ce sujet. Le détenu a porté plainte auprès du procureur de la République.
Transféré à la maison d’arrêt d’Osny le 11 juin 2003, il a une cellule adaptée avec douche mais ne peut aller à la bibliothèque qui est en étage.
B - Informations données par le directeur de la maison d’arrêt de Fresnes
M. V. a été transféré de la maison d’arrêt de Nanterre en février 2003 à Fresnes qui est équipée de quelques cellules aménagées depuis environ quinze mois pour recevoir des détenus handicapés. Ces cellules ont été visées et validées par un médecin de la DDASS et un médecin de l’administration pénitentiaire. Ces cellules sont équipées de douches et de baignoires.
En outre, un détenu volontaire sert de tierce personne dans la journée pour les détenus handicapés.
M. V. est apparu très demandeur et a exprimé son souhait d’avoir une chaise avec accoudoir pour être plus stable sous la douche, chaise qui lui a été fournie le lendemain. Il paraît inconcevable qu’il n’ait pas pu prendre de douche pendant trois mois.
Il se plaignait de ne pas recevoir son courrier dans des délais normaux, de ne pas recevoir les produits qu’il avait commandés à la cantine, ce qui était faux.
Il n’a jamais parlé de ses difficultés d’extraction en fourgon ni de son conflit avec le docteur V. À sa connaissance, les transferts en véhicule aménagé ne peuvent être prescrits que par le médecin.
Il a eu connaissance de l’incident ayant opposé M. V. au docteur V. par un soit transmis du parquet de Créteil demandant s’il avait des remarques particulières à faire sur ce médecin. Jusqu’alors aucun détenu ne s’était plaint de ce médecin.
En ce qui concerne le matériel médical, et en particulier les sondes urinaires, ce n’est pas l’administration pénitentiaire qui en a la gestion mais le service médical.
C - Informations données par Monsieur L., gendarme, chargé de l’extraction du détenu de la prison de Fresnes
En arrivant à la maison d’arrêt de Fresnes le 6 mars 2003 pour conduire un détenu au tribunal de grande instance de Melun devant un juge d’instruction, les surveillants lui ont indiqué que M. V. était paraplégique et se déplaçait uniquement en fauteuil roulant. Il en a informé la cellule s’occupant de la gestion des transferts à Paris et a fait appel au médecin de permanence de la maison d’arrêt de Fresnes aux fins d’obtenir un certificat pour avoir une ambulance.
Le médecin a vu le détenu et a décidé de ne pas établir de certificat, indiquant qu’il pouvait être transporté dans nos véhicules. Le détenu a haussé le ton en disant qu’il n’était pas un animal, le médecin a répondu
qu’elle n’était pas vétérinaire et qu’elle ne s’occupait pas des animaux. Le détenu n’a pas refusé d’être extrait dans le véhicule des gendarmes qui ont eu comme consigne d’effectuer ce transport en prenant de grandes précautions. « Nous avons effectué ce transport de la maison d’arrêt de Fresnes au tribunal de grande instance de Melun en prenant toutes les précautions nécessaires ». En arrivant dans le bureau du juge il a été demandé que les prochaines extractions soient faites en ambulance. Ce qui a été accepté.
Par la suite ce même détenu a été réextrait pour le conduire devant le juge en ambulance civile avec escorte.
D - Informations données par Madame le Dr. V., médecin de la maison d’arrêt de Fresnes
Médecin généraliste à la maison d’arrêt de Fresnes, à temps partiel, depuis 1996. Elle a été appelée un jour par des surveillants pour aller voir un détenu qui devait être extrait. Il s’agissait d’un détenu en fauteuil qu’elle n’avait jamais reçu auparavant en consultation puisque c’était d’autres médecins qui le soignaient.
Son extraction posait un problème aux gendarmes, en raison de son fauteuil puisqu’ils n’avaient qu’un fourgon normal. Le détenu refusait d’être extrait dans ces conditions. À son arrivée, le début de la rencontre a été difficile et elle a eu une parole qui « n’était pas à propos ». En particulier, elle lui a dit : « je ne suis pas vétérinaire ». Il s’est énervé, et a dit à plusieurs reprises « je ne suis pas un animal ».
Un gendarme a précisé que c’était l’escorte qui souhaitait une ambulance. À l’époque, le médecin ne savait pas que l’administration pénitentiaire pouvait disposer d’une ambulance civile et croyait qu’il lui appartenait d’en appeler une qui dépendait de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, ce qui lui est apparu impossible du fait de factures impayées à cet hôpital.
Le détenu ayant dit qu’il était arrivé à Fresnes en véhicule normal et qu’il n’avait pas eu de problème d’escarre, elle a pensé que l’extraction pouvait se faire ainsi.
Dans cette histoire, elle regrette la parole malheureuse qui lui a échappé.
En ce qui concerne les sondes urinaires périmées, dont a parlé M. V., elle n’était pas au courant. Mais de toute façon, ce ne sont pas les médecins qui passent les commandes et qui vérifient les dates. Cette tâche relève des soins infirmiers.
- AVIS
A - Sur les conditions de vie en cellule d’un détenu handicapé
La vie d’une personne paraplégique en fauteuil est toujours difficile, même en vie libre. Sa dignité et sa sécurité ne sont pas forcément respectées.
Ceci est encore plus flagrant en détention, non seulement en raison de l’exiguïté des locaux, des conditions des sanitaires et des salles de bain mais aussi de la difficulté à avoir recours à l’aide d’une tierce personne.
B - Sur les soins médicaux et infirmiers d’un détenu handicapé
Tout paraplégique demande une surveillance médicale particulière en raison de sa vulnérabilité et des risques de complications en particulier urinaires. Cette surveillance peut être assurée par le service médical pénitentiaire en particulier à Fresnes. Il paraît inquiétant que des sondes urinaires périmées puissent être distribuées par le personnel infirmier sans que les médecins s’en inquiètent.
Il est choquant qu’un médecin, en s’adressant à un détenu handicapé, s’assimile à un vétérinaire, fût-ce par dérision.
C - Sur les conditions d’extraction d’un détenu handicapé
L’extraction d’un détenu paraplégique ne peut se faire que dans des véhicules adaptés afin que sa sécurité soit assurée. Ceci n’a pas été le cas le 6 mars 2003 malgré la demande des gendarmes chargés de l’escorte, en raison du refus du médecin de garde à la maison d’arrêt de Fresnes.
Les raisons de ce refus sont confuses. Cette attitude aurait pu mettre en danger ce détenu pendant son transport en véhicule inadapté.
- RECOMMANDATIONS
1) Tout détenu dont l’état de santé justifie le déplacement en fauteuil roulant doit bénéficier d’un véritable appareillage adapté dès le début de l’incarcération.
2) Les extractions doivent se faire systématiquement en véhicule adapté sans qu’il soit nécessaire qu’une prescription médicale soit délivrée pour chaque déplacement.
3) Tout médecin, y compris évidemment en service médical pénitentiaire, doit observer le Code de déontologie dans le respect du malade quelle que soit la pathologie physique et/ou psychique.
4) Il est indispensable que le matériel médical et infirmier soit sous le contrôle des médecins responsables des soins en détention.
Adopté le 9 janvier 2004
Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Pas de réponse du garde des Sceaux