La prison aujourd’hui, apparaît une sanction inadaptée à plusieurs types de délinquants : toxicomanes, étrangers, mineurs, malades mentaux. Il faut donc sortir d’un système de sanctions axé sur le tout carcéral et développer d’autres formes de rappel à la loi pour mieux assurer la sécurité en limitant la récidive.
A.? Retrouver la maîtrise des flux
Au-delà de la question de savoir comment améliorer la prison et la prise en charge de la population carcérale, il est urgent de s’interroger sur la question de savoir qui l’on met en prison et pourquoi. Les responsabilités à ce sujet sont partagées : l’opinion publique attend des réponses fermes dans un contexte de crise économique et sociale ; le législateur est enclin à assortir chaque texte d’une nouvelle sanction pénale ; le juge se sent autorisé à prononcer les sanctions maximales du moment que le législateur les a prévues. La prison n’intervient qu’en fin de processus et en constitue l’aboutissement ultime. L’administration pénitentiaire subit la décision d’incarcération sans avoir eu, à aucun moment, la maîtrise du flux :
« On ne conçoit plus une collectivité telle que celle-ci sans un certain nombre de normes. Comment pouvoir gérer véritablement sans savoir que, le soir, vont arriver vingt ou vingt-cinq détenus ou sans savoir le nombre de libérations ? Notre action doit s’inscrire à moyen et à long terme et, pour se faire, nous devons avoir une certaine maîtrise des flux.
Aucune collectivité, que ce soit l’Education nationale pour les quotas et les classes, ou l’hôpital pour le nombre de lits, ne connaît cette situation. Pour notre part, nous sommes complètement soumis à cela. De ce fait, la gestion quotidienne est difficile. » (M. Pierre Duflot, adjoint au directeur régional des services pénitentiaires de Lille, membre du syndicat CFDT-justice)
La seule réponse effectivement possible pour l’administration pénitentiaire, dans ce contexte, est d’accroître toujours plus le nombre de places dans les prisons.
Il paraît urgent d’inverser le raisonnement en agissant en amont sur le processus qui a mené à la décision d’incarcération. C’est pourquoi il est nécessaire de se poser la question de savoir si la prison est toujours la réponse adéquate : les visites des établissements pénitentiaires ont en effet souvent été l’occasion de rencontrer des détenus pour lesquels le cadre carcéral ne parait absolument pas à même de favoriser la réflexion sur la sanction, de permettre l’amendement ou de préparer la réinsertion.
Il est donc nécessaire de s’interroger sur la présence de ces détenus dans les prisons : il ne s’agit pas de faire preuve de laxisme en la matière, mais plutôt de recentrer la prison sur ses vraies missions : La maîtrise des flux exige dès lors un moindre recours à l’incarcération, y compris dans le cadre de la détention provisoire, accompagné d’un développement crédible des alternatives à l’incarcération.
1) Limiter les incarcérations
a) Les cas psychiatriques
La prison est finalement, souvent, le seul lieu d’accueil des personnes souffrant de troubles psychiatriques graves. Les problèmes suscités par leur mise en détention ont déjà été évoqués ainsi que l’évolution de la psychiatrie qui conduit à déclarer de moins en moins de personnes irresponsables et à supprimer des services fermés (Cf. I, évolution de la population pénale).
Monsieur Evry Archer, médecin psychiatre, souligne à ce propos l’attitude des psychiatres de secteur :
« Les experts sont des psychiatres exerçant en psychiatrie générale dans les hôpitaux qui ne souhaitent pas forcément avoir dans leurs services des patients qui vont rester longtemps à l’hôpital et qui nécessitent une mobilisation importante. L’évolution de l’hôpital psychiatrique rend très difficile le séjour en milieu hospitalier des personnes qui présentent des troubles du comportement. Mais je crois surtout que les gens ont peur. On le constate notamment dans les tribunaux à propos de l’application de l’article 122-1, alinéa 2 du code pénal. Dans les cours d’assises, après le jugement, on entend des personnes dire que même les psychiatres ne veulent pas de ces personnes, ce qui explique l’aggravation des peines. »
Ceci pose un double problème, d’abord celui de la qualité des expertises et de la décision d’incarcération elle-même ; ensuite, s’il y a incarcération, celui de la structure dans laquelle elle doit s’opérer pour tous ceux dont l’état, en raison de troubles psychiatriques, préexistants ou non à l’enfermement, est incompatible avec le maintien en détention (article D.398 du code de procédure pénale).
? Sur le premier point, il a été exposé devant la commission que :
« Notre corps psychiatrique doit aussi s’interroger sur la qualité des expertises. N’importe quel psychiatre peut s’inscrire sur les listes de la cour d’appel et être expert sans une formation particulière, sans encadrement particulier. C’est une source de revenus complémentaires pour un certain nombre d’entre nous. La qualité des expertises n’est pas forcément à la hauteur de ce que l’on pourrait en attendre. Des expertises rapides de quelques dizaines de minutes existent malheureusement, mais il existe aussi des expertises très fouillées qui prennent plusieurs jours de travail pour une somme dérisoire. Une expertise est payée 1 250 francs, qu’elle ait demandé plusieurs jours de travail ou une demi-heure.
Toutefois, de son côté, la justice devrait s’interroger sur le point de savoir quelles questions elle pose aux experts. Certaines, un peu toutes faites, ne sont pas nécessairement adaptées aux procès. Une de celles posées systématiquement est : « Le prévenu est-il accessible à une sanction pénale ? » Mais de quelle sanction s’agit-il ? Peut-on dire qu’une personne est accessible à une sanction pénale alors qu’il est possible qu’elle ne puisse pas supporter une réclusion criminelle à perpétuité ? D’autant que souvent, l’expert, qui n’a pas mis les pieds en prison ailleurs qu’au parloir, ignore ce qu’est la vie en milieu carcéral. » (M. Philippe Carrière, médecin psychiatre, association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire)
La conséquence en est la présence en prison de malades mentaux ou de psychopathes avérés qui n’y sont pas à leur place. Souvent incapables de s’adapter, ils parviennent même à susciter le rejet des équipes soignantes.
La première réponse serait une intervention, en amont, de façon à faire en sorte que des personnes qui n’ont pas leur place en prison ne se retrouvent pas dans le système pénitentiaire.
« Il faudrait sans doute qu’il puisse y avoir tout de même procès, tout de même reconnaissance de la souffrance de la victime. On ne peut pas dire qu’il n’y a eu ni crime ni délit, comme on le considérait autrefois, il y a bien eu un crime ou un délit, une victime, mais cela ne devrait pas entraîner une incarcération. Il devrait y avoir condamnation mais dispense de peine, aménagement de peine, alternative aux peines, etc. Or aujourd’hui, s’il y a procès, il y a peine, et peine plus lourde encore pour les malades mentaux que pour les autres, parce que le sentiment de dangerosité est donné, en particulier, aux jurés. C’est une très mauvaise chose. » (M. Philippe Carrière, médecin psychiatre, association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire)
A ce propos, Pierre Pradier souligne la nécessité d’une plus grande connaissance, sinon collaboration, entre médecins et magistrats :
« Des Etats généraux, ou du moins des rencontres entre les représentants de la discipline psychiatrique et ceux qui sont très directement en cause dans le déroulement du processus, c’est-à-dire les magistrats, seraient hautement souhaitables. Il est un élément auquel on ne pense jamais assez : les directeurs d’établissement n’ont absolument aucune maîtrise ni de leurs « stocks » ni de leurs flux ! Ils prennent qui on leur envoie et ce n’est pas à eux à décider quoi que ce soit ! Ce sont quand même les magistrats qui sont les « pourvoyeurs », lesquels ont, quand même, depuis quelques années également considérablement alourdi les peines : elles ont doublé en vingt ans sur des crimes ou des délits comparables. »
? Le deuxième point soulève la question de la création d’établissements spécialisés. Cette proposition a été formulée à de multiples reprises par des intervenants très divers, par les personnels pénitentiaires mais aussi par les médecins psychiatres.
En effet, si l’évolution de la psychiatrie s’est faite dans le sens d’une plus grande humanisation bénéfique pour la plupart des malades concernés, elle ne permet plus de prendre en charge les patients les plus difficiles et ceux-ci ne peuvent correctement être accueillis, dans les conditions actuelles de détention existant dans les établissements pénitentiaires.
« Les gens vivent pendant deux ans, trois ans, dix ans dans des conditions effroyables. Ensuite, la réinsertion est encore plus difficile. Pour quelqu’un qui a passé dix ans au fond d’une cellule sans sortir, sans relations sociales, la réinsertion est quasiment impossible. Quand la personne sortira à 40 ou 50 ans après dix ans de claustration, au sens psychiatrique et non pas d’enfermement, elle aura subi un enfermement double : la prison plus l’enfermement psychologique. Même si la direction des hôpitaux n’y est pas favorable, je pense que la création d’un établissement spécialisé pour les condamnés serait souhaitable. » (Betty Brahmy, médecin psychiatre)
Le choix qui a été opéré de fermer les établissements spécialisés se révèle à terme et compte tenu de ces évolutions, peu approprié. La mise en place d’établissements spécialisés apparaît incontournable.
Mme Betty Brahmy souligne toutefois : « ...qu’au ministère de la Santé, on n’y est pas du tout favorable. J’ai collaboré avec des responsables du ministère de la Santé à la préparation de la loi de 1994. L’établissement de Château-Thierry a été longtemps une maison centrale dite sanitaire, capable d’accueillir des psychopathes. Puisque les gens étaient formés, avaient l’habitude de ces patients un peu compliqués, que les structures s’y prêtaient, je pensais qu’il fallait en faire un établissement précisément pour ces patients-là. On m’a répondu que cela créerait une stigmatisation. »
Au regard des inconvénients de la situation actuelle, l’objection de la stigmatisation apparaît quelque peu secondaire.
Reste la question de la nature de ces établissements : établissements pénitentiaires, sanitaires ou à double tutelle.
« L’une des solutions pourrait être de créer rapidement des unités hospitalières sectorielles ou intersectorielles sécurisées, fermées, accueillant sur le critère de la maladie mentale et du soin, dans des conditions matérielles et humaines satisfaisantes, des malades mentaux dont l’état mental le nécessite, sans que les critères pénaux priment sur l’indication thérapeutique.
La création ou le maintien d’établissements pénitentiaires à caractère sanitaire poserait la question du sens de la peine et de la fonction sociale de la prison sans résoudre, bien au contraire, ni le problème des conditions de la prise en charge psychiatrique pendant la détention, ni celui de la prise en charge après la libération, ce dont témoignent les mesures d’hospitalisation décidées rapidement à la libération de ces personnes. » (M. Evry Archer, médecin psychiatre)
Les établissements à double tutelle (comme celle qui s’exerce sur celui de Fresnes) constituent une autre possibilité.
« On ne peut pas crier en prison. Vous visitez un hôpital psychiatrique, vous entendez des cris, les malades se déplacent. En prison, ce n’est pas possible et les gens souffrent ; les psychiatres le disent. Que faire ? Les Néerlandais ont résolu la question en ouvrant des établissements différents. Il nous faut des établissements à double tutelle comme l’hôpital de Fresnes, relevant à la fois du pénitentiaire et de la santé, doté d’un statut spécifique. Les psychiatres considèrent dorénavant que la sanction est structurante. L’article 64 du code pénal, devenu 128, n’est plus utilisé. Si la sanction est considérée comme nécessaire pour soigner, cela signifie que tout le monde arrive en prison. C’est là un problème grave qu’il faut résoudre par la construction d’établissements différents. » (M. Jean-Marc Chauvet, directeur régional des services pénitentiaires de Paris)
La question du type d’établissement le plus approprié pour accueillir les délinquants souffrant de graves troubles psychiatriques doit être tranchée, l’essentiel étant de mettre fin, d’une façon ou d’une autre, à la situation actuelle.
b) Les mineurs
L’article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 pose le principe selon lequel « le mineur délinquant devra, en priorité, bénéficier de mesures de surveillance, de protection, d’assistance et d’éducation. Une condamnation pénale ne pourra être prononcée que lorsque la personnalité du mineur et les circonstances particulières exigeront d’écarter la mise en _uvre de ces mesures. »
Il en résulte que, tant pendant l’instruction du dossier qu’après la condamnation, le juge doit prendre en priorité des mesures éducatives : liberté surveillée préjudicielle, placement en foyer, en unité éducative renforcée, en centre de placement immédiat ou dans une famille, contrôle judiciaire, mesures de réparation... En général, le juge incarcérera pour une période courte en pensant que cela peut être un moyen après que d’autres ont échoué.
Mais il est vrai que l’on constate une aggravation de la délinquance des mineurs. En 1999, 16,5 % d’entre eux étaient incarcérées dans le cadre de procédures criminelles (crimes de sang : 1,9 % ; viols : 5,4 % ; vols criminels : 6,1 %). La majorité des infractions, cependant, est constituée d’atteintes aux biens (58,2 %).
Se pose d’abord la question de la mise en détention provisoire qui constitue la majorité des mises en détention des mineurs (90,6 %).
La directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a indiqué qu’un réexamen du régime juridique applicable aux mineurs détenus était en cours.
« La grande majorité des détentions des mineurs se réalise dans le cadre de la détention provisoire, dont le régime juridique diffère de celui de l’emprisonnement. L’aménagement des peines pour mineurs est donc très peu développé et nous réfléchissons à une nouvelle piste de travail permettant d’aménager le régime juridique en détention provisoire et de développer des possibilités d’aménagement des peines des mineurs. »
Ensuite, l’obstacle majeur au prononcé de peines alternatives à l’incarcération et notamment de mesures éducatives, réside dans l’insuffisance des moyens consacrés à celles-ci.
« Sur la question de la détention des mineurs, problème très compliqué, je dirai que si l’on pouvait l’exclure de façon quasiment systématique, nous en serions tout à fait heureux. La seule difficulté réside dans le fait que nous ne disposons pas des structures permettant l’accueil des mineurs en difficulté, ni l’accueil des mineurs délinquants, car placer les mineurs délinquants et récidivistes dans des foyers classiques met souvent en danger la situation du foyer. C’est pourquoi ont été créées les unités éducatives à encadrement renforcé, mais celles-ci restent en nombre insuffisant. J’ai récemment placé sous contrôle judiciaire un mineur et j’ai, dans le même temps, pris une ordonnance de placement provisoire dans un foyer. Au bout de dix jours, on m’a appelé pour me dire que le foyer était en train de fermer. J’ai demandé ce qu’il fallait que je fasse, ce à quoi les responsables du foyer m’ont répondu qu’ils n’avaient pas de solution à me proposer. J’ai alors changé mon ordonnance de contrôle judiciaire et j’ai mis un terme à l’ordonnance de placement provisoire dans le foyer. J’ai envoyé l’intéressé chez sa mère, ce qui n’était pas forcément la meilleure solution, et cela n’a d’ailleurs pas manqué : il a commis d’autres infractions, qui m’ont conduit à révoquer son contrôle judiciaire, et donc finalement à le placer en détention provisoire. » (M. Jean-Baptiste Parlos, association française des magistrats chargés de l’instruction)
Le manque d’éducateurs, en particulier, est patent : les moyens humains de la protection judiciaire de la jeunesse étaient les mêmes en 1997 qu’en 1983 malgré l’accroissement de la délinquance des mineurs et du nombre des mesures éducatives. Depuis 1997, la création de 1 000 emplois d’éducateurs a été décidée : 380 ont été effectivement créés, 300 autorisés en surnombre.
Des créations de centres de placement immédiat sont aussi prévues pour répondre aux demandes des magistrats de placement en urgence.
« Les centres de placement immédiat sont des structures accueillant une dizaine de mineurs, que nous allons spécialiser dans l’urgence. C’est un sujet difficile qui ne recueille pas toujours l’assentiment de l’ensemble des professionnels, mais il me semble déterminant, car, en l’absence de solution, le jour de la présentation du mineur, ce dernier peut faire l’objet d’une incarcération, faute d’alternative. Il est donc impératif que nous parvenions à construire mieux l’accueil d’urgence dans chacun des départements ; c’est un sujet complexe, non encore résolu dans tous les départements. C’est un objectif important pour les deux ou trois années à venir. » (Mme Sylvie Perdriolle, directrice de la PJJ)
Cinquante centres doivent être créés d’ici 2001. En 1999, 14 centres ont été ouverts, par transformation de l’existant essentiellement. Pour 2000, neuf sites ont été retenus, dix autres seront également ouverts en septembre. En pratique, l’implantation de ces centres, qui n’accueillent chacun qu’une dizaine de mineurs, suscite des réticences. Comme pour les centres d’éducation renforcée, trouver un site d’implantation, alors même que les crédits budgétaires existent, peut s’avérer problématique.
Les centres éducatifs renforcés accueillent, eux, de cinq à six mineurs délinquants, multirécidivistes ou très marginalisés. La directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a souligné l’intérêt de ce dispositif.
« L’encadrement constant de 5 à 6 jeunes par 5 à 6 professionnels sur une durée de trois à six mois favorise réellement la réinsertion des jeunes. Grâce à un cadre d’activités très élaboré, ces jeunes arrivent à construire une autre relation avec les adultes. Il est vrai que le premier mois de séjour est souvent difficile et parsemé de situations de violence : cela s’améliore au bout de trois mois. Le retour constitue un passage délicat, mais plus des deux tiers de ces mineurs ont su retrouver une situation stabilisée et ont accédé à des dispositifs d’insertion. »
On est très loin de ce taux d’encadrement d’un pour un dans les quartiers mineurs des établissements pénitentiaires !
Ces centres sont aussi en nombre tout à fait insuffisant. Le programme fixé par le gouvernement est d’atteindre cent structures d’ici à la fin 2001. A l’heure actuelle, 37 centres sont ouverts ou vont ouvrir, en principe d’ici l’été. La directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a indiqué que 60 créations devraient avoir lieu, au total, d’ici la fin de l’année. Cela signifie 350 places. Ces mesures vont dans le bon sens.
Eviter au maximum l’incarcération qui ne donnera pas lieu à une prise en charge de même niveau que dans les structures éducatives et peut, chez certains jeunes, « valoriser » un parcours de délinquance, est un objectif unanimement reconnu. Il suppose un renforcement significatif des structures éducatives spécifiques qui fournira les outils nécessaires aux magistrats et, au-delà, la mise en place d’une véritable coordination des multiples intervenants qui ont à traiter de la délinquance juvénile.
Il est urgent qu’un débat ait lieu sur cette question et que des orientations claires soient définies. Une loi apportant des réponses spécifiques à la délinquance des mineurs apparaît prioritaire.
c) Les étrangers
Il n’est pas question, avec le problème du sort des étrangers en prison, de susciter de nouveau de vaines polémiques sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France mais de savoir à quoi sert la prison lorsque le détenu n’a pour seule perspective, après son séjour en prison, que l’expulsion vers son pays d’origine.
? Une étude de la direction de l’administration pénitentiaire en 1999 a permis de montrer que les étrangers représentent, en 1999, le quart des détenus en métropole contre 18 % en 1975.
Entre 1975 et 1999, le nombre d’étrangers détenus est passé de 4 645 à 12 164, soit une augmentation de 162 % ; cette augmentation est presque deux fois plus importante que celle des détenus français, dont le nombre a cru de 91 % sur la même période.
Parmi les types d’infraction caractérisant la délinquance étrangère, il en est une, spécifique, intrinsèque au fait même d’être étranger, qui concerne les délits à la police des étrangers ; à ces délits, sont d’ailleurs très souvent liés les délits pour faux et usage de faux documents administratifs.
Les détenus incarcérés pour infraction à la police des étrangers représentent le quart des détenus étrangers en métropole. Entre 1984 et 1996, le nombre d’étrangers entrés pour infraction à la législation sur le séjour des étrangers a cru de 330 %.
Dans son étude, l’administration pénitentiaire relève que, quel que soit le motif de l’incarcération de l’étranger, « l’observation paraît confirmer l’idée d’un traitement pénal moins favorable à l’égard des étrangers, qui se retrouve dès le stade policier et qui s’explique pour partie par la question de la « garantie de représentation » devant les tribunaux, notamment pour les étrangers en situation irrégulière. »
Ainsi, près de 90 % des étrangers sont entrés en prison au titre d’une détention provisoire, contre 73 % pour les Français. De plus, les étrangers prévenus sont écroués principalement dans le cadre d’une comparution immédiate (59 % contre 45 % chez les Français), cette procédure conduisant plus fréquemment que les autres à une décision. Même si la durée moyenne d’incarcération pour les étrangers condamnés uniquement pour délit à la police des étrangers est plus courte que celle des Français (4,7 mois contre près de 8 mois) ; seule une très faible partie d’entre eux bénéficie d’aménagements de peine (2 % ont été libérés à la suite d’une libération conditionnelle).
Ces chiffres soulèvent deux interrogations ; la première a trait aux différences de traitement qui semblent exister entre nationaux et étrangers ; il n’est pas ici question de demander plus de clémence dans les affaires de crimes ou délits qui impliquent des étrangers, mais simplement de s’assurer qu’un même délit ou un même crime est puni dans les mêmes termes quelle que soit la nationalité de son auteur. La seconde, spécifique aux étrangers entrés illégalement sur le territoire français, porte sur l’utilité de placer en prison des personnes ayant commis une infraction qui se révèle être finalement une infraction de type administratif.
Comme l’a souligné M. Robert Badinter devant la commission :
« Il convient également de prendre en compte la présence très forte d’étrangers dans les maisons d’arrêt, qui est souvent la conséquence d’un dévoiement de l’utilisation de l’institution pénitentiaire qui devient une sorte de centre de rétention généralisé. Je me souviens d’avoir constaté avec stupéfaction - et j’y ai mis de l’ordre - que des préfets rencontrant des difficultés pour procéder à des reconduites à la frontière demandaient à des procureurs de prendre des réquisitions fermes pour faire garder sur le territoire des étrangers deux mois de plus, ce qui ajoutait à l’encombrement des maisons d’arrêt. [...] On a un peu trop transformé des politiques administratives en politiques répressives avec les conséquences qui en découlent pour les maisons d’arrêt. Il convient d’étudier cette question de très près. »
Maître Francis Teitgen, bâtonnier de l’ordre des avocats à la cour d’appel de Paris partage la même analyse :
« En réalité, les chiffres sont complexes, car l’on constate que ces très courtes peines concernent un grand nombre de personnes condamnées au terme de procédures de comparution immédiate ; pour certaines d’entre elles, il s’agit à la fois d’une peine de détention et d’une peine préparatoire en vue d’une expulsion du territoire français.
Il y a là un dévoiement de la peine de prison qui consiste non pas à sanctionner, mais à garantir la présence de personnes de nationalité étrangère interdites de séjour - dans des hypothèses de violation d’interdiction de séjour ou d’infraction à la législation sur les stupéfiants ; la peine est alors préparatoire à une expulsion du territoire de la République. Cela pose un problème d’identification de la peine et de réalité de la condamnation. »
Pour ces personnes, incarcérées pour une infraction à la législation sur les étrangers, le temps de l’enfermement ne peut absolument pas être perçu comme une réflexion sur la faute. Il y a plutôt chez ces détenus le sentiment d’un pari tenté et perdu et pour lesquels la prison et l’enfermement n’ont aucune signification ; s’agissant des détenus étrangers ayant commis une infraction autre que les infractions à la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers, la perspective d’une expulsion dans le pays d’origine « casse » tout le processus d’insertion initié dans la prison. L’incarcération ne peut ainsi être assortie d’aucun projet de préparation à la sortie.
« S’agissant de votre seconde question concernant la double peine, il est difficile de juger de telles situations. Ce qui est certain, c’est que pour un détenu qui sera expulsé dans son pays d’origine à sa sortie ou dans un pays dont il a la nationalité sans avoir aucun lien avec lui, la prison n’a aucune fonction de réinsertion ; et cela est désespérant. Or l’on sait qu’un très grand nombre de détenus purgent parfois de très longues peines avec pour seule issue la rupture avec tout ce qui constituait leur vie antérieure. » (Maître Francis Teitgen, bâtonnier de l’ordre des avocats à la cour d’appel de Paris)
La prison apparaît au contraire, pour beaucoup d’étrangers qui étaient auparavant en situation précaire, comme un lieu qui offre des prestations auxquelles ils ne pouvaient accéder à l’extérieur : « Evidemment, les sans-papiers n’ayant ni sécurité sociale, ni papiers, ni argent pour acheter les médicaments, sont mieux soignés en prison qu’à l’extérieur. » (Docteur Véronique Vasseur, médecin chef à la prison de la Santé)
Il s’agit pourtant de savoir ce que l’on veut que la prison signifie pour ces personnes ; il est dommage que le débat soit encore obscurci par des considérations politiques ou polémiques, alors même que les textes eux-mêmes consacrent l’idée selon laquelle le détenu étranger ne peut, en tout état de cause, s’impliquer dans une réflexion sur la peine :
L’article 729-2 du code de procédure pénale prévoit en effet que les mesures de libération conditionnelle ne peuvent être instaurées sans le consentement du détenu, sauf pour les étrangers pour lesquels le consentement n’est pas requis. Il s’agit là d’une exception tout à fait notable à la philosophie de la libération conditionnelle, fondée sur l’insertion et la réadaptation sociale, exception qui n’a d’ailleurs pas manqué d’être contestée par la commission sur la libération conditionnelle présidée par M. Daniel Farge.
« Cela pose la question de la nature même de la libération conditionnelle, qui n’est pas une réduction de peine. Elle suppose un effort personnel de réinsertion de la part du détenu. Le candidat à la libération conditionnelle doit proposer un projet de réinsertion. Il est extrêmement difficile de vérifier la qualité des projets dans les pays étrangers, même s’il existe des conventions internationales. [...]
La commission, quant à elle, propose que le consentement soit requis désormais pour tous, y compris pour les étrangers, car cela s’inscrit dans la philosophie de la libération conditionnelle. Cela dit, nous trouverons peut-être une autre solution pour les étrangers. » (M. Daniel Farge, magistrat, président de la commission sur la libération conditionnelle).
L’incarcération des détenus étrangers doit absolument faire l’objet d’une réflexion approfondie ; elle ne correspond pas en effet actuellement aux missions qui devraient être assignées à la prison.
La question des conditions de l’enfermement se pose aussi dans les centres de rétention. Le contrôle exercé par la délégation générale à la liberté individuelle (Cf. III.C) s’étendra à ces centres.
d) Les toxicomanes
On a déjà eu l’occasion d’insister, dans ce rapport, sur les évolutions récentes de la population pénale, qui connaît une part croissante de toxicomanes. Les déficiences de la prise en charge en prison des phénomènes de dépendance ont également été évoquées.
Il s’agit ici d’insister plutôt sur la désorganisation profonde qui résulte de la présence de toxicomanes en prison. Il faut être conscient que les toxicomanes en prison ont profondément modifié l’univers carcéral sans que l’on puisse avoir le sentiment que la prison ait une quelconque influence sur eux. La prison n’est pas un lieu où l’on guérit de la drogue ; penser que l’on va guérir de la drogue en mettant le toxicomane à l’abri des produits est une illusion. D’autant que « l’abri » est particulièrement limité. Tous les responsables des établissements pénitentiaires reconnaissent qu’il y a trafic de drogues à l’intérieur de la prison.
« Mais la grande majorité des gens ne sortent pas de la drogue par la prison. En sortir vraiment nécessite une prise en mains de sa vie sur d’autres bases qui supposent une réinsertion sociale, un changement d’identité, un travail, un logement, etc. La prison est une parenthèse que certains toxicomanes supportent très bien car ils troquent leur dépendance à la drogue contre une dépendance à la prison. Ils sont contenus par cette « matriarche » qu’est la prison1) alors que sortir de la drogue, c’est se confronter à un père-loi. La prison ne se présente pas du tout comme cela. On est mis en prison par la loi mais on y subit des règles, lesquelles changent d’ailleurs d’une prison à l’autre, ce qui montre leur relative indifférence au regard de la structuration psychique. En cela, la prison n’est pas un lieu thérapeutique. C’est un lieu où l’on ne survit que si l’on ment, si l’on cache une partie de soi-même pour pouvoir être soi-même dans son intimité, alors qu’il n’y a justement pas d’intimité.
On ne sort donc pas de la drogue de cette façon-là. On se drogue quelques heures après être sorti de prison rien que pour éprouver que c’est toujours possible et que cela vous est toujours accessible. Ce sont parfois les dernières prises de drogue avant de changer de vie, mais je n’ai jamais vu sortir quelqu’un de prison guéri de la drogue. Le risque, c’est surtout de reprendre de la drogue en sortant de prison aux doses que l’on prenait avant et de faire une overdose. Cela se produit régulièrement. D’où l’importance de poursuivre les traitements de substitution en prison. Il y a encore un effort à faire puisque seul un toxicomane sur sept obtient un traitement de substitution en prison, contre un sur trois en ville.
Bien entendu, parallèlement aux traitements de substitution, tout le dispositif psychologique et social doit être mis en _uvre. Il y a, là aussi, beaucoup de lacunes, notamment pour la réinsertion sociale, puisque l’on sort trop souvent de prison sans relais à l’extérieur, surtout si l’on est interdit de séjour dans son département. Dans certains tribunaux, c’est quasiment systématique, alors que toutes les bases sociales se trouvent dans le département d’origine. Il faut donc aller squatter ailleurs, le temps de se refaire des bases, et c’est naturellement dans la communauté des toxicomanes que l’on retrouve une place dans le département voisin.
Il importe de comprendre que la prison n’est pas un lieu thérapeutique pour les toxicomanes. Cela peut éventuellement être une sanction du trafic de drogues, mais la grande majorité des toxicomanes n’a pas sa place en prison. » (M. Philippe Carrière, responsable du SMPR de Châteauroux, membre de l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire)
Compte tenu de l’importance de la récidive chez les toxicomanes, récidive induite par la reprise quasi-immédiate d’utilisation de stupéfiants, il faut s’interroger sur l’utilité de la prison comme cadre adéquat de rappel à la loi et de sanction.
Dans cette optique, il semble pertinent de différencier les personnes incarcérées pour usage simple de celles condamnées pour usage et trafic.
S’agissant des premières, il est bien évident, on l’a vu dans l’analyse des politiques de prise en charge, que la réponse par l’incarcération n’est pas adéquate. Cela étant dit, le nombre de personnes incarcérées pour ce motif paraît extrêmement faible. L’échange entre Mme Nicole Maestracci, Présidente de la MILDT et le Président de la commission d’enquête est éclairant sur la situation de ces détenus :
« Une enquête de 1995 - que je vous ferai parvenir - montrait qu’il y avait environ 160 personnes, un jour donnée, qui étaient incarcérées pour simple usage. C’est un chiffre « de stock ». J’ai demandé à l’administration pénitentiaire de refaire la même évaluation aujourd’hui pour savoir si le chiffre a baissé ou pas.
En principe, dans la circulaire qui a été adressée par Mme la garde des sceaux aux procureurs juste après le plan triennal du gouvernement, il est demandé aux procureurs d’éviter l’incarcération pour les simples usagers. Mais je ne jurerai pas qu’il n’en reste pas encore quelques-uns.
M. le Président : « Sont-ils en préventive ou sont-ils condamnés ?
Mme Nicole Maestracci : « Dans l’enquête, il y avait les deux catégories. Encore faut-il savoir qu’une infraction de simple usage ne fait pas l’objet d’une information. Il peut y avoir éventuellement une détention provisoire parce que l’audience de comparution immédiate a été reportée mais dans la plupart des cas il s’agissait de condamnés. »
M. le Président : « Des condamnés à des peines de quelle durée ?
Mme Nicole Maestracci : « A des peines de durée courte, de l’ordre de trois mois. »
M. le Président : « Le temps de ressortir pires !
Mme Nicole Maestracci : « La peine encourue en France pour les simples usagers est d’un an d’emprisonnement. »
Les personnes incarcérées pour trafic de stupéfiants sont beaucoup plus nombreuses puisqu’elles représentant 14,7 % de la population pénale. Toutes les personnes incarcérées pour trafic ne sont pas toxicomanes, mais il y a, dans la très grande majorité des cas, une corrélation étroite entre l’usage de drogues et le trafic. De plus, ce chiffre ne représente pas non plus l’ensemble de la population toxicomane puisqu’une grande partie des crimes et délits constatés peuvent être imputés à l’usage direct de drogues, en raison de la dépendance qu’elles induisent et du prix des produits.
Il n’y a donc pas de réponse globale à apporter en matière d’incarcération des toxicomanes, compte tenu de la diversité des infractions perpétrées. Si l’on convient que la prison n’est pas la réponse à la toxicomanie, il ne s’agit pas non plus de tomber dans l’excès inverse en oubliant, voire en excusant le crime par l’existence de conduites addictives.
Néanmoins, s’il y a bien un impératif de sanction, il convient de réfléchir d’abord à celle qui paraît la plus adéquate. Telle qu’elle existe actuellement, la sanction de l’enfermement induit la récidive.
Plusieurs expériences ont été menées afin de réfléchir à des alternatives conçues à la fois comme une sanction et initiant une prise en charge de la dépendance. Une circulaire en date du 17 juin1999 sur les réponses judiciaires aux toxicomanes permet de faire le point sur la question et de citer quelques expérimentations réussies ; ainsi, par exemple, les mesures de travail d’intérêt général ont été adaptées selon des modalités spécifiques pour les toxicomanes, avec l’idée d’une progressivité dans l’exécution du travail qui intègre des mesures éducatives particulières et s’appuient sur un partenariat soutenu.
Il est nécessaire en la matière de multiplier les expériences et d’utiliser tout l’arsenal des sanctions alternatives en les adaptant de manière pragmatique au public concerné.
Il faut être conscient, en préconisant la solution des sanctions alternatives, que cette orientation ne paraît guère aller dans le sens de la politique pénale menée jusqu’à présent :alors qu’entre 1983 et 1993, le contentieux des stupéfiants enregistre un accroissement de 144 %, le rapport remis au garde des sceaux par la commission sur la libération conditionnelle présidée par M. Daniel Farge démontre que les condamnés pour infraction à la législation sur les stupéfiants sont quasiment exclus des dispositifs de libération conditionnelle.
Sans qu’il soit question d’analyser le bien-fondé de cette politique, qui répond là encore à une attente, il faut être conscient que ce choix de la fermeté ne prévient pas la récidive. A tout le moins, si l’on maintient cette orientation, faudrait-il s’interroger sur les mesures d’accompagnement à la sortie : si le toxicomane n’est pas préparé à sa sortie, et ne dispose pas notamment d’hébergement, la rechute et la récidive seront inéluctables :
« 100 % des toxicomanes qui sortent sans hébergement rechutent. Si l’on a pris en charge correctement un toxicomane en prison sans évoquer son hébergement et sa sortie, tout le travail sera annulé dans les vingt-quatre heures qui suivront. » (Mme Betty Brahmy, psychiatre, responsable du SMPR de Fleury-Mérogis)
e) Les détenus malades ou âgés
Le nombre croissant de détenus âgés a déjà été souligné ; 1 455 détenus à la fin de 1999 étaient âgés de plus de 60 ans et ce nombre a quasiment doublé en quatre ans. Cette recrudescence est liée notamment à l’accroissement des condamnations pour harcèlement sexuel, viol ou inceste.
L’inadéquation de la prise en charge de ces détenus et de façon plus large, des détenus gravement malades ou dépendants, a également déjà été évoquée.
La présence de ces personnes dans les établissements pénitentiaires pose très concrètement la question de la mort en prison. Les personnels surveillants, les autres détenus ne sont pas préparés à cette éventualité et rien n’est fait de façon très encadrée pour accompagner le détenu dans ses derniers instants. Mourir en prison, c’est affronter une solitude sans espoir ; c’est un constat d’échec et de gâchis pour les familles qui n’ont pu être présentes dans les derniers moments.
L’ensemble des personnels pénitentiaires essaient, dans la mesure du possible, de transférer le malade à l’hôpital dans ses derniers jours ; se pose néanmoins, là encore, la question des escortes et la difficulté de mobiliser des forces de police ou de gendarmerie. L’attitude des médecins, qui trop souvent renvoient le malade en prison une fois l’alerte passée, aussi facilement que si celui-ci retournait chez lui, a également été maintes fois évoquée ; un cas particulier au centre de détention de Caen où le médecin a renvoyé le malade en prison où il est mort deux jours après, semble ainsi avoir particulièrement frappé les esprits des membres du personnel pénitentiaire.
Il n’est pas digne de mourir en prison. La question du maintien en détention des détenus malades ou âgés se pose donc. La grâce médicale n’est accordée aujourd’hui que par le Président de la République. Cette mesure paraît cependant être proposée parcimonieusement et accordée encore plus prudemment ; en 1998, 27 dossiers ont été présentés au Président de la République et 14 grâces ont été accordées ; en 1999, 33 propositions pour 18 grâces prononcées.
« La question de la grâce médicale est fondamentale. Jusqu’en 1996, en l’absence de traitement efficace, des malades du sida sont morts en prison ou une journée après leur libération. Nous en avons connu de nombreux au cours des dures années que furent celles de 1993 et de 1994.
De nombreux détenus avaient formulé une demande de grâce médicale. Ils étaient tout près de mourir. Ils ont été libérés la veille ou l’avant-veille de leur décès, ont été transférés dans leur famille ou sont morts à l’hôpital voisin. Il convient d’envisager à nouveau la question de la grâce médicale en termes de recours, de constitution de dossiers et aussi en considérant les éléments présidant à la prise en compte de la grâce. Aujourd’hui encore, elle concerne des détenus dans un état grave. Des détenus se sont vu accorder la grâce médicale le lendemain du jour de leur mort. Aujourd’hui, la question se pose avec moins d’acuité s’agissant du sida, car les traitements sont plus efficaces et il y a donc moins de détenus très avancés dans la maladie. Il en reste néanmoins et cette question doit, à mon avis, être envisagée à nouveau. » (Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l’association Act-up Paris)
Il semble effectivement nécessaire de revoir les procédures de grâce médicale ; rien ne justifie que cette décision relève encore actuellement du Président de la République. La procédure devrait relever du juge de l’application des peines qui pourrait, pour prendre sa décision, s’appuyer sur des expertises médicales établissant que le détenu est atteint d’une maladie mettant en jeu le pronostic vital. Cette procédure pourrait également concerner les détenus très âgés et dépendants, dont la présence en prison ne se justifie plus en terme de protection de la société.
« En visitant certains établissements, notamment celui de Liancourt, j’ai été frappée de voir des détenus qui marchaient, appuyés sur un tripode. On m’a expliqué que certains nécessitaient une aide pour effectuer des actes de la vie personnelle.
Il existe deux catégories de détenus : incarcérés assez âgés, certains purgent des peines encore couvertes par la période de sûreté ; d’autres non. La première, sauf à modifier la loi, ne peut faire l’objet d’une quelconque mesure d’aménagement de peine ou de libération conditionnelle.
Dans l’absolu, lorsqu’une personne n’est qu’au début de la dépendance, seulement pour certains actes et non pas totalement, je considère qu’elle peut encore être dangereuse. En revanche, à partir d’un certain niveau de dépendance, la dangerosité devient très faible.
Parmi les personnes âgées en détention, il en est beaucoup condamnées pour harcèlement sexuel, viol ou inceste. Il est clair qu’elles peuvent, malgré leur dépendance, être animées de certaines pulsions ou risquer des tentatives. Néanmoins, je pense qu’il arrive un âge où la dangerosité devrait être considérée de plus en plus faible. » (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire)
2) Développer et crédibiliser les solutions alternatives
Le développement des solutions alternatives à l’incarcération doit absolument être considéré comme une priorité par le ministère de la Justice. C’est dans ce développement que réside incontestablement la solution au problème du surencombrement dans les maisons d’arrêt. Il faut bien entendu, pour cela, une véritable volonté politique, assortie des moyens budgétaires adéquats. Mais il importe également d’accomplir un effort pédagogique en direction de l’opinion publique : les solutions alternatives sont des sanctions au même titre que l’incarcération. Il ne s’agit pas, en effet, de faire accroire que la petite et moyenne délinquance, principalement concernées par ces mesures, restent impunies. Il faut, dès lors, insister sur le caractère profondément déstructurant des courts séjours en prison qui ne peuvent prévenir la récidive et qui, trop souvent même, l’induisent.
Les peines alternatives - improprement d’ailleurs appelées alternatives comme si l’incarcération devait être la norme - développent au contraire une logique d’insertion tout à fait intéressante.
L’éventail des mesures alternatives existantes permet d’adapter la sanction aux différents types de délinquance ; la progression de l’ensemble des mesures permet d’affirmer que celles-ci sont de plus en plus crédibles aux yeux des magistrats.
Le sursis avec mise à l’épreuve a dépassé les 100 000 mesures depuis le 1er janvier 1998. Au 1er janvier 1999, il représente 76,1 % des peines alternatives prises en charge par les services d’insertion. Cette mesure reste la plus utilisée par les juridictions et touche une classe d’âge assez large. L’accompagnement de la personne dans le temps, sachant que la durée moyenne d’un sursis avec mise à l’épreuve a été, en 1998, de 22,8 mois (contre 23,2 mois en 1994), permet de mettre en place un travail partenarial. Les juridictions y ont recours plus particulièrement pour le cas d’abandon de famille, les atteintes aux m_urs, les coups et violences volontaires, le vol et le recel.
Le travail d’intérêt général a également connu une forte progression. Entre le 1er janvier 1994 et le 1er janvier 1999, le nombre de condamnés à une peine de travail d’intérêt général a augmenté de 83,3 %. Depuis 1989, il a été multiplié par cinq. Cette progression importante du travail d’intérêt général, particulièrement forte depuis 1994, est sans doute due à l’effet conjugué de deux événements : l’entrée en vigueur du nouveau code pénal qui impose des conditions très rigoureuses à l’octroi du sursis simple et l’opération de communication menée à l’occasion du dixième anniversaire de cette peine.
Cependant, en 1998, les mesures de travail d’intérêt général ont marqué le pas puisqu’elles n’ont augmenté que de 0,8 % contre 5 % en 1997 et représentent seulement 16,7 % des mesures de milieu ouvert. Deux contentieux représentent 80 % des condamnations au TIG : le vol-recel et la circulation routière.
Une enquête menée en 1997 tend à démontrer une demande forte des magistrats à l’égard de l’exécution de la mesure et la mise en place d’un suivi qualitatif, lequel ne constitue pas toujours un objectif pour les partenaires administratifs ou associatifs ; les exigences accrues des magistrats expliqueraient la stagnation de cette peine.
Les condamnés sont majoritairement affectés à des postes proposés par des collectivités territoriales et ne présentant généralement pas d’exigences particulières. Les condamnés ont un rôle de complément de main-d’_uvre mais ne se substituent pas à des postes de titulaires. Les collectivités les plus pourvoyeuses de postes sont les municipalités, dont les services techniques recrutent les condamnés pour l’entretien des bâtiments, des espaces verts, de la voirie et des travaux de peinture. Des postes administratifs sont aussi offerts. Beaucoup de municipalités, de toutes tendances politiques, se plaignent de la non-utilisation des postes offerts. Une étude devrait permettre de mesurer ce contre-effet.
Le secteur associatif participe également à l’accueil des condamnés à un travail d’intérêt général. Il est cependant souvent confronté à des problèmes d’encadrement, faute de permanents suffisants. En revanche, le choix des postes est plus varié et permet à des condamnés d’intégrer des réseaux associatifs, les aidant quelquefois à élargir leur horizon relationnel. A défaut d’assurer l’insertion professionnelle des condamnés, le secteur associatif réussit assez souvent leur insertion sociale.
La semi-liberté a progressé très légèrement jusqu’en 1997 (cette augmentation est variable selon les régions mais reste dans l’ensemble homogène). Durant l’année 1998, le taux de progression a été de 9,1 % par rapport à l’année précédente ce qui est très encourageant.
Parce qu’elle offre un cadre d’exécution rigoureux, la semi-liberté est une mesure d’aménagement de peine adaptée à un public relativement limité. Elle nécessite néanmoins qu’un partenariat structuré et spécifique lui soit associé.
Certains sites ont développé des projets permettant d’accompagner des détenus dans une démarche d’insertion, privilégiant la formation et l’emploi pour certains ou la prise en charge thérapeutique pour d’autres.
Si les projets existent, ils sont encore peu nombreux. Il est vrai que l’utilisation de cette mesure fait appel à des structures pénitentiaires indépendantes (les centres de semi-liberté) ou à des quartiers spécifiques (maison d’arrêt, centres de détention), ne disposant pas toujours de l’encadrement nécessaire pour prendre en charge ce public.
« Il y a aussi des outils que le parlement a accordés à l’administration pénitentiaire, mais qui sont restés inutilisés. Le programme pluriannuel pour la Justice, voté en 1995, avait prévu à la fois un objectif de construction de 1 200 places de semi-liberté et les crédits nécessaires à la réalisation de cet objectif.
Peu de ces 1 200 places ont été effectivement créées. Seuls deux ou trois centres de semi-liberté ont été ouverts en France depuis 1995 et l’on en est resté là. La semi-liberté, qui permet à un détenu de sortir pour travailler et de rentrer dans l’établissement pénitentiaire quand son travail est terminé, est très intéressante. Or aujourd’hui, pour reprendre l’exemple de la région parisienne, les centres de semi-liberté qui y existent sont implantés assez loin des lieux d’activité des détenus et sont fermés tous les week-ends, parce que l’administration pénitentiaire ne dispose pas du personnel suffisant pour procéder à une ouverture sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En conséquence de quoi, il faut trouver aux personnes en semi-liberté un hébergement pendant le week-end. La difficulté de trouver un tel hébergement pour une personne en parcours difficile est évidente, surtout à Paris. L’enjeu est de cet ordre. » (M. Pascal Faucher, membre de l’association nationale des juges de l’application des peines)
La question des moyens apparaît dès lors prédominante ; l’essor des mesures alternatives exige en effet des moyens importants attribués aux services d’insertion, à qui l’on réserve encore trop souvent la partie congrue des crédits budgétaires. Le développement du recours aux emplois-jeunes dans ces services ne peut à cet égard qu’être conçu comme un palliatif provisoire préalable au recrutement de conseillers d’insertion.
Le renforcement de l’encadrement devrait pouvoir crédibiliser ces solutions alternatives aux yeux des magistrats, qui paraissent encore trop réticents devant des solutions qu’ils estiment peu fiables sur le plan de la sécurité. Ainsi, les peines alternatives restent encore sous-utilisées : les centres de semi-liberté, au 1er janvier 1999, n’étaient remplis qu’à 71 % de leur capacité. Cette moyenne globale ne reflète pas cependant les difficultés locales existant dans certains CSL : le CSL de Gagny connaît ainsi une suroccupation de 160% ; le CSL de Toulouse dispose de 25 places qui sont toutes occupées et pour lesquelles le juge de l’application des peines doit gérer dans des conditions difficiles une longue liste d’attente.
La présence de surveillants en milieu ouvert, préconisée par les syndicats de surveillants, permettrait très certainement de voir ces solutions progresser. Le développement des solutions alternatives passe également par un soutien accru du monde associatif, dont le rôle est essentiel dans l’encadrement du milieu ouvert ; la mission conduite dans les DOM a d’ailleurs pu constater la quasi-inexistence du recours aux solutions alternatives du fait de l’absence de relais partenarial consistant.
Il faut cependant se garder de faire des solutions alternatives la réponse à la moindre infraction : afin de garder son efficacité, le système du milieu ouvert doit reposer sur l’individualisation de la peine et l’adaptation à la personnalité du condamné ; il s’accommode mal, quels que soient les moyens impartis, du traitement de masse. De plus, il ne faut pas que ce développement des mesures alternatives vienne empiéter sur la liberté, alors qu’elles sont censées se substituer à l’incarcération. Là encore, l’attitude des magistrats devant la montée en puissance du système sera déterminante.
La même vigilance s’impose s’agissant de l’expérimentation du placement sous surveillance électronique. La loi du 19 décembre 1997 permet en effet d’offrir à des détenus ayant une peine ou un reliquat de peine inférieur à un an de l’effectuer en dehors de la prison avec un bracelet électronique.
« Un autre point important est de savoir dans quel créneau se situera le bracelet électronique parce qu’en France, à la différence peut-être des pays qui l’ont implanté (et c’est une remarque qui nous est faite par un certain nombre de personnels), de nombreux dispositifs existent déjà à la fois dans le cadre du prononcé d’une peine (je pense notamment au sursis avec mise à l’épreuve qui implique un suivi social) et dans le cadre de l’exécution des peines, que ce soit le placement à l’extérieur, la semi-liberté, la libération conditionnelle et d’autres mesures auxquelles le bracelet électronique viendra s’ajouter. Si le bracelet électronique venait empiéter sur la liberté, nous constaterions dans ce cas-là un échec et ce n’est évidemment pas ce que nous souhaitons. Nous devons être extrêmement vigilants et veiller à bien définir le bracelet électronique comme une peine de substitution à un emprisonnement ferme et non comme une alternative à la libération conditionnelle ni surtout au placement à l’extérieur. Notre vigilance doit être extrêmement forte sur ce point.
Deuxième point : les expériences étrangères nous montrent que ce système de bracelet électronique concerne généralement des publics très spécifiques. La Suède a assez bien développé le système mais de manière relativement modérée : 591 personnes ont été placées sous bracelet électronique en 1998 pour une population de 8,8 millions d’habitants. C’est un ratio dont nous avons à tenir compte. En Suède, 57 % de personnes sont condamnées pour conduite en état alcoolique. En France, les personnes condamnées pour conduite en état alcoolique (leur nombre est important) ne sont pas forcément incarcérées à l’intérieur d’établissements pénitentiaires. On retrouve ainsi le risque de toucher un public qui, pour l’instant, n’est pas incarcéré. J’insiste sur ce point. [...]
Nous avons ce souci de veiller, d’une part, à une mise en place progressive, d’autre part, à bien cibler les publics et à ne pas mordre sur des publics qui ne rentreraient pas, en l’absence de bracelet électronique, en détention. » (M. Eric Lallement, sous-directeur de l’organisation du suivi social et du fonctionnement des services déconcentrés à la direction de l’administration pénitentiaire)
La réussite du bracelet électronique repose donc sur la bonne appréhension du dispositif par les magistrats. Elle implique également un encadrement social important : « ...il est nécessaire de mettre en place un accompagnement social fort pour répondre au véritable souci de réinsertion et de prévention de la récidive. Un certain nombre de pays qui ont mis en place le bracelet électronique ont un travailleur social pour dix personnes placées sous bracelet électronique. Un suivi social extrêmement fort et développé est nécessaire pour répondre aux trois objectifs de la mise en place réaliste et pertinente du bracelet électronique, les trois objectifs étant de réduire le nombre d’incarcérations ou la durée d’incarcération et donc de permettre à nos établissements pénitentiaires d’avoir des espaces un peu plus larges pour ceux qui restent incarcérés. Il faut, en outre, éviter la récidive et prévenir. La réinsertion nécessite cet accompagnement social extrêmement fort. » (M. Eric Lallement, sous-directeur de l’organisation du suivi social et du fonctionnement des services déconcentrés à la direction de l’administration pénitentiaire)
Cet accompagnement social devra notamment veiller à ce que des centres d’hébergement ou des associations soient à même d’accueillir des personnes sans domicile placées sous surveillance électronique. Faute de quoi, le bracelet électronique, qui exige un domicile fixe et une ligne téléphonique, se verra réservé à une « délinquance en col blanc » ; l’inéquité qui en résulterait entre les personnes assez aisées pour garantir un cadre d’accueil au dispositif électronique et les autres, condamnées faute de moyens suffisants à l’incarcération, irait à l’encontre de l’objectif poursuivi.
Sous ces réserves, le bracelet électronique est susceptible de jouer un rôle dans le désencombrement des maisons d’arrêt ; trois sites pilotes ont été préalablement choisis pour mener l’expérience, au regard du chiffre de surencombrement des maisons d’arrêt :
« Sur un plan technique, le ministère de la Justice a donc, dans un premier temps, choisi d’expérimenter ce bracelet électronique sur trois sites. Ces sites ne sont pas encore choisis à la date d’aujourd’hui. Nous avons soumis à Mme la garde des sceaux une liste de onze sites qui répondent à la priorité devant être développée par le bracelet électronique qui est de réduire la surpopulation carcérale en évitant l’incarcération des personnes qui seraient condamnées à de courtes peines d’emprisonnement ou, au contraire, en aboutissant à une libération anticipée avec un contrôle par le biais du bracelet électronique d’une personne qui a été préalablement condamnée.
On a donc défini les possibilités au regard de la surpopulation carcérale des établissements pénitentiaires après une consultation qui a été faite auprès de nos directions régionales. Nous avons défini ces onze sites à partir de là. Ils sont aujourd’hui soumis à la concertation sociale. Nous avons réuni les organisations professionnelles des personnels de surveillance, de direction et des travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire et ceux-ci doivent nous faire part de leurs observations d’ici une quinzaine de jours. Nous aurons aussi prochainement une réunion avec l’ensemble des juges d’application des peines, directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation et chefs d’établissement de ces onze sites pour voir avec eux le degré de faisabilité sur ces onze sites et, à la suite de ces consultations, Mme la garde des sceaux sélectionnera les trois sites qui recevront cette expérimentation pour une durée que nous avons évaluée à neuf mois. » M. Eric Lallement, sous-directeur de l’organisation du suivi social et du fonctionnement des services déconcentrés à la direction de l’administration pénitentiaire)
Finalement, le nombre de sites choisis s’élève à quatre qui sont : Lille, Aix-en-Provence, Agen et Grenoble. Les postes de surveillance seront situés en établissements pénitentiaires avec un poste à la maison d’arrêt de Loos, un à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, un à la maison d’arrêt d’Agen et un au centre de semi-liberté de Grenoble.
La généralisation du système doit être conduite prudemment, et s’accompagner notamment d’un effort de pédagogie en direction du grand public. En l’absence de communication, le système peut, comme en Angleterre en 1989, aboutir à l’échec.
3) Limiter la détention provisoire
La question de la place des prévenus en prison a déjà été longuement évoquée : on a insisté sur leur nombre (19 726 en 1999), l’inéquité de leur régime de détention, plus sévère que celui des condamnés alors qu’ils sont présumés innocents, et sur la difficulté qu’il y avait, tant qu’ils sont soumis au régime de détention provisoire, de promouvoir une action d’insertion.
Il faut noter qu’au Canada, la liberté sous caution est la règle et que la détention provisoire n’est prononcée que dans 15 % des cas. La caution ne consiste pas obligatoirement en une somme d’argent, mais impose le respect de diverses obligations.
Il faut dès lors initier une réflexion plus en amont, qui permettrait de limiter le placement en détention provisoire et de réduire sa durée. Le débat a été clairement posé lors de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et plusieurs réformes décisives ont pu être adoptées dans ce cadre : les conditions de placement en détention provisoire ont été revues et ne concernent plus majoritairement que les délits pour lesquels la peine encourue est supérieure à trois ans, contre deux auparavant. Les délais de la détention provisoire ont été réduits et ne peuvent plus dépasser, en matière correctionnelle, quatre mois lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans et un an dans les autres cas (contre six mois auparavant lorsque la peine était inférieure ou égale à cinq ans, deux ans lorsqu’elle était inférieure à dix ans et illimitée pour les peines supérieures à dix ans).
En matière criminelle, le délai de droit commun est de deux ans pour les peines inférieures à vingt ans et trois ans dans les autres cas ; cette durée était auparavant illimitée, sous la seule réserve du respect d’un « délai raisonnable » imposé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
La ministre de la Justice a indiqué, lors de son audition qu’une baisse de 4 à 5 000 détentions provisoires était escomptée de la mise en _uvre de ces mesures.
Les délais d’audiencement des affaires ont également été fixés limitativement : six mois en matière correctionnelle et deux ans en matière criminelle.
La détention provisoire se trouve également strictement encadrée dans le cas de parents élevant seuls leurs enfants.
Le texte adopté, et sur lequel les parlementaires ont fait des propositions décisives, démontre que rien n’est inéluctable dans la décision de placer en détention et que toute initiative réformatrice ne bute pas inexorablement sur la question des moyens.
Au-delà du texte adopté, la réflexion reste ouverte sur les responsabilités qui incombent à chacun dans la décision du placement en détention provisoire.
Il y a d’abord, reconnaissons-le, une responsabilité du législateur, qui a eu pour souci de faire cesser le plus rapidement possible le trouble à l’ordre public causé par l’infraction. Interprété extensivement par les juges, ce critère de trouble à l’ordre public a désormais essentiellement pour objectif d’apaiser une opinion publique, relayée par les médias, qui exige souvent des mesures immédiates.
« Concernant la première question relative à la pression de l’opinion publique et des enquêteurs sur la décision de placer en détention provisoire, je vous renvoie à la loi : la détention provisoire doit être l’unique moyen d’apaiser le trouble à l’ordre public. C’est ce qui figure dans la loi. Si l’on veut supprimer ce critère, il faut le faire, mais il convient de savoir que nous prenons une décision sur la base des réquisitions du procureur de la République qui défend les intérêts de la société, donc les vôtres, et de la plaidoirie de la défense. Souvent, des réquisitions ne sont fondées que sur le trouble à l’ordre public, car tel est le critère figurant dans la loi. Son application a été limitée lors de dispositions récentes, mais, en tant que magistrats qui appliquons la loi, c’est là un critère que nous devons prendre en compte.
En règle générale, il est extrêmement rare qu’une décision de placement en détention provisoire soit prise sur ce seul critère. Je ne puis m’engager au titre de mes collègues, mais c’est personnellement mon cas. Cela dit, il est bien évident qu’à partir du moment où la loi prévoit la mise en détention et si la détention provisoire est l’unique moyen d’apaiser le trouble à l’ordre public, nous nous devons de prendre en considération le trouble à l’ordre public. [...]
Il y a peu, à l’issue d’un débat contradictoire, je n’ai pas placé une personne en détention. On entend souvent dire que le débat contradictoire ne sert à rien. Ce n’est pas vrai ; il arrive ainsi que nous ne placions pas une personne à l’issue d’un débat contradictoire. Le lendemain, j’ai été appelé par la victime. Je me suis fait vertement tancer. Je lui ai expliqué les raisons de ma décision. Il s’agit là de notre rôle, notre responsabilité. » (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)
Il serait donc nécessaire de revoir les critères de placement en détention provisoire ; si l’objectif d’apaisement du trouble à l’ordre public répond à des motivations tout à fait respectables dans des cas très précis, il n’est pas souhaitable que ce critère soit dévoyé sous la pression de l’opinion publique.
La décision de placement en détention provisoire peut également répondre à une attente des officiers de police judiciaire à l’issue d’une enquête qu’ils ont menée de bout en bout.
« Pour ce qui est des policiers, je vous exposerai clairement ma pratique, dont je pense qu’elle est également celle d’un certain nombre de mes collègues. Lorsqu’ils identifient une personne comme étant l’auteur d’un délit, alors même que nous devons pour notre part la considérer, selon la loi, comme innocente, ils souhaiteraient que des mesures coercitives soient prises immédiatement. Dans les cas où nous ne prenons pas ces mesures, j’ai coutume de les appeler pour leur en expliquer les raisons. Rien n’est plus désagréable pour quelqu’un qui a accompli des actes d’enquête compliqués, qui s’est donné dans son enquête, d’apprendre par une autre voie une décision qu’on ne lui a pas expliquée. Je considère les policiers et les gendarmes comme mes collaborateurs et je leur explique pourquoi je ne prends pas une décision de détention provisoire. Il est vrai que cela « remue » parfois, mais nous assumons notre rôle de magistrats. » (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)
Surtout, le placement en détention provisoire semble de plus en plus être décidé par des juges d’instruction dans le seul objectif de conduire le prévenu à passer aux aveux. Il s’agit là d’un véritable dévoiement de la procédure de détention provisoire, dont il est difficile d’apprécier l’ampleur.
« Sur la détention utilisée comme moyen de pression, je ne vous dirai pas que cela n’a jamais existé. Il faut quand même savoir que l’enquête pénale a changé de visage. L’aveu n’est plus la reine des preuves, notamment en matière financière. En matière financière, nous travaillons sur des documents, sur des comptes, sur des éléments papiers. Il en va de même dans les affaires de banditisme. On travaille aussi sur les tests d’ADN, les téléphones portables, plus souvent qu’auprès des personnes placées en garde à vue ou celles en détention provisoire qui ne disent rien ou contestent leur responsabilité pénale. Je ne vous dirai pas que cela n’a jamais existé, mais il serait totalement illusoire de fonder une enquête et une instruction sur une détention utilisée comme pression. » (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)
La loi sur la présomption d’innocence, qui institue un juge des libertés et de la détention, seul compétent pour ordonner le placement en détention provisoire, devrait permettre de mettre fin à ces pratiques.
Il serait cependant hâtif de dénier toute utilité à la détention provisoire ; elle correspond, le plus souvent, à une réelle nécessité de l’enquête, qui est de s’assurer de la garantie de présentation des suspects. Des mesures alternatives existent, telles que le contrôle judiciaire, mais souffrent d’une absence de moyens.
« ... actuellement, la seule mesure alternative est le contrôle judiciaire. Il serait bon de développer d’autres mesures alternatives. On a parlé du bracelet électronique, mais je ne suis pas certain que l’on en ait les moyens. En tout état de cause, il est certain que plus l’éventail des choix sera large, plus on limitera la détention provisoire. [...]
S’agissant des moyens alternatifs, par exemple, en matière de contrôle judiciaire, je vous invite à relire l’article 138 du code de procédure pénale. C’est extraordinaire ! Vous avez l’impression que vous pouvez tout faire ! Le premier des moyens alternatifs serait de pouvoir assurer l’efficacité du contrôle judiciaire. Je cite un exemple : le contrôle judiciaire permet d’assigner une personne à résidence, c’est-à-dire qu’elle ne sort pas de chez elle, sauf pour se rendre à son travail ou pour les besoins de la vie courante. Je viens, dans le cadre d’un dossier, de placer quelqu’un sous contrôle judiciaire et de l’assigner à résidence en province, car je suis juge d’instruction à Paris. Je ne dispose d’aucun moyen de vérifier que cette obligation est respectée. Certes, j’ai appelé la brigade de gendarmerie locale en lui signalant que je lui avais envoyé copie de mon ordonnance de placement sous contrôle judiciaire. Je lui ai indiqué que la personne dépendait de son ressort et lui ai demandé si elle pouvait vérifier de temps à autre si mon contrôle judiciaire était exécuté. Le commandant de brigade, très gentiment, m’a répondu qu’il le ferait, mais il a également ajouté que lui et ses hommes étaient très chargés.
Le premier point consiste donc à assurer l’efficacité de la mesure alternative. » (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)
La loi sur la présomption d’innocence a prévu qu’avec l’accord de l’intéressé, la détention provisoire pourrait être effectuée sous surveillance électronique. Cette mesure paraît réellement prometteuse pour peu que les moyens adéquats lui soient attribués.
Il est également indispensable de réduire la durée de la détention provisoire ; rappelons que celle-ci est en moyenne de quatre mois pour les délits et d’un peu moins de deux ans pour les crimes ; la loi sur la présomption d’innocence a strictement encadré ces délais. Il reste encore à faire en sorte que le délai maximum prévu dans la loi récemment adoptée ne soit pas interprété comme une norme ; il y a bien évidemment, là encore, un problème de moyens, que ce soit dans la conduite de l’instruction ou dans l’audiencement des affaires.
Il apparaît également une lacune dans le suivi des personnes une fois placées en détention provisoire. Le juge d’instruction n’est en effet pas informé de la façon dont se déroule cette détention ; or cette information apparaît essentielle, à la fois dans la décision de remise en liberté et dans l’efficacité de l’instruction.
« Pendant le temps de la détention provisoire, rien n’est organisé pour préparer la sortie, car il est assez fréquent que l’on place en détention provisoire le temps de l’enquête, le temps d’entendre tous les témoins. Au bout de quatre mois, même si l’instruction n’est pas tout à fait terminée, les confrontations les plus importantes ont été faites et les investigations qui risquaient d’être polluées par des pressions sont achevées. Mais rien n’est prévu pour la sortie. En fait, aucun service éducatif, aucun service social de la maison d’arrêt ne s’occupe d’une préparation à la sortie, puisqu’il n’y a pas d’échanges et que l’on ignore le temps de la détention. Rien n’est prévu pour préparer un hébergement, car, parfois, un hébergement en province serait possible, hors contexte du lieu où se sont déroulés les faits. Je parle en tant que juge d’instruction parisien, mais si on est en province, on peut se placer dans le cadre d’un éloignement général. Si donc les faits ont eu lieu dans la ville où l’on est saisi et que la victime habite là, il est ennuyeux de remettre le prévenu en liberté avant le jugement. Si l’on pouvait prévoir un hébergement éloigné, nous autoriserions peut-être plus souvent une remise en liberté en cours d’instruction. Malheureusement, si l’avocat n’a pas travaillé avec la famille sur cette possibilité, il est très difficile pour le prévenu détenu d’entreprendre des démarches et ce, d’autant plus qu’aucun service social n’est chargé de le faire. Il y a là une petite faille. La détention provisoire pourrait être réduite si, en cours de détention, des recherches régulières étaient effectuées, ainsi que des contacts pris avec les familles pour trouver des solutions alternatives. C’est une possibilité qui peut être avancée. » ...]
Je ferai également des propositions pour rendre la détention plus efficace pour l’instruction, car je ne pense pas que l’instruction ait à gagner à ce que le prévenu soit mal et se présente agressif ou dépressif aux interrogatoires. Il serait donc intéressant de disposer, entre la maison d’arrêt et le juge d’instruction, d’un outil d’échanges qui prendrait la forme d’un cahier ou d’une fiche de renseignements, d’une notice régulièrement réactualisée, qui permettrait d’être informé de l’adaptation du mis en examen en milieu carcéral, des conditions exactes de sa détention, de son isolement, des visites de sa famille, des événements importants de sa vie familiale. Il arrive que l’on prévoie un interrogatoire deux jours après l’annonce d’un décès, d’une maladie grave dans la famille ou d’une rupture conjugale faisant suite à la détention. Ce sont là de très mauvaises conditions pour un interrogatoire et qui sont inhumaines pour le prévenu. Il conviendrait donc que nous en soyons informés. De même, s’agissant de l’état de santé, sans que soit violé le secret médical, il serait utile que nous sachions si la personne est suivie régulièrement et si elle pose problème. Il serait également intéressant que nous soyons informés du suivi psychologique, ainsi que des démarches réelles en vue d’une désintoxication pour ce qui concerne les toxicomanes. » (Mme Sophie-Hélène Château, représentante de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)
Plus généralement, au-delà de la question de la détention provisoire, la connaissance de l’univers carcéral doit être une priorité fondamentale de la formation et des méthodes de travail des magistrats. Il est regrettable qu’il existe encore actuellement une telle césure entre l’administration judiciaire et l’administration pénitentiaire. Un réel effort de coopération doit être mené entre ces deux administrations qui dépendent du même ministère .