Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Article 13 :
Tout État partie assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit État qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause. Des mesures seront prises pour assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite.
Certes l’article 85 du Code de procédure permet à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture ou à des mauvais traitements de porter plainte et de se constituer partie civile devant le juge compétent.
Mais on constate rapidement, en pratique, que ce droit est loin d’être pleinement effectif et facilité lorsqu’il s’agit de violences commises par des autorités publiques. De nombreux obstacles pratiques, financiers ou psychologiques surviennent au cours des démarches de la victime qui rendent difficile le dépôt de plainte et sous-tend une « justice à deux vitesses » [1] : une pour les plaintes déposées par les policiers, et l’autre pour les plaintes déposées par les victimes de violences policières.
Pour le cas de violences policières, rares sont les personnes qui portent plainte au commissariat. Elles craignent que la plainte ne soit pas enregistrée puisqu’il s’agit de faits commis par des policiers dans l’exercice de leur fonction, voire par des fonctionnaires de leur propre commissariat.
Dans son rapport sur les violences policières en zone d’attente, l’ANAFE souligne que la possibilité de porter plainte pour une victime reste en pratique théorique car les étrangers redoutent souvent les représailles, surtout de refoulement lorsqu’ils sont encore en zone d’attente...et lorsqu’ils sont finalement admis sur le territoire, ils sont souvent réticents à l’idée d’engager dans les 3 ans toute action judiciaire soit parce qu’ils souhaitent oublier des mauvais souvenirs, soit parce qu’ils craignent, bien sûr à tort, de nouvelles répercussions sur les démarches entreprises, souvent auprès des préfectures et de l’OFPRA en vue de la reconnaissance du statut de réfugié [2].
Pour le cas de violences commises par des surveillants de prison sur des détenus, la crainte de lourdes représailles penche aussi en faveur de la non dénonciation. La victime peut hésiter à saisir la hiérarchie ou l’inspection des services pénitentiaires d’autant que, comme nous l’avons vu, très peu de plaintes aboutissent à une enquête impartiale et à une sanction disciplinaire.
Plus couramment, les victimes saisissent le procureur de la République par courrier recommandé avec accusé de réception. Mais, comme nous l’avons écrit plus haut, il y a beaucoup de classements sans suite ce qui fait échec à toute éventuelle poursuite devant le juge compétent.
L’une des difficultés est également de fournir des preuves.
La victime doit faire valoir sa parole contre celle de la personne assermentée, dépositaire de l’autorité publique. Si elle n’a pas de témoin ou si le témoin est un proche, sa parole sera fragilisée. Au cours de la garde à vue, qui se déroule souvent dans des conditions difficiles, il est récurrent que les victimes soient amenées à signer un procès-verbal ne correspondant pas à leur version des faits [3].
L’engagement d’une telle procédure n’est pas accessible à tout le monde puisqu’elle coûte cher : les frais de justice, les honoraires d’avocats, sans compter les dépens s’ils sont déboutés, voir les amendes s’ils sont condamnés pour outrage ou rébellion. Dans les affaires de cette nature, il conviendrait en outre de dispenser les parties civiles du paiement d’une consignation.
Le dépôt de plainte fait par l’auteur des violences illégitimes pour outrage et rébellion à agent peut aussi faire obstacle à la crédibilité de la plainte de la victime pour violences illégitimes. L’antenne locale de la Commission Citoyen-Justice-Police à Toulouse explique, que dans les 11 affaires de violences policières dont elle a eu connaissance, les policiers déposent systématiquement des plaintes pour outrage et rébellion, que le parquet retient presque toujours.
Le traitement de ces affaires apparaît donc inéquitable, car il conduit, là aussi quasi systématiquement, à dissocier, à propos des même faits, les procédures engagées contre les justiciables et les plaintes portées par ces mêmes justiciables à l’encontre des forces de l’ordre [4].
Les personnes sont regardées par les autorités judiciaires non pas comme des victimes mais des auteurs d’un délit. Le dépôt de plainte de la « victime/accusée » est d’autant plus difficile à faire enregistrer et à faire examiner en toute équité.
Il est paradoxal que le traitement de la plainte pour outrage et rébellion soit en général beaucoup plus rapide, que celui de la « victime ». Si la personne est reconnue coupable d’outrage et de rébellion et condamnée, sa position sera beaucoup moins « équitable », au moment de l’éventuelle poursuite pour violences.
Pour terminer, les propos de C. Daadouche, secrétaire général du GISTI, reflètent bien la situation actuelle des victimes de violences commises par des personnes dépositaires de l’autorité publique :
Au final, le plus paradoxal est le décalage entre la place qu’occupe aujourd’hui dans les discours et politiques pénales la victime en général et celle de second niveau que joue la victime de la violence policière. La première, sacralisée, est au cœur de l’ensemble des réformes récentes. C’est en son nom qu’il faut accélérer les procédures, c’est pour la protéger que l’on permet la plainte anonyme (loi Perben 2). Fait sans précédent, elle dispose même au sein du gouvernement d’un ministre spécifiquement chargé de la représenter. La victime de violence policière, elle, peine à exister. Son sort semble relever de simples règles déontologiques, d’instances administratives non juridictionnelles (IGS, IGPN) ou d’instance de médiation et consultative (CNDS) [5].